dimanche 13 juin 2021

Fragmentation du patatoïde primeur


Pommes de terre primeur de Noirmoutier…


Je ressens de la sympathie envers ces pommes de terre arrachées prématurément à leur île natale qui viennent se peler loin des embruns iodés. Ces déportations massives en cagettes et autres sachets carcéraux pour finir entassées sous les néons de supermarchés me les feraient plutôt prendre en pitié, une compassion qui ne peut que me pousser à les traiter avec le respect affectueux qu’elles méritent.

Aussi quiconque m’aurait vu m’acharner contre ces malheureux tubercules, les pourfendant en long en large et en travers, eut pu croire que j’étais atteint d’une folie patatoïcide soudaine. Un psy serait parti à la recherche du pesant souvenir d’enfance refoulé dont je me libérais enfin, un mystique eut prié pour le salut de mon âme, un pragmatique eut commencé par me désarmer avant de placer les Noirmoutrines en zone sécurisée, et tout à chacun se serait indigné, me vouant aux gémonies sur les réseaux sociaux.

En réalité cette agression n’en était pas une. Il s’agissait bien au contraire de permettre à cette chair d’élite de s’exprimer au mieux. En effet, déçu par la dégustation de grosses sœurs acquises lors d’un achat précédent, j’avais décidé de m’orienter vers un conditionnement décrit comme de petit calibre. Las, ces pommes de terre primeur étaient encore bien éloignées de mon désir de grenailles, introuvables car sans doute plus compliquées à récolter - mais peut-être ai-je mauvais esprit - dont le rapport surface/volume est optimum pour la présence mêlée de goûts et de textures. Aussi, afin de me rapprocher de ce calibre idéal, j’ai fragmenté ces tubercules sans toutefois les débarrasser de leur fine peau. Pas si fine que ça d’ailleurs, résistante au grattage (et même au tirage), ce qui me rend songeur…

Je blanchis ma grenaille anguleuse par un passage d’une minute à l’eau bouillante, je les égoutte et sèche dans un torchon, puis je les verse dans une poêle où crépite le mélange d’une cuillerée d’huile d’arachide et d’une grosse noix de beurre. Je laisse à feu moyen bas une vingtaine de minutes en secouant régulièrement. Je termine par une coloration qui exigera deux à trois minutes à feu vif. J’éteins la flamme, j’assaisonne de fleur de sel (de l’île de Ré, restons entre voisins), je parsème de la persillade que j’avais hachée et réservée. Un tour de moulin de poivre noir, et les pommes de terre primeur de Noirmoutier sont prêtes à accompagner les onglets qui étaient saisis non loin d’elles.

pommes de terre primeur, Noirmoutier

Et k'ça saute !


Certes cette découpe ne roule pas sur la langue, mais le croustillant de surface au bon goût beurré est présent, et l’intérieur fruité fond dans la bouche sans se montrer farineux. Que demander de plus ?

Cependant que ne faut-il pas faire pour pallier les problèmes d’approvisionnement !


jeudi 10 juin 2021

L'Apôtre s'habille en Saint Laurent

Quand Saint Jacques est arrivé chez moi, il était tout boudiné dans son vêtement clair.

" Ben oui, j'ai pris du poids  ! "

« Croyez-moi, au début je me sentais fort à l’aise dans cette tenue.


JACQUES

Mais l’abus des petits plats de poissons du lac de Tibériade ne m’a pas réussi. L’on est toujours puni par où l’on a pêché… »


J’ai prélevé une petite noix de mon beurre de baratte au gros sel de Guérande et j’ai allumé un brûleur de mon piano.

«   Ah non, je ne veux pas finir sur le gril, je suis Saint Jacques, pas Saint Laurent !

-   Vous lui ressemblez beaucoup…

LAURENT

-   Quelle idée fut la mienne de m’habiller chez Saint Laurent ! Mais on va réparer ça. Déshabillez-moi, déshabillez-moi, oui, mais pas tout de suite, pas trop vite…

-   Trop tard ! Mais je saurai vous posséder, vous consommer - et sans vous consumer. »


Je dépose la poêle sur la flamme, le beurre s'étale en lit douillet. Bientôt…

«   Voilà, ça y est, je suis frémissant et offert de votre main experte, allez-y… »

Il y a bien longtemps qu’un produit ne m’avait fait un tel compliment, il n’y a pas à dire, ce Jacques est un saint. Vraiment !

Saint Jacques boudiné repose en paix à côté des champignons de Paris émincés puis sautés que j’ai parfumés de cinq-épices et de tours de moulin de poivre rouge. Je lui offre un petit bouquet cueilli dans mon jardin de pousses d’épinard et d’arroche, tombées quelques secondes sur une noisette mousseuse de beurre, toujours le même.

boudins aux Saint-Jacques
Saint Jacques boudiné en sa robe


Saint Pourçain, qui se trouve à ma table, soupire.

«   La vie d’un saint n’est pas un long fleuve tranquille ! »

Et il verse une larme… 

lundi 7 juin 2021

C'est pas d'la tarte ! Pas que !



L’aînée se régalerait bien d’une tarte au citron. La cadette préférerait un fraisier.

Que choisir pour la venue des infantes ?

Ma réponse est rapide : les deux, mon général ! Alors je me lance.


LA TARTE AU CITRON


tarte au citron
MA TARTE AU CITRON


J’ai choisi de réaliser la recette proposée par Alain Ducasse. Enfin, presque, car bien entendu ce Monégasque utilise des citrons de Menton, que je n’ai pas sous la main. Néanmoins j’ai la chance d’être néanmoins confronté à des citrons italiens de la variété Verdelli, juteux et parfumés.

La veille, je me lance d’abord dans la préparation des citrons confits sucrés.

Je découpe deux citrons en rondelles, pèse le même de sucre. Je blanchis deux fois de suite ces tranches dans de l’eau bouillante avant de les déposer dans une casserole avec la moitié du sucre. Je couvre d’eau à hauteur et laisse confire sur une petite flamme une vingtaine de minutes. Je laisse refroidir, puis recommence l’opération avec le reste du sucre. Je réserve au froid jusqu’au lendemain matin.

Toujours la veille, je poursuis par la préparation de la pâte sablée. Je mélange 210 g de farine, 85 g de sucre glace, 25 g de poudre d’amande, 4 g de sel avec 125 g de beurre ramolli.

J’ajoute 1 œuf et 1 jaune, les graines d’1/2 gousse de vanille et le zeste râpé d’1/2 citron. Je pétris sans insister, forme une boule que je réserve sous un film, laissant reposer une nuit au réfrigérateur.

Le jour J, étape la plus délicate : le fonçage dans un cercle de 25 cm - normalement, il devrait mesurer 27 cm, mais les cercles, c’est comme les clés en bricolage, l’on a beau en racheter régulièrement, on n’a jamais le calibre voulu sous la main… Naturellement, le temps d’étaler la pâte, elle a ramolli, quelques déchirures se produisent pendant le transfert. Pas grave, j’ai quand même réussi l’exploit de bien centrer, et une rustine prélevée sur les chutes mollassonnes est facile à mettre en place. La jointure, même pas visible après lissage… Ni vu ni connu. J’enfourne à 170 °C pour une cuisson à blanc d’une vingtaine de minutes.

Horreur, malheur, dans mon euphorie, j’ai oublié de garnir le fond des petits disques de métal dévolus à remplacer les pois secs de mémé… Mon inquiétude est grande : que faire si le fond sort du four tout boursouflé !

Eh bien non, le fond de la tarte est resté bien plat, j’en conclus que pour ce type de pâte sans puissant réseau glutineux ce genre de maintien n’est pas indispensable. Qu’en pensez-vous, Monsieur This ?

Pendant ce temps, j’ai préparé l’appareil au citron. Il est réalisé à partir de 3 citrons, 1 orange, 100 g de beurre, 100 g de sucre glace et 4 œufs. Je râpe le zeste des citrons, presse les agrumes. Je fais fondre le beurre que j’incorpore au sucre glace. J’ajoute les œufs battus, puis les jus de citron et d’orange. Je finis par les zestes de citron et mélange. Je réserve le temps que le fond de tarte refroidisse.

J’ai réglé le four thermostat 200 °C. Je déverse l’appareil au fond de la tarte - enfin, pas tout, il y en a un peu trop, mais rien d’étonnant, mon diamètre de tarte est inférieur à celui de l’original. Le reste sera cuit dans un petit ramequin afin de ne pas passer dans les profits et pertes…

J’éteins le four et enfourne la tarte, comme prescrit. Pour combien de temps ? Monsieur Ducasse me refait le coup du canon qui se refroidit : un certain temps ! Enfin, pas vraiment, il ne la fait pas à la Fernand Reynaud, il précise quand même jusqu’à ce que l’appareil soit figé. Il est vrai que tout doit dépendre de l’isolation du four et qu'il est impossible d'être précis…

Pour ma part, il a fallu une quinzaine de minutes d'attente pour que la prise me paraisse satisfaisante.

Il me faut encore patienter, le temps que la tarte soit refroidie. Je la fais alors glisser sur une grille. Je dispose les rondelles de citron confit à sa surface et nappe de leur sirop gélifié.

Ouf, c’est fini ! Non, pas tout à fait, initiative personnelle : je fais tomber à l’aide d’une râpe Microplane un soupçon de zestes de citron vert.

tarte au citron
Aujourd'hui, c'est Ducasse


Cette recette obtenue à partir du site de L’Académie du Goût est fameuse : un parfait équilibre entre l’acidité et la sucrosité, un concentré de parfums. Sans parler du croustillant de la pâte...

Y a pas à dire, Ducasse, c’est la fête !




LE FRAISIER


fraisier
MON FRAISIER



Retour dans le temps… La veille du jour J…

Il y a quelque temps, j’avais réalisé la recette de fraisier du blog La Cuisine de Bernard. J’ai envie d’en essayer une autre. En visitant le site de l’Académie du Goût où j’avais choisi la recette de tarte au citron sans meringue qui avait su m’allécher, j’avais aperçu le fraisier concocté par Guy Savoy. Alors, pourquoi ne pas rester dans le goût académique? Cette recette est d’ailleurs très proche de celle de Bernard Laurance : entre deux tranches de génoise, une crème mousseline et un chapeau en pâte d’amande.

Je n’entrerai pas dans les détails, je pense d’ailleurs que l’on peut utiliser toute bonne recette de ces éléments constitutifs, après tout ce gâteau n’est qu’un assemblage. Je retiendrai simplement que les proportions données pour la génoise se sont révélées parfaites : à savoir 4 œufs (200 g), 125 g de sucre semoule, 125 g de farine, 80 g de beurre fondu, quantités qui pour moi se sont traduites après une modification nécessitée par l’utilisation d’un cercle de 25 cm au lieu de 20 cm et des œufs plus gros par : 5 œufs, 190 g de sucre, 190 g de farine et 120 g de beurre. Autre changement par rapport à la source : aux fraises gariguettes se sont ajoutées des charlottes, et la pâte d’amande blanche a été remplacée par un bloc de Marzipan, de couleur peut-être moins seyante bien que finalement plus champêtre, mais dont la composition m’avait semblé sympathique.

Bon, j’ai compris ! On me réclame à cor et à cri les ingrédients de la crème mousseline. Eh bien ce sont à l’origine 2 œufs entiers (100 g), 2 jaunes (40 g), 50 g d’eau, 150 g de sucre semoule, 125 g de beurre pommade, 50 g de crème pâtissière, valeurs auxquelles j’ai bien entendu appliqué pour mon œuvre un coefficient multiplicateur. 

Là encore, initiative décorative (mais pas que…) personnelle ; j’ai complété la décoration d’éclats de cédrat confit.

Panique dans le réfrigérateur quand tout le monde a dû se pousser pour faire de la place au fraisier, mais après une nuit paisible ce trapu s’est réveillé en bonne forme et a su trouver sa place sur notre table.

Eh oui, c'est le jour J

fraisier
Chacun Savoy, chacun son chemin...


Très savoureux lui aussi… Je n’en attendais pas moins d’une recette de Guy Savoy… Non, je ne m’abaisserai pas jusqu’à un mauvais calembour sur le gâteau de Savoy, ce n’est pas le genre de la maison.

L’aînée s’est resservi une grosse part de fraisier, et la cadette, faisant d’abord la grimace, a consenti à terminer sa part de tarte au citron.

C’était donc une réussite !


jeudi 3 juin 2021

Le Carnivore malgré lui

Dame Nature, avec toute la malveillance dont elle est capable, a diligenté une campagne d’attaques brutales sur le territoire de notre jardin. Les armes de destruction massives se sont succédé sans discontinuer.

Des attaques aériennes avec bombardement de grêlons lourds, survol et vagues dévastatrices de corbeaux et perruches mercenaires ont dépeuplé ce qui s’apprêtait à devenir une terre florissante. Des opérations kamikazes par des insectes non identifiés ont harcelé les populations restantes

En ce qui concerne les troupes terrestres, des bataillons de pucerons divers sont partis à l’assaut, et n’attendent que l’arrivée de doryphores en renfort pour porter l’estocade finale, même si de courageuses coccinelles ont tenté de freiner l’invasion.

Les armes bactériologiques n’ont pas été dédaignées par cette sinistre chef.fesse de guerre, se moquant de la CABT du 25 mars 2019 comme de sa première chemise - qui doit être bien courte car Dame Nature n’a aucune pudeur. Des limaces se sont livrées à des progressions nocturnes que je ne saurais toutefois qualifier de raids en raison de la vitesse de progression, en coopération avec les troupes blindées colimaçonnes.

De grosses taupes se sont sacrifiées pour le forage de tunnels de sape, et, toujours dans les troupes du génie, des campagnols ont investi souterrainement les lieux, se ravitaillant sur l’habitant.

Bref, tout n’est que désolation, un quarteron de pieds rescapés, mais pour combien de temps, baisse la tête tristement. Quelques réfugiés, appelés pour repeupler, se demandent bien où ils sont tombés, seuls  les nouveau-nés ignorant les vies difficiles que furent celles de leurs anciens, désormais valétudinaires ou défunts, affichent l’insouciance de la jeunesse - pourvu que ça dure…

Et moi, ce que je me demande, c’est bien quels légumes je vais pouvoir me mettre sous la dent, ne pouvant en mettre dans mes plats. Car de vaillants et comestibles dans l'immédiat et dans mon jardin ne restent plus que quelques alignements de salade, des petits radis planqués, et un bosquet d’oseille qui a dû décourager la délicate gente animale craignant de devenir podagre. Quant aux ressources maraîchères commerciales, je ne suis tombé en cette fin de printemps que sur tomates insipides, courgettes aqueuses, poivrons coriaces, etc. Toutes variétés légumières indigentes n’arrivant pas toutefois à atteindre le niveau de médiocrité des abricots shrapnels pourrissants, des pêches pierres indigestes se couvrant de moisissures le lendemain de leur achat, des cerises aussi noires que craquantes et sans goût auxquelles même l’incorporation dans une savoureuse pâte à clafoutis n’a pas permis de manifester ne serait-ce qu’un semblant de présence sinon par la couleur. 

clafoutis
Tentative de sauvetage

N’ont réjoui mon palais que quelques bananes - mais je ne vais pas faire le singe tous les jours… - et des pommes de terre nouvelles de l’île de Noirmoutier en dépit de leur calibre excessif qui n’a rien à voir avec celui des grenailles pourvoyeuses de croustillant beurré que j'aimerais cuisiner.

Aussi je me réfugie dans le carnivore bête et méchant, sans ces contrepoints végétaux - tout le contraire du végétarisme - qui font de notre assiette un petit champ du monde.

Pour ce faire, il faut que la viande soit bonne.

Alors merci à :


NEMROD pour son cuissot de chevreuil (aussi bon servi froid servi avec une sauce au raifort et une salade ou réchauffé en lambeaux façon Stroganov accompagné de pâtes).


La Maison du Sud-Ouest aux Halles de Versailles pour ses côtes dans l’échine merveilleusement persillées nous consolant d’être au régime patates.

échine de porc, côtes
Nuit d'échine, nuit d'amour


La Maison Conquet de Laguiole pour ses savoureuses entrecôtes de race Aubrac à la graisse fondante et parfumée devant lesquelles une salade, bien qu’arrivée une heure auparavant du jardin et dopée à l’ail, a fait pâle figure.

entrecôte, boeuf d'Aubrac
Poêle Aubrac


salade
Restez, couverts


Mais surtout, de cette même Maison Conquet, la magnifique épaule d’Agneau Laiton de l’Aveyron Label rouge et IGP désossée en rôti roulée à la tendreté exceptionnelle alliée à une subtile ovinitude - je ne vois que ce néologisme pour caractériser une délicatesse néanmoins typée dégagée dans les arômes de cette viande soyeuse.

agneau laiton de l'Aveyron, épaule
Rouler des épaules

Une carotte tranchée, une échalote taillée grossièrement, quelques petits oignons blancs, laurier, thym, origan, romarin, sauge, queue de persil, badigeonnage d’huile d’olive, fleur de sel, poivre blanc de Muntok, baies de Timut et avant de mettre au four un verre de vin blanc sec et un autre d’eau. J’ai enfourné à 260 °C, 5 minutes d’un côté, puis 4 minutes de l’autre avant de baisser le four à 180 °C avec un nouveau retournement. Cuisson à cette température pendant encore une demi-heure, puis extinction du four et nouveau retournement avec sortie du four au bout de 5 minutes.

épaule d'agneau, Aveyron
Après saisie...


Le rôti est alors mis à reposer sur une planche pendant que je réchauffe mes mogettes Label Rouge de Vendée que j’ai choisies pour accompagner cette épaule en y ajoutant une noix de beurre demi-sel. Je fais réduire le jus restant au fond du plat de cuisson du rôti et le passe au chinois avant de le verser dans une saucière séparatrice de gras.

Tout est prêt pour le tressage. Je prélève quelques tranches dans le rôti, le couteau, une fois la peau craquante traversée, s’enfonce comme dans du beurre.

Sur chaque assiette, trois tranches de l’épaule d’Agneau Laiton. À côté, deux bonnes cuillerées de mojettes. Je dispose quelques sifflets de carotte et un trio de petits oignons blancs extraits du plat de cuisson. J’arrose d’un bon trait du jus que j’ai rehaussé d’un tour de moulin de poivre rouge de Kampot. Deux feuilles de sauge et une extrémité de romarin fournissent les taches de verdure, sans oublier la décoration florale apportée par le thym. Pour finir je fais tomber quelques cristaux de fleur de sel sur les tranches d’agneau.

épaule d'agneau, moogettes
Rosé à point ?

Comme quoi, être carnivore par obligation, ce n’est pas toujours une punition…

Mais vivement la déculottée de cette malfaisante Dame Nature ! Ce n’est qu’un début, continuons le combat ! 

Hum, les bonnes tomates bien mûres éclatant dans la bouche ou envahissant les bocaux, les petits pois regorgeant de sucre, les fèves nichées dans leur écrin velouté, les pommes de terre maison pourvoyeuses de purées multicolores ou de moelleuses pommes sarladaises, les boules de céleri n’attendant que la rémoulade pour se livrer à nous, les courges rebondies, les poivrons dans tous leurs états, les haricots verts craquant sous  un ongle qui cherche vainement le fil... 

...tout comme moi qui perds le fil de ce que je suis en train d’écrire.

 Il vaut mieux que je m’arrête de rêver sur les lendemains qui chantent au jardin…


dimanche 30 mai 2021

Avec un beau brun

 

Je pense que le chevreuil dont j’ai cuisiné un cuissot était un beau brun et non un rouquin*.

En effet Buffon, ne tarissant pas d’éloges envers le chevreuil qui, selon lui a plus de grâce, plus de vivacité et même plus de courage que le cerf ; est plus gai, plus leste, plus éveillé, sa forme est plus arrondie, plus élégante, et sa figure plus agréable ; ses yeux surtout sont plus beaux, plus brillants et paraissent animés d’un sentiment plus vif ; ses membres sont plus souples, ses mouvements plus prestes, et il bondit, sans effort, avec autant de force que de légèreté. Sa robe est toujours propre, son poil net et lustré ; il ne roule jamais dans la fange comme le cerf…poursuit ce dithyrambe par des considérations plus matérielles : La chair de ces animaux est, comme l’on sait, excellente à manger ; cependant il y a beaucoup de choix à faire : la qualité dépend principalement du pays qu’ils habitent ; et dans le meilleur pays il s’en trouve encore de bons et de mauvais. Les bruns ont la chair plus fine que les roux … 

Ce que confirme Joseph Favre dans son Dictionnaire universel de la cuisine pratique - encore que je le soupçonne de s’être fortement inspiré du texte de notre célèbre naturaliste quand il écrit : On a classé le chevreuil dans le genre cerf, mais il a plus d’analogie par ses mœurs, sa forme gracieuse et les qualités de sa chair avec le chamois qu’avec le cerf, qui le surpasse comme taille […]  Les qualités de la chair varient selon le pays qu’il habite, le climat et sa nourriture. Ceux des pays élevés et des collines boisées et fertiles sont plus délicats ; ceux dont le pelage est brun ont la chair plus fine que les roux.

Favre retient pour la France les Cévennes, le Morvan, le Rouergue, les Ardennes. Il aurait sans doute pu ajouter l’Alsace si ces lignes n’avaient pas été écrites un peu avant 1900, époque où les Vosges étaient avant tout une ligne bleue d’où montait la plainte touchante des vaincus… Mais j’ignore si en Italie, en Ombrie, les chevreuils se nourrissent toujours d’olives, de lentisques et de fruits rouges…


Ce dont je suis certain, c’est que je ne pourrai jamais vérifier la brunitude de ma bête, car sur mon plan de travail le beau cuissot qui vient d’arriver des forêts vosgiennes dépouillées de son pelage m’offre un rouge éclatant tempéré de fines peaux par endroits dont je m’empresse de le débarrasser. 

cuissot de chevreuil
Faisons danser une belle gigue !

Une fois ma tâche de parure exécutée, je fais tomber un trait d’huile d’olive sur le fond d’un plat ovale en fonte que je place sur un feu vif pour y saisir le cuissot assaisonné de fleur de sel. Quand la pièce est dorée sur toutes ses faces, je la retire et baisse la flamme.

J’ai taillé une carotte en tranches d’environ 4 mm d’épaisseur et découpé grossièrement un oignon ainsi qu’une échalote. Je mets à suer ces légumes avec les parures du cuissot sur une noix de beurre demi-sel, puis ajoute une feuille de laurier, des brins de thym, de romarin, de persil, des grains de poivre blanc de Muntok, des baies de piment de la Jamaïque, deux clous de girofle. Je poursuis avec deux gousses d’ail en chemise. Je termine en déglaçant avec un verre de vin blanc sec., Je réintègre le cuissot de chevreuil que j’ai parsemé de quelques pincées de quatre-épices, y dépose des noisettes de beurre doux et enfourne à 180 °C pour 45 minutes, retournant ma pièce toutes les dix minutes.

Je me dépêche aussitôt de verser dans une casserole emplie d’eau des pommes de terre nouvelles de l’île de Noirmoutier qui attendaient, grattées, dans une bassine. J’ajoute une petite poignée de gros sel, porte à ébullition. Je les laisse une dizaine de minutes avant de les retirer pour les déposer dans un plat en fonte rectangulaire tapissé d’huile d’olive et de noisettes de beurre.

J’ai l’intention de réaliser de moelleuses et croustillantes pommes de terre tapées, alors je m’empare de mon aplatisseur habituellement dévolu à la viande mais momentanément converti au végétal afin de donner une bonne rouste aux tubercules serrés au coude à coude dans leur parc.



Eh bien ça y est, mes Noirmoutrines en ont pris plein la tronche, je les panse de beurre frais et de feuilles tombées d’une branche de thym du jardin.

pommes de terre tapées
Quand on est une patate, on s'écrase !

Le plat rectangulaire vient rejoindre le plat ovale dans le four.


L’heure est venue de sortir le cuissot. 

cuissot de cheuvreuil
Brun bruni

Je le parfume de quelques tours de moulin de poivre rouge, le dépose sur une planche et le recouvre de papier d’alu. Il va reposer une dizaine de minutes.

Pendant ce temps je déglace le plat d’un verre de vin blanc auquel j’ajoute un trait de Melfor alsacien. Je laisse réduire de moitié en grattant bien le fond. J’obtiens un jus dont les effluves chatouillent agréablement mes narines - ainsi que celles d’une affamée de passage…

Je passe à la découpe du cuissot. Peut-être un peu trop cuit à mon goût… Mais sa tendreté est remarquable… Je m’arrête après une dizaine de tranches allongées sur la planche. Oui, deux autres repas à partir de cette super gigue se profilent à l’horizon !

Il n’y a plus qu’à passer au dressage. Enfin, pas tout à fait… Mais la tâche n’a rien de compliqué : il s’agit d’ouvrir un bocal de confit d’endives (Endives 66 %, Vin, Sucre, Raisins, Citron) confectionné par la Conserverie Saint-Christophe dont je me suis mis en tête qu’il devrait bien fonctionner avec ce gibier une fois réchauffé rapidement.

Une fois les tranches de chevreuil disposées dans l’assiette, je sors le plat de pommes de terre tapées du four. Je les arrache avec une pince pour les répartir à côté de la viande. Suivent les cuillerées de confit d’endives. Je passe le jus au chinois pour le faire cascader dans les assiettes. Un tour de moulin de poivre rouge, quelques gains de fleur de sel, l’inévitable persil… Mon cuissot de chevreuil sauvage des Vosges et ses pommes nouvelles de Noirmoutier, confit d’endives des Hauts de France, va pouvoir aller sur la table. Servi accompagné d'un Barolo  2014... La fête, quoi !

cuissot de chevreuil, pommes de terres nouvelles de Noirmoutier, confit d'endives
Cuissot de chevreuil sauvage des Vosges et ses pommes nouvelles de Noirmoutier,
confit d'endives des Hauts-de-France

Oui, pas de doute, ce devait être un brun !

* Je tiens à affirmer haut et clair que je ne dois pas être taxé d'antirouquinisme - du moins tant qu'il ne s'agit pas d'attaquer  le rouquin poilu au couteau et à la fourchette.


jeudi 27 mai 2021

Herr Kirschotte de la Sundgau

Le maigre Herr Kirschotte, au volant de RotNissan'te, son 4x4 dont le cinabre éclatant contrastait avec le sombre sinople des épicéas, s’enfonça un peu plus au cœur de la forêt vosgienne. Il était suivi tant bien que mal par le rondouillard Hans im Schnockeloch chevauchant Gröi, une vieille Honda toute crottée qui peinait à éviter les fondrières laissées par le passage du Ritter à la triste figure.

«  Que fais-tu à traîner ainsi ? J’aperçois au loin les dragons qui hantent ces bois maléfiques, ils ne nous attendront point…

-   Mais maître, ce ne sont que de malheureux sangliers !

-   Fi donc ! Ne vois-tu point la fumée qui s’échappe de leurs naseaux, n’ouïs-tu point leurs féroces grognements, ne sens-tu point les effluves fétides qui émanent de ces bêtes sataniques ?

-   Ben non, je ne hume qu’une odeur de sous-bois… Je… Maugrebleu, je me casse la margoulette ! Ah, misère, me voici étalé dans la gadoue !

-   Je ne t’attendrai point, le devoir m’appelle. Taïaut, taïaut, sus aux dragons, taïaut ! »

Pendant qu’Hans, tout breneux, tentait de sauver sa moto à moitié enfoncée dans une petite mare d‘où s’échappait, hop là, un couple de grenouilles coassant d’effroi pour se réfugier à l’abri d’une coulemelle défraîchie sous les yeux désolés mais intéressés d’une libellule survolant le désastre, Herr Kirschotte piquait des quatre la lance en avant.

Pas à dire, il était fou, mais efficace. Ce fut une première bête qu’il traversa de part en part, puis une deuxième, enfin une troisième. Le compte n’était pas bon, il s’arrêtait là - le reste des dragons s’était échappé, mais boufre, ce n’était pas grave, la tâche d’un preux Ritter n’est jamais achevée, on le sait bien. Il chargea dans RotNissan'te trois lances sur lesquelles ses victimes sanguinolentes étaient embrochées, insensible à leurs derniers soubresauts : il était le Bien, elles étaient le Mal.

Il fit demi-tour et ne tarda pas à rejoindre Hans, qui s’ébrouait en maugréant.

«   J’ai réussi à la relever, mais elle ne veut plus démarrer ! Jarnibleu, peste soit de cette maudite machine !

-   Ne jure pas ainsi comme un païen, charge plutôt ta monture à côté des trois dragons que je viens d’occire… Ah, mon brave, nous la réussirons, l’épuration du massif vosgien !

-   Ouais ! (à part, entre ses dents : je t’en ficherai, des dragons, ce ne sont bien que de vulgaires sangliers, forts en poils, certes, mais moins en écailles, un petit œil méchant, certes, mais une gueule plus baveuse que crachant le feu…) Votre succès éclatant ne vous a-t-il pas mis en appétit, maître ?

-   Ô que si ! J’ai grandement envie de poursuivre mon œuvre salvatrice, je veux déposer aux pieds de mon aimée le gage de…

-   Il ne s'agit pas de ce genre d’appétit. Pour tout dire l’air de la forêt m’a creusé l’estomac. C’est de bouffe que je parle…

-   Homme de peu de foi, vil matérialiste, tu ne comprendras jamais rien à l’esprit chevaleresque ! Ceci dit, je ne nierai point que moi aussi je ne dédaignerais pas de me sustenter un brin après tous les efforts qui furent les miens. J’ai ouï dire que non loin d’ici se trouve un petit château victime d’un malfaisant sortilège où l'on ne refusera pas de nous servir une petite collation. Je pourrai ainsi joindre l’utile à l’agréable…

-   Ouais ! (à part, entre ses dents : je t’en ficherai, du château, ce n’est qu’une banale Winstub, le vin blanc y est frais, mais il n’a rien d’un philtre magique…) Allez, taïaut, sus à la boustifaille !

-   Ne soyez pas vulgaire, mon brave, il vous suffit d’être sans ambitions… »


Quelques minutes et quelques cahots plus tard, les deux compères - oui j’ose les appeler ainsi - étaient attablés derrière une lourde table en chêne et devant une cheminée où crépitait un feu du même bois.

Herr Kirschotte, l’homme qui avait murmuré à l’oreille des dragons, murmurait désormais à l’oreille d’Hans.

«  Brrr… Je frémis en respirant l'atmosphère de maléfice où baigne cette demeure. Ces flammes ne te semblent-elles pas refléter celles de la Géhenne ? »

Si ça avait été moi, je n’aurais pas hésité à répliquer que, hélas, où il y a de la Géhenne il n’y a pas de plaisir. Mais Hans n’est pas comme ça. Il s’est contenté de grommeler un « Ouais maître » pas compromettant. 

«  Et le châtelain, as-tu vu sa mine patibulaire. Pire, j’ai demandé un verre d’eau, me voici avec un ballon de riesling devant moi. Transformer l’eau en vin, ne trouves-tu pas ça suspect ?

-   Ouais maître. Mais excuser moi, il faut que je m’absente un instant. »

Hans était parti à la recherche de la mine patibulaire.

«  Ah, je vous découvre enfin. Bon, j’accompagne un vieux fou qui veut purifier le monde, bref se battre contre les moulins à vent. Mais peu importe. Il y a à l’arrière de son 4x4 trois sangliers embrochés sur des piques. Pourriez-vous, mon brave (à part, entre ses dents : pour une fois que c’est moi qui puis prononcer ces mots…) vous charger de les cuisiner sur le gril qui trône entre vos chenets ?

-   Bien volontiers. Mais vous êtes deux et ils sont trois.

-   Ne vous en faites pas, mon brave : je mange comme quatre. » 


Ils se dirigèrent vers le véhicule. L’aubergiste en ouvrit la portière arrière gauche et arbora une mine dépitée.

«  Je ne peux pas vous servir ces embrochés.

-   Je voudrais bien savoir pourquoi.

-   Eh bien ce sont des dragons ! »

 
brochette de sanglier
Trois embrochés

C'est ainsi que je me suis trouvé à manger des brochettes de dragon...

lundi 24 mai 2021

Le brochet de Schrödinger

Sur mon plan de travail un brochet d’une soixantaine de centimètres de long me jette un regard torve. Pourtant ce n’est pas à moi qu’il doit son ventre béant mais au poissonnier des halles où je suis allé le pêcher. Un peu par hasard d’ailleurs car il est rare que ce poisson fréquente cet endroit : l’occasion était bonne pour abandonner l’océan et retrouver le goût de nos eaux douces.

À vrai dire mon premier projet était de transformer la bête en quenelles à la texture aérienne, mais j’ai vite pris conscience que l’absence d’écrevisses sur ce même marché me privait de la possibilité de réaliser la sauce Nantua indispensable à mes yeux. Aussi je me suis mis à la recherche d’une autre recette mettant en valeur notre terreur des étangs.

C’est ainsi que je suis tombé sur une vidéo baptisée Le brochet sauce Mousseline de Sido tournée aux alentours du village natal de Colette, Saint-Sauveur-en-Puisaye, dans le cadre d’une émission de Julie Andrieu. Colette, un écrivain plein de charme dont j’apprécie la gourmandise subtile. Je ne résiste d’ailleurs pas au plaisir de citer le début d’un texte remarquable dont on pourra retrouver l’intégralité sur le site du Chef Simon :

https://chefsimon.com/articles/litterature-colette

On compte sur vous, dimanche prochain ? Dîner de famille, mais on sait manger… je ne vous dis que ça… Une recette de ma grand-mère… " Je ne lui ai pas demandé, à ce gastronome qui me quitte, qu’il m’en dise davantage. C’était déjà, à mon goût, un peu trop. Ouvrez l’œil, quand un de vos amis se découvre soudain une religion filiale. Méfiez-vous des aïeules qui, modestes dans leur tombeau depuis un demi-siècle, prennent dans la salle à manger une importance que rien, jusqu’alors, n’a fait prévoir, et ressuscitent bizarrement autour d’un lièvre aux rutabagas. Vous aimez, vous, le lièvre aux betteraves ? Vous prisez le brochet bourré de salsifis ? Et la tarte au chocolat, secrètement imbibée de kirsch, vous la tolérez ? Que la " tarte de tante Ludivine " aille aux gémonies, et foin de toute " Mère " quand les " Mères " enfantent exclusivement des recettes culinaires ! Beau pays de France, souriante patrie du bien-manger, secoue, de ta robe, les faux affiquets provinciaux, ou bien tu risques de ressembler un jour à ces personnes ravissantes qui vantent, sur nos murs, un biscuit limousin qu’elles offrent en bonnet cauchois, en jupe provençale, sans préjudice d’un fichu basque et d’un sourire de Paris ! Un exécrable snobisme veut déguiser la gourmandise française en un culte que la mômerie déshonore.

Je ne préparerai donc pas le brochet bourré de salsifis…

Je ne suis pas certain cependant que la recette prétendue de Sido soit bien celle de la mère de Colette. J’ai dans ma bibliothèque le livre COLETTE GOURMANDE (Albin Michel 1990) où figure la recette Brochet des étangs poyaudins sauce mousseline, très voisine de celle figurant sur le site de l’émission Les Carnets de Julie, elle-même réalisée à partir d’un autre livre - postérieur à celui que je possède - baptisé Les Carnets de cuisine de Colette (Éditions du Chêne 2015) que je n'ai pas sur mes étagères, mais dont la recette de brochet, quasi identique, figure fort opportunément en extrait fac-similé sur le site Amazon. 

Le texte de Colette inspirateur cité dans le premier ouvrage n’attribue pas ce brochet sauce mousseline à un souvenir familial. Enfin, pas à celui du quotidien de son enfance. Car le plat n’apparaît que dans le récit de son mariage avec Willy le 15 mai 1893 :

Je crois que le menu du repas était simple et très bon. Mais entre le brochet sauce mousseline et les entremets - bastions de Savoie, nougats sur lesquels tremblait une rose de sucre filé - ma mémoire ne m’a rien légué. Car à la faveur de quelques gorgées de champagne, je tombai dans le brusque sommeil qui vainc à table les enfants fourbus.   (Noces, 1943)


Quant à moi, je me lance. Coup de chance, mon long poisson entre pile poil dans ma poissonnière.

brochet, poissonnière
Il entre pile écaille

Une fois allongé, je le parsème de poivre concassé et de gros sel. Suivent les découpes d’une carotte, d’un oignon long et d’un petit oignon violet. J’ajoute une feuille de laurier, un brin de thym et un autre de romarin.

brochet
Où ça se corse...

Je vide sur lui la moitié d’une bouteille de gros-plant (les deux dernières recettes préconisent du bourgogne aligoté, mais mon livre de 1990 omet cette précision) et complète à hauteur d’eau du robinet.

brochet
Retour sous l'eau

Je place la poissonnière à cheval sur deux feux, allume et attends que le liquide frémisse. Quand cet instant est venu, je retire le récipient du feu et laisse le brochet continuer à cuire doucement.

Pendant ce temps je prépare la sauce mousseline.

Dans une petite casserole je mets à réduire 20 cl prélevés sur le reste de gros-plant que j’ai complété de 4 cuillérées de vinaigre de vin blanc et dans lequel j’ai fait tomber plusieurs tours de moulin de poivre rouge en une grosse mouture. Cette réduction me sert à monter en sabayon dans une petite sauteuse bombée trois jaunes d’œufs. Je n’utilise pas de bain-marie et me contente de brefs passages successifs à feu doux.

Le mélange est bien pris, onctueux à souhait. J’y incorpore 125 g de beurre demi-sel fondu. Je vivifie par le jus d’un quart de citron pressé. J’obtiens une sorte de hollandaise légèrement acidulée, bien brillante.

brochet, sauce mousseline
Hollandaise se faisant fouetter

Je termine en fouettant 12 cl d’une crème liquide sortant du réfrigérateur que j’incorpore une fois qu’elle fait le bec d’oiseau.

Ouf, ça y est, ma sauce mousseline est prête !

brochet, sauce mousseline
On m'appelle Mousseline 


Je me tourne à nouveau vers mon brochet. Je soulève le couvercle, j'espère bien que le poisson ne sera pas surcuit, car je n’ai pas traîné…

Je fais glisser le brochet dans le plat depuis le support perforé sur lequel il repose. Tout se passe bien, la chair semble cuite parfaitement, il ne se délite pas et sa peau se décolle facilement. Je parfais la présentation à l’aide du persil frisé offert par le poissonnier et… Mais une image vaut mieux qu’un long discours.

brochet sauce mousseline
Grand poisson, grand plat

La sauce restera dans la petite sauteuse en inox ayant servi à sa préparation.

Je confronte ma technique à celle des différentes recettes.

Livre I : Égouttez le brochet sur un plat long et servez la sauce mousseline à part dans une saucière.

Livre II : Sortez le poisson du court-bouillon, enlevez la peau avec une pointe de couteau et présentez-le sur un plat long. Servez la sauce mousseline à part dans une saucière.

Version TV : Dressez votre poisson sur un plat suffisant grand en déposant d’abord les légumes puis le poisson. Servez un morceau de filet accompagné de sauce mousseline à côté.

Pour ma part, je me sens incapable d’égoutter sur un plat sans l’inonder, avec la pointe du couteau je déchire la peau donc je préfère la cuillère pour l’enlever, il ne me viendrait pas à l’idée de choisir un plat trop petit pour dresser.

Et surtout mon brochet aurait bien du mal à se trouver à la fois sur un plat et à côté de lui. Mais sans doute Julie a-t-elle cuisiné le brochet de Schrödinger


En tout cas, quantique ou pas, mon brochet se révèle délicieux. La cuisson en est parfaite et, les arêtes, même pas méchantes : faciles à détecter et séparer de la chair. La sauce est délicate, avec la note épicée du poivre rouge et la pointe d’acidité du vinaigre et du jus de citron.

brochet sauce mousseline
Oui, j'ai  préparé aussi un riz...


Digne d’un repas de mariage !