vendredi 19 novembre 2021

Dans mon carnet d’rites

 

Après le rite de la bernache, un autre rite, lui aussi bachique : le beaujolais nouveau.

Cette année - ce qui n’est pas toujours le cas, car je ne suis tout de même pas un neobeaujolomaniaque obsessionnel - j’ai pensé à me procurer un saucisson à cuire lyonnais pour célébrer cette boisson qui n’a rien de divin mais où heureusement le parfum des souvenirs remplace les bouquets subtils qu’elle ne saurait exhaler.

Ce saucisson truffé et pistaché provient de la maison Sibilia. Il est arrivé avec d’autres spécialités lyonnaises dont je compte bien me régaler dans les jours qui suivent… Mais en ce jour, c’est ce beau dodu que je dépose au fond d’un sautoir où il entre tout juste et que je recouvre largement d’eau.

C’est parti pour une cuisson à frémissement d’une quarantaine de minutes.

saucisson à cuire, truffe, pistache
Lyonnais sous l'eau

Au bout de vingt minutes, ce sont des cornes de gatte du jardin - cette variété de pomme de terre que je peux baptiser ratte s’il s’agit de concocter une purée rebuchonienne, mais aussi quenelle de Lyon si, ce qui est le cas aujourd’hui, je donne dans la gastronomie de la capitale des Gaules - que je mets à cuire à l’anglaise.

Pendant ce temps, je sors le tire-bouchon du tiroir

sommelier
Sommelier méchant

et les gougères du four.

gougère
Gougères épanouies



Que la fête commence !

Au moins, cette année, il ne sent pas la banane ! Bon, ne soyons pas méchants… Ce beaujolais n’est pas désagréable, surtout avec ce coup de pied aux fesses que lui donnent les gougères. Mais hélas, ce n’est pas ce subtil vin de soif que jadis fut le beaujolais nouveau. Il faut prendre de la force pour aller jusqu’au Japon !

Fi de billevesées, il est grand temps que je sorte mes immergés de leurs eaux. Je pose le saucisson à cuire sur une planche et le partage. Un agréable mais discret fumet de truffe me monte au nez. Quant aux pommes de terre, je me contente de les égoutter. Et zou, je passe au dressage. Point de sauce superfétatoire. À la lyonnaise, avec simplement un peu de beurre doux et un tour de moulin de poivre.

saucisson lyonnais à cuire
Réunion lyonnaise autour d'une feuille

Le savoureux saucisson vole la vedette au beaujolais nouveau qui pleure des larmes de désespoir dans nos verres.

On retrouvera son cadavre vidé de son sang au petit matin. Il a été transporté à la morgue de mon appartement.

beaujolais nouveau
En  pleine jeunesse...



jeudi 18 novembre 2021

Homards... Si !

 

Félicie avait du poil aux pattes. Mes homards aussi.

homard
Une bonne paire de Manche

Félicie eut ses vapeurs. Mes homards aussi.

homard
12 minutes à toute vapeur...

Félicie devint toute rouge. Mes homards aussi.


homard
Un repli sur soi...

Elle partit pour s’allonger. Mes homards aussi.

homard
Homards ceinturés

Je lui ai cassé les pieds. À mes homards aussi.

Puis ce fut chaud bouillant.

fond de homard
Fond poil aux pattes (pédalant dans le calva)

Félicie avait une liaison. La sauce des homards aussi.

Elle me laissa une ardoise. À mes homards aussi.

homard
Homard poêlé au beurre demi-sel et sa sauce liée au corail*

* selon une recette de Patrick Cadour sur son blog Cuisine de la Mer



lundi 15 novembre 2021

Le sanglier qui voulait se faire aussi bon qu'un bœuf

 

J’avais acheté une livre de civet de sanglier sauvage taillé dans son cuissot avec l’intention de l’introduire dans la confection d’un pâté. Mais visiblement ce projet ne suscite pas l’enthousiasme.

«  En terrine ou en croûte ?

-  Bof…

-  En ajoutant quelques trompettes-de-la-mort ?

-  Bof…

-  Autant le dire, tu ne veux pas d’un pâté !

-  Ben oui, je préférerais un civet bien mijoté… »

Maintenant c’est moi qui suis réticent. Pourquoi ? Je ne le sais, mais je ne me sens absolument pas tenté en ce jour par un civet.

C’est qui le patron ?

«  Pas de civet aujourd’hui. D’ailleurs je n’ai pas le vin pour, et puis pas de cives non plus. Un civet sans cives, serait-ce un civet ? Mais d’accord, je renonce au pâté ! »

C’est bien beau, mais il va falloir maintenant que j’invente une recette…

C’est alors que le souvenir d’un mets dont je me régalais dans un petit restaurant non loin de mon travail où le cuisinier kabyle déclinait des plats simples mais bons aussi bien dans le registre bistrotier français que dans celui des spécialités de son pays, et ce pour le plus grand bonheur des employés des entreprises voisines : quand ce ragoût de bœuf aux patates sautées arrosé de jus de citron figurait parmi les plats du jour, je ne manquais pas de choisir de pousser la porte, délaissant les tables voisines comme celles de l’auvergnat moustachu chez qui le beaujolais coulait à flots, du roumain ombrageux dont la femme toujours souriante mitonnait de savoureux choux farcis, de la généreuse portugaise à deux pas de mon bureau chez qui l’on pouvait se croire en famille devant le bacalhau à Brás, du bistrot franchouillard où la serveuse ressemblait à Betty Boop et où le patron me collait une vaste serviette blanche autour du cou le jour des moules frites « Vous n’allez tout de même pas tacher votre cravate ! », du restaurant italien où opérait un authentique Napolitain, ruisselant de sueur à côté du four dans lequel, sous le regard blasé d’un chien trijambiste, il faisait virevolter de main de maestro les bûches rougeoyantes et les pizzas épanouies, ou de la gargote polonaise repaire de pochetrons, un peu plus éloignée de mon bureau - mais ses flaki bien épicées et son sombre bigos servis dans l’arrière-salle méritaient bien quelques pas supplémentaires - ou encore des brasseries proches de la gare de l’Est où je pouvais rêver que je débarquais d’Alsace, des divers établissements chinois envahissant le quartier - les copieux ou les raffinés, plus rares -, de la minuscule salle où le patron japonais (?), par je ne sais quel miracle, se rappelait mon nom qu’il ne manquait pas d’accoler à ses « arigato » en me déposant la modique addition, sans oublier les opportunités viandardes des portes de la Villette ou de Pantin… C’est dire si j’appréciais cette alliance parfaitement équilibrée de la rondeur et de l’acidité !

Mon sanglier se déguisera donc en bœuf pour la confection d’un plagiat - sans doute approximatif, car le souvenir en est lointain - de ce plat kabyle et plus qu’habile.

Je commence par faire revenir sur un trait d’huile d’olive les morceaux de sanglier assaisonnés, les faisant bien dorer sur chaque face.

sanglier
Sanglier pas sanglant

Je les retire de la cocotte pour les remplacer par une découpe en pétales de deux oignons de Roscoff que je fais tomber parsemés d’une pincée de sel en baissant la flamme.

oignons de Roscoff
Ce ne sont pas vos oignons

Puis la viande réintègre la cocotte, j’y ajoute laurier, thym, origan et sauge.

xanglier, oignons
La rencontre

J’arrose du jus d’un demi-citron et d’eau à hauteur. In memoriam : je parfume d’une pincée de ras-el-hanout, ayant une pensée pour ce cuisinier de l’ombre qui a su me régaler - et pas uniquement avec son bœuf citronné…

Je coiffe ma cocotte et laisse cuire à feu doux.

Au bout d’une vingtaine de minutes, je soulève le couvercle. Le liquide a bien réduit, mais pas encore suffisamment, et, piquant la viande, je constate qu’elle est encore trop ferme, ce qui était prévisible.

sanglier, oignons
Ce n'est qu'un début


L’idée me vient alors d’ajouter une cuillerée de miel. Je choisis un miel d’oranger de Valence, aux notes d’agrumes.

Je recoiffe et poursuis la cuisson.

Je profite de ce temps pour préparer mes pommes de terre sautées : des Victorias que j’ai taillées en paysanne et blanchies brièvement. Je termine leur cuisson à la poêle sur une cuillerée d’huile d’olive.

pommes de terre sautée
Et qu'ça saute !

Vingt nouvelles minutes se sont écoulées pour cette opération patate, je vérifie l’évolution du contenu de la cocotte. Eh bien, cette fois-ci, le résultat est là : le sanglier attendri à souhait baigne dans une sauce onctueuse bien réduite. 

sanglier
Une bonne réduction

Je goûte, hum, c’est bien bon, mais il ne s’agit pas de me livrer à des agapes prématurées, non, j’agis pour la bonne cause : je rectifie l’assaisonnement : une pincée de sel, et c’est parfait. Et, pendant que j’y suis, n’oublions pas de faire tomber une petite pluie de fleur de sel sur les pommes de terre avant de les déverser dans la cocotte. J’arrose le tout du jus d’un citron, plus celui du demi-citron qui restait.

J’ai ciselé un petit bouquet de persil, la découpe repose sur une coupelle. J’en déverse les deux tiers dans la cocotte. 

sanglier, pommes de terre, citron
Un avant-goût


Il reste encore une bonne demi-heure avant de passer à table. Ça tombe bien, car j’ai l’intention de laisser les parfums s’entremêler dans une bienveillante osmose. Je recoiffe donc, et attends…

À table ! Je rallume la flamme sous la cocotte bien connue. Quand le contenu recommence à bloublouter, je laisse encore cinq minutes, à couvert afin que les pommes de terre se réchauffent bien.

C’est prêt ! Je fais tomber le reste de persil qui apportera la touche verte en accord avec la fraîcheur du plat que sa teinte dominante ne permet pas de présager.

sanglier, pommes de terre, citron
La cocotte ultime


«  Mais c’est que c’est très bon :

-   N’est-ce pas ? Toutefois je ne cracherais pas non plus sur une part de pâté au sanglier… »


Ai-je retrouvé la saveur de mes souvenirs ? Bien sûr que non, ne serait-ce qu’en raison de la note nettement giboyeuse qu’apporte ce sauvage des Vosges. Qu’importe. Le plaisir est identique.

Mais non, je ne renouvellerai pas mon mauvais jeu de mots en affirmant que j’ai été plus qu’habile !

 

 

vendredi 12 novembre 2021

Où l’on me voit faire chou blanc pour une escapade en Hongrie

 

Pour débuter ce repas qui nous conduit en Hongrie, je présente quelques pogàcsa au fromage qu’il me suffit de réchauffer au four une dizaine de minutes à 160 °C.

 

pogàcsa au fromage
Pas mauvais du tout...

Pendant ce temps des tranches de pommes de terre du jardin finissent d’être sautées à cru dans le saindoux. Je réchauffe aussi une compotée de chou blanc préparée quelques heures auparavant. En fait traînait dans mes réserves la moitié d’un de ces choux qui ne font pas partie de mes variétés préférées - je me régale beaucoup plus d’un de ces dodus choux verts qui s’embeurrent à merveille ou même de ces feuilles de chou kale qui se déclinent en de multiples recettes - achetée au départ pour confectionner un kimchi. La confection de ce plaisant condiment coréen ayant avorté devant l’impossibilité de se procurer en temps voulu le piment gochugaru nécessaire pour cette préparation, j’ai pensé que ce légume convenait bien pour accompagner ce boudin hongrois - májas hurka - contenant riz, tête de porc, foie, couenne, poumon, saindoux, oignon et relevé de sel, poivre, paprika, marjolaine, cumin. C’était décidé, je posais sur ma planche ce chou, son destin dont j’étais désormais le maître venait de changer. Je l’ai découpé en lanières que j’ai mises à fondre à feu doux en compagnie d’un oignon de Roscoff taillé grossièrement sur une grosse noix de saindoux. Au bout d’une trentaine de minutes de cuisson, j’ai rajouté une cuillerée de vinaigre de cidre et j’ai laissé réduire jusqu’à un début de caramélisation.

J’étends mes deux pièces de májas hurka au creux d’une poêle où fond une noisette de saindoux, et les fais légèrement dorer à feu doux avant que cette cuisson ne se poursuive au four où ces saucisses prennent le relais des petits gâteaux salés.

Une douzaine de minutes plus tard je puis procéder au dressage. Je parsème le chou d’une pincée de paprika et fais tomber sur les pommes de terre sautées quelques lambeaux de persil ainsi qu’un soupçon de fleur de sel.

 

májas hurka, saucisse hongroise, chou blanc
Chou blanc maquillé en rouge pour plaire à une saucisse hongroise

Je me régale toujours autant de cette charcuterie goûteuse, même si je lui préfère la plus sombre véres hurka. L'accord avec le chou fonctionne à merveille.

Pour suivre, un fromage de chèvre hongrois. 


Sa vigueur en goût rappelle celle de certains fromages corses, la note fumée en plus…

fromage de chèvre hongrois
Fumée et feu dans le palais



Et le repas se clôt avec des parts découpées dans un savoureux roulé au pavot.

 

roulé au pavot
Hongroise bien roulée

Finalement, voyager dans sa salle à manger, c’est bête comme chou…

Rites à volonté

 Au menu, rites d'automne :



Bernache rouge du Loudunais ( du caviste Les Bonnes Caves place Porte-de-Chinon à Loudun )

Rillons du Richelais ( de la boucherie- charcuterie Franck Rocher dans la Grand Rue à Richelieu )

Rillettes de Tours ( de la charcuterie Franck Bourdeau AU ROY GOURMET  sous les halles à Tours )

Châtaignes ( belles, mais de je ne sais où ? en France )

Pain maison ( farine de froment T555 Corde Blanche des Moulins de Versailles  à Versailles ) 


Pour deux Franck, t'as beaucoup...


lundi 8 novembre 2021

Dîner de tête

 

À la demande générale (enfin, presque… ) tête de veau au menu.

 

Je vais faire les choses en grand, pour une fois que nous ne serons pas seulement deux malheureux attablés qui ne peuvent que râler en découvrant à la découpe ce que le sort tripier leur a réservé au sein de leur rikiki tiers de demi-tête roulée. Pour avoir de tout, j’ai commandé une tête de veau entière que je cuisinerai suivant les conseils de Madame Saint-Ange.

Passons donc au déroulement de ce repas, déroulement au sens matériel de la tête roulée - un beau bébé emmailloté de plus de 4,5 kg. 

tête de veau
Avant le déroulement

Mise à plat de la chair et ouverture de l’ouvrage...

Détachez l’oreille en la cernant à sa naissance avec la pointe d’un bon couteau de cuisine, pas trop grand. Coupez le morceau de mufle et partagez le reste de la joue en trois morceaux. Frottez les morceaux, du côté de la peau, avec un quartier de citron ; cela parce que l’acide du citron conserve leur blancheur.

Au fur et à mesure, mettez-les dans le blanc bouillant. Ajoutez la graisse indiquée ; couvrez l’ustensile. Depuis l’instant où l’ébullition est reprise, comptez d’une heure et quart à une heure et demie de cuisson, en maintenant un simple frémissement régulier du liquide, sans arrêts. Assurez-vous que le point de cuisson est atteint en touchant avec le doigt la peau d’un morceau de joue. Retirez ensuite la casserole, toujours couverte, au chaud, pour n’en sortir les morceaux de tête que juste au moment de l’emploi.

Ah, ça commence bien ! Point d’oreille dans ma joue déroulée… Eh oui, c’est désormais la tendance, dans la lignée de la disparition du plaisant cartilage dans le pâté de tête - alors qu'en revanche il n'y a pas une recette prétendument gastronomique où l’un postulant topchéfial ne se sente obligé d’ajouter un quelconque ingrédient superfétatoire sous prétexte d’apporter du croquant. Il me faut donc me priver de cette étape, mais surtout de ce morceau. Je ne trancherai que mufle et joues… En contrepartie, se cachait une langue, déjà partagée en deux, appendice que visiblement Madame Saint-Ange exclue du sujet et qui constitue pour elle un met à part. Le plat à l’écoute se transformera donc chez moi en plat bavard…

Pour une demi-tête, 2 litres et demi d’eau ; 35 grammes de farine ; 20 grammes de gros sel ; un oignon piqué ; un gros bouquet garni ; 6 boules de gros poivre ; 4 bonnes cuillerées de vinaigre ; 3 fortes cuillerées de graisse. Pour une tête entière, augmenter ces proportions de 1 litre et demi d’eau ; 20 grammes de farine ; 10 grammes de sel ; une cuillerée de graisse ; forcer un peu le reste de l’assaisonnement.

J'ai observé ces consignes. Et voilà, c’est parti…

 

Les convives sont arrivés, les morceaux de tête de veau patientent dans la marmite.

Des gougères, pas très réussies, - mais c’est toujours ainsi quand on a des invités à sa table, c’est bien connu - serviront d’amuse-gueule pendant que je procède au dressage de ma tête de veau.

gougères
Petites têtes gonflées de vent


Les morceaux de viande sortis à l’aide de l’araignée font une brève étape sur une planche afin que je me livre à une découpe supplémentaire et débarrasse la langue de sa coriace peau rugueuse avant de répartir les différents morceaux assemblés par catégorie sur le grand plat pompadouresque. J’ai aussi cuit à part des poireaux, des carottes et des pommes de terre pendant la dernière demi-heure. Je les dispose sur un autre contenant à l'architecture plus sobre et les arrose d’un filet d’huile de noix.

tête de veau
La tête dans sa diversité

Et comme je sais que trop souvent les convives se voient rationnés en sauce pour leurs dernières bouchées, c’est une grande vasque de sauce gribiche que je vais apporter sur la table.

sauce gribiche
Sos gribiche

Je l’ai montée à l’huile d’arachide à partir de cinq jaunes d’œufs durs et de deux cuillerées de moutarde. J'ai incorporé le blanc haché finement de trois de ces mêmes œufs. Je n’ai pas mégoté sur l’échalote, mais surtout sur les herbes : persil, ciboulette, estragon, cerfeuil. Quatre cornichons passés sous mon couteau et la moitié d’un bocal de câpres déversée. Cinq ou six tours de moulin de poivre blanc de Muntok. J’ai goûté. Pas assez d’acidité et un peu fade… J’ai ajouté une cuillerée de vinaigre blanc dans laquelle j’ai dilué une bonne pincée de sel. Un dernier brassage. J’ai goûté à nouveau. Parfait. Je me vante ? Mais non, en témoigne le fait que malgré ma générosité, l’on se disputera les ultimes larmes de ma sauce gribiche.

Le plat de tête de veau est placé sur une desserte. Un trancheur procède à la distribution au gré des préférences : langue charnue, joue moelleuse, cuir gélatineux, mufle tremblotant. Pour ma part, outre la disparition de l’oreille croquant sous la dent, je regrette l’absence de la tendre cervelle qui figurait aussi à mon grand plaisir dans le plat de tête de veau d’un de mes restaurants banlieusards favoris - mais je crains d’être le seul dans ce cas parmi cette tablée…

Heureusement il me semble que chacun ou chacune se régale d'une assiette chargée à son gré.  


Puis...

Plateau de fromage minimaliste, et l’on passe au dessert.

pithiviers
Quand le pithiviers est fondant

Il s’agit d’un pithiviers fondant, un gâteau dont la difficulté principale est dans la cuisson qui doit éviter une trop grande coloration, car la pâte de cette succulente spécialité est très simple : 250 g de poudre d’amande, le même poids pour le beurre, le sucre ainsi que les œufs, avec en additif une cuillérée bombée de farine de riz diluée avec une cuillerée de rhum et une petite cuillerée d’extrait d’amande amère. Le glaçage est constitué de 220 g de sucre glace incorporant une cuillerée de kirsch et la quantité d’eau ajustée pour obtenir une pâte étalable à la spatule.

Pour la distribution, le trancheur est remplacé par une trancheuse, elle aussi à deux pattes s'entend. L'équité est à peu près assurée... Mais non, pas entre sexes, mais entre convives !

pithiviers fondant
Un quartier de Pithiviers

Café... 


Bon, le dîner est fini, chacun semble satisfait. Il ne fallait pas que je me mette martel en tête de veau…

mardi 2 novembre 2021

Tandem

 

Me voici donc avec deux selles !

Je n’en demandais pas tant… Je n’avais commandé qu’une seule selle de chevreuil, de 1,6 kg environ, et ce sont deux selles aux alentours de 1 kg chacune qui sont arrivées.

selle de chevreuil
Les selles du tandem

Sans doute qu’il en est pour les chevreuils de la forêt alsacienne comme pour les légumes de mon jardin versaillais : cette année, ils sont de petite taille ! Question poids, j’aurais mauvaise grâce de me plaindre, mais je ne me réjouis pas pour autant. Je vais avoir à parer deux pièces au lieu d’une, et les médaillons que je tirerai des filets seront minimalistes.

Je me lance donc dans un combat en double compliqué qui me permet de trouver in fine sur ma planche deux selles débarrassées de leurs aponévroses, rutilantes dans la nudité de leur chair que j’ai légèrement détachée de l’os le long de l’apophyse. Deux selles bien confortables pour poursuivre la route de ma recette.

selle de chevreuil
Paré à gauche, paré à droite

En attendant, ces selles, je les remise au frais, glissant tant bien que mal ma planche sur une étagère du réfrigérateur.

J’ai recueilli les parures. Elles vont me servir à la confection de la sauce. J’épluche un oignon rouge et une carotte, les taille grossièrement, les jette à sec avec ces chutes de chevreuil au fond d’une casserole placée sur un feu vif, je laisse bien caraméliser et même attacher. Une fois le tout bien pincé, je déglace avec un verre de sauvignon puis mouille d’un bon litre d’eau. J’ajoute une feuille de laurier, des branches de thym, de persil et de livèche et laisse réduire à feu moyen. Après une heure et demie de cuisson, le jus est bien concentré Je filtre à travers un chinois. Je hache finement deux échalotes que je verse au fond d’une petite casserole et recouvre de mon fond de chevreuil. Je laisse compoter à feu doux. Quand presque tout le liquide est évaporé, je mixe pour obtenir une sorte de crème. J’ajoute un bon trait de crème de cassis - celle très parfumée que produit la maison Joseph Cartron.


Une cuillerée de vinaigre balsamique de Modène, quatre ou cinq tours de moulin de poivre rouge, une pincée de quatre-épices, une pincée de sel fin, et je fais réduire jusqu’à ce que cette sauce devienne nappante. Je goûte. Elle manque un peu d’acidité. Je complète du jus d’un quart de citron, et je réserve.

Il me faut maintenant préparer les trompettes-de-la-mort qui accompagneront la selle. J’ouvre la porte du réfrigérateur où sont en attente les champignons achetés le matin au marché. C’est alors que je vois surgir au-dessus de ma tête, rasant mon front, une sorte d’OVNI dont cependant la forme rectangulaire s’éloigne de celle de la soucoupe qui vient s’écraser avec ses deux passagers sur le sol de la cuisine. Il s’agit, l’on s’en doute, de la planche en plastique support de mes selles de chevreuil. Je noterai cependant que contrairement à la tartine qui atterrit toujours cul par dessus tête côté beurre, ma planche ne s’est pas retournée et que les deux pièces de viande reposent sagement, bien qu’un peu ébaubies, comme si c’était un rangement au plus bas étage et non une cascade funeste qui les avait amenées là.

Mon chevreuil retourne illico dans ses frimas, mais placé désormais prudemment dans une plaque à débarrasser bien creuse dont je m’assure de la stabilité après l’avoir calée d’une boîte de camembert et d’un chèvre sec bien costaud.


Mais revenons à nos trompettes. Je n’ai pas grand-chose à faire, elles sont bien propres, il n’y a que quelques pieds à rafraîchir…

Je procède rapidement à une précuisson : je les fais sauter dans une poêle sur un mélange d’huile d’olive et de beurre demi-sel. Rien d’autre, le parfum de ces champignons se suffit bien à lui-même.


Une autre garniture consistera en des galettes individuelles de pommes Darphin. J’épluche un quarteron de pomme de terre du jardin de la variété Victoria ( la reine de la frite, une fois ! - Baumaux dixit ) et les râpe en trois tours de manivelle (enfin, un peu plus… ) avec cet instrument bien pratique pour ne pas se râper aussi les doigts :


Je verse les filaments obtenus dans un torchon et serre fortement pour exprimer l’eau de végétation. Je transfère dans une bassine, ajoute plusieurs tours de moulin de poivre rouge et de noix de muscade (ces derniers avec plus de modération… ) et assaisonne de fleur de sel de l’île de Ré. Je malaxe, forme entre mes paumes des boules que j’aplatis avant de les jeter au fond d’une poêle dans un tant pour tant d’huile d’arachide et de beurre doux. Une fois ces galettes bien saisies et dorées, je les réserve.


L’heure de se remettre en selle est arrivée. Prudemment, pour éviter le choc thermique, je sors le chevreuil du réfrigérateur afin qu’il se mette à température ambiante une demi-heure avant d’enfourner. Je le masse à l’huile d’olive, le poivre, ajoute quelques pincées de quatre-épices. Thym et romarin viennent ajouter leurs fragrances.

J’étends mes selles, côtes vers le bas, sur un grand plat en inox légèrement barbouillé d’huile d’olive. J’intercale les branches d’aromates, deux feuilles de laurier. Je parsème de fleur de sel. Je dépose quelques noisettes de beurre doux. J’enfourne pour cinq minutes à 220 °C. J’éteins le four, entrouvre sa porte pour faire baisser la température. Je laisse les selles poursuivre leur cuisson par l’inertie du four durant huit minutes et sors le plat.

selle de chevreuil
Elles se sont fait flasher


Je procède alors à la découpe, inspiré par la démonstration exposée par la vidéo du Domaine de Châteauvieux.


Je lève les filets à l’aide d’une cuillère, mais je dois séparer les filets mignons, moins cuits car plus à l’abri de la chaleur, en m’aidant d’un couteau.

selle de chevreuil
Après la séparation


En final, une selle me fournit la viande pour dresser deux assiettes généreuses, après avoir tranché en biais d’épais médaillons et partagé les filets mignons en deux.

Je passe au dressage, remettant les trompettes-de-la-mort à température, replongeant les galettes de pommes Darphin dans leur graisse chaude. Pendant que je termine, j’achève la réduction de la sauce.

Après avoir disposé les médaillons de selle de chevreuil ainsi que le filet mignon, j’étends une galette dorée, place des trompettes-de-la-mort en éventail. La touche acidulée sera fournie par du chou et des poivrons à l’aigre-doux de confection hongroise sortis d’un bocal. 


Je termine en versant la sauce échalote parfumée au cassis. Sans oublier le persil dont la seule utilité est d’apporter au tableau tout en nuances de rouge et or une touche verte rafraîchissante.

selle de chevreuil, trompettes-de-la-mort, pommes Darphin
Selle de chevreuil des Vosges, pommes Darphin et trompettes

La tendreté goûteuse de cette viande de chevreuil sauvage des Vosges est exceptionnelle. Un plat de Noël avant l’heure. Et les rennes sont épargnés…