« Bonjour ! Nous sommes deux gendarmes de la brigade de Bennwihr. Des informations nous donnent à penser que le dénommé Burespeck en cavale depuis plusieurs jours est hébergé en votre domicile.»
J’étais déjà désorienté par l’apparition de ces deux grandes saucisses dégingandées quand les pandores ajoutèrent sèchement :
« Et comme nous avons tout lieu de penser qu’il lui est arrivé malheur, nous sommes accompagnés par l’équipe du Docteur Knack, médecin légiste…»
Ce dernier se présenta à moi empreint de la jovialité qui est la norme dans ce noble métier, m’assura qu’il n’en aura que pour quelques minutes avant qu’il ne se fasse la paire, si toutefois je me hâtais de lui présenter le corps. Je lui rétorquai qu’il y avait bien un Alsacien entre mes murs, mais que j’en ignorais l’identité et qu'il se portait comme un charme.
« Accueillir un inconnu sans s’inquiéter plus que ça, comme c’est bizarre… » ricana l’un des gendarmes.
« Vous avez dit bizarre ? Comme c’est bizarre. Eh bien sa bonne mine m’a inspiré confiance.
- Bonne mine ? Alors ça ne doit pas être Burespeck. Voici son signalement ; basané, plutôt bien en chair…
- Ouais, carrément un gros lard, mon adjudant-chef !
- Bref un vrai dur, à la couenne bien trempée. Je souhaiterais être mis en sa présence si ceci ne vous dérange pas.
- Et même si ça vous dérange ! Où qu’il est ? »
J’ai senti qu’ils allaient me faire le coup du bon et du méchant. Mais j’ai reluqué trop de séries pour m’y laisser prendre.
N’empêche que je suis bien embêté. Car il me faut bien l’avouer - à vous mais pas aux gendarmes - que ce Burespeck, je lui ai donné un coup de couteau, et que maintenant il est allongé séparé en deux morceaux. Je bafouille qu’il doit être en train de faire sa sieste, que je n’ose pas le déranger.
« On s’en fout ! »
Ah, les grossiers personnages ! Mais je dois me résoudre à les conduire près de lui.
Devant le spectacle, je feins la stupéfaction.
« Mais que lui est-il arrivé ? Il n’a pas l’air dans son assiette…
- Non, pas vraiment ! Allez, Docteur Knack, au travail. Quelles sont vos conclusions ?
- Je ferai le pari pascalien qu’il est mort (250 € la consultation, on peut prendre le risque…), mais je constate qu’il est loin de la froideur cadavérique. Soixante-cinq degrés Celsius, c’est beaucoup pour un défunt, encore que l’on ait observé des températures corporelles nettement supérieures au Bazar de la Charité, valeurs cependant plutôt mesurées à vue de nez car en ces prémices archaïques de la médecine moderne n’existait aucune sonde thermique permettant un chiffrage précis. Pas plus qu’à Pompéi ou Herculanum, où n’exerçait d’ailleurs aucun médecin légiste. Tristes époques chargées de ténèbres ! Pour revenir à la période contemporaine, s’il eut été moins vénal, le Docteur Petiot…
- Foin de ces considérations historiques, que vous apprend de plus concret ce corps encore fumant ?
- Je dirai en présence de ces chevrotines qu’il a été tué avec une arme de chasse, et ceci à bout portant, ce que confirme le parfum de fumée qui se dégage de ce corps qui, pour ne pas être en odeur de sainteté, sent quand même rudement bon, hum, ça m’ouvre l’appétit, un corpus delicti se transformant en corpus delicii ce n’est pas si courant dans mon job, on est plus souvent dans le faisandé…
- Foin de ces considérations gastronomiques, il me semble que votre chevrotine, ce sont plutôt des baies de genièvre et des grains de poivre. Et ne remarquâtes-vous point que le corps est partagé en deux, ce qui semble impliquer l’intervention d’une arme blanche telle que couteau, couperet ou autre lame tranchante, instruments qui ne semblent pas manquer dans cet environnement… »
Quand l’adjudant-chef prononce ces derniers mots, je frissonne devant le regard soupçonneux qu’il me lance. Puis il ajoute :
« De plus, Docteur Knack, avez-vous tant de saindoux sur vos lunettes que vous ne voyez point les deux autres corps allongés à côté de Burespeck ? »
Il se tourne vers moi et me demande avec un ton entaché d’une ironie fort désagréable si je ne connaîtrais pas par hasard l’identité de ces gisantes. Je prends mon air le plus benêt pour lui affirmer que, si fait, elles ne me sont pas inconnues, que ce sont deux Normandes.
« Ah, il s’en passe de belles chez vous ! Ce Burespeck, un monstre de perversité, et vous, un psychopathe sanguinaire !
- Mais il n’y a pas la moindre trace de sang !
- Parce que vous le suçâtes ! Vampire ! »
Le brigadier se gratte la tête, pensif, me jauge et se tourne vers son supérieur.
« Vous pensez que ce Monsieur à l’air si gentil et hospitalier* a aussi zigouillé les deux cochonnes ?
- C’est ce que je m’échine à vous dire, à vous, et à ce légiste de mes deux. Ah, vous faites bien la paire ! »
Le docteur Knack et ses assistants n’apprécient visiblement pas ces critiques. Je crains qu’ils n’éclatent. Mais non, ils gardent leur calme, même si je me doute bien que la moutarde leur monte au nez.
Le légiste se tourne vers les gendarmes et laisse tomber, la lippe méprisante :
« Et vous, vous ne pédalez pas dans la choucroute ? »
J'ai eu chaud |
Pendant cette dispute j’ai pu discrètement me saisir d’un long tranchelard bien acéré.
Désormais, j’ai la situation bien en main. Ouf !
* Finalement, il était bien brave, ce brigadier...
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