lundi 8 mars 2021

Pas veau, mais raie vaut veau

Pas veau, mais tonnato quand même.

Quand j’ai vu l'épaisse tranche de raie découpée par le poissonnier, j’ai eu envie de la traiter autrement qu’une de ces ailes que je déguste le plus souvent à la grenobloise ou même tout simplement arrosées de beurre fondu citronné.

L’idée m’est alors venue d’en servir la chair froide recouverte de cette savoureuse sauce au thon qui relève si bien les fines feuilles de veau froid dans le vitello tonnato.

Le lendemain de l’achat de la raie - ce poisson est meilleur légèrement maturé… - je me lance dans la préparation qui me trotte dans la tête.

Je commence par la cuisson à la vapeur de mon aile de raie.

Dans le bac récepteur d’eau j’ajoute un demi-citron dont j’exprime un peu de jus. Dans le bac perforé j’allonge mon aile de raie assaisonnée de beaucoup d’épices afin de lui insuffler suffisamment de caractère pour n’être pas dominée par la sauce : après une chute de gros sel sur les deux faces, j’ajoute baies de la Jamaïque, poivre long, poivre de cubèbe, clous de girofle et, côté herbes, feuilles de laurier, thym, sauge.


raie, sauce tonnato
L'aile du désir

Je programme un quart d’heure de cuisson.

Je décoiffe, la raie semble cuite à point.

raie, sauce tonnato
Un coup dans l'aile


Quand j’enlève les peaux et décolle la chair des cartilages, j’obtiens la confirmation de cette réussite.

Je réserve ma chair de raie au sein d’un récipient que je place au frais. Ce n’était pas la meilleure idée du jour, comme l‘avenir me le prouvera…

raie, sauce tonnato
Zou, en boîte !

Puis je transvase une partie de l’eau ayant recueilli les retombées de la cuisson dans une petite casserole. J’y dépose une petite cuillerée de fond de veau en pâte, porte à ébullition et laisse réduire une dizaine de minutes. Une fois refroidi, je réserve au frais.

Je prépare deux œufs durs dont je prélève les jaunes.

Tous les ingrédients sont bien froids. Je peux passer à la confection de la sauce tonnato.

Dans mon minipréparateur je verse :

- le contenu d’une boîte de 160 g de thon germon à l’huile d’olive de la conserverie La belle iloise

- la moitié d’une petite boîte de 50 g de filets d’anchois à l’huile de la marque Micéli

- deux jaunes d’œufs durs

- une cuillérée de câpres au vinaigre

- le jus d’un citron vert

- un petit verre de ma réduction d’eau de cuisson de la raie avec le fond de veau

- quelques tours de moulin de poivre rouge de Kampot.

Après une succession d’impulsions tant dans la fonction moulin que dans la fonction mixeur j’obtiens une onctueuse crème parfumée.

Que je continue à monter en ajoutant des traits d’une huile d’olive que j’ai choisie bio mais sans grand caractère car elle n’est pas là pour jouer les stars - une Carapelli que j’utilise principalement pour la cuisson.


Bon, ma sauce est parvenue à la consistance souhaitée, je peux passer au montage des assiettes.

Et c’est là que je me rends compte de ma sottise : en se refroidissant, mes prélèvements de chair de raie se sont raidis et agglomérés, collés qu’ils sont par leur gélatine. Impossible d’étaler côte à côte les filaments bien alignés comme j’ambitionnais de le faire.

Je dois me contenter de disposer tant bien que mal des morceaux plus ou moins disparates au milieu de mes assiettes. Je me console en me disant que ce n’est pas trop grave, car le goût ne sera pas pour autant modifié, et que de toute façon la sauce viendra masquer la construction. Néanmoins, je n’aurai pas la surface plane s’approchant de celle caractérisant le vitellin tonnato. C’est d’autant plus stupide que, comme il s’agit d’un plat froid, j’aurais pu placer immédiatement sur l’assiette la chair de raie encore chaude et souple, et même, au besoin, égaliser avec un aplatisseur. Je le saurai pour la prochaine fois - s’il y en a une…

Je ne dois pas baisser les bras dans mon entreprise pour autant. Comme pour le plat classique, après avoir nappé de sauce tonnato, je parsème de câpres et dispose un quintet de caprons.

Caprons… C’est fini ? Que nenni, suit un trio de larges feuilles de persil plat. Une pincée de piment d’Espelette tombée en pluie vient cerner le tout, prête à s’offrir pour relever une bouchée.

Et je termine en plantant victorieusement au sommet le drapeau d’une mince tranche de citron vert.

raie, sauce tonnato
Raie tonnato


L’association fonctionne très bien. Il y aura peut-être une prochaine fois…


jeudi 4 mars 2021

La Falette, nous voilà !

Ce soir, je voulais me libérer des tâches culinaires.

Heureusement La Falette avait débarqué. Sous forme de deux belles tranches que j’ai déposées sur une poêle, les laissant dorer baignées de beurre - lui aussi auvergnat - dans un joyeux grésillement.

Mon seul travail fut d’ouvrir la prison glaciale où La Falette était incarcérée et de permettre à cette poitrine d’agneau gonflée de chair et de blette d’enfin respirer à l’aise en la débarrassant de son carcan.

falette


Pour l’accompagner, des lentilles sont arrivées de conserve.

Mon seul travail fut de les enrichir d’une noisette de beurre et d’un tour de moulin de poivre.


J’ai pris quand-même la peine de faire tomber une pluie de persil ciselé. J’ai obtenu ainsi sans peine deux sympathiques assiettes.


falette
Et d'une !

falette
Et de deux !


Je sais bien qu’avec La Falette mon talent de cuisinier n’épatera pas la galerie…

M’en fiche, nous nous sommes régalés !


dimanche 28 février 2021

Le complexe du calamar

Deux malheureux calamars qui venaient s’encanailler dans les bas-fonds bretons furent victimes des lazzi d’un méchant maquereau accompagné de ses aguichantes morues.

« Ah, qu’ils sont moches !

-  T’as vu leur coiffure avec leurs dreadlocks avachies d'albinos, ça craint.

-  Oh ça ce n’est rien, mais se balader avec une plume dans le cul, faut l’faire… »

Les calamars firent les fiérots, affirmèrent qu’ils s’en battaient les flancs, de ces âneries, mais l’on pouvait voir quand ils d’éloignèrent le dos voûté que ces sarcasmes les avaient atteints au fond de leur âme.

Ce soir-là ils pleurnichèrent en compagnie d’un maigre qui, après quelques vers, ne put s’empêcher de se lamenter de concert et de leur raconter sa vie avant de les conseiller…

« Mes pauvres amis, je sais quel est le triste destin des moches. Vous ne m’avez pas connu il y a quelques années. J’étais alors un gros thon accablé de quolibets - celui dont on se moque à chaque instant, que l’on ne cesse de mettre en boîte. Eh bien maintenant je suis maigre. D’où provient ce miracle ? Tout simplement d’un séjour dans la clinique du Docteur Piège à Paris Vous devriez consulter ce virtuose. Je sais que son bistouri magique a métamorphosé de vilains encornets dans votre genre

-  Comment ça, vilains ? Et calamars, s’il vous plaît, pas encornets. Pourquoi pas chipirons pendant que vous y êtes !

-  … a métamorphosé de susceptibles calamars en séducteurs italiens. Il n’y a qu’un problème…

-  Ah, lequel ?

-  Ben son établissement est fermé en ce moment.

-  Oh !

-  Mais ne désespérez pas, je connais quelqu’un qui pourra vous opérer, et pour beaucoup moins cher. Certes, c’est un amateur…

-  Aïe !

-  … mais on peut lui faire confiance.

-  Ouf ! »


C’est ainsi que ces deux calamars complexés se sont trouvé allongés sur mon billard.

calamars carbonara
Calamars endormis

Ils auraient mieux fait de s'allonger sur un divan...

Toutefois, après une longue et pénible opération, leur vœu était réalisé : ils étaient spaghetti.

Pendant qu’ils séjournaient en réanimation, j’ai concocté la préparation du Docteur Thoumieux, légèrement modifiée car je disposais de crème épaisse et non de crème liquide. J’ai fait infuser deux petits morceaux prélevés sur une tranche de lard séché portugais dans un verre d’eau bouillante en compagnie de deux gousses d’ail de Lautrec. Puis j’ai ajouté mon petit pot de crème épaisse et fait réduire à feu doux.

J’ai partagé le reste de ma tranche lusitanioporcine en petits lardons que j’ai fait dorer à sec sur une poêle jusqu’à ce qu’ils deviennent croustillants.

calamars carbonara
Ail, ail, petits lardons

J’ai arrosé mes Italiens fantoches d’un trait d’huile d’olive, les ai parsemés de sel fin, les ai secoués sans brutalité sur leur couche avant de les laisser à peine deux minutes sous les résistances rougeoyantes du grill.

calamars carbonara
Relookés en spaghetti

Cuits de peur, comme le dit le bon Piège…


Je les ai mélangés avec la sauce, les lardons, de la ciboulette du jardin ciselée et force tours de moulin de poivre rouge. Je les ai répartis sur deux assiettes, enroulés comme les spaghetti qu’ils n’étaient pas vraiment. J’ai creusé un petit nid au centre de l’éminence, où j’ai placé un jaune d’œuf. Quelques coups de pilon dans mon mortier m’ont permis d’obtenir du poivre rouge concassé grossièrement. J’en ai déposé une pincée sur chaque œuf. J’ai terminé en râpant un cube de parmesan dont les filaments sont venus tapisser ces calamars à la carbonara.

calamars carbonara
Calamars carbonara


Mission accomplie !

Et pourtant, le croirez-vous, je n’ai jamais reçu les honoraires de mes patients impatients de se voir enfin beaux… L’ingratitude est de ce monde !

Alors je me suis payé sur la bête…


jeudi 25 février 2021

Deux boeufs

 Les bœufs se succèdent, mais ne se ressemblent pas…


Le premier, c’est un bœuf de race Aubrac apparu sur ma table sous forme d’une belle côte de 1,7 kg taillée par la maison Conquet.

côte d'Aubrac
Avec son string

Je l’ai accompagnée d’un gratin de cardon à la moelle.

Gros travail que de préparer le pied de cardon arrivé du jardin. Son ficelage sous un carcan de cartons destiné à réprimer sa verdeur naturelle avait déjà entraîné quelques blessures car le bougre n’entendait pas se laisser faire, puis son arrachage et son transport ont prouvé une nouvelle fois sa nuisance. Et si maintenant j’avais carde blanche, ce n’est pas pour autant que ce légume avait perdu de son animosité. Alors, emprisonnant précautionneusement chaque branche d’une main protégée par une épaisse manique, j’ai cassé successivement à la base ces côtes hérissées de piquants, puis les ai privées de leurs épines à l’aide d’un couteau économe, enfin je les ai soigneusement épluchées jusqu’à disparition des grosses fibres de surface. La plaisanterie m’a pris plus d’une heure avant que je ne puisse trouver côté bassine des petits rectangles de cardon bien tendres baignant dans l’eau citronnée et côté plaque à débarrasser un gros tas de filasses plus ou moins barbelées.

Ouf, par miracle j’avais réussi à ne pas me piquer. Ouais, c’était compter sans un geste bêtement instinctif qui m’a fait repousser quelques débris restés sur le pan de travail du revers de la main. SOS pince à épiler…

Re ouf, là c’est bon, je peux passer à la cuisson.

Je blanchis mes découpes de cardon en les plongeant durant une douzaine de minutes dans l’eau bouillante et citronnée. Je les égoutte soigneusement et les transfère dans un plat en fonte dont j’avais beurré le fond et les côtés.

cardons à la moelle
Cardons déchardonnés

Je dispose de six os à moelle. Je les poche cinq minutes dans l’eau bouillante. Je peux désormais me lancer dans la confection d’un roux : dans une casserole je fais fondre une grosse noix de beurre manié avec le même poids de farine. Je verse une bonne louchée d’eau de cuisson du cardon, d’une seconde louchée de l’eau de pochage des os à molle. J’obtiens une sauce blanche que je rehausse de quelques tours de moulin de poivre rouge et d’un soupçon de muscade râpée.

J’en recouvre les cardons.

cardons à la moelle
Bain sur les côtes

Mes os attendent sur une assiette. J’en extrais six blocs de moelle dont je partage le cylindre en deux. Je répartis ces disques sur le dessus du plat.

cardon à la moelle
Les douze moelles de l'année

Je termine en parsemant la surface de ce gratin en gestation d’emmenthal que je viens de râper et j’enfourne à 180 °C pour une vingtaine de minutes avant de réserver.


Je passe à la cuisson de la côte de bœuf.

Je parsème la viande mise à température ambiante de fleur de sel avant d’en saisir toutes les faces - pas trop brutalement ! - sur un gril barbouillé d’une noisette de beurre pour la coloration. Puis je place la pièce à la verticale sur une plaque en inox, posée sur la face opposée à l’os. J’enfourne pour une demi-heure à 180 °C.

Je laisse ensuite reposer ma côte de bœuf sur la planche de découpe pendant que le plat de légume réintègre le four. 

côte de boeuf, Aubrac
Allez, à l'abordage de la côte !

Le gratin se remet à température pendant huit minutes, puis j’allume la résistance du gril qui va permettre de bien dorer la croûte d’emmenthal fondu. Trois minutes plus tard je sors le plat. Le gratin de cardons à la moelle est prêt à être partagé… 

gratin de cardon à la moelle
C'est le gratin

Je me tourne vers la côte de bœuf. Un petit coup de fusil à affûter sur le couteau, et je passe à la découpe. Je commence par détacher l’os. Je me le garde, je sens que je vais me régaler ! Puis je tranche quelques parts - celles du jour, car il y aura du rab pour le futur…

côte de boeuf Aubrac
Avec mon os à ronger

Effectivement je me régale, d’abord en rongeur de l’os, ensuite en carnivore brandissant sa proie au bout de sa fourchette. La cuisson me convient parfaitement ; et que cette viande est tendre et goûteuse ! De plus la graisse fondante dans la bouche fournit une bonne introduction vers le gratin de bœuf à la moelle… Un accompagnement délicieux aux petites notes d’artichaut bien plaisantes. Je ne me suis pas donné du mal pour rien !


Le second, c’est un bœuf de Bazas dont j’avais voulu me procurer une entrecôte de 700 g en cette période de fête du bœuf gras.

boeuf de Bazas
Bazadaise pas à l'aise

Las, si l’appellation est bien là, cette bête achetée à un éleveur d’Aurensan dans le Gers n’est pas une Grise de Bazas, mais une banale Blonde d’Aquitaine. Et surtout, quand je déballe cette prétendue entrecôte, je découvre une viande disloquée dont l’unité ne tient qu’à quelques ponts de graisse et surtout d’aponévrose. Bref, de l’ordre plutôt de la basse côte…

On verra bien. Je pose la viande, longuement reposée à température ambiante, sur une poêle pas trop chaude. Une fois saisie, je l’arrose régulièrement d’une grosse noix de beurre. Quelques minutes plus tard, j’allonge l’entrecôte sur la planche.

boeuf de Bazas
Encore plus moche cuite que crue

Résultat : impossible de couper des tranches présentables… Mais le pire, c’est qu’une fois les morceaux plus ou moins difformes placés dans les assiettes, il faut se battre contre eux. Les couteaux à steaks bien aiguisés ne viennent pas à bout des plaques fibreuses, ont même du mal avec la chair visiblement insuffisamment maturée. Comme pour les artichauts de Coluche, on se retrouve avec une assiette plus pleine en fin de repas qu’au départ, tant elle est envahie par les déchets, l’acier et les incisives ne venant pas à bout de cette carne !

Ah, il est beau ce bazadais qui n’a rien de gras si ce ne sont que quelques filaments visqueux au médiocre parfum ! Je jure, mais un peu tard, que l’on ne m’y reprendra pas.

Pour me consoler, je me jette sur la platée de frites dorées qui trône sur la table.

frites, Bintje, blanc de boeuf
J'ai la frite

Je l’ai confectionnée avec amour, des pommes de terre bintje et du blanc de bœuf.

Deux bains comme il se doit. Un premier à 130 °C, puis un repos d’une heure jusqu’à refroidissement, enfin un second de quatre minutes à 180 °C. À la sortie, une pluie de sel fin et de fleur de sel…

Las, ces frites se révèlent trop sucrées à cœur et pas assez croustillantes en surface à mon goût. Sans doute mes pommes de terre de race Bintje achetées au marché étaient trop vieilles. D’ailleurs elles étaient un peu molles quand je les ai taillées au couteau.

Il y a des jours comme ça, où le ciel vous est défavorable.


mardi 23 février 2021

Y en avait, du navet !

Ils sont venus, ils sont tous là : les frères Blanc arborant leur collet violet, les toutes dodues sœurs Boule d’or, les vertueux cousins Marteau. Ils se sont arrachés du jardin natal et envahissent ma cuisine.

Que faire de cette irruption navetesque ?

Aussitôt me vient l’idée de les acoquiner avec du canard ou de l’oie… Et ça tombe bien, au cours d’une revue de détail j’ai aperçu planqué dans un coin un bocal de confit d’oie, plus précisément une aile. Parfait !

Ma première tâche est d’éplucher les navets. Ce n’est pas le plus facile, car cette année les prédateurs s’en sont donné à cœur joie, et les légumes vétérans derniers rescapés de la campagne 2020 exhibent les témoins de leur âpre combat : plaies en sétons, cicatrices et autres balafres.

Enfin ça y est, je viens de terminer ma dernière opération chirurgicale : un Scarface patibulaire transfiguré en figure d’ange…

La Saint Valentin est passée, pourtant c’est le massacre : tout ce petit monde, Scarface compris, est tranché par mon couteau effilé puis finit dispersé dans une casserole d’eau bouillante. Pas de passe-droit, marteaux, boules d’or et blancs barbotent une douzaine de minutes dans le maelstrom avant d’être repêchés avec une araignée et réservés dans une bassine en inox.

J’ouvre le bocal de confit, extrais le confit de sa graisse. L’aile est déposée sur une poêle en acier bien chaude afin d’y dorer et croustiller sa peau tout en réchauffant sa chair. Il faudra une dizaine de minutes pour atteindre ce résultat.

confit d'oie, aile
Le puits de la case cuisson

Pendant que l’oie stationne sur la case cuisson avant de se poser sur la case assiette, je m’occupe des légumes. Des… Car, c’est bien connu à Hollywood, trop de navets tuent le navet. Aussi, après avoir paré les vedettes du jour j’avais nettoyé trois champignons de Paris et les avais découpés en tranches que j’ai citronnées. J’avais également dans mon élan épluché une pomme reinette pas très mûre avant de la partager en huit et de frotter ces parts avec le demi-citron pressé utilisé pour conserver aux agarics cavernicoles leur pâleur aristocratique.

Je m’empare d’une seconde poêle, antiadhésive quant à elle. Je la place sur un feu moyen et y verse une cuillerée de graisse d’oie prélevée du bocal de confit. Je fais tomber dans cette graisse crépitante mes découpes de champignons de Paris. Deux minutes plus tard succèdent les morceaux de navets. Je laisse cinq minutes sur le feu en brassant de temps à autre après avoir parsemé d’une pincée de fleur de sel. En dernier lieu j’ajoute les tranches de pomme, arrose d’une cuillerée de balsamique blanc et parfume d’une petite cuillerée rase de cinq-épices. Je hausse la flamme pour faire réduire le vinaigre. Il ne reste au fond de la poêle qu’un peu de liquide sirupeux commençant à caraméliser Un tour de moulin de poivre blanc de Penja et un autre de noix de muscade, et c’est prêt.

poêlée de navets
Marteau, boule d'or, blanc à collet violet


Comme chaque fois que l’on improvise une recette, il y a lieu de s’interroger sur la qualité du résultat. Un peu anxieux, je goûte. Eh bien l’alliance des parfums fonctionne à merveille. Les légumes sont tendres mais ont conservé de la tenue - même la si fragile reinette ne tombe pas en compote. Enfin la pointe d’acidité nous permet de ne pas dévaler la pente graisseuse où nous pousse le volatile gavé à souhait.

Non, non, je ne cherche pas des compliments. Je les ai déjà eus !


dimanche 21 février 2021

Ichtyophagie récidiviste

Ces derniers jours je fus victime de deux crises d’ichtyophagie.


La première fut guérie par l’administration orale d’une blanquette de joues de lottes.

J’ai préparé moi-même cette potion. Elle comprenait, outre une dizaine de joues de lottes, une carotte et un oignon doux taillés en paysanne, ainsi qu’une pincée de tranches de cèpes séchés.

Ces plantes jetées dans une sauteuse en cuivre furent recouvertes d’eau et placées sur le feu. J’ai fait plonger dans ce bouillon un bouquet garni comprenant laurier, thym citronnelle et persil, suivi d’une pincée de sel et un clou de girofle. Quand la carotte a pu révéler sa tendreté sous la pointe d’un couteau, j’ai ajouté les joues de lotte. Après quatre minutes à frémissement, j’ai lié avec une pincée de fécule de maïs et un jaune d’œuf battu avec un petit pot de crème. Quand ce mélange a épaissi à feu doux, il ne me restait plus qu’à retirer le bouquet garni, donner un tour de moulin de poivre blanc de Muntok et vivifier avec un trait de jus de citron vert avant d’apporter sur la table à côté d’un petit saladier de riz thaï à la créole.

blanquette de joues de lottes
Que de blanc !

Comme ma compagne avait été contaminée par mon accès d’ichtyophagie, elle a partagé ce traitement avec moi…


Las, il n’a fallu guère de temps pour que je fisse une rechute.

Qu’à cela ne tienne, c’était l’occasion de recourir à une nouvelle pharmacopée. On ne peut plus simple : des sardines à l’état brut uniquement parsemées de fleur de sel de l’île de Ré…

Je les ai cautérisées vivement sur un gril strié.

sardines grillées
Sardines à la parade en ordre serré

Ces poissons retirés à la pince et placés sur un plat en inox offraient un traitement idéal pour mon ichtyophagie contagieuse une fois les bêtes parsemées de poivre rouge de Kampot…

sardines grillées
Elles me regardent d'un sale oeil

Nous avons débarrassé ces sardines, transférées une par une dans nos assiettes, de leurs arêtes et de leur tripaille pour en déguster les filets accompagnés de tartines : une tranche de beurre demi-sel sur une noisette de pain.

Après cette médication, l’ichtyophagie était vaincue - au moins provisoirement, car cette fièvre quartaine n’est pas exempte de récidive, ce dont je ne me plaindrai point car j’avoue que ces crises itératives me procurent un certain plaisir dans leur thérapie.


vendredi 19 février 2021

Nous sommes kit

 Il est de plus en plus courant de proposer aux acheteurs des kits de produits à cuisiner pour l’élaboration d’un plat, voire d’un repas. La démarche n’est pas absurde, car elle évite à l’acheteur de se disperser en quête de l’ensemble des éléments de sa recette et, dans le cas d’un achat en ligne, de minimiser les frais de ports. Bref, une bonne démarche de marketing qui repose aussi sur la paresse créative des marmitons domestiques.

En ce qui me concerne, je n’adhère guère à cette formule dans laquelle je me sens quelque peu entravé et qui supprime le plaisir principal de la cuisine : construire une recette à partir de souvenirs - traditions familiales, ex-festins urbains ou campagnards, lectures gourmandes, rencontres sialogènes diverses - ainsi que de recherches, tant dans les livres que sur la toile (on devine d’ailleurs dans les prépositions respectives le lieu où le résultat sera le moins superficiel…) ; puis préciser ce qui n’est d’abord qu’une vague esquisse en imaginant un processus détaillé tenant compte des contraintes du moment ; enfin passer à l’acte en se réjouissant de sa clairvoyance quand tout se passe bien, en se réjouissant de trouver une solution impromptue devant une difficulté imprévue, en se réjouissant d’en voir la fin quand tout se passe mal ; bref, quel qu’en soit le succès, pouvoir dire après cette mise en cène : ceci est mon plat.


Mais pour une fois…


Ne voulant pas crouler sous une avalanche de cerf, biche et sanglier, mais me refusant d’être soumis au diktat d’une box, aussi tentante soit-elle, j’ai choisi la solution de commander auprès de mon fournisseur de gibier alsacien favori Nemrod un rôti de biche dans le cadre d’un Dîner du chasseur ajoutant à cette viande fraîche des späztle sous vide préparées par un fermier traiteur du Haut-Rhin, un mélange de champignons forestiers lozériens égarés vers le Grand Est, mais aussi un saucisson de cerf en guise d’entrée et un confit d’airelles sauvage au chocolat assurant la fonction de dessert.

Bon, première initiative, je retire l’entrée et le dessert, qui iront au placard dans mes réserves.

Je commence par sortir le rôti de biché de son enveloppe et le dépose sur une plaque pour se recharger en oxygène et revenir à température ambiante.

rôti de biche
Ma biche bien ficelée

J’ouvre le sachet de champignons séchés. Il contient un mélange de chanterelles, bolets, girolles et trompettes-de-la-mort.


Je mets tout ce petit monde des sous-bois à tremper recouvert d’eau tiède.

Je profite de cette heure de mise en forme de mes ingrédients pour éplucher une carotte du jardin et la fendre en deux avant de la réserver dans un bac d’eau froide. Je cisèle une échalote, un petit oignon et une gousse d’ail. Je réserve aussi cette garniture aromatique.


C’est bientôt l’heure du repas. Je saisis le rôti de biche assaisonné de fleur de sel dans une poêle en acier sur un trait d’huile d’arachide et une noisette de beurre. Je baisse la flamme, ajoute mes bulbes ciselés, une feuille de laurier et un brin de thym. J’allonge mes deux partitions de carotte, les champignons réhydratés et leur eau de trempage filtrée. J’enfourne à 180 °C pour 20 minutes avec retournement du rôti à mi-cuisson.

Je sors le rôti qui, au toucher, me semble cuit comme je le souhaite, encore saignant à cœur. Je le laisse reposer sur une planche.

J’extrais la carotte que je réserve au chaud dans le four éteint.

Je déglace la poêle avec un verre de porto, ajoute une pointe de couteau de fond de veau en pâte, quelques gouttes de Tabasco Worcestershire. J’ajoute un pot de 25 cl de crème fraîche épaisse. Je laisse réduire à feu doux avec quelques tours de moulin de poivre noir et une pointe de quatre-épices.

Dans une seconde poêle je fais revenir les spätzle six minutes dans une noix de beurre comme prescrit.

Je passe à la découpe du rôti. Avec aisance. Que tu es tendre, ô, ma biche !

Le moment du dressage est arrivé. Tout d’abord les pâtes, puis une tranche de viande…

Je passe la sauce dans un chinois : d’un côté les champignons et la garniture aromatique fondue dont je retire le laurier et le thym, de l’autre la sauce crémée devenue sirupeuse.

Je dispose la partie solide à la frontière de la biche et des spätzle, j’arrose de sauce.

Zut, j’allais oublier la carotte qui se morfond dans le four ! Mais non, la voici étendue sur chaque assiette. Un tour de moulin de poivre rouge sur la viande, de noix de muscade sur les pâtes, quelques cristaux de sel de Maldon, enfin la banale mais incontournable touche du persil - le seul vert à ma disposition ce jour-là. Les assiettes sont prêtes à partir vers la table.

rôti de biche, spaetzlz, champignons
Deux assiettes : kit en double

La viande est savoureuse et d’une tendreté exemplaire. Les pâtes sont moelleuses et légèrement croûtées, aussi bonnes que des spätzle maison, il me faut bien l’avouer. La sauce est onctueuse et parfumée - trop parfumée même, ces champignons échappés de leur bois sont envahissants, la moitié du sachet aurait suffi largement pour l’équilibre du plat.

Eh oui, j’ai cru naïvement que la dose était calculée pour la préparation de ce Dîner du chasseur… Un chasseur sachant chasser sa biche, mais qui ne sait pas chasser son sachet de champis séchés…

Cependant, tout compte fait, ce n’est pas un désastre : je ne suis pas que kit tristement, une carotte de mon jardin est venue sublimer ce kit cuit - qui l’eut cru…