C’est décidé, le beau tronçon d’aile de raie qui vient d’atterrir sur mon plan de travail, je la traiterai façon tradi. À la grenobloise.
Pas tout à fait cependant, car sa cuisson sera plutôt moderniste : lente à 80 °C.
Je dépose au fond du réceptacle à eau de mon cuiseur vapeur Dejelin
ma pièce de raie bien débarrassée du mucus gluant qui la tapissait.
Je la recouvre d’eau à effleurement. Le liquide dépasse le niveau maxi prescrit, mais ce n’est pas grave car il n’y aura pas d’ébullition… Je règle le thermostat et programme le minuteur sur 25 minutes. J’ajoute un demi-citron dont je presse le jus, une poignée de gros sel, deux feuilles de laurier, une branche de thym, une douzaine de baies de piment de la Jamaïque. Je place le rehausseur et le couvercle. Zou, c’est parti !
J’ai largement le temps de mettre à cuire les quatre pommes de terre de la variété Agata que je viens d’éplucher. Pendant que cette casserole vit sa vie le feu aux fesses, je m’empare d’un reste de pain fait maison, y découpe une tranche d’un centimètre d’épaisseur environ que je partage en petits carrés. Ces cubes de mie sont jetés au fond d’une petite poêle où fond une noisette de beurre Dès qu’ils sont bien imbibés et commencent à colorer, j’éteins la flamme et réserve.
Je passe à la préparation des dés de citron. Misère ! Le gros citron que j’ai choisi me laisse apparaître une peau hippopotamesque avec un zist d’une épaisseur impressionnante. Après avoir enlevé les douves du petit tonneau jaune que j’ai obtenu en tronçonnant les extrémités de cet agrume, puis séparé les suprêmes confinés entre des cloisons filandreuses et farcis de moult pépins, je récupère beaucoup moins de chair que je pouvais l’espérer vue la taille du fruit. La raison voudrait que je sacrifie un second citron, mais j’en ai ras le bol de m’évertuer à la désincarcération et à la chirurgie. Je ne suis pas le SAMU du citron, qu’on se le dise ! Alors je ferai avec…
D’autant plus que la sonnette du cuiseur vient de retentir. Je vérifie la cuisson de la pointe d’un couteau : c’est bon, je puis sortir mon tronçon de l’eau. Ma lame passe de raie en patate. Parfait, Agata est prête aussi.
Mais avant l'évacuation je repose ma poêle avec ses croûtons sur un feu moyen et y jette une grosse, une très grosse noix de beurre. Soit environ le tiers de ce paquet de beurre…
Quand ce beurre commence à colorer, je retire l’ustensile du feu et y verse la moitié d’un petit bocal de câpres. Et mes quelques misérables dés de citron 😕 .
Une araignée capture le tronçon de raie et le dépose sur une planche où je le dépouille de ses peaux.
Comme ce morceau est tout en longueur, je le partage en quatre selon une croix, obtenant deux morceaux épais et deux autres plus fins correspondant à l’extrémité de la voilure. Je les répartis équitablement entre deux assiettes, ajoute les pommes de terre et verse la sauce grenobloise sur la raie.
Le poissonnier a ajouté à son paquet un bouquet de persil frisé. Pourquoi ne pas disperser quelques feuilles arrachées aux tiges pour conférer un peu de verdure et de fraîcheur ?
Un tour de moulin de poivre rouge sur les pommes à l’anglaise, et les assiettes sont prêtes à gagner la table sacrificielle.
La raie avec des dés |
Repas gourmand où cette recette traditionnelle est encore meilleure avec ce process moderniste de cuisson de la raie. En effet la chair a conservé de la tenue, n’est absolument pas délavée, filandreuse ou/et presque crue au voisinage du cartilage - comme cela se produit trop souvent avec une cuisson traditionnelle dans un rondeau posé sur une flamme si l’on a mal évalué les températures et l’inertie. Résultat d'autant plus satisfaisant qu’il ne s’agissait même pas d’une raie bouclée…
Pas de surveillance et d’angoisse… Qui dit mieux ?
La recette de papa façon pépère… Ça me va !