mercredi 24 novembre 2021

Retour de pompe

 

Retour de pompe en l'honneur d'un nouveau beaujolais nouveau…

En effet, suivant les années mes préférences allant soit vers le beaujolais Griottes des Domaines Chermette soit vers le beaujolais-villages Cuvée Bernard Pivot, je m’abstiens d’opérer un choix chez le caviste - « Les deux, mon marchand d’vin ! ». Je ne suis d’ailleurs pas certain que mon penchant périodique vers l’un ou l’autre corresponde à une réalité objective, car, outre l’humeur du moment, les mets avec lesquels ces vins sont servis doivent jouer un rôle essentiel, même si dans une tentative sans doute vaine de rigueur objective je procède à la dégustation préalable d’un premier verre apéritif, un verre solitaire et pour la science. Il me faudrait déposer puis ouvrir simultanément les deux bouteilles sur la table, mais je crains qu’ainsi après moult roulements de ces nectars sur mes papilles, ce ne soit moi qui roule sous la table, mes capacités bringuesques n’étant plus celles qu’elles furent jadis. Hein, quoi ? Recracher façon tasteur de vin en goguette ? Vous n’y pensez pas ! Quel gâchis… Et puis à quoi bon établir une hiérarchie, il suffit que ces deux vins nouveaux se montrent à la hauteur en endossant la robe prétexte à ces festivités annuelles. Et c’est le cas pour tous les deux.

Si hier ce furent des gougères et un saucisson lyonnais à cuire qui accompagnaient le beaujolais, aujourd’hui ce sont une pompe aux grattons et deux saint-marcellins de la mère Richard qui participent aux agapes.

Il y a un an à quelques jours près j’avais déjà réalisé une telle pompe. J’avais suivi selon mon habitude la recette figurant sur le site de Bobosse. Histoire de changer, je choisis de m’appuyer sur les recettes figurant sur le site de la Confrérie Bourbonnaise des Lechoux de la Pompe aux Gratons et celui de l’Allier-Bourbonnais.

Je mélange 500 g de farine, 10 g de sel, 100 g de saindoux et 100 g de beurre pommade. J’ajoute 3 œufs entiers et 5 g de levure de boulanger lyophilisée dissoute dans un peu d’eau. Je pétris. Comme le résultat est trop friable, j’ajoute de l’eau pour rectifier la consistance. Je boule le tout et mets pour une heure et demie dans la chambre de pousse à 28 °C.

La pâte a bien levé. J’y incorpore 100 g de grattons (en l’occurrence gratons de Lyon… ) et forme une couronne que je dépose au fond d’un moule à manqué barbouillé de saindoux. Je remets pendant deux heures dans la chambre de pousse, toujours à 28 °C.

J’enfourne à 160 °C pour quarante minutes. Je termine par cinq minutes à 180 °C pour obtenir de la coloration. Et voilà, la pompe aux grattons est prête.

pompe aux grattons
Pour un beaujolais en coup de pompe


Elle est encore tiède quand elle est servie avec quelques feuilles de salade du jardin - que l’on se rassure, c’est après une bouchée charcuto-pâtissière régénérant le palais dans ses capacités gustatives que nous portons les verres à nos lèvres…

pompe aux grattons
Pompe jouant les épouvantails

Puis arrivent les saint-marcellins. Bien que d’aucuns affirment que ces fromages ont connu une dérive vers l’industrialisation depuis le décès de la mère Richard, je dois reconnaître que ceux-ci étaient fort bons, crémeux, goûteux, bref affinés à souhait.

saint-marcellin, mère Richard
Un saint bien coulant

Pour autant le savoureux fromage ne vole pas la vedette au beaujolais nouveau. Ce n’est pas un Bernard Pivot qui se laissera mettre entre parenthèses.

Et même en fin de soirée, il restera debout, tel un point d’exclamation !

beaujolais, cuvée Bernard Pivot
Toujours jeune


vendredi 19 novembre 2021

Dans mon carnet d’rites

 

Après le rite de la bernache, un autre rite, lui aussi bachique : le beaujolais nouveau.

Cette année - ce qui n’est pas toujours le cas, car je ne suis tout de même pas un neobeaujolomaniaque obsessionnel - j’ai pensé à me procurer un saucisson à cuire lyonnais pour célébrer cette boisson qui n’a rien de divin mais où heureusement le parfum des souvenirs remplace les bouquets subtils qu’elle ne saurait exhaler.

Ce saucisson truffé et pistaché provient de la maison Sibilia. Il est arrivé avec d’autres spécialités lyonnaises dont je compte bien me régaler dans les jours qui suivent… Mais en ce jour, c’est ce beau dodu que je dépose au fond d’un sautoir où il entre tout juste et que je recouvre largement d’eau.

C’est parti pour une cuisson à frémissement d’une quarantaine de minutes.

saucisson à cuire, truffe, pistache
Lyonnais sous l'eau

Au bout de vingt minutes, ce sont des cornes de gatte du jardin - cette variété de pomme de terre que je peux baptiser ratte s’il s’agit de concocter une purée rebuchonienne, mais aussi quenelle de Lyon si, ce qui est le cas aujourd’hui, je donne dans la gastronomie de la capitale des Gaules - que je mets à cuire à l’anglaise.

Pendant ce temps, je sors le tire-bouchon du tiroir

sommelier
Sommelier méchant

et les gougères du four.

gougère
Gougères épanouies



Que la fête commence !

Au moins, cette année, il ne sent pas la banane ! Bon, ne soyons pas méchants… Ce beaujolais n’est pas désagréable, surtout avec ce coup de pied aux fesses que lui donnent les gougères. Mais hélas, ce n’est pas ce subtil vin de soif que jadis fut le beaujolais nouveau. Il faut prendre de la force pour aller jusqu’au Japon !

Fi de billevesées, il est grand temps que je sorte mes immergés de leurs eaux. Je pose le saucisson à cuire sur une planche et le partage. Un agréable mais discret fumet de truffe me monte au nez. Quant aux pommes de terre, je me contente de les égoutter. Et zou, je passe au dressage. Point de sauce superfétatoire. À la lyonnaise, avec simplement un peu de beurre doux et un tour de moulin de poivre.

saucisson lyonnais à cuire
Réunion lyonnaise autour d'une feuille

Le savoureux saucisson vole la vedette au beaujolais nouveau qui pleure des larmes de désespoir dans nos verres.

On retrouvera son cadavre vidé de son sang au petit matin. Il a été transporté à la morgue de mon appartement.

beaujolais nouveau
En  pleine jeunesse...



jeudi 18 novembre 2021

Homards... Si !

 

Félicie avait du poil aux pattes. Mes homards aussi.

homard
Une bonne paire de Manche

Félicie eut ses vapeurs. Mes homards aussi.

homard
12 minutes à toute vapeur...

Félicie devint toute rouge. Mes homards aussi.


homard
Un repli sur soi...

Elle partit pour s’allonger. Mes homards aussi.

homard
Homards ceinturés

Je lui ai cassé les pieds. À mes homards aussi.

Puis ce fut chaud bouillant.

fond de homard
Fond poil aux pattes (pédalant dans le calva)

Félicie avait une liaison. La sauce des homards aussi.

Elle me laissa une ardoise. À mes homards aussi.

homard
Homard poêlé au beurre demi-sel et sa sauce liée au corail*

* selon une recette de Patrick Cadour sur son blog Cuisine de la Mer



lundi 15 novembre 2021

Le sanglier qui voulait se faire aussi bon qu'un bœuf

 

J’avais acheté une livre de civet de sanglier sauvage taillé dans son cuissot avec l’intention de l’introduire dans la confection d’un pâté. Mais visiblement ce projet ne suscite pas l’enthousiasme.

«  En terrine ou en croûte ?

-  Bof…

-  En ajoutant quelques trompettes-de-la-mort ?

-  Bof…

-  Autant le dire, tu ne veux pas d’un pâté !

-  Ben oui, je préférerais un civet bien mijoté… »

Maintenant c’est moi qui suis réticent. Pourquoi ? Je ne le sais, mais je ne me sens absolument pas tenté en ce jour par un civet.

C’est qui le patron ?

«  Pas de civet aujourd’hui. D’ailleurs je n’ai pas le vin pour, et puis pas de cives non plus. Un civet sans cives, serait-ce un civet ? Mais d’accord, je renonce au pâté ! »

C’est bien beau, mais il va falloir maintenant que j’invente une recette…

C’est alors que le souvenir d’un mets dont je me régalais dans un petit restaurant non loin de mon travail où le cuisinier kabyle déclinait des plats simples mais bons aussi bien dans le registre bistrotier français que dans celui des spécialités de son pays, et ce pour le plus grand bonheur des employés des entreprises voisines : quand ce ragoût de bœuf aux patates sautées arrosé de jus de citron figurait parmi les plats du jour, je ne manquais pas de choisir de pousser la porte, délaissant les tables voisines comme celles de l’auvergnat moustachu chez qui le beaujolais coulait à flots, du roumain ombrageux dont la femme toujours souriante mitonnait de savoureux choux farcis, de la généreuse portugaise à deux pas de mon bureau chez qui l’on pouvait se croire en famille devant le bacalhau à Brás, du bistrot franchouillard où la serveuse ressemblait à Betty Boop et où le patron me collait une vaste serviette blanche autour du cou le jour des moules frites « Vous n’allez tout de même pas tacher votre cravate ! », du restaurant italien où opérait un authentique Napolitain, ruisselant de sueur à côté du four dans lequel, sous le regard blasé d’un chien trijambiste, il faisait virevolter de main de maestro les bûches rougeoyantes et les pizzas épanouies, ou de la gargote polonaise repaire de pochetrons, un peu plus éloignée de mon bureau - mais ses flaki bien épicées et son sombre bigos servis dans l’arrière-salle méritaient bien quelques pas supplémentaires - ou encore des brasseries proches de la gare de l’Est où je pouvais rêver que je débarquais d’Alsace, des divers établissements chinois envahissant le quartier - les copieux ou les raffinés, plus rares -, de la minuscule salle où le patron japonais (?), par je ne sais quel miracle, se rappelait mon nom qu’il ne manquait pas d’accoler à ses « arigato » en me déposant la modique addition, sans oublier les opportunités viandardes des portes de la Villette ou de Pantin… C’est dire si j’appréciais cette alliance parfaitement équilibrée de la rondeur et de l’acidité !

Mon sanglier se déguisera donc en bœuf pour la confection d’un plagiat - sans doute approximatif, car le souvenir en est lointain - de ce plat kabyle et plus qu’habile.

Je commence par faire revenir sur un trait d’huile d’olive les morceaux de sanglier assaisonnés, les faisant bien dorer sur chaque face.

sanglier
Sanglier pas sanglant

Je les retire de la cocotte pour les remplacer par une découpe en pétales de deux oignons de Roscoff que je fais tomber parsemés d’une pincée de sel en baissant la flamme.

oignons de Roscoff
Ce ne sont pas vos oignons

Puis la viande réintègre la cocotte, j’y ajoute laurier, thym, origan et sauge.

xanglier, oignons
La rencontre

J’arrose du jus d’un demi-citron et d’eau à hauteur. In memoriam : je parfume d’une pincée de ras-el-hanout, ayant une pensée pour ce cuisinier de l’ombre qui a su me régaler - et pas uniquement avec son bœuf citronné…

Je coiffe ma cocotte et laisse cuire à feu doux.

Au bout d’une vingtaine de minutes, je soulève le couvercle. Le liquide a bien réduit, mais pas encore suffisamment, et, piquant la viande, je constate qu’elle est encore trop ferme, ce qui était prévisible.

sanglier, oignons
Ce n'est qu'un début


L’idée me vient alors d’ajouter une cuillerée de miel. Je choisis un miel d’oranger de Valence, aux notes d’agrumes.

Je recoiffe et poursuis la cuisson.

Je profite de ce temps pour préparer mes pommes de terre sautées : des Victorias que j’ai taillées en paysanne et blanchies brièvement. Je termine leur cuisson à la poêle sur une cuillerée d’huile d’olive.

pommes de terre sautée
Et qu'ça saute !

Vingt nouvelles minutes se sont écoulées pour cette opération patate, je vérifie l’évolution du contenu de la cocotte. Eh bien, cette fois-ci, le résultat est là : le sanglier attendri à souhait baigne dans une sauce onctueuse bien réduite. 

sanglier
Une bonne réduction

Je goûte, hum, c’est bien bon, mais il ne s’agit pas de me livrer à des agapes prématurées, non, j’agis pour la bonne cause : je rectifie l’assaisonnement : une pincée de sel, et c’est parfait. Et, pendant que j’y suis, n’oublions pas de faire tomber une petite pluie de fleur de sel sur les pommes de terre avant de les déverser dans la cocotte. J’arrose le tout du jus d’un citron, plus celui du demi-citron qui restait.

J’ai ciselé un petit bouquet de persil, la découpe repose sur une coupelle. J’en déverse les deux tiers dans la cocotte. 

sanglier, pommes de terre, citron
Un avant-goût


Il reste encore une bonne demi-heure avant de passer à table. Ça tombe bien, car j’ai l’intention de laisser les parfums s’entremêler dans une bienveillante osmose. Je recoiffe donc, et attends…

À table ! Je rallume la flamme sous la cocotte bien connue. Quand le contenu recommence à bloublouter, je laisse encore cinq minutes, à couvert afin que les pommes de terre se réchauffent bien.

C’est prêt ! Je fais tomber le reste de persil qui apportera la touche verte en accord avec la fraîcheur du plat que sa teinte dominante ne permet pas de présager.

sanglier, pommes de terre, citron
La cocotte ultime


«  Mais c’est que c’est très bon :

-   N’est-ce pas ? Toutefois je ne cracherais pas non plus sur une part de pâté au sanglier… »


Ai-je retrouvé la saveur de mes souvenirs ? Bien sûr que non, ne serait-ce qu’en raison de la note nettement giboyeuse qu’apporte ce sauvage des Vosges. Qu’importe. Le plaisir est identique.

Mais non, je ne renouvellerai pas mon mauvais jeu de mots en affirmant que j’ai été plus qu’habile !

 

 

vendredi 12 novembre 2021

Où l’on me voit faire chou blanc pour une escapade en Hongrie

 

Pour débuter ce repas qui nous conduit en Hongrie, je présente quelques pogàcsa au fromage qu’il me suffit de réchauffer au four une dizaine de minutes à 160 °C.

 

pogàcsa au fromage
Pas mauvais du tout...

Pendant ce temps des tranches de pommes de terre du jardin finissent d’être sautées à cru dans le saindoux. Je réchauffe aussi une compotée de chou blanc préparée quelques heures auparavant. En fait traînait dans mes réserves la moitié d’un de ces choux qui ne font pas partie de mes variétés préférées - je me régale beaucoup plus d’un de ces dodus choux verts qui s’embeurrent à merveille ou même de ces feuilles de chou kale qui se déclinent en de multiples recettes - achetée au départ pour confectionner un kimchi. La confection de ce plaisant condiment coréen ayant avorté devant l’impossibilité de se procurer en temps voulu le piment gochugaru nécessaire pour cette préparation, j’ai pensé que ce légume convenait bien pour accompagner ce boudin hongrois - májas hurka - contenant riz, tête de porc, foie, couenne, poumon, saindoux, oignon et relevé de sel, poivre, paprika, marjolaine, cumin. C’était décidé, je posais sur ma planche ce chou, son destin dont j’étais désormais le maître venait de changer. Je l’ai découpé en lanières que j’ai mises à fondre à feu doux en compagnie d’un oignon de Roscoff taillé grossièrement sur une grosse noix de saindoux. Au bout d’une trentaine de minutes de cuisson, j’ai rajouté une cuillerée de vinaigre de cidre et j’ai laissé réduire jusqu’à un début de caramélisation.

J’étends mes deux pièces de májas hurka au creux d’une poêle où fond une noisette de saindoux, et les fais légèrement dorer à feu doux avant que cette cuisson ne se poursuive au four où ces saucisses prennent le relais des petits gâteaux salés.

Une douzaine de minutes plus tard je puis procéder au dressage. Je parsème le chou d’une pincée de paprika et fais tomber sur les pommes de terre sautées quelques lambeaux de persil ainsi qu’un soupçon de fleur de sel.

 

májas hurka, saucisse hongroise, chou blanc
Chou blanc maquillé en rouge pour plaire à une saucisse hongroise

Je me régale toujours autant de cette charcuterie goûteuse, même si je lui préfère la plus sombre véres hurka. L'accord avec le chou fonctionne à merveille.

Pour suivre, un fromage de chèvre hongrois. 


Sa vigueur en goût rappelle celle de certains fromages corses, la note fumée en plus…

fromage de chèvre hongrois
Fumée et feu dans le palais



Et le repas se clôt avec des parts découpées dans un savoureux roulé au pavot.

 

roulé au pavot
Hongroise bien roulée

Finalement, voyager dans sa salle à manger, c’est bête comme chou…

Rites à volonté

 Au menu, rites d'automne :



Bernache rouge du Loudunais ( du caviste Les Bonnes Caves place Porte-de-Chinon à Loudun )

Rillons du Richelais ( de la boucherie- charcuterie Franck Rocher dans la Grand Rue à Richelieu )

Rillettes de Tours ( de la charcuterie Franck Bourdeau AU ROY GOURMET  sous les halles à Tours )

Châtaignes ( belles, mais de je ne sais où ? en France )

Pain maison ( farine de froment T555 Corde Blanche des Moulins de Versailles  à Versailles ) 


Pour deux Franck, t'as beaucoup...


lundi 8 novembre 2021

Dîner de tête

 

À la demande générale (enfin, presque… ) tête de veau au menu.

 

Je vais faire les choses en grand, pour une fois que nous ne serons pas seulement deux malheureux attablés qui ne peuvent que râler en découvrant à la découpe ce que le sort tripier leur a réservé au sein de leur rikiki tiers de demi-tête roulée. Pour avoir de tout, j’ai commandé une tête de veau entière que je cuisinerai suivant les conseils de Madame Saint-Ange.

Passons donc au déroulement de ce repas, déroulement au sens matériel de la tête roulée - un beau bébé emmailloté de plus de 4,5 kg. 

tête de veau
Avant le déroulement

Mise à plat de la chair et ouverture de l’ouvrage...

Détachez l’oreille en la cernant à sa naissance avec la pointe d’un bon couteau de cuisine, pas trop grand. Coupez le morceau de mufle et partagez le reste de la joue en trois morceaux. Frottez les morceaux, du côté de la peau, avec un quartier de citron ; cela parce que l’acide du citron conserve leur blancheur.

Au fur et à mesure, mettez-les dans le blanc bouillant. Ajoutez la graisse indiquée ; couvrez l’ustensile. Depuis l’instant où l’ébullition est reprise, comptez d’une heure et quart à une heure et demie de cuisson, en maintenant un simple frémissement régulier du liquide, sans arrêts. Assurez-vous que le point de cuisson est atteint en touchant avec le doigt la peau d’un morceau de joue. Retirez ensuite la casserole, toujours couverte, au chaud, pour n’en sortir les morceaux de tête que juste au moment de l’emploi.

Ah, ça commence bien ! Point d’oreille dans ma joue déroulée… Eh oui, c’est désormais la tendance, dans la lignée de la disparition du plaisant cartilage dans le pâté de tête - alors qu'en revanche il n'y a pas une recette prétendument gastronomique où l’un postulant topchéfial ne se sente obligé d’ajouter un quelconque ingrédient superfétatoire sous prétexte d’apporter du croquant. Il me faut donc me priver de cette étape, mais surtout de ce morceau. Je ne trancherai que mufle et joues… En contrepartie, se cachait une langue, déjà partagée en deux, appendice que visiblement Madame Saint-Ange exclue du sujet et qui constitue pour elle un met à part. Le plat à l’écoute se transformera donc chez moi en plat bavard…

Pour une demi-tête, 2 litres et demi d’eau ; 35 grammes de farine ; 20 grammes de gros sel ; un oignon piqué ; un gros bouquet garni ; 6 boules de gros poivre ; 4 bonnes cuillerées de vinaigre ; 3 fortes cuillerées de graisse. Pour une tête entière, augmenter ces proportions de 1 litre et demi d’eau ; 20 grammes de farine ; 10 grammes de sel ; une cuillerée de graisse ; forcer un peu le reste de l’assaisonnement.

J'ai observé ces consignes. Et voilà, c’est parti…

 

Les convives sont arrivés, les morceaux de tête de veau patientent dans la marmite.

Des gougères, pas très réussies, - mais c’est toujours ainsi quand on a des invités à sa table, c’est bien connu - serviront d’amuse-gueule pendant que je procède au dressage de ma tête de veau.

gougères
Petites têtes gonflées de vent


Les morceaux de viande sortis à l’aide de l’araignée font une brève étape sur une planche afin que je me livre à une découpe supplémentaire et débarrasse la langue de sa coriace peau rugueuse avant de répartir les différents morceaux assemblés par catégorie sur le grand plat pompadouresque. J’ai aussi cuit à part des poireaux, des carottes et des pommes de terre pendant la dernière demi-heure. Je les dispose sur un autre contenant à l'architecture plus sobre et les arrose d’un filet d’huile de noix.

tête de veau
La tête dans sa diversité

Et comme je sais que trop souvent les convives se voient rationnés en sauce pour leurs dernières bouchées, c’est une grande vasque de sauce gribiche que je vais apporter sur la table.

sauce gribiche
Sos gribiche

Je l’ai montée à l’huile d’arachide à partir de cinq jaunes d’œufs durs et de deux cuillerées de moutarde. J'ai incorporé le blanc haché finement de trois de ces mêmes œufs. Je n’ai pas mégoté sur l’échalote, mais surtout sur les herbes : persil, ciboulette, estragon, cerfeuil. Quatre cornichons passés sous mon couteau et la moitié d’un bocal de câpres déversée. Cinq ou six tours de moulin de poivre blanc de Muntok. J’ai goûté. Pas assez d’acidité et un peu fade… J’ai ajouté une cuillerée de vinaigre blanc dans laquelle j’ai dilué une bonne pincée de sel. Un dernier brassage. J’ai goûté à nouveau. Parfait. Je me vante ? Mais non, en témoigne le fait que malgré ma générosité, l’on se disputera les ultimes larmes de ma sauce gribiche.

Le plat de tête de veau est placé sur une desserte. Un trancheur procède à la distribution au gré des préférences : langue charnue, joue moelleuse, cuir gélatineux, mufle tremblotant. Pour ma part, outre la disparition de l’oreille croquant sous la dent, je regrette l’absence de la tendre cervelle qui figurait aussi à mon grand plaisir dans le plat de tête de veau d’un de mes restaurants banlieusards favoris - mais je crains d’être le seul dans ce cas parmi cette tablée…

Heureusement il me semble que chacun ou chacune se régale d'une assiette chargée à son gré.  


Puis...

Plateau de fromage minimaliste, et l’on passe au dessert.

pithiviers
Quand le pithiviers est fondant

Il s’agit d’un pithiviers fondant, un gâteau dont la difficulté principale est dans la cuisson qui doit éviter une trop grande coloration, car la pâte de cette succulente spécialité est très simple : 250 g de poudre d’amande, le même poids pour le beurre, le sucre ainsi que les œufs, avec en additif une cuillérée bombée de farine de riz diluée avec une cuillerée de rhum et une petite cuillerée d’extrait d’amande amère. Le glaçage est constitué de 220 g de sucre glace incorporant une cuillerée de kirsch et la quantité d’eau ajustée pour obtenir une pâte étalable à la spatule.

Pour la distribution, le trancheur est remplacé par une trancheuse, elle aussi à deux pattes s'entend. L'équité est à peu près assurée... Mais non, pas entre sexes, mais entre convives !

pithiviers fondant
Un quartier de Pithiviers

Café... 


Bon, le dîner est fini, chacun semble satisfait. Il ne fallait pas que je me mette martel en tête de veau…