Dame Nature, avec toute la malveillance dont elle est capable, a diligenté une campagne d’attaques brutales sur le territoire de notre jardin. Les armes de destruction massives se sont succédé sans discontinuer.
Des attaques aériennes avec bombardement de grêlons lourds, survol et vagues dévastatrices de corbeaux et perruches mercenaires ont dépeuplé ce qui s’apprêtait à devenir une terre florissante. Des opérations kamikazes par des insectes non identifiés ont harcelé les populations restantes
En ce qui concerne les troupes terrestres, des bataillons de pucerons divers sont partis à l’assaut, et n’attendent que l’arrivée de doryphores en renfort pour porter l’estocade finale, même si de courageuses coccinelles ont tenté de freiner l’invasion.
Les armes bactériologiques n’ont pas été dédaignées par cette sinistre chef.fesse de guerre, se moquant de la CABT du 25 mars 2019 comme de sa première chemise - qui doit être bien courte car Dame Nature n’a aucune pudeur. Des limaces se sont livrées à des progressions nocturnes que je ne saurais toutefois qualifier de raids en raison de la vitesse de progression, en coopération avec les troupes blindées colimaçonnes.
De grosses taupes se sont sacrifiées pour le forage de tunnels de sape, et, toujours dans les troupes du génie, des campagnols ont investi souterrainement les lieux, se ravitaillant sur l’habitant.
Bref, tout n’est que désolation, un quarteron de pieds rescapés, mais pour combien de temps, baisse la tête tristement. Quelques réfugiés, appelés pour repeupler, se demandent bien où ils sont tombés, seuls les nouveau-nés ignorant les vies difficiles que furent celles de leurs anciens, désormais valétudinaires ou défunts, affichent l’insouciance de la jeunesse - pourvu que ça dure…
Et moi, ce que je me demande, c’est bien quels légumes je vais pouvoir me mettre sous la dent, ne pouvant en mettre dans mes plats. Car de vaillants et comestibles dans l'immédiat et dans mon jardin ne restent plus que quelques alignements de salade, des petits radis planqués, et un bosquet d’oseille qui a dû décourager la délicate gente animale craignant de devenir podagre. Quant aux ressources maraîchères commerciales, je ne suis tombé en cette fin de printemps que sur tomates insipides, courgettes aqueuses, poivrons coriaces, etc. Toutes variétés légumières indigentes n’arrivant pas toutefois à atteindre le niveau de médiocrité des abricots shrapnels pourrissants, des pêches pierres indigestes se couvrant de moisissures le lendemain de leur achat, des cerises aussi noires que craquantes et sans goût auxquelles même l’incorporation dans une savoureuse pâte à clafoutis n’a pas permis de manifester ne serait-ce qu’un semblant de présence sinon par la couleur.
Tentative de sauvetage |
N’ont réjoui mon palais que quelques bananes - mais je ne vais pas faire le singe tous les jours… - et des pommes de terre nouvelles de l’île de Noirmoutier en dépit de leur calibre excessif qui n’a rien à voir avec celui des grenailles pourvoyeuses de croustillant beurré que j'aimerais cuisiner.
Aussi je me réfugie dans le carnivore bête et méchant, sans ces contrepoints végétaux - tout le contraire du végétarisme - qui font de notre assiette un petit champ du monde.
Pour ce faire, il faut que la viande soit bonne.
Alors merci à :
NEMROD pour son cuissot de chevreuil (aussi bon servi froid servi avec une sauce au raifort et une salade ou réchauffé en lambeaux façon Stroganov accompagné de pâtes).
La Maison du Sud-Ouest aux Halles de Versailles pour ses côtes dans l’échine merveilleusement persillées nous consolant d’être au régime patates.
Nuit d'échine, nuit d'amour |
La Maison Conquet de Laguiole pour ses savoureuses entrecôtes de race Aubrac à la graisse fondante et parfumée devant lesquelles une salade, bien qu’arrivée une heure auparavant du jardin et dopée à l’ail, a fait pâle figure.
Poêle Aubrac |
Restez, couverts |
Mais surtout, de cette même Maison Conquet, la magnifique épaule d’Agneau Laiton de l’Aveyron Label rouge et IGP désossée en rôti roulée à la tendreté exceptionnelle alliée à une subtile ovinitude - je ne vois que ce néologisme pour caractériser une délicatesse néanmoins typée dégagée dans les arômes de cette viande soyeuse.
Rouler des épaules |
Une carotte tranchée, une échalote taillée grossièrement, quelques petits oignons blancs, laurier, thym, origan, romarin, sauge, queue de persil, badigeonnage d’huile d’olive, fleur de sel, poivre blanc de Muntok, baies de Timut et avant de mettre au four un verre de vin blanc sec et un autre d’eau. J’ai enfourné à 260 °C, 5 minutes d’un côté, puis 4 minutes de l’autre avant de baisser le four à 180 °C avec un nouveau retournement. Cuisson à cette température pendant encore une demi-heure, puis extinction du four et nouveau retournement avec sortie du four au bout de 5 minutes.
Après saisie... |
Le rôti est alors mis à reposer sur une planche pendant que je réchauffe mes mogettes Label Rouge de Vendée que j’ai choisies pour accompagner cette épaule en y ajoutant une noix de beurre demi-sel. Je fais réduire le jus restant au fond du plat de cuisson du rôti et le passe au chinois avant de le verser dans une saucière séparatrice de gras.
Tout est prêt pour le tressage. Je prélève quelques tranches dans le rôti, le couteau, une fois la peau craquante traversée, s’enfonce comme dans du beurre.
Sur chaque assiette, trois tranches de l’épaule d’Agneau Laiton. À côté, deux bonnes cuillerées de mojettes. Je dispose quelques sifflets de carotte et un trio de petits oignons blancs extraits du plat de cuisson. J’arrose d’un bon trait du jus que j’ai rehaussé d’un tour de moulin de poivre rouge de Kampot. Deux feuilles de sauge et une extrémité de romarin fournissent les taches de verdure, sans oublier la décoration florale apportée par le thym. Pour finir je fais tomber quelques cristaux de fleur de sel sur les tranches d’agneau.
Rosé à point ? |
Comme quoi, être carnivore par obligation, ce n’est pas toujours une punition…
Mais vivement la déculottée de cette malfaisante Dame Nature ! Ce n’est qu’un début, continuons le combat !
Hum, les bonnes tomates bien mûres éclatant dans la bouche ou envahissant les bocaux, les petits pois regorgeant de sucre, les fèves nichées dans leur écrin velouté, les pommes de terre maison pourvoyeuses de purées multicolores ou de moelleuses pommes sarladaises, les boules de céleri n’attendant que la rémoulade pour se livrer à nous, les courges rebondies, les poivrons dans tous leurs états, les haricots verts craquant sous un ongle qui cherche vainement le fil...
...tout comme moi qui perds le fil de ce que je suis en train d’écrire.
Il vaut mieux que je m’arrête de rêver sur les lendemains qui chantent au jardin…
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