mardi 18 mai 2021

Accord franco-allemand

Une noisette de beurre en train de fondre au fond de la poêle accueille ma dizaine de saucisses de Nuremberg.


Sur le feu voisin une casserole d’eau bouillante salée réceptionne des spätzle dont la cuisson durera 18 minutes.

Bon, les saucisses sont dorées recto verso. Je passe à leur francisation… Je les recouvre d’un petit pot de crème épaisse provenant de la ferme de Viltain proche de Versailles. 


Sous influence berlinoise, mais revendiquant l'appropriation de ces bavaroises dans le patrimoine hexagonal, je fais tomber une bonne cuillerée de curry breton (curcuma, coriandre, cumin, fenouil, poivre noir, moutarde, fenugrec, gingembre, cannelle, clou de girofle, cardamome, dulse, wakamé, laitue de mer, nori). 


J'assaisonne d’une pincée de sel, et laisse réduire à feu doux.

Je goûte la sauce obtenue. Curieusement le parfum n’est pas aussi présent que j’escomptais après avoir reniflé les senteurs puissantes, à la fois exotiques et iodées, qui s’élèvent de la poudre cuivrée.

Je rajoute donc une seconde cuillerée de curry breton et réserve pour les quelques minutes qui restent avant que les pâtes ne soient cuites.

saucisse de Nuemberg, curry breton
Tempête sur Nuremberg

Bip, bip, bip… Je me dépêche d’éteindre le gaz sous la casserole des spätzle que j’évacue illico direction la poêle à l’aide d’une araignée. Je mélange bien au-dessus d’une petite flamme afin de bien imprégner les pâtes. Je repêche les saucisses d’une pince autoritaire, non mais, vous ne croyez tout de même pas que vous allez pouvoir vous planquer pour éviter l’assaut !

Je bombarde le champ de bataille de quelques déchirures de persil frisé du jardin avant de le déplacer vers la table.

spaetzle, curry breton, saucisses de Nuremberg
La bonne du curry


Nous passons à l’attaque. L’accord est plutôt réussi.

Une incursion dans l’ARTE culinaire en quelque sorte !


samedi 15 mai 2021

Soirée Crazy Horse

Après avoir lu dans une des chroniques de Jim Harrison rassemblées dans l’ouvrage A really big lunch « Puisqu’il s’agit ici d’une chronique gastronomique, j’entame ce rituel en mangeant deux langues de jeune bison, bien moins grasses et plus savoureuses que la langue de bœuf. », j’ai bien entendu voulu vérifier cette affirmation.

Je n’ai pu hélas me procurer de la langue de bison fraîche, j’ai dû me contenter d’un bocal cuisiné (dans une sauce succulente, mais discrète - fort heureusement) et si pour notre vorace écrivain « Ces bêtes ont grandi non loin du territoire de Crazy Horse », les miennes paissaient dans les herbages du Bourbonnais.


Pas le même territoire ! Mais après tout les Auvergnats sont près de leurs Sioux, si l’on en croit les mauvaises langues…

Et pour donner un coup de pouce supplémentaire à la crédibilité ce simulacre, j’ai choisi le riz sauvage comme accompagnement du bison. Celui-ci, il m’a fallu le cuire, mais c’était bien simple : 45 minutes dans l’eau bouillante salée et zou, directement dans l’assiette, la sauce dans laquelle baigne la langue viendra le rehausser. D’ailleurs, même dans le simple appareil de sa nudité arrachée à la casserole, ce riz était plein d’attrait, fort goûteux…

Trois minutes au micro-ondes, ma viande est à température et exhale son parfum empreint d’une seyante modestie - la langue va pouvoir prendre la parole en premier ! Un dressage simplissime, et deux sympathiques assiettes se dirigent vers la table.

langue de bison, riz sauvage
Langue de Crazy Horse

Conclusion : mon Jimmy avait raison, cette langue réussit à allier une saveur délicate à la tendreté et à la tenue. Bien qu’il s’agisse d’une conserve, on ne retrouve pas l’aspect filandreux qui est parfois la rançon nécessaire pour attendrir cet abat. Désolé pour les amateurs de pulled meat, la langue de bison fond dans la bouche et non dans l’assiette.

Ne me reste plus qu’à dénicher une langue de bison fraîche pour approfondir l’expérience...


mercredi 12 mai 2021

Le Docteur Knack se rebiffe

«  Bonjour ! Nous sommes deux gendarmes de la brigade de Bennwihr. Des informations nous donnent à penser que le dénommé Burespeck en cavale depuis plusieurs jours est hébergé en votre domicile.»

J’étais déjà désorienté par l’apparition de ces deux grandes saucisses dégingandées quand les pandores ajoutèrent sèchement :

« Et comme nous avons tout lieu de penser qu’il lui est arrivé malheur, nous sommes accompagnés par l’équipe du Docteur Knack, médecin légiste…»

Ce dernier se présenta à moi empreint de la jovialité qui est la norme dans ce noble métier, m’assura qu’il n’en aura que pour quelques minutes avant qu’il ne se fasse la paire, si toutefois je me hâtais de lui présenter le corps. Je lui rétorquai qu’il y avait bien un Alsacien entre mes murs, mais que j’en ignorais l’identité et qu'il se portait comme un charme.

«  Accueillir un inconnu sans s’inquiéter plus que ça, comme c’est bizarre… » ricana l’un des gendarmes.

«  Vous avez dit bizarre ? Comme c’est bizarre. Eh bien sa bonne mine m’a inspiré confiance.

-  Bonne mine ? Alors ça ne doit pas être Burespeck. Voici son signalement ; basané, plutôt bien en chair…

-  Ouais, carrément un gros lard, mon adjudant-chef !

-  Bref un vrai dur, à la couenne bien trempée. Je souhaiterais être mis en sa présence si ceci ne vous dérange pas.

-  Et même si ça vous dérange ! Où qu’il est ? »

J’ai senti qu’ils allaient me faire le coup du bon et du méchant. Mais j’ai reluqué trop de séries pour m’y laisser prendre.


N’empêche que je suis bien embêté. Car il me faut bien l’avouer - à vous mais pas aux gendarmes - que ce Burespeck, je lui ai donné un coup de couteau, et que maintenant il est allongé séparé en deux morceaux. Je bafouille qu’il doit être en train de faire sa sieste, que je n’ose pas le déranger.

«  On s’en fout ! »

Ah, les grossiers personnages ! Mais je dois me résoudre à les conduire près de lui.

Devant le spectacle, je feins la stupéfaction.

« Mais que lui est-il arrivé ? Il n’a pas l’air dans son assiette…

-  Non, pas vraiment ! Allez, Docteur Knack, au travail. Quelles sont vos conclusions ?

-  Je ferai le pari pascalien qu’il est mort (250 € la consultation, on peut prendre le risque…), mais je constate qu’il est loin de la froideur cadavérique. Soixante-cinq degrés Celsius, c’est beaucoup pour un défunt, encore que l’on ait observé des températures corporelles nettement supérieures au Bazar de la Charité, valeurs cependant plutôt mesurées à vue de nez car en ces prémices archaïques de la médecine moderne n’existait aucune sonde thermique permettant un chiffrage précis. Pas plus qu’à Pompéi ou Herculanum, où n’exerçait d’ailleurs aucun médecin légiste. Tristes époques chargées de ténèbres ! Pour revenir à la période contemporaine, s’il eut été moins vénal, le Docteur Petiot…

-  Foin de ces considérations historiques, que vous apprend de plus concret ce corps encore fumant ?

-  Je dirai en présence de ces chevrotines qu’il a été tué avec une arme de chasse, et ceci à bout portant, ce que confirme le parfum de fumée qui se dégage de ce corps qui, pour ne pas être en odeur de sainteté, sent quand même rudement bon, hum, ça m’ouvre l’appétit, un corpus delicti se transformant en corpus delicii ce n’est pas si courant dans mon job, on est plus souvent dans le faisandé…

-  Foin de ces considérations gastronomiques, il me semble que votre chevrotine, ce sont plutôt des baies de genièvre et des grains de poivre. Et ne remarquâtes-vous point que le corps est partagé en deux, ce qui semble impliquer l’intervention d’une arme blanche telle que couteau, couperet ou autre lame tranchante, instruments qui ne semblent pas manquer dans cet environnement… » 

Quand l’adjudant-chef prononce ces derniers mots, je frissonne devant le regard soupçonneux qu’il me lance. Puis il ajoute :

«  De plus, Docteur Knack, avez-vous tant de saindoux sur vos lunettes que vous ne voyez point les deux autres corps allongés à côté de Burespeck ? »

Il se tourne vers moi et me demande avec un ton entaché d’une ironie fort désagréable si je ne connaîtrais pas par hasard l’identité de ces gisantes. Je prends mon air le plus benêt pour lui affirmer que, si fait, elles ne me sont pas inconnues, que ce sont deux Normandes.

«  Ah, il s’en passe de belles chez vous ! Ce Burespeck, un monstre de perversité, et vous, un psychopathe sanguinaire !

-  Mais il n’y a pas la moindre trace de sang !

-  Parce que vous le suçâtes ! Vampire ! »

Le brigadier se gratte la tête, pensif, me jauge et se tourne vers son supérieur.

«  Vous pensez que ce Monsieur à l’air si gentil et hospitalier* a aussi zigouillé les deux cochonnes ?

-  C’est ce que je m’échine à vous dire, à vous, et à ce légiste de mes deux. Ah, vous faites bien la paire ! »

Le docteur Knack et ses assistants n’apprécient visiblement pas ces critiques. Je crains qu’ils n’éclatent. Mais non, ils gardent leur calme, même si je me doute bien que la moutarde leur monte au nez.

Le légiste se tourne vers les gendarmes et laisse tomber, la lippe méprisante :

«  Et vous, vous ne pédalez pas dans la choucroute ? »


choucroute
J'ai eu chaud


Pendant cette dispute j’ai pu discrètement me saisir d’un long tranchelard bien acéré.

Désormais, j’ai la situation bien en main. Ouf !

* Finalement, il était bien brave, ce brigadier...


 

vendredi 7 mai 2021

La trajectoire de l'escargot

Il y a deux ans j’avais cédé à la facilité de ne pas préparer mes Fleischschnacka* moi-même, mais de cuisiner ceux vendus par un boucher charcutier alsacien. J’ai réitéré aujourd'hui pour les mêmes raisons que j’avais alors exposées.

https://sosgrisbiche.blogspot.com/2019/04/petites-gidouilles-pour-ma-gidouille.html

Cependant le plat que je découvre dans mon assiette est tout autre que celui que j’avais dégusté à l’époque. Il était bon - en ce jour il est devenu très bon

Pourtant les ingrédients sont les mêmes, l’artisan n’a pas changé de recette, le bouillon de bœuf est identique, obtenu à partir d’un sachet Ariake. Même la poêle de cuisson n’a pas changé...

Alors pourquoi ? Ben tout simplement pour un problème de lecture. Notre bon artisan d’Ingersheim donne ces conseils :

Dorez ces tranches à la poêle puis mouillez-les avec un bouillon de bœuf et laissez mijoter à feu doux couvert une quinzaine de minutes de chaque côté.

J’avais pris connaissance de cette procédure et tenté de la mémoriser. Mais je devais déjà entamer mon naufrage dans le gâtisme, car à l’arrivée dans la cuisine, cette phrase s’était transformée en :

Dorez ces tranches à la poêle puis mouillez-les avec un bouillon de bœuf et laissez mijoter de chaque côté à feu doux couvert une quinzaine de minutes.

15 ou 2 x 15.........

Eh bien ce bain prolongé fait toute la différence. L’al dente qui ne sied guère une pâte épaisse a fait place à une consistance et une saveur de Spätzle cuites à point, la farce de viande déjà empreinte de flaveurs de pot-au-feu est devenue moelleuse en s’imbibant à cœur du bouillon.

Bref l’escargot un peu coincé replié sur lui-même s’est épanoui, ne fait plus trempette avec réticence mais se prélasse dans son bain parfumé - pour un peu il se débarrasserait des oripeaux qui l’entortillent et lui collent à la peau, mais non, il a de la tenue et je lui en sais gré, car moi j’y tiens, à cette pâte à nouille aux fragrances de froment. Non mais !

Il y aura à côté de chaque assiette un ramequin empli de petits radis roses qui feront contrepoint à la décadente mollesse de ces Fleischschnacka.

Fleischschnacka, escargots de viande

Ah! c'qu'on est bien quand on est dans son bain !

Ah, ça schmeckt** !


Le dessert nous fait quitter l’Alsace, nous amène plutôt vers la région niortaise. En effet il consiste en une crème anglaise parfumée à l’angélique. Pour ce faire j’ai découpé en petits tronçons les branches cueillies le matin même à partir d’un pied du jardin. Dans une casserole je les ai recouverts d’eau, ajouté trois bonnes cuillerées de sucre cristallisé, une fine pincée de sel et quelques gouttes de jus de citron. J’ai porté à ébullition, puis j’ai laissé réduire sur une petite flamme. J’ai retiré de la flamme quand le sirop devenu très épais a commencé à faire de grosses bulles. J’ai laissé refroidir ce mélange avant de l’incorporer à la crème anglaise préparée en parallèle.

crème anglaise, angélique
Angélique versaillaise  fréquentant la crème anglaise

Le résultat était probant, on aurait pu croire que j’avais utilisé des bâtons d’angélique confite.

Même Robert Hossein aurait pu s’y tromper…




* Note à l’intention des Français de l’intérieur : Fleischschnacka : "escargots de viande"

** Pour les mêmes : ça schmeckt : "on se régale"


mercredi 5 mai 2021

La jalousie du barbouillé


C’est de ma faute : je n’aurais jamais dû le barbouiller, ce malheureux poulet. Franchement, il était en rogne quand je l’ai mis dans le four.

« Aucun respect ! D’habitude, un poulet, il a droit à des échalotes, des quignons de pain frottés à l’ail, voire des petits-suisses pour emplir son petit bedon. Après l’avoir massé avec un bon beurre aux fragrances champêtres, on l’allonge sur un lit douillet et parfumé d’herbes du jardin qu’un verre d’eau fraîche empêche de faner. Autour de lui, l’on dépose quelques gousses d’ail, petits oignons blancs et sifflets de carotte. Moi, rien de tout ça : dans le bide, juste une feuille de laurier et une branche de thym qui me gratouille, et au lieu de la couche confortable, on m’enfonce un gros machin dans le cul au-dessus d’un champ de patates. Et, cerise sur le gâteau, on me barbouille d’une poudre suspecte qui me transforme en sioux d’opérette ! La seule chose positive, c’est que le four est froid, ce qui me convient bien… »

Eh oui, dans un élan incontrôlé que je ne m’explique guère, car un de mes plaisirs devant mon fourneau est de concocter le mélange d’épices qui sera le plus apte à s’accorder avec les produits que je cuisine, j’ai fait l’acquisition d’un assemblage pour poulet rôti.


Sans doute par curiosité… Alors de ce malheureux poulet sacrifié pour ce test je puis comprendre le dépit.

Je l’ai quand même arrosé d’un filet d’huile d’olive et j’ai déposé quelques noix de beurre sur les pommes de terre grenailles où se perdent trois petits oignons blancs nouveaux et un brin de persil. Mais, le pauvre, je lui réserve maintenant une mauvaise surprise : je règle le thermostat du four à la température de 170 °C avant d’au bout d’une heure monter à 180 °C non pas tant pour parfaire une coloration qu’il a déjà obtenue par le biais de mon barbouillage que pour apporter du croustillant à la peau.

La cuisson doit être terminée, j’ouvre la porte du four.

 

poulet rôti, mélange
Je pleure de le voir si laid en ce miroir

Parfait, il a l’air bien cuit, si ce n’est que sa peau s’est déchirée à un endroit que j’avais déjà repéré à cru. Le volailler, par un coup de chalumeau malheureux durant le flambage épilatoire, y avait fragilisé la peau en créant deux petits cratères circulaires aux bords roussis. Décidément les artisans ne sont plus ce qu’ils étaient…

 

poulet rôti, mélange
Gros sur la patate

Quand je soulève mon poulet pour l’enlever de son support, une voix d’outre-tombe m’invective.

« Ô trahison ! J’ai vu ma fraîche prison se transformer lentement en fournaise. Mes congénères ne sont pas coutumiers d’une telle sournoiserie, pour eux, ce n’est qu’une surprise momentanée, brutale mais brève, pour moi c’est une lente descente en enfer, insupportable… Que ne suis-je de Bresse, je ne subirais pas ces vilenies ! »

Je le laisse déverser son sac dégoulinant de jalousie mal placée pendant que je retire mes pommes de terre du fond du plat de cuisson pour les disposer sur celui de service. Je verse la sauce rougeâtre dans une saucière chauffée par un passage emplie d’eau au micro-ondes. J’y ajoute quelques tours de moulin de poivre noir de Sarawak.

poulet rôti, mélange tout prêt, sauce
Au jus là dedans !

Je place le barbouillé sur la planche et brandis mon couteau.

« Tu es mon Seth, je suis ton Osiris ! »

Maintenant, il délire…

« Je t’attends Isis. N’oublie pas mon sot-l’y-laisse ! »

Tu fais bien de me le rappeler. J’allais omettre de me gratifier de cette récompense du cuisinier.

poulet rôti, mélange
La jalousie du barbouillé, scène finale

Hum c’est qu’il est bon, ce barbouillé. Mais pas exceptionnel. Ce mélange de paprika, ail, sel, thym, romarin et piment de Cayenne n’a rien de transcendant. Certes il permet de ne pas acheter séparément les ingrédients, mais comme de toute façon je les ai déjà dans mes réserves d'épices ou même dans mon jardin, ça ne m’apporte rien. Et j’imagine la tristesse de manger chaque fois un poulet imprégné de parfums identiques. Un jour sans fin faim où le poulet remplace la marmotte...

Une question : que vais-je faire du reste de la boîte ? Il va falloir se montrer créatif pour inventer un détournement !

 

dimanche 2 mai 2021

Goût gougères et americano

Pourquoi y a-t-il si longtemps que je n’ai pas réalisé des gougères ? Pourtant c’est si simple à faire et si bon !

C’est décidé, au menu ce soir : apéro gougères.


Je me lance d’abord dans la confection de la pâte à chou.

Je verse dans une casserole 25 cl d'un tant pour tant de lait et d’eau. Quand elle frémit, j’y fais choir 100 g de beurre partagé en petits morceaux et une bonne pincée de sel. Une fois ce beurre fondu, je retire le récipient du feu et balance brutalement 150 g de farine au milieu du liquide que je me mets à touiller énergiquement jusqu’à obtenir une pâte bien homogène qui se décolle facilement des paris.

Je continue à brasser en alternant quelques secondes sur le feu et retour sur le plan de travail jusqu’à ce que cette panade me semble suffisamment desséchée. Je peux alors incorporer successivement quatre œufs pour obtenir une pâte luisante et parfaitement lisse.

pâte à chou, gougère
Encore chou

Je viens de terminer ainsi ma séance de fitness dextrobrachial quotidienne qui me permettra un peu plus tard de lever le coude avec assurance, et il ne me reste plus qu’à métamorphoser ma pâte à chou en pâte à gougère.

Pour ce faire je n’utilise pas une baguette magique, mais un acéré couteau de chef qui me permet de tailler un morceau d’emmenthal de 130 g en petits cubes d’environ 2 mm de côté (en passant par les étapes intermédiaires de tranches fines puis de julienne) que j’incorpore en mélangeant soigneusement. J’en profite pour ajouter les trois tours de moulin de noix de muscade et les sept (chiffre magique…) tours de moulin de poivre rouge qui viendront parfumer mes gougères.

Je partage le résultat de ces épuisantes manipulations en seize petits tas façonnés à l’aide de deux cuillères (mais peut-être que le choix de la poche à douille m’aurait finalement facilité la tâche ?) et répartis sur une plaque perforée en alu revêtue d’un papier siliconé.

J’enfourne à 170 °C et attends environ une demi-heure. Quand j’ouvre le four, les petits tas sont devenus de belles gougères dodues et bien dorées. Je les laisse cependant à demeure porte béante pour encore cinq minutes afin d’assécher leur croûte.

Je peux enfin sortir les gougères du four avant de les déposer sur une grille.

gougères
Défilé du 1er mai

Contrôle de la qualité, façon le Chef Dumas à la fin de ses vidéos de recettes youtubées. Je tranche donc une gougère en deux. 

gougères
Nickel !

Nickel, comme il dirait : l’intérieur est bien cuit autour de gosses cavités, et la pièce a de la tenue, elle ne retombe pas lamentablement, ne s’aplatit que momentanément sous la pression de la lame.


Rien ne s’oppose donc au passage à la phase APÉRO GOUGÈRES.

Je joue du doseur pour préparer les americanos à partir d’une bouteille de Martini et une autre de Campari. Une petite tranche d’orange, quelques glaçons, et l’on se sent en vacances.

gougères, americano
Un americano, des americanos ou des americani ?

Au programme, visite des grottes locales.


gougères
Spéléo de table

Y découvrira-t-on des restes de l’homme d’Emmenthal ?

jeudi 29 avril 2021

O polenta bella ! Ch’ti Ch’ti…

J’avais la chance d’avoir à ma disposition un de ces beaux figatelli de porc noir fermier Nustrale préparés par la charcuterie Mannei à Bocognano.


Je me suis pris à rêver de braises rougeoyantes au fond d’une cheminée, d’un gril laissant s’écouler des graisses parfumées venant imbiber une épaisse tranche de pain fleurant bon le levain.


Mais de cheminée, ici, j’n’en ai point. Alors il va me falloir imaginer un plan B. Je vais passer au simulacre. Et, tant qu’à faire, remplacer aussi le pain par un autre produit. Ça tombe bien, j’ai dans mes réserves un sac d’excellente polenta traditionnelle, produite à la meule en pierre à partir de variétés anciennes de maïs. 



Oui, je sais, une polenta de châtaigne eut été plus appropriée. Mais de polenta de châtaigne, j’n’en ai point non plus. Alors je me contenterai du maïs.

Je me suis pris à rêver de braises rougeoyantes au fond d’une cheminée, d’un chaudron où une mamma triture la polenta armée d’un bâton de noisetier.


Mais de cheminée, ici, j’n’en ai point. Et puis je ne me sens pas le courage de touiller pendant près d’une heure une bouillie de plus en plus ferme qui m’enverra par ses cratères en éruption des projections brûlantes sur ma pauvre main sans défense, voire sur une face vulnérable qu’une vaine moustache ne suffit pas à protéger.

J’ai donc, en conséquence de toutes ces contraintes, mis en place le process suivant :


Je descends du grenier où il était relégué pour chômage technique mon mélangeur à polenta Ferraboli.


 Je le branche sur une prise et le pose sur un brûleur de mon fourneau. J’y porte à ébullition 1,5 litre d’eau, éteins le gaz et verse 350 g de polenta que je mélange bien au fouet avant de rallumer et poursuivre la cuisson à feu moyen. 

polenta
Qu'il est agréable de ne rien faire...


Puis je me tourne les pouces, me contentant de plonger une petite cuillère inquisitrice au bout de trois quarts d’heure, non ce n’est pas encore assez fondant. Dix minutes plus tard, la polenta est prête, je la verse dans un plat où je la laisse refroidir.

polenta
Vue sur le désert de Polenta


L’heure du repas est arrivée.

J’extrais huit parallélépipèdes de la polenta pour les allonger sur un plat ovale en inox qui lui-même va reposer sur une plaque à pâtisserie perforée en alu. J’enfourne ce montage à l’étage le plus bas du four.

Je pose mon figatellu percé de quelques coups de fourchette sur les barreaux d’une grille en inox qui elle va s’insérer à l‘étage le plus haut du four, à quelques centimètres de la résistance du gril.

Je règle le thermostat à 150 °C, laissant la chaleur pénétrer tant dans les morceaux de polenta que dans le figatellu. Quand cette température est atteinte, je passe à la fonction gril. Je laisse le figatellu sous la résistance rougeoyante pendant trois minutes, la retourne et laisse trois nouvelles minutes avant d’éteindre le four. Je dépose le figatellu sur le plat de polenta que je défourne en transit sur le dessus du fourneau avant d’être apporté sur la table.

figatellu, polenta
Figatellu lové

La mascarade a fonctionné, la saucisse a déversé sa savoureuse graisse dégoulinante sur la polenta - qui joue quand même bien mal un rôle de pain, car elle n’est pas dotée de la même capacité d’absorption. Je ne lui jetterai cependant pas la meule, car elle se montre particulièrement goûtue et sait affirmer sa présence avec une vigueur dont peu de ses sœurs sont capables. Qui l’eut cru, loin d’être simplement un support à jus roboratif, elle sait attirer mon attention, à moi le carnivore qui ne devrait avoir d’yeux que pour la pièce de charcuterie.


À tel point que je me dois d’attribuer une fonction honorable au reste de polenta que j’ai réservé au frais.

Elle fut pain dans sa première prestation, désormais elle jouera la frite dans le casting de mon prochain plat.

Frite, mais avec quoi ? Non, je ne me lancerai pas dans le traditionnel plat de moules frites. Mais elle se mettra quand même dans la peau de la reine des frites : la frite nordiste.

Eh oui, elle ne fera pas moins que d’entrer en scène au côté d’un pot ‘je vlees à la bière. Disons le tout net, ce n’est pas moi qui l’ai cuisiné. Il sort d’un bocal préparé par la Conserverie Saint-Christophe. Il est néanmoins (ou pour cette raison ?) excellent, et il faut que j’éprouve une grande amitié envers cette polenta pour oser lui confier l’accompagnement d’un tel régal.

Je découpe tant bien que mal des bâtonnets format frites dans ma polenta glacée - plutôt mal, car dieu sait qu’elle se montre fragile, et j’ai commis l’erreur d’utiliser un couteau à la place d’un fil plus efficace pour ce produit. Je les fais tomber dans l’huile bouillante d’une poêle - je n’ai pas osé les plonger dans la graisse de bœuf de la friteuse de peur d’un délitement catastrophique pour le bain…

frites de polenta
Fausses vrites


Quand les frites fantoches sont bien dorées, je les dispose dans les assiettes à côté des tranches de pot ‘je vlees.

Mon trompe-l’œil ne trompera personne, mais il fonctionne quand même gustativement, et c’est le principal.

pot 'je vlees
Salut mon pot 'je vlees


N’empêche que mes manigances vont probablement m’attirer l’hostilité des Corses, des Italiens et des Ch'tis réunis, ou tout au moins des ricanements

M’en fiche, j’ai bien mangé