mercredi 5 mai 2021

La jalousie du barbouillé


C’est de ma faute : je n’aurais jamais dû le barbouiller, ce malheureux poulet. Franchement, il était en rogne quand je l’ai mis dans le four.

« Aucun respect ! D’habitude, un poulet, il a droit à des échalotes, des quignons de pain frottés à l’ail, voire des petits-suisses pour emplir son petit bedon. Après l’avoir massé avec un bon beurre aux fragrances champêtres, on l’allonge sur un lit douillet et parfumé d’herbes du jardin qu’un verre d’eau fraîche empêche de faner. Autour de lui, l’on dépose quelques gousses d’ail, petits oignons blancs et sifflets de carotte. Moi, rien de tout ça : dans le bide, juste une feuille de laurier et une branche de thym qui me gratouille, et au lieu de la couche confortable, on m’enfonce un gros machin dans le cul au-dessus d’un champ de patates. Et, cerise sur le gâteau, on me barbouille d’une poudre suspecte qui me transforme en sioux d’opérette ! La seule chose positive, c’est que le four est froid, ce qui me convient bien… »

Eh oui, dans un élan incontrôlé que je ne m’explique guère, car un de mes plaisirs devant mon fourneau est de concocter le mélange d’épices qui sera le plus apte à s’accorder avec les produits que je cuisine, j’ai fait l’acquisition d’un assemblage pour poulet rôti.


Sans doute par curiosité… Alors de ce malheureux poulet sacrifié pour ce test je puis comprendre le dépit.

Je l’ai quand même arrosé d’un filet d’huile d’olive et j’ai déposé quelques noix de beurre sur les pommes de terre grenailles où se perdent trois petits oignons blancs nouveaux et un brin de persil. Mais, le pauvre, je lui réserve maintenant une mauvaise surprise : je règle le thermostat du four à la température de 170 °C avant d’au bout d’une heure monter à 180 °C non pas tant pour parfaire une coloration qu’il a déjà obtenue par le biais de mon barbouillage que pour apporter du croustillant à la peau.

La cuisson doit être terminée, j’ouvre la porte du four.

 

poulet rôti, mélange
Je pleure de le voir si laid en ce miroir

Parfait, il a l’air bien cuit, si ce n’est que sa peau s’est déchirée à un endroit que j’avais déjà repéré à cru. Le volailler, par un coup de chalumeau malheureux durant le flambage épilatoire, y avait fragilisé la peau en créant deux petits cratères circulaires aux bords roussis. Décidément les artisans ne sont plus ce qu’ils étaient…

 

poulet rôti, mélange
Gros sur la patate

Quand je soulève mon poulet pour l’enlever de son support, une voix d’outre-tombe m’invective.

« Ô trahison ! J’ai vu ma fraîche prison se transformer lentement en fournaise. Mes congénères ne sont pas coutumiers d’une telle sournoiserie, pour eux, ce n’est qu’une surprise momentanée, brutale mais brève, pour moi c’est une lente descente en enfer, insupportable… Que ne suis-je de Bresse, je ne subirais pas ces vilenies ! »

Je le laisse déverser son sac dégoulinant de jalousie mal placée pendant que je retire mes pommes de terre du fond du plat de cuisson pour les disposer sur celui de service. Je verse la sauce rougeâtre dans une saucière chauffée par un passage emplie d’eau au micro-ondes. J’y ajoute quelques tours de moulin de poivre noir de Sarawak.

poulet rôti, mélange tout prêt, sauce
Au jus là dedans !

Je place le barbouillé sur la planche et brandis mon couteau.

« Tu es mon Seth, je suis ton Osiris ! »

Maintenant, il délire…

« Je t’attends Isis. N’oublie pas mon sot-l’y-laisse ! »

Tu fais bien de me le rappeler. J’allais omettre de me gratifier de cette récompense du cuisinier.

poulet rôti, mélange
La jalousie du barbouillé, scène finale

Hum c’est qu’il est bon, ce barbouillé. Mais pas exceptionnel. Ce mélange de paprika, ail, sel, thym, romarin et piment de Cayenne n’a rien de transcendant. Certes il permet de ne pas acheter séparément les ingrédients, mais comme de toute façon je les ai déjà dans mes réserves d'épices ou même dans mon jardin, ça ne m’apporte rien. Et j’imagine la tristesse de manger chaque fois un poulet imprégné de parfums identiques. Un jour sans fin faim où le poulet remplace la marmotte...

Une question : que vais-je faire du reste de la boîte ? Il va falloir se montrer créatif pour inventer un détournement !

 

dimanche 2 mai 2021

Goût gougères et americano

Pourquoi y a-t-il si longtemps que je n’ai pas réalisé des gougères ? Pourtant c’est si simple à faire et si bon !

C’est décidé, au menu ce soir : apéro gougères.


Je me lance d’abord dans la confection de la pâte à chou.

Je verse dans une casserole 25 cl d'un tant pour tant de lait et d’eau. Quand elle frémit, j’y fais choir 100 g de beurre partagé en petits morceaux et une bonne pincée de sel. Une fois ce beurre fondu, je retire le récipient du feu et balance brutalement 150 g de farine au milieu du liquide que je me mets à touiller énergiquement jusqu’à obtenir une pâte bien homogène qui se décolle facilement des paris.

Je continue à brasser en alternant quelques secondes sur le feu et retour sur le plan de travail jusqu’à ce que cette panade me semble suffisamment desséchée. Je peux alors incorporer successivement quatre œufs pour obtenir une pâte luisante et parfaitement lisse.

pâte à chou, gougère
Encore chou

Je viens de terminer ainsi ma séance de fitness dextrobrachial quotidienne qui me permettra un peu plus tard de lever le coude avec assurance, et il ne me reste plus qu’à métamorphoser ma pâte à chou en pâte à gougère.

Pour ce faire je n’utilise pas une baguette magique, mais un acéré couteau de chef qui me permet de tailler un morceau d’emmenthal de 130 g en petits cubes d’environ 2 mm de côté (en passant par les étapes intermédiaires de tranches fines puis de julienne) que j’incorpore en mélangeant soigneusement. J’en profite pour ajouter les trois tours de moulin de noix de muscade et les sept (chiffre magique…) tours de moulin de poivre rouge qui viendront parfumer mes gougères.

Je partage le résultat de ces épuisantes manipulations en seize petits tas façonnés à l’aide de deux cuillères (mais peut-être que le choix de la poche à douille m’aurait finalement facilité la tâche ?) et répartis sur une plaque perforée en alu revêtue d’un papier siliconé.

J’enfourne à 170 °C et attends environ une demi-heure. Quand j’ouvre le four, les petits tas sont devenus de belles gougères dodues et bien dorées. Je les laisse cependant à demeure porte béante pour encore cinq minutes afin d’assécher leur croûte.

Je peux enfin sortir les gougères du four avant de les déposer sur une grille.

gougères
Défilé du 1er mai

Contrôle de la qualité, façon le Chef Dumas à la fin de ses vidéos de recettes youtubées. Je tranche donc une gougère en deux. 

gougères
Nickel !

Nickel, comme il dirait : l’intérieur est bien cuit autour de gosses cavités, et la pièce a de la tenue, elle ne retombe pas lamentablement, ne s’aplatit que momentanément sous la pression de la lame.


Rien ne s’oppose donc au passage à la phase APÉRO GOUGÈRES.

Je joue du doseur pour préparer les americanos à partir d’une bouteille de Martini et une autre de Campari. Une petite tranche d’orange, quelques glaçons, et l’on se sent en vacances.

gougères, americano
Un americano, des americanos ou des americani ?

Au programme, visite des grottes locales.


gougères
Spéléo de table

Y découvrira-t-on des restes de l’homme d’Emmenthal ?

jeudi 29 avril 2021

O polenta bella ! Ch’ti Ch’ti…

J’avais la chance d’avoir à ma disposition un de ces beaux figatelli de porc noir fermier Nustrale préparés par la charcuterie Mannei à Bocognano.


Je me suis pris à rêver de braises rougeoyantes au fond d’une cheminée, d’un gril laissant s’écouler des graisses parfumées venant imbiber une épaisse tranche de pain fleurant bon le levain.


Mais de cheminée, ici, j’n’en ai point. Alors il va me falloir imaginer un plan B. Je vais passer au simulacre. Et, tant qu’à faire, remplacer aussi le pain par un autre produit. Ça tombe bien, j’ai dans mes réserves un sac d’excellente polenta traditionnelle, produite à la meule en pierre à partir de variétés anciennes de maïs. 



Oui, je sais, une polenta de châtaigne eut été plus appropriée. Mais de polenta de châtaigne, j’n’en ai point non plus. Alors je me contenterai du maïs.

Je me suis pris à rêver de braises rougeoyantes au fond d’une cheminée, d’un chaudron où une mamma triture la polenta armée d’un bâton de noisetier.


Mais de cheminée, ici, j’n’en ai point. Et puis je ne me sens pas le courage de touiller pendant près d’une heure une bouillie de plus en plus ferme qui m’enverra par ses cratères en éruption des projections brûlantes sur ma pauvre main sans défense, voire sur une face vulnérable qu’une vaine moustache ne suffit pas à protéger.

J’ai donc, en conséquence de toutes ces contraintes, mis en place le process suivant :


Je descends du grenier où il était relégué pour chômage technique mon mélangeur à polenta Ferraboli.


 Je le branche sur une prise et le pose sur un brûleur de mon fourneau. J’y porte à ébullition 1,5 litre d’eau, éteins le gaz et verse 350 g de polenta que je mélange bien au fouet avant de rallumer et poursuivre la cuisson à feu moyen. 

polenta
Qu'il est agréable de ne rien faire...


Puis je me tourne les pouces, me contentant de plonger une petite cuillère inquisitrice au bout de trois quarts d’heure, non ce n’est pas encore assez fondant. Dix minutes plus tard, la polenta est prête, je la verse dans un plat où je la laisse refroidir.

polenta
Vue sur le désert de Polenta


L’heure du repas est arrivée.

J’extrais huit parallélépipèdes de la polenta pour les allonger sur un plat ovale en inox qui lui-même va reposer sur une plaque à pâtisserie perforée en alu. J’enfourne ce montage à l’étage le plus bas du four.

Je pose mon figatellu percé de quelques coups de fourchette sur les barreaux d’une grille en inox qui elle va s’insérer à l‘étage le plus haut du four, à quelques centimètres de la résistance du gril.

Je règle le thermostat à 150 °C, laissant la chaleur pénétrer tant dans les morceaux de polenta que dans le figatellu. Quand cette température est atteinte, je passe à la fonction gril. Je laisse le figatellu sous la résistance rougeoyante pendant trois minutes, la retourne et laisse trois nouvelles minutes avant d’éteindre le four. Je dépose le figatellu sur le plat de polenta que je défourne en transit sur le dessus du fourneau avant d’être apporté sur la table.

figatellu, polenta
Figatellu lové

La mascarade a fonctionné, la saucisse a déversé sa savoureuse graisse dégoulinante sur la polenta - qui joue quand même bien mal un rôle de pain, car elle n’est pas dotée de la même capacité d’absorption. Je ne lui jetterai cependant pas la meule, car elle se montre particulièrement goûtue et sait affirmer sa présence avec une vigueur dont peu de ses sœurs sont capables. Qui l’eut cru, loin d’être simplement un support à jus roboratif, elle sait attirer mon attention, à moi le carnivore qui ne devrait avoir d’yeux que pour la pièce de charcuterie.


À tel point que je me dois d’attribuer une fonction honorable au reste de polenta que j’ai réservé au frais.

Elle fut pain dans sa première prestation, désormais elle jouera la frite dans le casting de mon prochain plat.

Frite, mais avec quoi ? Non, je ne me lancerai pas dans le traditionnel plat de moules frites. Mais elle se mettra quand même dans la peau de la reine des frites : la frite nordiste.

Eh oui, elle ne fera pas moins que d’entrer en scène au côté d’un pot ‘je vlees à la bière. Disons le tout net, ce n’est pas moi qui l’ai cuisiné. Il sort d’un bocal préparé par la Conserverie Saint-Christophe. Il est néanmoins (ou pour cette raison ?) excellent, et il faut que j’éprouve une grande amitié envers cette polenta pour oser lui confier l’accompagnement d’un tel régal.

Je découpe tant bien que mal des bâtonnets format frites dans ma polenta glacée - plutôt mal, car dieu sait qu’elle se montre fragile, et j’ai commis l’erreur d’utiliser un couteau à la place d’un fil plus efficace pour ce produit. Je les fais tomber dans l’huile bouillante d’une poêle - je n’ai pas osé les plonger dans la graisse de bœuf de la friteuse de peur d’un délitement catastrophique pour le bain…

frites de polenta
Fausses vrites


Quand les frites fantoches sont bien dorées, je les dispose dans les assiettes à côté des tranches de pot ‘je vlees.

Mon trompe-l’œil ne trompera personne, mais il fonctionne quand même gustativement, et c’est le principal.

pot 'je vlees
Salut mon pot 'je vlees


N’empêche que mes manigances vont probablement m’attirer l’hostilité des Corses, des Italiens et des Ch'tis réunis, ou tout au moins des ricanements

M’en fiche, j’ai bien mangé

mardi 27 avril 2021

La cigogne et le rouget

J’appréhendais un peu la rencontre entre deux rougets tout juste sortis des embruns de l’océan et des asperges arrachées de leur plaine d’Alsace.



Qu’avaient-ils à se dire ?

Eh bien finalement tout s’est merveilleusement bien passé. Il faut dire que j’y avais mis du mien.

Tout d’abord, sauna. Néanmoins dans des cabines séparées.

Au premier étage, les rougets, déjà bien toilettés par mes soins, avec la peau écaillée parsemée de sel fin et d’un tour de moulin de noix de muscade, le ventre garni d’un lambeau de feuille de laurier, d’un petit bout de branche de thym, de la moitié d’un petit oignon blanc nouveau et d’une pincée de gros sel. Certes, ils avaient été privés de leur foie, mais celui-ci était gardé précieusement arrosé d’huile d’olive, parfumé de poivre rouge moulu et de macis râpé et parsemé de fleur de sel dans une petite coupelle.

rouget, vapeur
Zut, j'ai aissé une écaille...

Au second étage, les asperges, quant à elles alignées comme à la parade et simplement assaisonnées de sel.

asperges, vapeur
Allongées, mais la tête haute


Tout ce petit monde est sorti de ce bain de vapeur au bout d’une douzaine de minutes et a pu s’allonger côte à côte dans une parfaite harmonie, réparti entre deux lits de faïence

Il fallait néanmoins un liant… Mets de l’huile !

Enfin, pas que de l’huile… J’ai réuni tous les ingrédients pour préparer une sauce consensuelle entre la terre et la mer.

vinaigrette
La panoplie


Certes il y a une huile des Baux-de-Provence dont le caractère méditerranéen devrait plaire aux rougets, mais aussi du raifort propre à réjouir ces Alsaciennes que sont les asperges, ainsi que du vinaigre balsamique de Modène, des noix de muscade, un citron, de la fleur de sel.

Je confectionne une vinaigrette volontairement tranchée en montant une cuillerée de raifort avec une cuillerée d’huile, en y incorporant un trait de balsamique, donnant un tour de moulin de noix de muscade et en finissant en ajoutant un petit verre d’huile d’olive et le jus d’un demi-citron dans lequel j’ai fait fondre une bonne pincée de sel, le tout brassé grossièrement.

J’arrose les rougets et les asperges de cette sauce.

Je termine le dressage des assiettes par des brins de persil à visée plus décorative (ouais… ?) que gustative.

rouget, asperges
Banc d'asperges accompagnant un rouget

Eh bien cet assemblage fonctionne parfaitement. 

Et pour une fois je ne m’attirerai pas les foudres des diététichiens de garde !


mercredi 21 avril 2021

Je me les suis farcis

Il y a peu, j’ai eu une prise de bec avec trois encornets mal embouchés.

Bon, je le reconnais, c’est un peu de ma faute. Je les ai amenés chez moi sans leur demander leur avis, tout ça sur leur bonne mine… Et ils n’étaient pas contents. « Même pas un lit pour chacun ! Qu’est-ce que cette piaule miteuse sans vue sur la mer ? »

Ils sont allés jusqu’à dire que le tenancier de cette auberge rouge - c’est-à-dire moi - avait la gueule patibulaire d’un récidiviste de l’encornicide, j’ai répliqué par un méprisant « Va donc, eh, ententaculé » qui m’a valu un insultant « Vieux manche à gigot ! ». Après qu’humain et céphalopodes se fussent adressé moult noms d’oiseaux, j’étais vraiment énervé et je n’ai pu m’empêcher d’éructer : « Ah non, ras la casquette, je vais me les farcir ! »

C’est ce que j’ai fait.


Je me saisis des insolents, et zou, je tire sur les têtes dont les yeux globuleux me narguent. Tripes et boyaux suivent. Je prélève les laitances - confirmation de leur virilité - que je réserve. Je tranche pour séparer les tentacules qui rejoignent les laitances après avoir été bien rincés sous un jet d’eau pour évacuer les minuscules grains de sable qui pourraient subsister au creux des ventouses. Je débarrasse ensuite les manteaux et les nageoires de leur peau grise, encore un bon coup de jet, et je plonge le tout dans l’eau glacée et citronnée d’un bac.

Je passe à la confection de la farce. Je dispose de 300 g de chair à saucisse que je verse au fond d’un cul-de-poule. Je hache finement deux échalotes, un petit oignon et trois gousses d’ail violet. Je cisèle deux brins de persil. J’écrase dans le mortier sur une bonne pincée de gros sel de l’île de Ré : une cuillerée à soupe de graines de coriandre, une autre de poivre blanc de Muntok, une petite cuillerée de fenugrec, une autre de baies Sansho et une pincée de piment d’Espelette. Je mets à tremper une poignée de la mie extraite du cœur d’un pain maison confectionné avec de la farine T80 en l’arrosant d’un demi-verre de balsamique blanc.

Je hache au couteau les tentacules et les laitances - pour ces dernières c’est plutôt de l’écrabouillage… Je fais dégringoler le résultat sur la chair à saucisse. Je complète avec les végétaux hachés, la mie de pain dégoulinante. Je parfume du contenu odoriférant du mortier. Je fais tomber quelques feuilles d’une branche de thym. Je brasse grossièrement à la spatule. Enfin je casse un œuf bio dans une coupelle provisoire que je déverse au creux du mélange. Il ne me reste plus qu’à me retrousser les manches et d’une main à la fois ferme et délicate pétrir et repétrir…

Et voilà, j’ai ma belle farce qui viendra gonfler les manteaux des bébêtes !

encornets farcis
Une bonne farce pour les malotrus


Et voilà, les encornets ont pris du ventre... 

encornets farcis
Repus, la nageoire au vent

...façon Fernandel dans le film François 1er.


Je les réserve sur une plaque pendant que je sors la cocotte en fonte où se déroulera leur cuisson et prélève deux bocaux de coulis de tomates du jardin de ma réserve.

J’y verse une cuillerée d’huile d’olive et une noix de beurre. Je pose sur la flamme pour faire revenir quelques instants les encornets sur toute leur surface, puis ajoute le reste de la farce - une grosse cuillerée - qui n’a pas pu être intégré dans les manteaux. Je recouvre du contenu des deux bocaux, verse de l’eau à hauteur. Une feuille de laurier, une branche de thym, une sommité fleurie de romarin, une pincée de piment d’Espelette, et je coiffe du couvercle.

La cocotte restera presque deux heures sur une petite flamme, avec des retournements réguliers des calamars, jusqu’à ce que le liquide soit réduit jusqu’à l’obtention d’une consistance proche du ragù italien. Je peux alors éloigner la cocotte du feu et rectifier l’assaisonnement.

À table ! Au frigo ! Sous vide…

En effet je renvoie la dégustation au lendemain, le temps que de subtiles osmoses perfectionnent les flaveurs.


Eh bien nous y voici. Je réchauffe mes encornets au micro-ondes, meilleure façon d‘obtenir la température à cœur sans trop continuer à réduire la sauce.

Pendant cette opération je plonge les gnocchis que j’ai eu la flemme de préparer - la maison Pasta Piemonte l’a fait pour moi - dans une grande casserole d’eau bouillante salée. Dès qu’ils remontent à la surface, je viens les pêcher à l’aide d’une araignée pour les reléguer provisoirement dans un saladier où une noix de beurre fondue les empêchera de se coller entre eux.


Tout est prêt pour le dressage. Non, pas tout à fait : les encornets forment un trio, je dois donc en partager un en deux pour une répartition équitable entre les deux assiettes. Cette section longitudinale vient s’appuyer sur la pièce entière. Je dispense à profusion ma sauce rutilante. Des gnocchis viennent tenir compagnie à cette association terre mer. Un léger trait d'une excellente huile d'olive de Provence ajoute un peu de brillant, une pluie de persil ciselé rafraichit le paysage.

encornets farcis
Je me les suis farcis, comme promis


Au frigo ! À table ! Et dans l’estomac - avec la bénédiction des papilles


dimanche 18 avril 2021

Le cercle des cervelles disparues

Écrire sur ma cervelle est un vrai casse-tête. Enfin, ma, pas la mienne, plutôt celle d’un veau dont la fraîcheur m’avait fait de l’œil depuis l’étal du boucher remplaçant de tripier disparu. Enfin, la fraîcheur, pas celle du veau, seulement celle de sa cervelle faisant désormais bande à part.

Bref, je m’embrouille dans cette présentation. Il faut dire que les questions se bousculent dans ma cervelle - cette fois-ci bien la mienne, pas celle du veau. Je me demande pourquoi il arrive que l’on dise que tel homme est un cerveau, et jamais que telle femme est une cervelle - grain à moudre offert gratos dont je ne serai jamais remercié par les féministes. Je me demande si les tortues ont un cerveau lent, et ce que le cerveau de veau vaut. Je me demande pourquoi chez l’homme (y compris la femme…) c’est l’œil qui peut être au beurre noir, alors que chez le veau c’est la cervelle.

Ce qui me permet d’enchaîner rapidement. Ce n’est pas au beurre noire que j’ai préparé cette jolie pièce tripière, mais au beurre noisette, ce qui me vaudra la bénédiction des hygiénistes et une seconde quarante-huit centièmes de plus à vivre si les petits covids ne me mangent pas… Voici donc ma recette :

Je laisse tremper la cervelle une heure dans de l’eau vinaigrée rafraîchie par quelques glaçons. Une fois la majorité du sang évacuée, je la rince bien, retire à la pointe du couteau les rares caillots restant. Je la plonge une minute dans une casserole d’eau bouillante salée afin de la blanchir, ce qui me permet à la sortie d’effectuer une opération de peeling digne des meilleurs instituts de beauté. Un petit coup de papier pour l’assécher, une découpe, et je me livre à une opération de que j’te roule dans la farine digne des meilleurs politiciens.

Je fais fondre une grosse noix de beurre demi-sel dans une poêle, y allonge les tranches de cervelle et ajoute quelques dés de pain prélevés d'une baguette au traditionalisme vantard. Et ça dore sur feu moyen dans le beurre mousseux. Au bout de sept ou huit minutes, je constate par la résistance à la pression de mon index que la cervelle est cuite. Je la retire de la poêle pour la déposer sur une assiette - je dis bien une, car mon épouse n’a pas de cervelle, tout au moins ce jour, tel est son choix. Elle est rejointe par les cubes croustillants. Elle, la cervelle, pas mon épouse - il faudrait suivre quand même…!

Je verse une cuillerée de balsamique blanc dans la poêle, laisse réduire avant d’arroser mon assiette de cette sauce sirupeuse. Je fais tomber un tour de moulin de poivre blanc de Penja et un autre de noix de muscade entre les morceaux afin de ne pas en souiller la surface. Je finis en parsemant de deux cuillerées de câpres.

cervelle de veau, beurre noisette
Ma cervelle

Je me régale. Tant pis pour madame, elle ne sait pas ce qu’elle perd.


Le lendemain je croyais en avoir fini avec ce veau quand on sonne à ma porte. C’est le veau décervelé.

«  Z’auriez pas vu ma cervelle ? Je la cherche partout et l’on m’a dit qu’elle était chez vous.

-  Ici ? Pas du tout. D’ailleurs vous pouvez constater, pas la moindre trace de cervelle chez moi…

-  Ça c’est sûr… »

Non mais, c’est qu’il devient désobligeant, cet ado bovin acéphale ! Néanmoins je me maîtrise et taille un bout de bavette avec lui.

«  Alors comme ça, on est distrait, on ne sait plus où l’on a laissé sa tête ?

-  Ah ben non, on me l’a prise à l’insu de mon plein gré.

-  C’est ce que l’on appelle piquer une tête.

-  Remarquez, la cervelle, ce n’est pas ce qui me manque le plus, je ne m’en servais guère… Mais la langue ! Depuis je n’ai plus goût à la vie et je rumine dans mon coin.

-  Comme je vous comprends… »

Je l’ai raccompagné vers la porte, et il est parti, pleurant comme un veau.

J’ai profité du fait qu’il n’avait pas toute sa tête pour prélever deux belles escalopes, sans remords : il n’était plus à ça près.

Elles ont fini assaisonnées de fleur de sel dans une poêle, mises à dorer - d’abord à feu vif puis doucement - au milieu d’un mélange de beurre et d’huile d’olive où j’avais mis à infuser auparavant des lambeaux d’une feuille de laurier, quelques feuilles de sauge, une branche de thym, des zestes de citron. À la fin de la cuisson j’ai déglacé avec le jus d’un citron.

escalopes de veau, citron
Le cercle des escalopes apparues


Ce veau avait bien fait de se rendre chez moi.

Et je me félicite de mon tact. J’allais lui conseiller d’aller signaler le vol dont il avait été victime place Beauveau, à la CCD (Cercle des Cervelles Disparues) mais je me suis retenu. Le mauvais esprit à quand même ses limites !





lundi 12 avril 2021

Hors pack

J’avais mentionné les assiettes concluant la journée du 1er avril par ce bref paragraphe :

Ce soir, œufs au plat et morilles… Mais ceci est une autre histoire !

Le pack de Pâques étant refermé, il faut bien que je la raconte, cette histoire…

Culinairement, ce sera bref. Je me suis contenté de confire des morilles fraîches dans un bain de beurre mousseux avant de les disposer tel un rond de sorcière dans la clairière de mon assiette, voisinant des tranches fines de ventrèche que j’avais jetées à sec dans une poêle bien chaude afin de les rendre croustillantes. Ne restait plus qu’à faire glisser un œuf au plat depuis la petite poêle à blini, donner un tour de moulin de poivre rouge, parsemer de ciboulette ciselée et apporter la fraîcheur d’un brin de pimprenelle venant d’arriver du jardin…

morille, ventrèche croustillante
Promenons-nous dans l'assiette...

En revanche il y aurait beaucoup à dire sur la disparition des haies au sein des campagnes, sur ces chemins de fer ruraux où le désherbant a remplacé le cantonnier avant qu’ils ne se reconvertissent in fine en voies dites vertes où l’on pédale au sein d’une végétation bien apprivoisée et étiquetée ad usum turisti, sur ces forêts aux sentes aménagées afin de faciliter le passage des 4x4 fumigènes où trônent les simili chasseurs cotisants… Et c’est ainsi que cette année les étals exhibent de malheureuses morilles, françaises certes, mais d’élevage, faisant subir à cette reine des buissons le même sort qu’aux esturgeons, saumons, bars, etc, qu’aux cerfs, sangliers, faisans, cailles, etc, pour revenir sur terre. Mais ceci est une autre histoire !


Un second mets peut être relié à ce pack, bien qu’il n’ait pas fait partie des repas pascaux*

Il s’agit d’un foie gras mariné au vin rouge. Encore hésitant sur l’élaboration du repas de Pâques, j’en avais fait l’acquisition pour figurer en entrée triomphante avant d’avoir le courage de me lancer dans la confection d’un pâté en croûte maison.

Son entrée en scène fut donc repoussée à un futur banal dans sa date s’il ne l’était pas par sa qualité.

On aurait pu penser que cet habitué de festivités s’en fut offusqué. Mais non, il est resté de marbre… 

marbré de foie gras au vin rouge
Un bel et bon Bordelais

La classe !


* Littré : L’Académie dit que le pluriel pascaux n’est pas usité. Trévoux, Gattel, Boniface et Laveaux sont d’avis qu’on peut très bien dire des cierges pascals. Il vaut mieux dire pascaux, qu’on trouve d’ailleurs dans l’historique.