mardi 6 août 2019

Dorés ?

Beaucoup de choses peuvent être dorées : une jeunesse, une tranche de pain, Gustave, une tranche de livre, un faisan, la pilule, un bouton, Julien, la légende, le staphylocoque, un parachute, etc, etc, et même navant (mais c’est depuis peu…).
Je peux ajouter à cette liste le pourpier. Car du jardin vient d’arriver une récolte de pourpier doré à grandes feuilles. Il est bien loin du pourpier sauvage qui poussait dans la cour de ma grand-mère et dont j’aimais croquer quelques feuilles en passant, enchanté à la fois par son parfum subtil, sa texture al dente et sa discrète touche d’acidité. Mais je retrouve quand même un plaisir indéniable à déguster cette variété apprivoisée qui est à la rampante squatteuse horticole ce que le chien est au loup.
Alors ce soir ce sera une salade de pourpier auquel se joindront quelques découpes de petites tomates heureusement elles aussi du jardin. Une vinaigrette confectionnée avec l’excellente huile d’olive des pentes de l’Etna, et c’est un régal qui arrive sur la table.


pourpier
Salade de pourpier doré à grandes feuilles

Il accompagne des rillons. Pas dorés du tout, quant à eux… Pâlichons, pas maillardisés le moins du monde. Que s’est-il passé ? La semaine précédente j’avais acheté de magnifiques rillons bien colorés et goûteux dans cette même boutique de boucher charcutier dont je suis un habitué. Je les aurais bien refusés, attendant un jour plus faste, mais j’allais bientôt m’engager sur l’autoroute, alors c’était ça ou rien en plus des rillettes pour la dégustation nostalgico-traditionnelle de charcutaille tourangelle arrosée d’un chinon de derrière les fagots les cartons marquant le retour au bercail.
Dieu soit loué, la viande est de qualité, mais ces rillons ressemblent plutôt à un de ces confits de porc comme on les confectionne en Périgord… Ce que je savais déjà, car ces pièces sont le reste de la cérémonie de clôture de villégiature.


Dorées en revanche les andouillettes non pas de Touraine mais d’Anjou que j’avais aussi rapportées dans mes bagages. Ces andouillettes, intégrant dans leur recette un soupçon de saumur-champigny, c’est moi qui leur ai donné cette peau colorée et croustillante dans une petite poêle sur une noisette de beurre. Dans une autre poêle plus grande j’ai déversé des rondelles de carottes et de pommes de terre sur une grosse noix de beurre demi-sel en train de fondre, j’ai versé deux verres d’eau, j’ai ajouté trois gousses d’ail dégermées et une feuille de laurier, et j’ai laissé sur feu moyen coiffé d’un couvercle une douzaine de minutes. Puis j’ai laissé l’eau restante s’évaporer à découvert sur feu doux. Quand il ne restait presque plus de liquide côté légume et que la cuisson était achevée côté andouillettes, j’ai versé le jus de la petite poêle sur les carottes et pommes de terre, y laissant les andouillettes à sec. J’ai haussé les deux flammes afin de colorer légèrement les légumes et de rendre croustillante la peau des andouillettes en les saisissant sur toutes les faces.
Une fois cette opération effectuée, j’ai éteint les deux feux et déposé les deux oblongues tripailles au milieu de la poêle végétarienne. Pas de chichis, je me contente de poser le récipient sur la table…

andouillettes au saumur-champigny
Où l'andouillette a pris de la bouteille


Ces andouillettes, pourtant semi-industrielles, achetées sans conviction dans un supermarché poitevin pour dépanner au-cas-où, puis délaissées, sont fort bonnes, et le goût du saumur-champigny est bien présent en dépit du seulement 1 % de vin AOC Saumur-Champigny indiqué sur l’étiquette. La sauce sans la sauce ! Que demander de plus ?



Ah, ces préjugés de bobo… J’ai honte.

vendredi 2 août 2019

Usulégume à titre temporaire

Un voisin de jardin est parti en vacances dans son pays natal, le Portugal. Nous nous chargeons de l’arrosage de sa parcelle, et en contrepartie nous bénéficions de l’usulégume des récoltes périssables - et peut-être à son retour d’une bouteille d’huile de ses oliviers familiaux ?

C’est ainsi qu’un sac empli de ces haricots plats qui font le bonheur des ménagères lusitaniennes a atterri dans ma cuisine,

haricots plats
Des plats pour mon plat


S'y ajoutaient quelques petites tomates dont la maturité est en avance sur celle des nôtres qui commencent tout juste à rougir (de honte de leur retard ?)…


J’avais aussi dans mes réserves un énorme oignon blanc issu d’un bouquet acheté sur un marché tourangeau à un paysan incasable en raison de sa taille imposante  (l’oignon, pas le cultivateur, quant à lui plutôt petit mais râblé sous son visage matois). Il me fallait donc trouver une recette propre à intégrer cette pléthore oignonesque.
Tout de suite m’est venue à l’esprit la côte de veau Foyot. Bon, c‘est décidé, je vais acheter trois côtes - le repas étant prévu pour trois convives, cette démarche me semble aussi adéquate que rationnelle… Néanmoins je vais troquer le veau contre du cochon. Pourquoi ? À vrai dire, je ne sais pas, peut-être parce que dans mon imaginaire le Portugal est plus porcin que vitulin…


Arrive le moment de passer à l’action. Et là je me demande si mon choix est si opportun que ça.
Pour la côte Foyot, chapelure, emmenthal et long séjour au four. Et il fait encore chaud sous notre ciel francilien… Foyot attendra l’hiver, ou tout au moins l’automne !
Qu’y a-t-il comme autre recette gourmande en oignon ? Appelons Soubise à la rescousse. Je révise en relisant mes sources la recette de la sauce éponyme. Mais oui, il faut bien ajouter la compotée d’oignon à la même quantité de sauce béchamel. Bof… Finalement cette sauce Soubise classée dans les sauces blanches ne me semble pas vraiment adaptée. Mais heureusement un additif à son propos fourni par Joseph Favre dans son Dictionnaire Universel de Cuisine me sauve la mise :
Remarque. - Si la sauce soubise devait être servie brune, on remplacerait la sauce béchamel par un fond blanc de volaille, de façon à pouvoir y joindre facilement de la glace de viande ou de la purée de tomate.

Me sentant absout du crime de lèse-orthodoxie par le maître, je me lance dans une sauce à ma façon.
Je découpe mon dodu oignon blanc en étroits pétales que je mets à fondre sur une poêle dans une bonne noix de beurre demi-sel fermier. Quand ces pétales devenus transparents commencent à colorer, j’ajoute une petite cuillerée de miel d’acacia, un demi-verre de vinaigre de cidre, mène à début de caramélisation. Puis je dilue une petite cuillerée d’une pâte de fond brun dans un demi-verre d’eau bouillante, et je verse dans la poêle.
Je continue la réduction, ajoute une pincée de piment d’Espelette et réserve quand il ne reste presque plus de liquide.

oignon blanc, sauce
Le blanc est taché...


Je partage mes haricots plats en tronçons que je mets à cuire dans l’eau bouillante une quinzaine de minutes. Je les sors, les plonge dans l’eau froide, les égoutte dans une passoire. Parfait, ils sont tendres mais al dente. Je réserve.

Je cisèle deux gousses d’ail et un brin de persil du jardin. Je réserve.

Je fends la couenne des côtes de porc, non pas ibériques mais normandes, afin que d’éviter une déformation de la surface à la cuisson.

côtes de porc
Tri-côtes


Je remarque en passant que l’épaisseur de gras a bien diminué depuis quelques mois. Si le phénomène se poursuit, j’envisage de changer de crémerie porcherie !
D’autant plus que la découpe sur l'étal par une malheureuse vendeuse esseulée est lamentable, produisant de nombreux éclats d’os qu’il me faut repérer et éliminer… Heureusement, la saveur de la viande reste encore convenable. Diététique, que de crimes commet-on en ton nom !
Je réserve.

Pour terminer cette mise en place, je monde quelques tomates dont je disperse la chair au fond d’une poêle dans une grosse noix de beurre demi-sel fondant sur un léger trait d’huile d’olive.

tomates, beurre demi-sel
Ilots de tomates


Je réserve.

Le tiers convive est arrivé. Je cuis les côtes de porc à feu vif au sein d’une poêle en acier qui en dépit de ses 36 cm se révèle à peine assez grande pour que les trois pièces de viande puissent s’y installer confortablement. Une fois la surface dorée des deux côtés, je baisse la flamme, continuant dans une cuisson douce afin de ne pas dessécher la chair. D’autant plus que la viande n’est pas aussi persillée que je l’aurais espéré…

Je replace la poêlée de tomates sur le feu, la recouvre des haricots plats. Je complète d’une nouvelle noix de beurre, parsème de persillade, et coiffe d’un couvercle Avec une flamme minuscule, je puis espérer que les haricots se réchaufferont sans cuire et resteront al dente.

Les côtes de porc me semblent presque cuites. J’éteins le gaz sous elles et laisse finir la cuisson par inertie avant de faire se reposer la viande quelques instants.

Le moment est venu de placer une côte sur chaque assiette et de l’entourer des tronçons de haricots plats rehaussés en goût et en couleur par les éclats de tomate.
Pendant que je me livrais à cette opération de dressage, j’avais remis à température ma sauce aigre-douce aux oignons, y ajoutant un trait de balsamique afin de lui donner un dernier coup de fouet gustatif. Cette sauce Soubise  très revisitée que je baptiserai Superbise est devenue bien sirupeuse. Je la répartie sur les côtes et conclue par une tombée de persil ciselé et de poivre rouge du moulin.

côte de pors, haricot plat
Côtes de porc sauce Superbise garniture lusitanienne


Constat : tout ce petit monde de provenances diverses s’est accordé en parfaite harmonie. C’était bon, je n’ai pas eu lieu de suer à grandes gouttes, et la petite note acide permettait de réveiller des papilles plutôt enclines à siester…
Allez, petites papilles endormies sous le cagnard, debout ! Ce n’est pas une petite chienne en fin de vie qui va faire la loi !



D'autant moins qu'un clafoutis aux nectarines, pas trop sucré et aux fruits légèrement acidulés passe aussi à l'action.


clafoutis, nectarine
Clafoutis : Madame le fit



lundi 29 juillet 2019

Calme plats

La chaleur n’incitait pas à allumer une flamme ni à tourner le bouton du four.
Aussi ce sont plutôt des ready mades même pas à réchauffer qui défilèrent sur ma table.

Une exception, avant de quitter mes terres poitevines, j’ai confectionné un plat vaguement-saumurois : des galipettes qui se sont transformées en culbutos.
En effet il me restait dans mon réfrigérateur quatre gros champignons de Paris commençant à s’épanouir et un paquet de chair à saucisse. J’ai nettoyé les agarics troglodytes et détaché leurs queues que j’ai hachées. Sur la planche mon couteau a aussi ciselé deux échalotes, deux gousses d’ail, un brin de persil et les feuilles d’une branche d’estragon. J’ai mélangé le fruit de ces découpes avec la chair à saucisse, ajoutant un trait de cognac, plusieurs tours de moulin de poivre noir, une pincée de quatre-épices et quelques gouttes de Tabasco rouge.
J’ai farci de ce mélange les champignons qui, plutôt qu’en ces galipettes auxquelles elles étaient au départ destinées se sont transformés en culbutos ventrus que j’ai déposés au fond d’un plat creux en inox. J’ai arrosé d’un verre de sauvignon, noyant par la même occasion un brin d’estragon et une feuille de laurier.

galipette, champignon de Paris, farce
Galipette plus haut que son chapeau


J’ai enfourné à 180 °C, et 40 minutes plus tard j’ai pu sortir mes poussahs bronzés, mais au cœur tendre, qui sont venus faire la galipette dans nos assiettes.

champignons de Paris, galipettes
Poussahs dans le jus


Ce n’était pas mauvais, mais j’avoue que ça m’avait fait suer…



Et revenu en ville pour y être poursuivi par cette abominable tête de Râ, j’ai assuré le service minimum.
Souvent buffet froid, comme pour ces maquereaux fumés accompagnés de raifort servis avec pour accompagnement un tzadziki maison réalise avec un concombre du jardin.

maquerau fumé
Le meilleur saur


tzadziki
Fraîcheur grecque


Traiteur, micro-onde, à l’aide !...…………………………….



Puis, enfin, le vilain Râ ayant perdu un peu de sa superbe, j’ai osé allumer le feu et faire danser les poêles et les bœufs.
Ouais, un seul bœuf seulement… Ouais, rien qu’un steak taillé dans l’araignée....
Mais bien deux poêles, l’une pour la viande et l’autre pour cuire à cru dans du beurre fermier de la grenaille du jardin parfumée par un quintet de gousses d’ail de provenance identique n’ayant même pas pris la peine de tomber la chemise.

steak, araignée
Grosse araignée


pommes de terre sutées, grenaille
Le goût de la grenaille


Certes, là encore, un repas gourmand, mais pas de quoi fouetter un blog, convenons-en !

samedi 20 juillet 2019

Revenons-en aux fèves

Après ma longue séance de décorticage de fèves du jardin transhumantes, je n’en avais cuisiné qu’une partie avec les filets de canette.
Il aurait été dommage de perdre le reste de ces bons grains…
Alors j’ai joué à « Mojette pousse-toi de là ».

Comme un benêt j'ai toujours persévèré dans ma manie de ne marier le jambon de Vendée qu’avec la mojette. Certes cette recette de bonne fame est fameuse, mais cette bonne
( enfin pas toujours, il me souvient…
 http://sosgrisbiche.blogspot.com/2017/06/vendeen-usage-de-faux.html )
charcuterie mérite d’avoir d’autres ambitions. Sortons de la routine ! C’est d’autant moins un sacrilège envers la tradition que de l’accompagner de fèves que le Marais Poitevin n’a aucune raison de renier ces cousines dodues des mojettes.

Le plat du jour sera donc jambon de Vendée/écrasée de fèves.

Je plonge mes fèves décortiquées dans une sauteuse où une grosse noix de beurre fermier demi-sel fond dans un verre d’eau.


fèves
Fèves, le retour


Je laisse à couvert sur feu moyen six ou sept minutes jusqu’à ce que les grains deviennent facilement friables sous la fourchette. Une fois l’écrasée obtenue, j’y incorpore une nouvelle noix de beurre et laisse sur la petite flamme qui suffit pour maintenir à température.


fèves
Fourchette, son oeuvre


Les deux tranches de jambon font juste un aller-retour sur la poêle gril bien chaude…

jambon de Vendée
Jambon bon



Et c’est comme ça que nous nous sommes régalés en toute simplicité…
D’ailleurs il me semble que ce devait être ainsi que l’on savourait la cuisse de goret avant Christophe Colomb…

vendredi 19 juillet 2019

Le travailleur de la mer

Oh ! Combien de gourmets, combien de gastronomes
Qui sont partis joyeux pour des courses économes
Devant de mornes étals se sont évanouis !
(Oceano box)

C’est confiant que je roulais vers mon marché du Haut Poitou, me réjouissant à l’avance de ramener dans mon filet de beaux poissons presque frétillants tout juste sortis de l’océan venant de Croix-de-vie, des Sables-d’Olonne ou de La Cotinière…
Las, se battaient en duel ce jour-là quelques filets de saumon d’élevage défraîchis, des soles mollassonnes, et des sardines à l’œil vitreux. Un morceau de thon rouge tirant au brun ne déparait pas ce désastre. Côté crustacés, ça ne valait guère mieux : de ternes langoustines voisinaient des crabes en phase de bave finale. Seules des gambas ou des crevettes roses de Madagascar arboraient une fraîcheur toute frigorifique, les crevettes de l’Atlantique Nord-Est faisant grise mine. Jadis, on lavait plus blanc que blanc, désormais nous allons pouvoir décortiquer plus gris que gris… Le homard manquait à l’appel, sans doute attiré par une destinée plus glorieuse que de figurer sur ma modeste table.
Donc, changement de menu. Je me tourne vers l’ostréiculteur qui il y a quelques mois m’avait vendu de délicieuses crevettes impériales vivantes issues de sa production. Il est hélas un peu trop tôt pour renouveler ce plaisir - ces gambas sont encore à l’état de larves gourmandes s’empiffrant de leurs proies au fond des claires. Mais huîtres et palourdes sont bien là, ainsi que de magnifiques moules bien pleines, et sauveront mes envies océanes.
Il y a aussi le vendeur d’anguilles. Il me fournira le repas retour de marché, une anguille qu’il vient de griller sur la braise mangée avec comme nappe le papier qui l’emballe. Finalement j’aurai quand même un poisson…
Rendu paresseux par la chaleur ambiante, je pensais me contenter de cette version anguillaire. Mais en parcourant les allées du marché, je découvre sur les tréteaux d’un des cultivateurs bios de service de sympathiques bouquets de cives. Alors mes démons cuisiniers s’emparent encore de moi et me poussent à envisager la confection d’un civet d’anguille. Je retourne donc auprès de mon marchand afin de me procurer une grosse anguille sauvage. Je suis un peu inquiet devant sa vigueur et son agitation quand elle est sortie de la bassine, me souvenant de dépeçages sordides. Y aura-t-il un retour en gore ? Le maître de céans, qui n’a visiblement pas envie de me la tuer et de la dépouiller – mais qui aurait envie sous le soleil ardent… - veut calmer mon angoisse, « Une heure au congélateur, et c’est un jeu d’enfant… ». Je n’ai jamais pratiqué le congélateur, cette méthode me semblant déloyale envers une bête à laquelle sa vitalité extravertie donne toute sa valeur aussi bien symbolique que gustative, mais cette fois-ci je vais essayer, il m’arrive de baisser les bras, surtout quand l’été m’agresse. Je m’éloigne, ayant déjà un arrière-goût de renoncement dans l’âme, entendant les coups de queue frappant les parois de la poche isotherme de mon Caddie®. J’achète le lard et les champignons nécessaires à la préparation de ce plat. Je m’émerveille de ne pas avoir attendu le retour à la maison pour y avoir pensé. Je suis en progrès…

Alors mon après-midi sera celle d’un travailleur de la mer.
Je sors l’anguille du congélateur. Pouah ! Le mucus figé n’est pas du tout appétissant… Mais au moins la bête est roide. Je profite de cette anesthésie pour inciser sournoisement à la limite de la tête. Décidément, je n’aime pas le procédé. Je me fais l’effet d’un docteur Mabuse abusant d’une patiente endormie…
Endormie, mais pas pour longtemps. La température ambiante commence à faire son effet pendant qu’en sueur je m’évertue à retourner la peau glissante comme une vieille chaussette. Visiblement cette pauvre bête est engoncée dans deux pointures au-dessous de la taille qui lui aurait convenu et à moi aussi… Je perçois un début d’agitation. C’est la course contre la montre. Victoire, elle est nue ! Mais je dois désormais la maintenir d’une main ferme pour la décapiter et découper les tronçons. La tête ouvre la bouche dans un dernier reproche « Traître que tu es ! » et me fusille d’un regard méprisant.
Il me faut maintenant parer les morceaux avant de les plonger dans de l’eau glacée additionnée d’un trait de vinaigre blanc.


anguille
Je suis le chef de gore


Je prépare une marinade comportant la moitié d’une bouteille de chinon, deux cuillerées de vinaigre de cidre, trois gousses d’ail fumé non épluchées, trois feuilles de laurier, l’extrémité d’une branche de romarin, une branche d’origan, une branche de thym, quelques feuilles de sauge, trois piments de la Jamaïque, une cuillerée de grains de poivre noir, deux clous de girofle, quelques gouttes de Tabasco vert. J’essuie les morceaux d’anguille, les plonge dans la marinade. Le récipient, fermé par un film, va rester au réfrigérateur jusqu’au lendemain, avec retournement des tronçons de temps à autre.


anguille
Anguille au bain


Mais mon après-midi de labeur n’est pas terminé. Ce sont deux douzaines d’huîtres qu’il me faut ouvrir.


huitres
Vingt-quatre fois huitres


Oui, je sais, pour un écailler, c’est de la rigolade. Mais pour moi, qui opère à l’ancienne par la charnière, c’est quand même un nouvel effort. Encore que ce soit à table avec les palourdes rétives que j’ai le plus de difficultés…
Et puis enfin l’océan est sur la table. Ma récompense !


Le lendemain, je hache un gros oignon blanc. J’en prélève le tiers pour mon civet d’anguille.
Je nettoie et découpe les cives.
J’essuie deux champignons de Paris de taille moyenne que j’escalope après en avoir raccourci la queue.
Je tranche le lard fumé en lardons que je verse dans une sauteuse avec une petite noix de beurre.
Quand ils commencent à dorer, j’y fais tomber l’oignon blanc que je laisse suer, puis j’ajoute les champignons de Paris. Quand ils ont rendu leur eau, je sors l’anguille de la marinade avec une araignée en essayant d’égoutter les tronçons le plus possible. Elle rejoint la sauteuse.
Je singe avec une cuillerée bombée de farine T65. Je brasse et attends que cette farine soit cuite pour ajouter la marinade passée à travers un chinois. Je baisse le feu, complète avec une gousse d’ail que je viens d’éplucher coupée en trois, les cives, et des éléments extraits de la marinade : une gousse d’ail avec sa peau, une feuille de laurier. Je coiffe et laisse réduire à feu doux.


civet d'anguilles
Sans la coiffe


Au bout de 20 minutes la sauce a bien épaissi. Je laisse refroidir et réserve au réfrigérateur jusqu’au lendemain…

Mais mon après-midi de labeur n’est pas terminé. Ce sont les moules qu’il me faut traiter. Dieu merci, ça va, elles n’ont peu de byssus et sont toutes bien fermées. Un jeu d’enfant.
Je prends le reste de l’oignon blanc haché dont un tiers est dans le civet, cisèle un petit bouquet de persil et verse tout ça dans un faitout où fond une grosse noix de beurre. Suivent des brins de romarin, de thym et d’origan, ainsi que trois gousses d’ail hachées finement. J’arrose de deux verres de sauvignon, porte à ébullition. Les moules sont précipitées dans ce bain chaud, et j’ai à peine le temps de coiffer qu’elles commencent à s’ouvrir. Je remue de temps à autre, et rapidement ce sont toutes les coquilles qui se sont épanouies. Il ne reste plus qu’à donner deux ou trois tours de moulin de poivre rouge, parsemer d’un soupçon de persil et oignon frais, et terminer par une bonne noix de beurre fermier.

moules de bouchot, moules marinières
Bouches bées...



L’océan était encore sur ma table, et c’était bien bon. Récompense bis !



Le surlendemain je mets à réchauffer mon civet d’anguille à feu doux. J’y ajoute un verre de chinon et une cuillerée de vinaigre balsamique. Pendant que la réduction se poursuit à petit feu et que la sauce devient de plus en plus nappante, je mets à cuire à l’anglaise six pommes de terre de l’île de Noirmoutier que je viens de gratter afin de les débarrasser de leur peau fine.
Les pommes de terre sont cuites, je viens de le vérifier avec la pointe d’un couteau. Je dresse deux assiettes.
La sauce est parfaite, onctueuse et parfumée. Une merveille, si l’on me permet un brevet d’autosatisfaction que pour ma part je trouve bien mérité.

civet d'anguilles
Civet, civet pas ?



L’océan le marais était encore sur ma table, et c’était bien bon. Récompense ter !

lundi 15 juillet 2019

Les fèves utiles

Je me réjouissais de la proche récolte des fèves du jardin de la variété Green Hangdown qui devaient m’offrir leur verdeur goûteuse (ancienne variété néerlandaise de la ville de Leiden, grain moyen vert foncé avec une excellente saveur, c’est ce qui m’avait fait jeter mon dévolu sur elles…)



quand la canicule est venue faire tomber cet espoir à l’eau, si j’ose dire.
En effet la récolte ayant été différée, chapeau et crème solaire n’assurant pas la même protection que des volets fermés, force a été de constater que les gousses avaient troqué leur tenue réglementaire vert olive contre un uniforme kaki sans doute plus en adéquation avec la chaleur ambiante.
Récolte abondante, certes, mais pas absolument conforme… De plus, un départ vers le Haut-Poitou étant programmé, ces malheureux grains ont dû faire le voyage tout juste protégés par leurs coques déjà traumatisées. Bon, j’ai eu la bonté d’âme de ne pas les enfermer dans le coffre et les faire bénéficier de la clim, mais quand même !
Et ce n’est que deux jours plus tard, après avoir acheté le matin à une fermière exposant ses volailles sur mon marché tourangeau favori les deux filets de canette avec lesquels je pensais qu’ils feraient bon ménage et déjeuné ensuite de rillons du boucher local accompagnés d’une salade de tomates cœur-de-bœuf (des vrais, bio qui plus est, je ne me refuse rien) et d’un fromage de chèvre pas aussi sec que je l’espérais, terminant par un morceau de nougat richelais, que faisant fi de la sieste à laquelle ce repas campagnard, mais plus copieux que frugal, m’invitait que je me lançais avec courage dans l’écossage. Le milieu de l’après-midi approchait, et à ma gauche ne restaient plus que qu’une poignée de gousses pleines, à ma droite un imposant tas de coques éventrées démontrant que l’artichaut n’est pas le seul légume dont il en reste plus dans le plat après consommation, et au centre devant moi, une bassine de grains laborieusement obtenus démontrant que l’avantage de l’artichaut, c’est que c’est le mangeur qui fait le boulot.
Ouf, ça y est, tous les grains sont libérés !
Ouf très provisoire, car maintenant il faut les débarrasser de leur peau !
Je mets à bouillir une grande casserole d’eau, j’y verse les grains que je retire après deux ou trois minutes pour les plonger dans une bassine d’eau froide avant de les égoutter et de les déposer dans une grande plaque en inox.
Et la corvée de fèves commence…
Je fends la peau de la pointe d’un couteau d’office dont je serre la lame de ma main droite, je comprime l’extrémité inverse du grain entre le pouce et l’index de la main gauche, avec prudence, pour ne pas écraser la chair, et les deux cotylédons jaillissent, souvent unis (pour le pire et le meilleur), parfois partant chacun de son côté. Dans le meilleur des cas… Car il existe aussi des grains rétifs, de ceux qui veulent sauver leur peau à tout prix…
Les grains défilent, l’horloge comtoise égrène les minutes. La fin de l’après-midi approche. Je vais bientôt voir le bout du tunnel.
Eh bien ça y est, c’est chose faîte. Bon le vert n’est pas celui de mes espérances ; mais elles sont belles, quand même, mes fèves sous l’éclairage du soleil couchant.


fèves, Green Hangdown
Fèves du soir...


Il me faut passer à la confection du plat. Après tout, c’est pour ça que je me suis donné tout ce mal.
Je pare et incise mes filets de canette, enlevant le gras superflu ainsi que les aponévroses laissées à la découpe de la bête.
Je verse dans une petite casserole un verre de vinaigre balsamique dans lequel je plonge un brin de romarin et laisse réduire à feu doux.
J’épluche un oignon blanc que je partage en deux, le petit bout de tige compris. Je gratte deux carottes tout en longueur qui m’ont séduit dans une boutique de producteurs chinonaise.
Je mets ces légumes à glacer avec de l’eau à effleurement, une petite noix de beurre une pincée de sel et une autre de sucre. Je réchauffe une partie des fèves dans du beurre demi-sel mousseux et assaisonne d’un tour de moulin de poivre noir.
Je pose côté peau les filets de canette bombardés de sel fin sur une poêle gril chauffée à feu moyen, laisse trois minutes, baisse le feu et retourne les filets. Après deux minutes, j’éteins et laisse reposer.
Le vinaigre balsamique est devenu sirupeux.
Je partage chaque filet en deux, je les dispose sur les assiettes à côté des fèves. Je fais couler sur ces morceaux ma réduction parfumée. Je n’oublie pas la moitié d’oignon, ainsi que la carotte qui vient s’allonger flegmatiquement en dominatrices. Pas certain que les fèves se laissent faire…
Des feuilles de sauge cueillies minute dans la cour viennent compléter le tableau.


fèves, filet de canette
Le rouge et le vert


Ben finalement ces fèves caniculisées ne s’en sont pas si mal tirées…

lundi 8 juillet 2019

Le dernier carré

C’était le dernier carré.

lasagnes
Plus pour longtemps


Quand je me suis exclamé « Il faut finir ! », je l’ai entendu répliquer « Je n’en sortirai que par la force des fourchettes ! », à moins qu’il n’ait proféré le mot de Cambronne, je n’ai pas très bien distingué, la lasagne a la voix pâteuse…


Tout avait commencé la veille.
Cet après-midi-là je découpe un gros oignon paille. Je partage 4 grosses tomates bien charnues venues d’Avignon en six secteurs, pèle trois gousses d’ail.
Je fais fondre les deux tiers des oignons dans une cuillerée d’huile d’olive au fond d’une casserole, recouvre de moult herbes du jardin : persil, origan, thym, romarin, basilic, et même un brin de sarriette de Pologne qui se demande bien ce qu’il fait là. Je n’oublie pas la feuille de laurier. J’assaisonne d’une bonne pincée de sel, de quatre grains de piment de la Jamaïque, d’une petite cuillerée de poivre blanc de Penja et de deux clous de girofle. Je verse sur ce petit monde un verre de vin blanc sec et un verre d’eau et je fais réduire à feu doux.

Puis je hache un morceau de basse côte au couteau.

hachage  de la viande au couteau
Opération musculation


Je fais dorer le résultat sur une cuillerée d’huile, ajoute le reste d'oignon haché, une feuille de laurier, un brin de thym, une pincée de sel. Je recouvre d’un litre d’eau et porte à petite ébullition.

J’arrête ces cuissons quand il ne reste presque plus de liquide.

viande hachée, lasagnes
Basse côte en immersion


Je passe les tomates au presse-purée.

coulis de tomate, lasagnes
Le superflu


Je verse le coulis obtenu dans la casserole de la viande hachée dont j’ai retiré le thym et le laurier.

lasagnes, ragu
Pseudo ragu en gestation


Je mets à réduire doucement, faisant attention à ce qu’il reste suffisamment d’humidité pour la cuisson de la pâte des lasagnes.
Pendant ce temps, je cisèle un oignon nouveau violet et hache une gousse d’ail. J’émonde et épépine une dizaine de petites tomates en grappe. Je réserve pour ajouter au dernier moment à ma farce afin de donner un peu de fraîcheur et de mâche.

lasagne
Un îlot de fraicheur


Je confectionne une béchamel dans laquelle j’incorpore deux cuillerées de parmesan râpé, sans oublier un soupçon de noix de muscade.

béchamel, parmesan
Béchamel parmesane


Pendant que mes deux préparations refroidissent, je m’attelle à la confection des plaques de lasagnes. Dans la cuve du batteur mélangeur, je pétris 400 g de farine avec 4 œufs et une pincée de sel.
Je passe la boule obtenue et partagée en six morceaux dans le laminoir. Le plus dur est d’obtenir des surfaces suffisantes pour découper des rectangles de la taille du plat. En définitive, ce seront quatre belles plaques que je réussirai à découper…

Je passe ensuite au montage.
Je dépose une plaque au fond du plat.

lasagne
En attente de recouvrement


Je recouvre de mon ragú approximatif mélangé avec son complément fraîcheur. Je recouvre de ma béchamel au parmesan.
Encore une plaque…
Je mélange dans du lait un œuf battu avec du gruyère râpé et un soupçon de parmesan.
J’étends ce mélange pour en recouvrir mon plat.
J’ai des restes, je confectionne un deuxième plat de lasagnes plus petit, où les plaques sont un peu rafistolées.
J’enfourne le tout un quart d’heure à 160 °C, puis trois minutes à 180 °C pour colorer.
Je sors mes deux plats que je laisse refroidir avant de les réserver au réfrigérateur.

lasagnes
Lasagnes et lasagnes bis




Il me reste des chutes de pâte. Je les découpe au ciseau pour obtenir des maltagliati qui me serviront pour le repas du soir. Elles iront bien avec le rognon prévu.
Je découpe le rognon, devenu ainsi rognons que je saisis à la poêle et mets à égoutter sur une grille après une brève cuisson.
Pendant qu’ils exsudent, je verse mes maltagliati dans de l’eau bouillante salée.
Dans la poêle évacuée du jus des rognons je verse un bocal de sauce arrabiata toute prête (eh oui, le droit à la paresse…) et la réchauffe à feu doux. Quand les pâtes sont devenues al dente, elles vont la rejoindre. Je brasse, hausse la flamme, dépose les rognons et laisse deux minutes sur le feu.
Un tour de moulin de poivre, un peu de ciboulette ciselée…

maltagliati, rognons de veau
Maltagliati sauce arrabiata et rognons de veau


Eh bien cette récup a permis un plat pas mauvais du tout !



Mais revenons à notre dernier carré. Vae victis ! Je m’empare de ma pelle. Le sort en est jeté…
Il ne reste plus rien du plat fringant sorti du four quelques minutes auparavant.

lasagnes
Lasagnes repassées au four


J'ai accompli ma tâche, et j'ai mangé ma part.

lasagnes
Ma part


Mon rôle est terminé. En dessert, une tarte aux cerises à la pâte croustillante.

tarte aux cerises
Au milieu du trottoir


tarte, cerises
La part de l'ange que je suis...


Et là c’est Madame qui s’en est chargée…