C’est de ma faute : je n’aurais jamais dû le
barbouiller, ce malheureux poulet. Franchement, il était en rogne quand je l’ai
mis dans le four.
« Aucun respect ! D’habitude, un poulet, il a
droit à des échalotes, des quignons de pain frottés à l’ail, voire des petits-suisses
pour emplir son petit bedon. Après l’avoir massé avec un bon beurre aux
fragrances champêtres, on l’allonge sur un lit douillet et parfumé d’herbes du jardin
qu’un verre d’eau fraîche empêche de faner. Autour de lui, l’on dépose quelques
gousses d’ail, petits oignons blancs et sifflets de carotte. Moi, rien de tout
ça : dans le bide, juste une feuille de laurier et une branche de thym qui
me gratouille, et au lieu de la couche confortable, on m’enfonce un gros machin
dans le cul au-dessus d’un champ de patates. Et, cerise sur le gâteau, on me
barbouille d’une poudre suspecte qui me transforme en sioux d’opérette ! La
seule chose positive, c’est que le four est froid, ce qui me convient bien… »
Eh oui, dans un élan incontrôlé que je ne m’explique guère, car
un de mes plaisirs devant mon fourneau est de concocter le mélange d’épices qui
sera le plus apte à s’accorder avec les produits que je cuisine, j’ai fait l’acquisition
d’un assemblage pour poulet rôti.
Sans doute par curiosité… Alors de ce malheureux poulet sacrifié pour ce test je puis comprendre le dépit.
Je l’ai quand même arrosé d’un filet d’huile d’olive et j’ai déposé quelques noix de beurre sur les pommes de terre grenailles où se perdent
trois petits oignons blancs nouveaux et un brin de persil. Mais, le pauvre, je
lui réserve maintenant une mauvaise surprise : je règle le thermostat du
four à la température de 170 °C avant d’au bout d’une heure monter à 180 °C
non pas tant pour parfaire une coloration qu’il a déjà obtenue par le biais de
mon barbouillage que pour apporter du croustillant à la peau.
La cuisson doit être terminée, j’ouvre la porte du four.
Je pleure de le voir si laid en ce miroir |
Parfait, il a l’air bien cuit, si ce n’est que sa peau s’est
déchirée à un endroit que j’avais déjà repéré à cru. Le volailler, par un coup
de chalumeau malheureux durant le flambage épilatoire, y avait fragilisé la
peau en créant deux petits cratères circulaires aux bords roussis. Décidément
les artisans ne sont plus ce qu’ils étaient…
Gros sur la patate |
Quand je soulève mon poulet pour l’enlever de son support,
une voix d’outre-tombe m’invective.
« Ô trahison ! J’ai vu ma fraîche prison se transformer
lentement en fournaise. Mes congénères ne sont pas coutumiers d’une telle
sournoiserie, pour eux, ce n’est qu’une surprise momentanée, brutale mais brève,
pour moi c’est une lente descente en enfer, insupportable… Que ne suis-je de
Bresse, je ne subirais pas ces vilenies ! »
Je le laisse déverser son sac dégoulinant de jalousie mal
placée pendant que je retire mes pommes de terre du fond du plat de cuisson pour
les disposer sur celui de service. Je verse la sauce rougeâtre dans une
saucière chauffée par un passage emplie d’eau au micro-ondes. J’y ajoute
quelques tours de moulin de poivre noir de Sarawak.
Au jus là dedans ! |
Je place le barbouillé sur la planche et brandis mon couteau.
« Tu es mon Seth, je suis ton Osiris ! »
Maintenant, il délire…
« Je t’attends Isis. N’oublie pas mon sot-l’y-laisse ! »
Tu fais bien de me le rappeler. J’allais omettre de me
gratifier de cette récompense du cuisinier.
La jalousie du barbouillé, scène finale |
Hum c’est qu’il est bon, ce barbouillé. Mais pas exceptionnel.
Ce mélange de paprika, ail, sel, thym, romarin et piment de Cayenne n’a rien de
transcendant. Certes il permet de ne pas acheter séparément les ingrédients, mais
comme de toute façon je les ai déjà dans mes réserves d'épices ou même dans mon jardin, ça ne m’apporte rien. Et
j’imagine la tristesse de manger chaque fois un poulet imprégné de parfums identiques. Un jour sans fin faim où le poulet remplace la marmotte...
Une question : que vais-je faire du reste de la boîte ?
Il va falloir se montrer créatif pour inventer un détournement !