Me voici donc avec deux selles !
Je n’en demandais pas tant… Je n’avais commandé qu’une seule
selle de chevreuil, de 1,6 kg environ, et ce sont deux selles aux
alentours de 1 kg chacune qui sont arrivées.
Les selles du tandem |
Sans doute qu’il en est pour les chevreuils de la forêt alsacienne comme pour les légumes de mon jardin versaillais : cette année, ils sont de petite taille ! Question poids, j’aurais mauvaise grâce de me plaindre, mais je ne me réjouis pas pour autant. Je vais avoir à parer deux pièces au lieu d’une, et les médaillons que je tirerai des filets seront minimalistes.
Je me lance donc dans un combat en double compliqué qui me
permet de trouver in fine sur ma planche deux selles débarrassées de leurs aponévroses,
rutilantes dans la nudité de leur chair que j’ai légèrement détachée de l’os le
long de l’apophyse. Deux selles bien confortables pour poursuivre la route de
ma recette.
Paré à gauche, paré à droite |
En attendant, ces selles, je les remise au frais, glissant tant bien que mal ma planche sur une étagère du réfrigérateur.
J’ai recueilli les parures. Elles vont me servir à la
confection de la sauce. J’épluche un oignon rouge et une carotte, les taille
grossièrement, les jette à sec avec ces chutes de chevreuil au fond d’une casserole
placée sur un feu vif, je laisse bien caraméliser et même attacher. Une fois le
tout bien pincé, je déglace avec un verre de sauvignon puis mouille d’un bon
litre d’eau. J’ajoute une feuille de laurier, des branches de thym, de persil
et de livèche et laisse réduire à feu moyen. Après une heure et demie de
cuisson, le jus est bien concentré Je filtre à travers un chinois. Je hache
finement deux échalotes que je verse au fond d’une petite casserole et recouvre
de mon fond de chevreuil. Je laisse compoter à feu doux. Quand presque tout le
liquide est évaporé, je mixe pour obtenir une sorte de crème. J’ajoute un bon
trait de crème de cassis - celle très parfumée que produit la maison Joseph
Cartron.
Une cuillerée de vinaigre balsamique de Modène, quatre ou cinq
tours de moulin de poivre rouge, une pincée de quatre-épices, une pincée de sel
fin, et je fais réduire jusqu’à ce que cette sauce devienne nappante. Je goûte.
Elle manque un peu d’acidité. Je complète du jus d’un quart de citron, et je
réserve.
Il me faut maintenant préparer les trompettes-de-la-mort qui
accompagneront la selle. J’ouvre la porte du réfrigérateur où sont en attente
les champignons achetés le matin au marché. C’est alors que je vois surgir au-dessus
de ma tête, rasant mon front, une sorte d’OVNI dont cependant la forme
rectangulaire s’éloigne de celle de la soucoupe qui vient s’écraser avec ses
deux passagers sur le sol de la cuisine. Il s’agit, l’on s’en doute, de la
planche en plastique support de mes selles de chevreuil. Je noterai cependant
que contrairement à la tartine qui atterrit toujours cul par dessus tête côté beurre, ma planche ne
s’est pas retournée et que les deux pièces de viande reposent sagement, bien qu’un
peu ébaubies, comme si c’était un rangement au plus bas étage et non une
cascade funeste qui les avait amenées là.
Mon chevreuil retourne illico dans ses frimas, mais placé
désormais prudemment dans une plaque à débarrasser bien creuse dont je m’assure
de la stabilité après l’avoir calée d’une boîte de camembert et d’un chèvre sec
bien costaud.
Mais revenons à nos trompettes. Je n’ai pas grand-chose à
faire, elles sont bien propres, il n’y a que quelques pieds à rafraîchir…
Je procède rapidement à une précuisson : je les fais
sauter dans une poêle sur un mélange d’huile d’olive et de beurre demi-sel.
Rien d’autre, le parfum de ces champignons se suffit bien à lui-même.
Une autre garniture consistera en des galettes individuelles
de pommes Darphin. J’épluche un quarteron de pomme de terre du jardin de la
variété Victoria ( la reine de la frite, une fois ! - Baumaux dixit ) et les
râpe en trois tours de manivelle (enfin, un peu plus… ) avec cet instrument bien
pratique pour ne pas se râper aussi les doigts :
Je verse les filaments obtenus dans un torchon et serre fortement pour exprimer l’eau de végétation. Je transfère dans une bassine, ajoute plusieurs tours de moulin de poivre rouge et de noix de muscade (ces derniers avec plus de modération… ) et assaisonne de fleur de sel de l’île de Ré. Je malaxe, forme entre mes paumes des boules que j’aplatis avant de les jeter au fond d’une poêle dans un tant pour tant d’huile d’arachide et de beurre doux. Une fois ces galettes bien saisies et dorées, je les réserve.
L’heure de se remettre en selle est arrivée. Prudemment,
pour éviter le choc thermique, je sors le chevreuil du réfrigérateur afin qu’il
se mette à température ambiante une demi-heure avant d’enfourner. Je le masse à
l’huile d’olive, le poivre, ajoute quelques pincées de quatre-épices. Thym et
romarin viennent ajouter leurs fragrances.
J’étends mes selles, côtes vers le bas, sur un grand plat en
inox légèrement barbouillé d’huile d’olive. J’intercale les branches d’aromates,
deux feuilles de laurier. Je parsème de fleur de sel. Je dépose quelques
noisettes de beurre doux. J’enfourne pour cinq minutes à 220 °C. J’éteins
le four, entrouvre sa porte pour faire baisser la température. Je laisse les
selles poursuivre leur cuisson par l’inertie du four durant huit minutes et
sors le plat.
Elles se sont fait flasher |
Je procède alors à la découpe, inspiré par la démonstration
exposée par la vidéo du Domaine de Châteauvieux.
Je lève les filets à l’aide d’une cuillère, mais je dois
séparer les filets mignons, moins cuits car plus à l’abri de la chaleur, en m’aidant
d’un couteau.
Après la séparation |
En final, une selle me fournit la viande pour dresser deux
assiettes généreuses, après avoir tranché en biais d’épais médaillons et partagé
les filets mignons en deux.
Je passe au dressage, remettant les trompettes-de-la-mort à température, replongeant les galettes de pommes Darphin dans leur graisse chaude. Pendant que je termine, j’achève la réduction de la sauce.
Après avoir disposé les médaillons de selle de chevreuil ainsi que le filet mignon, j’étends une galette dorée, place des trompettes-de-la-mort en éventail. La touche acidulée sera fournie par du chou et des poivrons à l’aigre-doux de confection hongroise sortis d’un bocal.
Je termine en versant la sauce échalote parfumée au cassis. Sans oublier le persil dont la seule utilité est d’apporter au tableau tout en nuances de rouge et or une touche verte rafraîchissante.
Selle de chevreuil des Vosges, pommes Darphin et trompettes |
La tendreté goûteuse de cette viande de chevreuil sauvage des Vosges est exceptionnelle. Un plat de Noël avant l’heure. Et les rennes sont épargnés…
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