À la demande générale (enfin, presque… ) tête de veau au
menu.
Je vais faire les choses en grand, pour une fois que nous ne
serons pas seulement deux malheureux attablés qui ne peuvent que râler en
découvrant à la découpe ce que le sort tripier leur a réservé au sein de leur rikiki
tiers de demi-tête roulée. Pour avoir de tout, j’ai commandé une tête de veau entière
que je cuisinerai suivant les conseils de Madame Saint-Ange.
Passons donc au déroulement de ce repas, déroulement au sens matériel de la tête roulée - un beau bébé emmailloté de plus de 4,5 kg.
Avant le déroulement |
Mise à plat de la chair et ouverture de l’ouvrage...
Détachez l’oreille en la cernant à sa naissance avec la
pointe d’un bon couteau de cuisine, pas trop grand. Coupez le morceau de mufle
et partagez le reste de la joue en trois morceaux. Frottez les morceaux, du
côté de la peau, avec un quartier de citron ; cela parce que l’acide du
citron conserve leur blancheur.
Au fur et à mesure, mettez-les dans le blanc bouillant.
Ajoutez la graisse indiquée ; couvrez l’ustensile. Depuis l’instant où l’ébullition
est reprise, comptez d’une heure et quart à une heure et demie de cuisson, en
maintenant un simple frémissement régulier du liquide, sans arrêts.
Assurez-vous que le point de cuisson est atteint en touchant avec le doigt la
peau d’un morceau de joue. Retirez ensuite la casserole, toujours couverte, au
chaud, pour n’en sortir les morceaux de tête que juste au moment de l’emploi.
Ah, ça commence bien ! Point d’oreille dans ma joue
déroulée… Eh oui, c’est désormais la tendance, dans la lignée de la disparition du plaisant
cartilage dans le pâté de tête - alors qu'en revanche il n'y a pas une
recette prétendument gastronomique où l’un postulant topchéfial ne se sente obligé d’ajouter un
quelconque ingrédient superfétatoire sous prétexte d’apporter du croquant. Il
me faut donc me priver de cette étape, mais surtout de ce morceau. Je ne
trancherai que mufle et joues… En contrepartie, se cachait une langue, déjà
partagée en deux, appendice que visiblement Madame Saint-Ange exclue du sujet et qui constitue pour elle un met à part. Le plat à l’écoute se transformera donc chez moi en plat bavard…
Pour une demi-tête, 2 litres et demi d’eau ; 35 grammes
de farine ; 20 grammes de gros sel ; un oignon piqué ; un gros bouquet
garni ; 6 boules de gros poivre ; 4 bonnes cuillerées de vinaigre ;
3 fortes cuillerées de graisse. Pour une tête entière, augmenter ces
proportions de 1 litre et demi d’eau ; 20 grammes de farine ; 10
grammes de sel ; une cuillerée de graisse ; forcer un peu le reste de
l’assaisonnement.
J'ai observé ces consignes. Et voilà, c’est parti…
Les convives sont arrivés, les morceaux de tête de veau
patientent dans la marmite.
Des gougères, pas très réussies, - mais c’est toujours
ainsi quand on a des invités à sa table, c’est bien connu - serviront d’amuse-gueule
pendant que je procède au dressage de ma tête de veau.
Petites têtes gonflées de vent |
Les morceaux de viande sortis à l’aide de l’araignée font une brève
étape sur une planche afin que je me livre à une découpe supplémentaire et
débarrasse la langue de sa coriace peau rugueuse avant de répartir les
différents morceaux assemblés par catégorie sur le grand plat pompadouresque. J’ai aussi cuit à part des
poireaux, des carottes et des pommes de terre pendant la dernière demi-heure. Je les dispose sur un
autre contenant à l'architecture plus sobre et les arrose d’un filet d’huile de noix.
La tête dans sa diversité |
Et comme je sais que trop souvent les convives se voient rationnés en sauce pour leurs dernières bouchées, c’est une grande vasque de sauce gribiche que je vais apporter sur la table.
Sos gribiche |
Je l’ai montée à l’huile d’arachide à partir de cinq jaunes d’œufs durs et de deux cuillerées de moutarde. J'ai incorporé le blanc haché finement de trois de ces mêmes œufs. Je n’ai pas mégoté sur l’échalote, mais surtout sur les herbes : persil, ciboulette, estragon, cerfeuil. Quatre cornichons passés sous mon couteau et la moitié d’un bocal de câpres déversée. Cinq ou six tours de moulin de poivre blanc de Muntok. J’ai goûté. Pas assez d’acidité et un peu fade… J’ai ajouté une cuillerée de vinaigre blanc dans laquelle j’ai dilué une bonne pincée de sel. Un dernier brassage. J’ai goûté à nouveau. Parfait. Je me vante ? Mais non, en témoigne le fait que malgré ma générosité, l’on se disputera les ultimes larmes de ma sauce gribiche.
Le plat de tête de veau est placé sur une desserte. Un
trancheur procède à la distribution au gré des préférences : langue
charnue, joue moelleuse, cuir gélatineux, mufle tremblotant. Pour ma part,
outre la disparition de l’oreille croquant sous la dent, je regrette l’absence
de la tendre cervelle qui figurait aussi à mon grand plaisir dans le plat de tête
de veau d’un de mes restaurants banlieusards favoris - mais je crains d’être le
seul dans ce cas parmi cette tablée…
Plateau de fromage minimaliste, et l’on passe au dessert.
Quand le pithiviers est fondant |
Il s’agit d’un pithiviers fondant, un gâteau dont la difficulté principale est dans la cuisson qui doit éviter une trop grande coloration, car la pâte de cette succulente spécialité est très simple : 250 g de poudre d’amande, le même poids pour le beurre, le sucre ainsi que les œufs, avec en additif une cuillérée bombée de farine de riz diluée avec une cuillerée de rhum et une petite cuillerée d’extrait d’amande amère. Le glaçage est constitué de 220 g de sucre glace incorporant une cuillerée de kirsch et la quantité d’eau ajustée pour obtenir une pâte étalable à la spatule.
Pour la distribution, le trancheur est remplacé par une trancheuse, elle aussi à deux pattes s'entend. L'équité est à peu près assurée... Mais non, pas entre sexes, mais entre convives !
Un quartier de Pithiviers |
Bon, le dîner est fini, chacun semble satisfait. Il ne
fallait pas que je me mette martel en tête de veau…
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