Hélas, mes connaissances en langue basque sont quasi nulles, sinon j’aurais hésité avant de soulever la capsule qui scellait cette bouteille :
Pourtant, c’était bien inscrit sur l’étiquette :
Basa Jaun
Rien d’étonnant alors à ce que s’échappe du flacon magique un génie poilu dont la tête hirsute frôlait le plafond de ma salle à manger soudain devenue toute petite.
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Basa Jaun |
Ma première frayeur passée, je me suis réjoui. Le bougre n’avait pas l’air hostile, et même si j’entendais quelques grognements, je n'y ressentais rien d’inamical - pas plus que quand un Béarnais roule les r…
Youpi, j’étais l’Aladin postmoderne !!!
Je n’avais plus qu’à gérer mes vœux.
Premier vœu :
« Ô, bienveillant Basa Jaun devenu mon serviteur, ne prends en compte mes souhaits qu’après confirmation ! »
C’est vrai qu’avec une langue qui fourche ou une impulsion non contrôlée une catastrophe est vite arrivée….
Mais macache, je vois mon yeti des Pyrénées me regarder avec des yeux ronds. Ouais, restait quand même un problème de langage.
Une solution, le mime.
Je pointe un index vers ma bouche, remue les lèvres, puis dirige ce doigt vers lui, me colle la main en conque contre l’oreille - pourvu qu’il ne s’imagine pas que je vais entonner un chant folklorique- avant de frapper le sommet de mon crâne avec la paume.
Cet homme des bois est plus rapide d’esprit qu’il n'en a l’air. Il lève les bras vers le ciel et agite la tête dans une dénégation désolée.
Je hausse mes deux mains paume en avant à hauteur de torse pour exprimer que ce n’est pas grave et que je vais me débrouiller quand même. Il a compris, il opine du chef.
Je reformule mon vœu : je dirige à nouveau mon index vers lui pour qu'il comprenne qu'il s'agit de lui, tout en me mettant à genoux et en faisant des courbettes, puis je me désigne, exhibe une poigne serrée - je m’ébahis moi-même de l’autorité qui émane de moi -, enfin effectue une rotation horizontale de l’avant-bras droit pour suggérer les recommencements avant d’en quantifier le nombre par un index et un majeur brandis.
Là je ne suis pas certain qu’il ait compris toutes les subtilités de mon discours. En revanche son axe principal, si. Je le vois froncer les sourcils, puis reproduire le début de ma gestuelle, tel un miroir 3D, en différé et les poils en plus.
Force m’est de comprendre que la situation est toute autre que je ne me l’imaginais. C’est moi qui dois concrétiser les vœux du bon (?) géant qui me paraît désormais moins sympathique.
Mais voyons déjà ce qu’il souhaite...
Je lui fais signe que je l’écoute en portant ma senestre vers l’oreille.
Le monstre des Pyrénées me mime une escalade, puis une redescente. Ben oui, rien d’étonnant, c’est un montagnard, ça je le sais déjà. Mais il continue. De la pointe de ses deux index, il poursuit des larmes fictives qui coulent sur ses joues. Il place une main en visière comme un loup de mer qui scrute l’horizon. Il enchaîne en tanguant de droite à gauche, extrait une pincée de la salière qui se trouve sur la table à côté de lui, se la verse dans le gosier, puis refait mine de pleurer, terminant en levant les bras au ciel et en faisant non de la tête.
Je crois que j’ai pigé : il se plaint de n’avoir jamais vu l’océan. Je vais chercher une carte postale que j’ai reçue d’Audierne l’été dernier :
vue de la baie des Trépassés et l’agite sous son nez.
Son visage s’illumine, c’est bien ça.
Je le vois tourner un volant imaginaire. Il n’imagine tout de même pas que je vais l’emmener au bord de la mer, manquerait plus que mes sièges ne soient envahis de poils ! Je me retiens pour ne pas lui adresser un bras d’honneur, mais quand les monstres pyrénéens disent certaines choses, les citadins les écoutent. Et ils rusent. Je pose l’index sur mon front, prends un air complice en clignant de l’œil et lui fais signe d’attendre.
Quelque temps plus tard, je reviens avec du goémon et des huîtres que je me dépêche d’ouvrir, car je sens que mon Basa Jaun s’impatiente.
Ouf, quand j’arrive avec mon plateau je vois que son visage s’illumine...
Basa Jaun et les huîtres, c’est une histoire d’amour qui commence.