Il me faut battre ma coulpe…
J’avais, il y a un peu plus de trois ans de cela, poussé sur ce même blog un cri d’indignation envers le volailler qui, à ma demande de découpe en crapaudine de mon poulet, s’était contenté de le fendre côté ventre. Or pratiquement toutes les recettes de volailles en crapaudine publiées en ligne ou sur papier procèdent par une ablation de la colonne vertébrale. Et ce, que le discours émane du plus petit chefaillon au grand Alain Ducasse. Haro donc sur le trousseur incompétent !
Et voici que je me retrouve avec un poulet prétendu en crapaudine bâclé de la même façon, provenant du même volailler, mais préparé par un autre serveur. Je passe donc ma rage en faisant sauter cette fichue colonne d’une lame vengeresse qui me permet de passer mes nerfs sur la pauvre bestiole - c’est quand même moindre mal que… Je n’ose penser à une fin si tragique. J’imagine déjà les titres : Saigné pour un poulet ou Il embroche le volailler incompétent ou Règlement de compte à OK Poulaille. Seuls les végans auraient pris ma défense, sur un malentendu… Horresco referens !
Je me retrouve après ce geste avec non pas un poulet crapaudine, mais avec un crapaud pourfendu. Je dépose les deux morceaux plus ou moins symétriques dans un grand plat barbouillé d’huile d’olive où se trouvent déjà une quinzaine de pommes de terre Œil de Perdrix du jardin préalablement épluchées et blanchies cinq minutes dans l’eau bouillante. J’ajoute un oignon rouge tranché, trois gousses d’ail violet et des herbes aromatiques : thym, origan, romarin. Je n’oublie pas le cou du poulet destiné à donner du goût à la sauce. J’arrose d’un verre de sauvignon et d’un verre d’eau. Je place une noix de beurre sur chaque hémicrapaud et les saupoudre de quelques pincées de fleur de sel et d’une cuillerée de mélange pour poulet rôti. Cette poudre est composée de paprika, ail, sel, thym, romarin, piment de Cayenne, ce qui est un peu redondant avec mes apports frais personnels, mais pénétrera sans doute mieux dans la chair pour la parfumer. J’enfourne pour une quarantaine de minutes à 210 °C, retournant régulièrement les pièces et les tubercules.
Quand je sors le poulet bien doré et la peau croustillante, il ne reste plus qu’un jus épais au fond du plat.
Hémicrapaud x 2 |
Je déglace avec un verre d’eau, ajoute un trait de sauce Worcestershire et le jus d’un quart de citron. Je laisse réduire et verse dans une saucière à travers un chinois.
C’est ma foi fort bon.
Aussi la béatitude digestive me pousse à toutes les indulgences.
Une erreur, c’est une erreur. Mais deux, et par des professionnels différents ? Ne serait-ce pas une technique alternative, une autre école ?
Je parcours des sources faisant référence dans le domaine technique, des pères fondateurs jusqu’à la période contemporaine. Voici les principaux résultats de cette (en)quête...
Je commence par Favre. Pas de poulet en crapaudine, mais un poulet grillé Alamartine qui y ressemble fort :
Procédé. - Choisir un jeune poulet charnu ; lui couper les pattes et faire rentrer l’os du pilon sous la peau ; avec un couteau bien affilé couper en travers sous le sternum et le soulever comme pour le pigeon à la crapaudine ; aplatir légèrement le poulet : fixer les ailes à la peau de la de la carcasse à l’aide d’un attelet, le saupoudrer, le mettre sur un grand plat long avec la macération décrite formule 3105 ; quand il sera suffisamment mariné, le faire griller et le servir avec une sauce ainsi composée : glace de viande, jus de citron, moutarde française, beurre fin, et estragon haché.
Je poursuis par Escoffier :
Poulet de grains à la Crapaudine. — Couper Ie poulet horizontalement depuis la pointe de l’estomac jusqu’à la jointure des ailes, sans détacher les deux parties. L’aplatir légèrement pour briser les articulations et les os ; retirer ceux-ci aussi minutieusement que possible.
Fixer les ailes avec une brochette ; assaisonner de sel et de poivre ; arroser de beurre fondu et cuire le poulet à moitié au four.
Le saupoudrer alors de mie de pain ; arroser encore de beurre fondu ; compléter la cuisson doucement sur le gril.
— Servir à part une sauce relevée (sauce Diable de préférence)
Poulet de grains grillé à l’Anglaise. — Est le « Poulet à la Crapaudine » servi au naturel.
Poulet de grains grillé Diable. — Trousser le poulet en Entrée, le fendre par le dos et l’aplatir légèrement.
Assaisonner, arroser de beurre fondu ; le cuire à moitié au four.
L’enduire ensuite de moutarde additionnée de Cayenne ; saupoudre copieusement de mie de pain ; arroser de beurre fondu et compléter la cuisson sur le gril.
Dresser sur plat rond, bordé de minces lames de citron et servir à part une sauce Diable.
Eh bien, ça y est, je l’ai mon poulet fendu par le dos ! Sauf que ce n’est pas le poulet en crapaudine….
Je me tourne alors vers le formateur Bruno Cardinale, par le biais de son ouvrage LE LIVRE DU CUISINIER paru aux éditions LT Jacques Lanore.
La pratique de la découpe illustrée confirme la version plus littéraire du bon (mais autoritaire ?) Escoffier. La photo du résultat final permet de bien visualiser la référence au crapaud, d’autant plus que les pattes doivent rester pratiquement entières, avec juste l’intervention d’une manucure - un tantinet brutale cependant.
D’aucuns ajouteraient même de faux yeux en blanc d’œuf, paraît-il…
Mais surtout ce brave (mais pas couillon pour autant) Cardinale me permet à la lecture des deux pages précédents de m’apercevoir que j’ai pratiqué sans le savoir la découpe d’une volaille à l’américaine, version en deux.
Serais-je le Monsieur Jourdain des fourneaux ?
Ah, beau poulet, tes belles cuisses saliver d’amour me font !
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