dimanche 3 octobre 2021

L'attribution des Césars : Watson dénominé

 

La dégustation d’un carpaccio d’oronges est devenue pour moi un rituel du début de l’automne depuis quelques années.

Seulement quelques années, car c’est tardivement que j’ai fait connaissance avec ce champignon. Oronge que je n’avais jamais rencontrée dans les bois où il m’arrivait de débusquer au coin d’une clairière un cèpe essayant de dissimuler sous l’auvent d’une feuille morte la tête de nègre surmontant son pied rebondi, de m’émerveiller en contemplant toute une peuplade de girolles qui croyaient pouvoir profiter de leur quiétude loin des sentes et finissaient dans ma musette, d’écarter des fougères et de me griffer dans les ronces pour m’emparer d’une coulemelle dont la tête altière avait attiré mon attention et dont j’espérais que des sœurs plus timides l’escortaient, de chantonner Noir, c’est noir en fauchant les trompettes-de-la-mort. Oronge que je n’avais pas plus côtoyée au pied de ces buissons où la morille prospérait - mais là c’était fatal, saison oblige.

Bref, mon expérience mycologique es amanita caesarea était purement livresque, jusqu’à ce qu’un vendeur de champignons du marché ait eu la bonne idée d’en faire figurer à son étal.

Donc pour moi la cueillette de l’oronge se pratique de façon sensiblement différente de la chasse aux champignons à laquelle je me suis adonné depuis mon enfance : le couteau est remplacé par le portefeuille et la musette par le caddie… Aussi faut-il que cette amanite des Césars soit rudement bonne pour compenser le peu d’agrément que comporte sa quête !

Et rudement bonne, elle l’est.

À noter que l’amanite est le champignon de tous les contrastes : alors que la plupart des variétés dites comestibles ne le sont vraiment qu’après cuisson, si l’amanite phalloïde vous envoie sans barguigner une escouade de convives trop confiants vers le Père-Lachaise (ou tout autre cimetière plus proche du lieu du festin), l’amanite des Césars dans sa simple crudité ne vous fait mourir que métaphoriquement de plaisir et passe comme une caresse dans l’estomac du dyspepsique le plus vulnérable qui soit - enfin d’après ce que l’on m’a dit car fort heureusement je ne fais pas partie de ces gens-là…

Tout ça pour dire que je me suis plié récemment à ce rituel, de bonne grâce et même avec un enthousiasme certain. D’autant plus que les trois amanites des Césars arrivées dans ma cuisine cette année étaient particulièrement belles : encore jeunes, œufs brillants et de couleur vive nichés dans leur collerette d’un blanc immaculé. Je les ai simplement passées à la mandoline pour en disposer les tranches sur les assiettes, arrosées de quelques gouttes de jus de citron jaune puis d’un minimaliste trait d’huile d’olive des Baux-de-Provence pour finir par quelques grains de fleur de sel de l’île de Ré.

amanite des césars, oronge
Scène des Césars


 

Après une aussi subtile entrée, pas question de basculer vers la charcutaille ou une quelconque viande roborative. Il fallait rester dans de fraiches notes végétales. C’était l’occasion de trouver un emploi aux derniers concombres de la saison. Or, en feuilletant le bouquin Sherlock Holmes Livre de recettes de Silke Martin, livre consacré à la cuisine anglaise paru chez Hachette, traduit de l’allemand et imprimé en Chine (vive la mondialisation !) j’étais tombé sur des Sandwichs au concombre du Dr Watson qui m’avaient semblé aptes à nous changer des sempiternelles salades.

Le processus est fort simple : sur des tranches de pain de mie dont on a enlevé la croûte, l’on étale une couche de mayonnaise améliorée que l’on recouvre de tranches de concombre parsemées d’aneth ciselé. Puis l’on coiffe d’une nouvelle tranche de pain de mie.

La composition de ma mayonnaise améliorée : à un bol de mayonnaise lambda j’ai ajouté le jus d’un quart de citron, une cuillerée à café de moutarde, deux pots de yaourt, une cuillerée à café de miel toutes fleurs, un trait de Tabasco, une pincée de sel, un tour de moulin de poivre rouge, enfin j’ai introduit deux œufs durs coupés en dés et mélangé.

Ces sandwiches étaient plutôt agréables à déguster, mais avant de me livrer à ce plaisir j’ai galéré dans leur confection en raison d’un mauvais choix de pain de mie. Je m’étais cru vertueux en achetant un pain de mie bio ; las, les tranches étaient trop petites après prélèvement de leur croûte de par  leurs périmètres biscornus, et tombaient en morceau à la moindre manipulation. Après de lourdes pertes je suis néanmoins parvenu à produire six lamentables sandwichounets que je n’ai pu partager en deux façon club en raison de leur taille et de leur fragilité. Même les porter à la bouche relevait de l’exploit…

D‘ailleurs même les photographier ne fut pas chose facile.

sandwiches au concombre
Concombres masqués


Et dire que je n’ai pas eu l’idée géniale de l’illustrateur de l’ouvrage, qui a coincé les tranches découpe en l’air au sein d’une barquette format moule à cake !

signé Watson

Bravo l’artiste.

Ceci dit, ah, Dr Watson, que de crimes commet-on en ton nom ! Si Sherlock savait ça…

Comme ce dernier n’est plus là pour le faire, c’est moi qui me suis coltiné ma petite enquête.

En  lisant l'en-tête de la recette reliant la recette à l'enquête narrée dans La Vallée de la Peur, je puis lire :

Parce que la réflexion permanente le met en appétit, il attend avec impatience son thé et les sandwiches au concombre que Watson, très attentionné, a déjà préparé.

Or je n’ai guère de souvenirs de lectures de Conan Doyle mettant en avant les talents culinaires du brave Docteur Watson… Il faut que j’en aie le cœur net !

Je remonte donc à la source. C’est bien ça… Je ne découvre que ces lignes :

« Je ne veux pas de leurs secrets », me dit Holmes quand je lui racontai l’incident. Mon ami avait passé la journée au manoir avec ses collègues, et il en rapportait un appétit féroce, en prévision duquel je lui avais fait préparer un thé substantiel. »

Puis il est vaguement question d’Holmes finissant ses œufs. Bien entendu, c’est la logeuse qui a fait tout le boulot !

Même à jeun, je peux donc pérorer comme le fait le fin limier quelques lignes plus loin :

« Un mensonge, Watson, un grand, un énorme, un assommant, un insupportable, un irréparable mensonge… voilà ce que nous trouvons au seuil de l’enquête, voilà notre point de départ. »

Cette recette repose sur un mensonge.

Eh oui, l’habit ne fait pas le moine.

N'est-ce pas, Frau Silke Martin...


jeudi 30 septembre 2021

Le voyage des impériales

Elles ont voyagé toute la nuit et sont encore tout ensommeillées quand j’ouvre la porte de leur compartiment. Il y faisait bien frais, et ces madones des sleepings se serrent les unes contre les autres sous leurs beaux draps translucides.

crevettes impériales
C'est le terminus


Effectivement elles sont dans de beaux draps ! Heureusement ces mômes crevettes qui commencent à s’étirer en agitant prudemment leurs petites pattes ignorent le traitement que je leur réserve. Leurs sœurs que j’avais reçues il y a un peu plus d’un mois auparavant étaient passées au wok en raison de leur faible taille. Celles-ci sont bien plus grosses, et j’ai décidé de les cuire à la vapeur pour les servir tièdes avec une sauce cocktail maison.

«  Mes mignonnes, je vous invite à un cocktail. Cependant pour y faire bonne figure, il vous faudra vous tenir bien droites. Je n’ai pas trouvé de corsets à votre taille, alors je procéderai par prothèse interne.

-  Mais on aura l’air d’avoir un balais dans le…

-  Non, non, pas du tout, cette fine lame sera à peine apparente, et votre Prince Charmant vous en débarrassera avant de poser ses lèvres sur vous.

-  Ouais, mais ça va être douloureux.

-  Pas plus qu’une coloscopie, vous êtes anesthésiées par le froid, et puis il faut souffrir pour être belles.

-  Dans ce cas… »

Ni une ni deux, je passe à l’acte avant qu’elles ne soient complètement éveillées.

crevettes impériales
Champ opératoire

Je m’étonne moi-même de ma dextérité. Une trentaine en moins de cinq minutes ! Un Ambroise Paré n’aurait pas fait mieux - Je la perçai, Dieu l’aguerrit.

« Ce n’est pas tout, maintenant, le sauna !

-  Est-ce bien nécessaire, nous sortons tout juste des bains de mer ?

-  Oh que oui, d’ailleurs la tendre roseur de votre plaisir nous émerveillera après ces soins revigorants. De plus j’y ajouterai le suave parfum de branches de citronnelle, et, tiens, du gros sel de Guérande vous rappellera le pays… »

crevettes impériales
Ces demoiselles au sauna


Les belles resteront dans la vapeur huit minutes. Et leur érubescence cachera une chair nacrée.

J’ai préparé une bonne sauce cocktail : à mon bol de mayonnaise, j’ai ajouté une bonne cuillerée de concentré de tomate, une petite cuillerée de sauce Louisiana Gold Red au piment Tabasco

  un trait généreux de bourbon whiskey Eagle Rare aux notes épicées

et le jus d’un quart de citron pour apporter une pointe d’acidité. J’ai goûté le résultat, et c’est une réussite. Encore meilleur que je ne l’espérais…

Maintenant tout est prêt pour le quadrille des lancier.e.s. Dans un coin de la piste de danse j’ai allongé quelques lanières découpées dans une salade de mon jardin versaillais qui cernent le verre de cocktail. Des petites tomates venues de mon jardin de secours poitevin - exempt de mildiou quant à lui - font office d’amuse-gueule après avoir été tranchées. Enfin un éclat de citron vert reste à disposition si l’on ressent un besoin d’émoustille-papille.

Ces demoiselles se mettent en place. Elles sont à croquer !

crevettes impériales sauce cocktail
Un cocktail élégant

Ne reste plus qu'à les déshabiller. Impérialement...


jeudi 23 septembre 2021

Au-dessus du volcan

Je ne puis m’empêcher de jeter un regard compatissant sur ces pierres de lave qui reposent au fond du nouvel appareil que je vais inaugurer. Sort pitoyable que celui de ce magma ambitionnant de détruire les villes et les campagnes, et qui se voit réduit à taquiner la bidoche sous l’assistance d’une ferraille rubescente. Aussi déchues qu’un Atlas que l’on aurait soulagé de sa sphère céleste pour ne soutenir qu’une noisette, qu’un Sisyphe poussant sa petite boulette de pain sur un coin de table, qu’un Prométhée nous passant une taffe avant la crise de foie, ces caillasses travesties en tisons ne peuvent rougir que de honte. Je les plains.

Ce qui ne m’empêchera pas de les mettre à contribution après échauffement…

gril electrique pierres de lave
Dans la résistance


Puisque pour moi l’utilisation d’un tel gril électrique à pierres de lave est une première, ce seront tout logiquement des côtes premières qui se prêteront à cette cérémonie. Ce sont des côtelettes d’agneau Laiton de l’Aveyron. Je les assaisonne d’une pincée de fleur de sel et les parsème de feuilles de thym avant de les déposer sur le gril où je les tournerai plusieurs fois durant leur brève cuisson qui fait monter à mes narines les parfums d’un barbecue champêtre. Comme quoi, l’autosuggestion, ça fonctionne !

agneau Laiton, côtes premières
Le silence des agneaux


Le moment de transférer les côtes d’agneau sur un plat est arrivé. J’ajoute simplement un tour de moulin de poivre rouge.

côtes premières, agneau Laiton
Sauvées du magma


Un comité d’accueil attend cette viande envoyée en reconnaissance et ayant mené à bien sa mission. Il s’agit de haricots demi-secs provenant du jardin. Je les ai cuits en les laissant une trentaine de minutes dans de l’eau bloubloutante en compagnie des découpes d’un petit oignon et d’une carotte de même provenance. J’ai relevé d’une gousse d’ail partagée en deux, d’un trio de baies de piment de la Jamaïque et d’un clou de girofle. La pincée de gros sel n’est arrivée qu’en fin de cuisson. Maintenant ces cocos qui n’ont rien de vilain sont réfugiés dans un plat en porcelaine, et je leur ai octroyé une belle noix de beurre avant de faire tomber un tour de moulin de poivre noir.

haricots demi-secs
Ils sont demi-frais, mes cocos


Mon nouvel instrument de cuisson va-t-il avoir réussi son test ? Eh bien oui. Les côtes d’agneau se sont imprégnées des fragrances du thym avec une touche fumée, mais surtout le cœur des noix est resté agréablement juteux sous la fine croûte externe maillardisée.

Quant aux haricots, s’ils ne sont pas aussi dodus que des cocos de Paimpol, ils les surpassent gustativement par la présence d’un titillant fruité, rappel heureux de leur prime jeunesse.

Après un tel régal, il n’est pas question d’en rester là ! Fort heureusement je peux apporter sur la table un flan parisien, frère d’un second offert la veille à ma fille.

flan parisien
Comme deux ronds de flan

Il est réalisé suivant une recette de Ducasse - enfin presque, car la péremption de la crème liquide de ma réserve, découverte au dernier moment, a nécessité l’usage d’un pot de crème épaisse salvateur, mais qui a certainement modifié le résultat tant en goût qu’en texture. L’appareil du chef versé sur la pâte brisée cuite à blanc indiquait cette proportion : 90 g de poudre à crème, 1 c. à c de vanille liquide, 150 g de sucre, 50 cl de lait, 50 cl de crème liquide, 4 œufs. J’ai doublé les quantités, remplaçant la vanille liquide par une gousse de vanille de la Réunion et la crème liquide par seulement 50 cl de crème épaisse. Bien que probablement un peu plus compact que l’original, le résultat était néanmoins satisfaisant, pas du tout étouffe-chrétien et cerné d'une pâte restée bien croustillante.

flan parisien
Quartier parisien


C’est ainsi que l’on va de Magma en Ducasse : c’est la fête !



mardi 21 septembre 2021

Pan sur mes fla miches

D’ordinaire, je réalise mes tartes au maroilles en confectionnant une pâte brisée qui sert de support à mes tranches de fromage avant que je ne les recouvre d’un appareil à base d’œufs et de crème liquide, parfois de fromage blanc - suivant mon humeur. En voici une en cours d’élaboration en octobre 2020.

tarte au maroilles
Elle est brisée

Or il y a quelques jours, tant par flemmardise que par curiosité, j’ai décidé de faire joindre une flamiche ready-made à ma commande de maroilles, boulette d’Avesnes et vieux de Lille, fromages qui se contenteront d’aller sur un plateau narguer un calendos fatigué et un chabichou hors d’âge sans participer à mes gesticulations culinaires.

La différence, avec cette flamiche au maroilles confectionnée dans la même ferme que celle qui produit les fromages, c’est que le fond consiste en une pâte levée composée de crème, d’œufs, de levure, d’un peu d’eau et de sel, et de farine. J’ai enfourné comme prescrit à 180 °C pendant un quart d’heure et j’ai pu sortir une belle galette dorée aux effluves sialogène.

flamiche au maroilles
J'aurais voulu que ce fut mon œuvre

À la dégustation, cette flamiche était remarquable par son équilibre. Par rapport à mes tartes au maroilles, l’on avait perdu le croustillant de la pâte. Mais il était remplacé avantageusement par une mâche toute en légèreté - sans pour autant tomber dans la mièvrerie - s’accordant à merveille avec le moelleux du fromage fondu au parfum bien présent, mais sans agressivité. Tout ça m’a donné un bon coup de pied dans les (fla) miches !

N’ai-je tant vécu que pour cette inflamiche ? Il va falloir que je relève ce défi : réaliser une flamiche à la pâte levée de mes propres mains, et rendue encore meilleure par une générosité sachant éviter l'excès. Ce ne sera point tâche facile !

Pas vrai, biloute ?


vendredi 17 septembre 2021

Le crapaud pourfendu

Il me faut battre ma coulpe…

J’avais, il y a un peu plus de trois ans de cela, poussé sur ce même blog un cri d’indignation envers le volailler qui, à ma demande de découpe en crapaudine de mon poulet, s’était contenté de le fendre côté ventre. Or pratiquement toutes les recettes de volailles en crapaudine publiées en ligne ou sur papier procèdent par une ablation de la colonne vertébrale. Et ce, que le discours émane du plus petit chefaillon au grand Alain Ducasse. Haro donc sur le trousseur incompétent !

Et voici que je me retrouve avec un poulet prétendu en crapaudine bâclé de la même façon, provenant du même volailler, mais préparé par un autre serveur. Je passe donc ma rage en faisant sauter cette fichue colonne d’une lame vengeresse qui me permet de passer mes nerfs sur la pauvre bestiole - c’est quand même moindre mal que… Je n’ose penser à une fin si tragique. J’imagine déjà les titres : Saigné pour un poulet ou Il embroche le volailler incompétent ou Règlement de compte à OK Poulaille. Seuls les végans auraient pris ma défense, sur un malentendu… Horresco referens !

Je me retrouve après ce geste avec non pas un poulet crapaudine, mais avec un crapaud pourfendu. Je dépose les deux morceaux plus ou moins symétriques dans un grand plat barbouillé d’huile d’olive où se trouvent déjà une quinzaine de pommes de terre Œil de Perdrix du jardin préalablement épluchées et blanchies cinq minutes dans l’eau bouillante. J’ajoute un oignon rouge tranché, trois gousses d’ail violet et des herbes aromatiques : thym, origan, romarin. Je n’oublie pas le cou du poulet destiné à donner du goût à la sauce. J’arrose d’un verre de sauvignon et d’un verre d’eau. Je place une noix de beurre sur chaque hémicrapaud et les saupoudre de quelques pincées de fleur de sel et d’une cuillerée de mélange pour poulet rôti. Cette poudre est composée de paprika, ail, sel, thym, romarin, piment de Cayenne, ce qui est un peu redondant avec mes apports frais personnels, mais pénétrera sans doute mieux dans la chair pour la parfumer. J’enfourne pour une quarantaine de minutes à 210 °C, retournant régulièrement les pièces et les tubercules.

Quand je sors le poulet bien doré et la peau croustillante, il ne reste plus qu’un jus épais au fond du plat.

poulet en crapaudine
Hémicrapaud x 2

Je déglace avec un verre d’eau, ajoute un trait de sauce Worcestershire et le jus d’un quart de citron. Je laisse réduire et verse dans une saucière à travers un chinois.

C’est ma foi fort bon.

Aussi la béatitude digestive me pousse à toutes les indulgences.

Une erreur, c’est une erreur. Mais deux, et par des professionnels différents ? Ne serait-ce pas une technique alternative, une autre école ?

Je parcours des sources faisant référence dans le domaine technique, des pères fondateurs jusqu’à la période contemporaine. Voici les principaux résultats de cette (en)quête...

Je commence par Favre. Pas de poulet en crapaudine, mais un poulet grillé Alamartine qui y ressemble fort :

Procédé. - Choisir un jeune poulet charnu ; lui couper les pattes et faire rentrer l’os du pilon sous la peau ; avec un couteau bien affilé couper en travers sous le sternum et le soulever comme pour le pigeon à la crapaudine ; aplatir légèrement le poulet : fixer les ailes à la peau de la de la carcasse à l’aide d’un attelet, le saupoudrer, le mettre sur un grand plat long avec la macération décrite formule 3105 ; quand il sera suffisamment mariné, le faire griller et le servir avec une sauce ainsi composée : glace de viande, jus de citron, moutarde française, beurre fin, et estragon haché.


Je poursuis par Escoffier :

Poulet de grains à la Crapaudine. — Couper Ie poulet horizontalement depuis la pointe de l’estomac jusqu’à la jointure des ailes, sans détacher les deux parties. L’aplatir légèrement pour briser les articulations et les os ; retirer ceux-ci aussi minutieusement que possible.

Fixer les ailes avec une brochette ; assaisonner de sel et de poivre ; arroser de beurre fondu et cuire le poulet à moitié au four.

Le saupoudrer alors de mie de pain ; arroser encore de beurre fondu ; compléter la cuisson doucement sur le gril.

— Servir à part une sauce relevée (sauce Diable de préférence)


Poulet de grains grillé à l’Anglaise. — Est le « Poulet à la Crapaudine » servi au naturel.

Poulet de grains grillé Diable. — Trousser le poulet en Entrée, le fendre par le dos et l’aplatir légèrement.

Assaisonner, arroser de beurre fondu ; le cuire à moitié au four.

L’enduire ensuite de moutarde additionnée de Cayenne ; saupoudre copieusement de mie de pain ; arroser de beurre fondu et compléter la cuisson sur le gril.

Dresser sur plat rond, bordé de minces lames de citron et servir à part une sauce Diable.


Eh bien, ça y est, je l’ai mon poulet fendu par le dos ! Sauf que ce n’est pas le poulet en crapaudine….


Je me tourne alors vers le formateur Bruno Cardinale, par le biais de son ouvrage LE LIVRE DU CUISINIER paru aux éditions LT Jacques Lanore.

La pratique de la découpe illustrée confirme la version plus littéraire du bon (mais autoritaire ?) Escoffier. La photo du résultat final permet de bien visualiser la référence au crapaud, d’autant plus que les pattes doivent rester pratiquement entières, avec juste l’intervention d’une manucure - un tantinet brutale cependant. 


D’aucuns ajouteraient même de faux yeux en blanc d’œuf, paraît-il…


Mais surtout ce brave (mais pas couillon pour autant) Cardinale me permet à la lecture des deux pages précédents de m’apercevoir que j’ai pratiqué sans le savoir la découpe d’une volaille à l’américaine, version en deux

Serais-je le Monsieur Jourdain des fourneaux ?

Ah, beau poulet, tes belles cuisses saliver d’amour me font !

 

lundi 13 septembre 2021

Le complexe de l'escargot

Tout bon jardinier vous le dira : les escargots fuient les capucines. Pourquoi ? Ma foi, je n'en sais rien. Peut-être le complexe du recroquevillement devant l'épanouissement ?

Il y a toutefois une exception : l’escargot alsacien de l’espèce Fleischschnaka Vulgaris. On peut le vérifier par la photo ci-dessous.

Fleischschnaka , fleurs de capucine
Un escargot tout chaud, trempons le dans l'bouillon. Et bouffons la capucine !

Quant à moi je ne fuis ni les uns, ni les autres, et c’est d’une fourchette gourmande que je m’attaque à ces colimaçons un peu nouilles qui barbotent dans le bouillon et à ces fleurs béates qui s’y épanouissent sous le regard autoritaire d’un persil un brin tordu.


jeudi 9 septembre 2021

Frire aux éclats


Cette fois-ci, les piments basques qui prospèrent dans mon jardin ont été cueillis bien charnus, mais encore verts.

J’ai décidé de les cuisiner façon tapas, frits dans l’huile d’olive.

Je les servirai posés sur des filets de thon germon de Saint Jean de Luz sortis d’un bocal où ils baignent dans de l’huile d’olive de Navarre.


Allez, zou, j’enfile mon tablier (virtuel) !

C’est comme si c’était fait… Enfin presque, car au moment de passer à l’acte, je m’aperçois qu’il ne me reste qu'à peine un petit verre d’huile d’olive au fond de la bouteille dédiée aux cuissons. Et vraiment se payer trois étages aller-retour plus le tortueux escalier en pierre qui virevolte depuis le hall d’entrée jusqu’à la cave où se cachent les réserves, ça ne fait pas partie de mes envies immédiates. 

Fort heureusement, paresse est mère de système D et plan B… Je fais tomber le contenu du bocal dans une passoire à mailles fines, laissant dégouliner l’huile de la conserve dans la poêle à frire pour rejoindre celle de mon fond de bouteille. Je plonge ma jauge : parfait, pour ces piments allongés le niveau devrait suffire pour mon excursion vers le Pays basque.

Je dispose les morceaux de thon blanc égouttés dans mon plat, puis allume la flamme sous la poêle.

J’ai pris soin de bien sécher les piments afin d’éviter tout incident de cuisson. L’huile me semble proche de la bonne température, j’y plonge prudemment la pointe d’un des piments avec la timidité d’une Cannoise testant du bout de son mignon peton bronzé les ressacs de la plage de Knokke-le-Zoute. Le bain frémit, mais ce n’est pas encore ça, néanmoins je laisse mon capsicum téméraire s'aventurer dans la poêle en guise de pionnier. Je hausse la flamme : j’ajouterai les autres quand le bouillonnement autour de mon chargé de test m’en donnera le signal.

Las, je ne verrai pas ce moment arriver : une grosse explosion fait fuir le chat, alerte ma compagne, éclabousse le carrelage, tapisse le mur et la crédence, barbouille les ustensiles suspendus, parsème ma chemise et mon pantalon de taches de tailles diverses, la plus grosse giclée ayant évité de me transformer en eunuque uniquement de par une qualité de tissage étonnante en notre époque de médiocrité généralisée - le tablier que j’ai enfilé n’aurait pas dû être virtuel, il faudra que je réfléchisse à une évolution dans ma tenue.

Une seconde explosion se produit. N’écoutant que mon courage - et surtout craignant l’incendie - je réprime mon instinct de fuite pour venir d’urgence éteindre la flamme sous la poêle.

Mais maintenant, que faire ? J’ai négligé de percer les piments. Serait-ce l’air contenu qui serait à l’origine de ces jaillissements intempestifs ? J’enfonce la pointe d’un couteau pour crever ces légumes qui ne seraient donc que d'agressives baudruches. En vain… 

Finalement, ai-je accusé des innocents ? Je veux en avoir le cœur net. Eh bien, même sans les piments, les mêmes explosions se produisent à la chauffe. L’explication qui me vient aussitôt à l’esprit, c’est que mon huile de récupération était chargée de l’humidité du thon préalablement étuvé pour être ensuite plongé dans son huile de conservation avant le passage à l’autoclave.

Il ne me reste plus qu’une solution : balancer rapidement les piments dans la poêle, hausser la flamme illico et coiffer d’un couvercle.

J’entends de sourdes explosions sous la coiffe d’inox, heureusement insuffisantes pour soulever la protection que je m’obstine cependant à contenir d'une main pressante par mesure de précaution.

Cinq minutes plus tard, je baisse la flamme, m’enquiers prudemment du résultat par un coup d’œil rapide. Quelques secondes encore à feu vif, j’éteins. Les crépitements ont cessé, je puis extraire mes piments verts que j’avais flanqués d’un petit jalapeno, surtout pour le visuel - et effectivement deux petits grignotages m’ont suffi avant de l'abandonner, la bouche en feu…

Le résultat est excellent, ces piments à la fois tendres et légèrement croquants sont goûteux et s’allient bien avec le thon germon à la qualité irréprochable.


Il y a cependant un frein à ces réjouissances. Troquer quelques minutes dans les escaliers contre plus d’une heure de ménage et nettoyages divers, était-ce une bonne affaire ? 

Je me pose cependant une autre question. N’ai-je pas dédouané trop rapidement ces piments pour ce bombardement qui a dévasté ma cuisine ? Car je viens de vérifier l'inscription qui figure sur le sachet de graines. Et j’ai pu lire : variété basque à saveur douce de type GUERNIKA


Vous voyez le tableau !

piments Guernika, thon basque
Champ de bataille