mercredi 21 avril 2021

Je me les suis farcis

Il y a peu, j’ai eu une prise de bec avec trois encornets mal embouchés.

Bon, je le reconnais, c’est un peu de ma faute. Je les ai amenés chez moi sans leur demander leur avis, tout ça sur leur bonne mine… Et ils n’étaient pas contents. « Même pas un lit pour chacun ! Qu’est-ce que cette piaule miteuse sans vue sur la mer ? »

Ils sont allés jusqu’à dire que le tenancier de cette auberge rouge - c’est-à-dire moi - avait la gueule patibulaire d’un récidiviste de l’encornicide, j’ai répliqué par un méprisant « Va donc, eh, ententaculé » qui m’a valu un insultant « Vieux manche à gigot ! ». Après qu’humain et céphalopodes se fussent adressé moult noms d’oiseaux, j’étais vraiment énervé et je n’ai pu m’empêcher d’éructer : « Ah non, ras la casquette, je vais me les farcir ! »

C’est ce que j’ai fait.


Je me saisis des insolents, et zou, je tire sur les têtes dont les yeux globuleux me narguent. Tripes et boyaux suivent. Je prélève les laitances - confirmation de leur virilité - que je réserve. Je tranche pour séparer les tentacules qui rejoignent les laitances après avoir été bien rincés sous un jet d’eau pour évacuer les minuscules grains de sable qui pourraient subsister au creux des ventouses. Je débarrasse ensuite les manteaux et les nageoires de leur peau grise, encore un bon coup de jet, et je plonge le tout dans l’eau glacée et citronnée d’un bac.

Je passe à la confection de la farce. Je dispose de 300 g de chair à saucisse que je verse au fond d’un cul-de-poule. Je hache finement deux échalotes, un petit oignon et trois gousses d’ail violet. Je cisèle deux brins de persil. J’écrase dans le mortier sur une bonne pincée de gros sel de l’île de Ré : une cuillerée à soupe de graines de coriandre, une autre de poivre blanc de Muntok, une petite cuillerée de fenugrec, une autre de baies Sansho et une pincée de piment d’Espelette. Je mets à tremper une poignée de la mie extraite du cœur d’un pain maison confectionné avec de la farine T80 en l’arrosant d’un demi-verre de balsamique blanc.

Je hache au couteau les tentacules et les laitances - pour ces dernières c’est plutôt de l’écrabouillage… Je fais dégringoler le résultat sur la chair à saucisse. Je complète avec les végétaux hachés, la mie de pain dégoulinante. Je parfume du contenu odoriférant du mortier. Je fais tomber quelques feuilles d’une branche de thym. Je brasse grossièrement à la spatule. Enfin je casse un œuf bio dans une coupelle provisoire que je déverse au creux du mélange. Il ne me reste plus qu’à me retrousser les manches et d’une main à la fois ferme et délicate pétrir et repétrir…

Et voilà, j’ai ma belle farce qui viendra gonfler les manteaux des bébêtes !

encornets farcis
Une bonne farce pour les malotrus


Et voilà, les encornets ont pris du ventre... 

encornets farcis
Repus, la nageoire au vent

...façon Fernandel dans le film François 1er.


Je les réserve sur une plaque pendant que je sors la cocotte en fonte où se déroulera leur cuisson et prélève deux bocaux de coulis de tomates du jardin de ma réserve.

J’y verse une cuillerée d’huile d’olive et une noix de beurre. Je pose sur la flamme pour faire revenir quelques instants les encornets sur toute leur surface, puis ajoute le reste de la farce - une grosse cuillerée - qui n’a pas pu être intégré dans les manteaux. Je recouvre du contenu des deux bocaux, verse de l’eau à hauteur. Une feuille de laurier, une branche de thym, une sommité fleurie de romarin, une pincée de piment d’Espelette, et je coiffe du couvercle.

La cocotte restera presque deux heures sur une petite flamme, avec des retournements réguliers des calamars, jusqu’à ce que le liquide soit réduit jusqu’à l’obtention d’une consistance proche du ragù italien. Je peux alors éloigner la cocotte du feu et rectifier l’assaisonnement.

À table ! Au frigo ! Sous vide…

En effet je renvoie la dégustation au lendemain, le temps que de subtiles osmoses perfectionnent les flaveurs.


Eh bien nous y voici. Je réchauffe mes encornets au micro-ondes, meilleure façon d‘obtenir la température à cœur sans trop continuer à réduire la sauce.

Pendant cette opération je plonge les gnocchis que j’ai eu la flemme de préparer - la maison Pasta Piemonte l’a fait pour moi - dans une grande casserole d’eau bouillante salée. Dès qu’ils remontent à la surface, je viens les pêcher à l’aide d’une araignée pour les reléguer provisoirement dans un saladier où une noix de beurre fondue les empêchera de se coller entre eux.


Tout est prêt pour le dressage. Non, pas tout à fait : les encornets forment un trio, je dois donc en partager un en deux pour une répartition équitable entre les deux assiettes. Cette section longitudinale vient s’appuyer sur la pièce entière. Je dispense à profusion ma sauce rutilante. Des gnocchis viennent tenir compagnie à cette association terre mer. Un léger trait d'une excellente huile d'olive de Provence ajoute un peu de brillant, une pluie de persil ciselé rafraichit le paysage.

encornets farcis
Je me les suis farcis, comme promis


Au frigo ! À table ! Et dans l’estomac - avec la bénédiction des papilles


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