Deux malheureux calamars qui venaient s’encanailler dans les bas-fonds bretons furent victimes des lazzi d’un méchant maquereau accompagné de ses aguichantes morues.
« Ah, qu’ils sont moches !
- T’as vu leur coiffure avec leurs dreadlocks avachies d'albinos, ça craint.
- Oh ça ce n’est rien, mais se balader avec une plume dans le cul, faut l’faire… »
Les calamars firent les fiérots, affirmèrent qu’ils s’en battaient les flancs, de ces âneries, mais l’on pouvait voir quand ils d’éloignèrent le dos voûté que ces sarcasmes les avaient atteints au fond de leur âme.
Ce soir-là ils pleurnichèrent en compagnie d’un maigre qui, après quelques vers, ne put s’empêcher de se lamenter de concert et de leur raconter sa vie avant de les conseiller…
« Mes pauvres amis, je sais quel est le triste destin des moches. Vous ne m’avez pas connu il y a quelques années. J’étais alors un gros thon accablé de quolibets - celui dont on se moque à chaque instant, que l’on ne cesse de mettre en boîte. Eh bien maintenant je suis maigre. D’où provient ce miracle ? Tout simplement d’un séjour dans la clinique du Docteur Piège à Paris Vous devriez consulter ce virtuose. Je sais que son bistouri magique a métamorphosé de vilains encornets dans votre genre
- Comment ça, vilains ? Et calamars, s’il vous plaît, pas encornets. Pourquoi pas chipirons pendant que vous y êtes !
- … a métamorphosé de susceptibles calamars en séducteurs italiens. Il n’y a qu’un problème…
- Ah, lequel ?
- Ben son établissement est fermé en ce moment.
- Oh !
- Mais ne désespérez pas, je connais quelqu’un qui pourra vous opérer, et pour beaucoup moins cher. Certes, c’est un amateur…
- Aïe !
- … mais on peut lui faire confiance.
- Ouf ! »
C’est ainsi que ces deux calamars complexés se sont trouvé allongés sur mon billard.
Calamars endormis |
Ils auraient mieux fait de s'allonger sur un divan...
Toutefois, après une longue et pénible opération, leur vœu était réalisé : ils étaient spaghetti.
Pendant qu’ils séjournaient en réanimation, j’ai concocté la préparation du Docteur Thoumieux, légèrement modifiée car je disposais de crème épaisse et non de crème liquide. J’ai fait infuser deux petits morceaux prélevés sur une tranche de lard séché portugais dans un verre d’eau bouillante en compagnie de deux gousses d’ail de Lautrec. Puis j’ai ajouté mon petit pot de crème épaisse et fait réduire à feu doux.
J’ai partagé le reste de ma tranche lusitanioporcine en petits lardons que j’ai fait dorer à sec sur une poêle jusqu’à ce qu’ils deviennent croustillants.
Ail, ail, petits lardons |
J’ai arrosé mes Italiens fantoches d’un trait d’huile d’olive, les ai parsemés de sel fin, les ai secoués sans brutalité sur leur couche avant de les laisser à peine deux minutes sous les résistances rougeoyantes du grill.
Relookés en spaghetti |
Cuits de peur, comme le dit le bon Piège…
Je les ai mélangés avec la sauce, les lardons, de la ciboulette du jardin ciselée et force tours de moulin de poivre rouge. Je les ai répartis sur deux assiettes, enroulés comme les spaghetti qu’ils n’étaient pas vraiment. J’ai creusé un petit nid au centre de l’éminence, où j’ai placé un jaune d’œuf. Quelques coups de pilon dans mon mortier m’ont permis d’obtenir du poivre rouge concassé grossièrement. J’en ai déposé une pincée sur chaque œuf. J’ai terminé en râpant un cube de parmesan dont les filaments sont venus tapisser ces calamars à la carbonara.
Calamars carbonara |
Mission accomplie !
Et pourtant, le croirez-vous, je n’ai jamais reçu les honoraires de mes patients impatients de se voir enfin beaux… L’ingratitude est de ce monde !
Alors je me suis payé sur la bête…
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