Il était une fois deux sœurs jumelles appelées Cendrillon qui étaient servantes dans la maison des deux petits cochons.
Leur sort n’était pas enviable, car les malheurs avaient aigri le caractère de leurs maîtres. Ayant perdu leur frère dans l’incendie de la maison en briques qui les hébergeait, ils passaient leurs nerfs sur les malheureuses. On ne peut pas dire que pour elles la vie c’était le pied.
Mais un soir où elles pleuraient au coin de l’âtre la fée Grisebiche qui passait par là les prit en pitié.
« Cette nuit, ce sera la teuf ! Voici une voiture pour aller en boîte. ».
La fée s’empara d’un butternut qui traînait sur la table en formica vintage de la cuisine et joua de la mandoline en chantant : Cendrillon pour ses vingt ans Est la plus jolie des enfants Son bel amant, le prince charmant La prend sur son cheval blanc…
La courge se métamorphosa en une magnifique Goldini Baghera.
Les sœurs trépignèrent de joie. Je ne raconterai pas le déroulement de cette folle nuit. Il s’agit de leur vie privée et cela ne nous regarde pas. Sachez seulement qu’elles s’empiffrèrent de truffe et de foie gras.
Mais toute fête a une fin. Il leur fallut bien prendre le chemin du retour.
Las, dans un virage serré, elles perdirent le contrôle. Le spectacle était navrant. Nos deux fêtardes gisaient à côté d’un champ de salade, et leur belle voiture couvrait la route de mille morceaux, ici une roue, là un volant, ailleurs la carrosserie en lambeaux.
« Ah bah maintenant, elle va marcher beaucoup moins bien forcément ! », s’inquiéta l’une des sœurs.
« Qu’allons-nous devenir maintenant ?
- Des pieds... »
Constat
C’était d’autant plus sage que l’aube se levait et l’automobile avait réintégré sa courgitude première
Repas de synthèse, du Noël concentré : comme plat, le reste du civet de cerf avec en accompagnement le reste de la purée de marrons ayant servi à la confection de la bûche, manié avec deux cuillerées du reste du pot de crème fraîche ouvert pour réaliser la farce de la dinde. Une petite cuillerée de vinaigre balsamique traditionnel de Modène et moult tours de moulin de poivre rouge, et c‘était parfait.
Noël
Dans l’assiette, bien bons bistre et beige se répondaient à merveille…
En dessert ? Eh bien, un reste de glace à la main de bouddha, d’un beau jaune de Naples.
Cette année, les repas de Noël furent traditionnels. Point de revisites, point de cuisine ethnique ou de cuisine fusion !
Les menus furent ceux de l’Hostellerie du Veau d’Or (il est toujours debout…), avec des plats empreints d’une bonhomie toute provinciale. Reposant, non ?
Sauf que cet établissement fantasmagorique a occupé mes locaux et m’a embauché comme cuisinier…
J’avais donc en charge deux menus :
Menu du réveillon de Noël Chiffonnade de saumon fumé sauce raifort Civet de gigue de cerf Vox Dei, embeurrée de spätzles maison Bleu de Termignon Bûche glacée main de bouddha dans les châtaignes
Menu du 25 décembre Foie gras de canard mi-cuit à l’ancienne Dinde de Bresse farcie et ses légumes de Noël Plateau de fromage Gâteau de Noël Mon Bon Sapin
Mon assistante se chargeait, quant à elle, due la préparation du petit-déjeuner, avec en particulier un langhopf qui participe à sa renommée pâtissière…
DIMANCHE 23 DÉCEMBRE La bûche glacée :
En premier lieu, réalisation d’un gâteau joconde dont une découpe formera le socle de la glace.
Une main de bouddha se demande bien à quelle sauce elle va être mangée.
Si tous les bouddhas du monde allaient main dans la main...
Son parfum tout aussi puissant qu’exquis sera parfait pur l’insert de la bûche.
Je découpe quelques sommités qui, partagées en deux dans le sens de la longueur, sont confites dans un sirop afin de participer au décor. Deux bonnes cuillerées à soupe de zeste râpé vont infuser dans du lait chaud. La main de bouddha dans la calotte du zouave que je suis… Une fois bien imprégné des voluptueuses fragrances agrumesques, ce lait passé dans un chinois qui n’aurait jamais pensé se trouver aussi proche de bouddha sert à confectionner une crème anglaise. Additionné de crème, on obtient l’appareil qui va être turbiné avant d’être moulé pour l’insert. Mais, ventrebouddha, de moule à insert, je n’en ai point ! Comme toujours, le magasin local m’a répliqué : « Il fallait le commander ! ». Je joue donc les MacGyver en utilisant deux petits ramequins rectangulaires en porcelaine.
Et hop, c’est fait, la glace parfum main de bouddha va au congélateur en mode superfrost.
Je passe à la confection de l’autre parfum, une glace au marron dont je pense qu’elle s’alliera bien avec sa compagne de bûche. Mais plutôt que d’utiliser de la crème de marrons j’ouvre une boîte de purée de marrons non sucrée.
Je me contenterai d’augmenter la dose de sucre dans la crème anglaise.
Cette glace est introduite au fond d’un moule plutôt kitsch en forme de simili bûche. J’y dépose les inserts démoulés non sans mal et dont j’ai verticalisé une des extrémités biseautée afin de pouvoir les accoupler. Miracle, bouddha soit loué, j’obtiens juste la longueur du moule.
Je recouvre ensuite de glace au marron, arase au niveau du bord du moule.
Et zou, au congélateur jusqu’à demain.
Le civet :
Ce fut la galère pour me procurer une gigue de cerf, mais enfin elle est là, découpée par le volailler. Je lui prépare une marinade.
Le vin utilisé, recommandé par le caviste, est un corbières Vox Dei.
Devant la désolation de ce marchand devant un si triste sort culinaire infligé à un si bon vin, nous ne pouvions qu’acheter une sœur à cette bouteille pour la déguster avec le plat. Nous n’avons d'ailleurs pas eu à regretter notre influençabilité…
Ce nectar a recouvert les morceaux de cerf mélangés avec une découpe de carottes, panais, céleri oignons. S’y ajoutent deux gousses d’ail, une branche de thym, une branche de romarin et des épices pilés au mortier : poivre long, macis, poivre blanc de Pandja, poivre à queue, poivre de Cayenne, graines de Paradis, clou de girofle. Pour terminer, un trait de vinaigre balsamique de Modène, et je mets sous vide. Tout ce petit monde se réfugie au réfrigérateur.
La dinde de Bresse :
Elle est arrivée la veille de sa région natale.
Ah, la belle bête !
Ayant suffisamment de tâches culinaires prévues, j’ai demandé qu’elle ne soit pas simplement éviscérée, mais vidée : je n’ai donc plus qu’à sortir le foie, le gésier, le cœur et la boule de graisse qui sont déjà détachés dans le coffre de la bête.
Mais il me faut aussi préparer un bouillon pour la précuisson. J’ai obtenu du volailler deux carcasses de poulet.
Hou, les bêtes pas belles !
Je les concasse à l’aide d’un couperet. J’épluche deux carottes, un navet, un panais. Je nettoie deux poireaux, je pique un gros oignon paille de trois clous de girofle.
Je prends un faitout, dore les carcasses et le gésier de la dinde sur un trait d’huile d’olive, fait suer les légumes. J’ajoute une feuille de laurier, un brin de thym, du poivre noir, du piment de la Jamaïque.
On se décarcasse et on se fait suer
Je recouvre d’eau abondamment, je porte à ébullition et laisse frémir durant une heure.
Pendant ce temps je confectionne la farce en mixant 500 g de veau (des morceaux pour blanquette) avec le foie et le cœur de la dinde, sa boule de graisse, ainsi qu’une poignée de mie de pain rassis trempée dans du lait. Puis je transvase dans une bassine en inox, ajoute deux petits-suisses, des morilles séchées réhydratées grossièrement découpées, trois échalotes grises hachées, des feuilles d’estragon ciselées, des pelures de cerfeuil, deux œufs entiers et brasse afin de bien mélanger le tout. Je finis en assaisonnant : sel, poivre noir de Kampot et quatre-épices.
La farce est une chose sérieuse !
Je fourre la dinde, dont j’ai salé l’intérieur du coffre avec du sel fin, de cette préparation. Il y a un excédent dont je forme une boule que j’enferme dans un torchon que je scelle par quelques tours de ficelle.
Je transvase du faitout le bouillon parfumé dans une marmite en le filtrant à l’aide d’un tamis. Je complète d’eau pour avoir suffisamment de liquide, et sale d’une poignée de gros sel. Je plonge dans ce bain chaud la dinde bridée et le reste de farce emmailloté et laisse cuire à frémissement environ une demi-heure.
Le chiffon blanc flotte dans la marmite
Je sors et égoutte, laisse refroidir et réserve au frais.
LUNDI 24 DÉCEMBRE Les spätzles :
Je prépare le mélange classique, 100 g de farine (ici de la T55 des Moulins de Versailles) pour 1 œuf entier et une pincée de sel. Il s’agit ici simplement d’ajuster la quantité d’eau afin d’obtenir la fluidité adaptée à l’écoulement lent dans l’ustensile adéquat posé au-dessus d’une casserole d’eau bouillante salée.
Sous la râpe, la vapeur
Les spätzles remontant à la surface sont retirées à l’aide d’une araignée, puis rincées à l’eau froide.
Douche écossaise
Je les égoutte bien et les stocke sur une plaque qui sera filmée et réservée au frais jusqu’au soir.
Que de spätzles !
Le langhopf :
La pâte confectionnée par mon assistante a fini sa deuxième pousse dans le moule.
Avant le four
Elle est enfournée pour une quarantaine de minutes avant que ce gâteau soit démoulé et arrosé de beurre fondu sur lequel viendra se coller la pluie du mélange de sucre semoule et de cannelle.
Le civet :
J’ouvre la boîte sous vide où marinent les morceaux de cerf.
Le cerf n'a pas peur du vide
Je prélève au moyen d’une pince cette viande que je saisis à feu vif sur toutes les faces dans une cocotte en fonte ointe d’une larme d’huile d’olive, puis réserve provisoirement sur une plaque. Cette opération terminée, je baisse la flamme et je fais suer les légumes prélevés avec une araignée. Je remets le cerf et singe d’une cuillerée de farine. Je verse le liquide de la marinade, assaisonne d’une cuillerée rase de gros sel et laisse cuire à feu doux pendant une heure. Puis je sors une nouvelle fois les morceaux de cerf de la cocotte, passe le liquide au chinois et le remets dans la cocotte, débarrassé de la garniture aromatique et des épices qui prennent une retraite bien méritée. La cuisson sera prolongée au four à 130 °C pendant deux heures. À la sortie, la sauce a bien réduit et la viande se laisse traverser par la pointe d’un couteau. La cocotte n’a plus qu’à patienter jusqu'à l’heure du repas.
En attendant, je pèle quelques oignons grelots que je fais glacer dans le reste du beurre fondu qui avait servi à arroser le langhopf sorti du four juste avant qu’il soit remplacé par la cocotte. J’ajoute juste dans la casserole une petite cuillerée de sucre, une pincée de sel et un verre d’eau, et je couvre d’un disque de papier siliconé.
Les légumes de Noël :
Corvée d’épluchages ! Il y a sur le plan de travail un potimarron, une courge butternut et un céleri-rave dont je n’utiliserai qu’une partie, un gros panais, trois racines de persil tubéreux, deux navets et trois betteraves rouges : tous légumes récoltés au jardin. S’y ajoutent trois carottes, une patate douce et trois topinambours achetés au marché. Après la découpe finale, je blanchis cinq minutes les morceaux obtenus dans de l’eau bouillante salée - les betteraves en quarantaine dans une autre casserole pour risque de contamination rubescente…
J’égoutte et réserve au frais. La bûche glacée :
Je la démoule sur le rectangle de gâteau joconde que je découpe suivant son gabarit. Je la décore de quelques stries sinueuses et pluies de poudre de cacao à travers une passoire fine. Je pose des ongles confits des doigts de la main de bouddha et trois marrons glacés, d’une qualité je l’avoue assez médiocre, car achetés dans l’urgence. Le superfrost et la vapeur culinaire ont fait que la bûche est envahie par le givre.
Bûche dans les frimas
Je baisse la température du congélateur afin que le dessert soit tranchable après une brève transition au réfrigérateur à la fin du réveillon.
Le saumon fumé :
Je tranche un demi-filet d’un saumon d’excellente qualité fumé par un artisan du Médoc afin d’obtenir une chiffonnade que je dispose sur un plat. Je décore de quelques feuilles d’aneth et d’une sauce au raifort qui sera servie à part. Je réserve au frais.
L'ai je bien chiffonné ?
Le repas :
Le plat de saumon est apporté sur la table avec à côté de la sauce raifort et les blinis du paresseux (pas maison, alibi : pas le temps…). De la vodka est proposée.
Quant à moi, après avoir dégusté cet écossais bien né au lance-pierre - dommage, il est savoureux… -, il me faut retourner en cuisine où j’ai remis la cocotte sur le feu, à côté d’une poêle dans laquelle les spätzle s’enduisent d’un bon beurre demi-sel mousseux.
Je sors les morceaux de cerf pour les placer dans le plat de service. Ils sont devenus suffisamment tendres pour que je puisse les débarrasser des os qui les encombrent. J’ajoute à la sauce une cuillerée de confiture de groseille diluée avec du vinaigre balsamique. Je sors du feu, ajoute plusieurs tours de moulin de poivre rouge et épaissit la sauce avec un petit bocal de sang que le volailler a bien voulu me donner. Elle devient crémeuse et presque noire. Je la verse sur le cerf. Pendant que je transvase les spätzles dans un autre plat de service assorti, je remets à température les oignons glacés que je dispose ensuite sur le civet. Mon assistante venue à ma rescousse fait tomber quelques peluches de cerfeuil, puis emporte les plats vers la tablée.
Civet de cerf aux petits oignons
Embeurrée de spätzles
Pour ma part j’arrive avec la bouteille de Vox Populi débouchée une heure auparavant.
Tout le monde a l’air de se régaler, même les petites infantes - enfin jusqu’au moment où l’aînée réalise qu’il s’agit d’un grand cerf dans la forêt et que le chasseur l’a tué…
Puis on passe au fromage, le bleu de Termignon, qui malheureusement me semble trop jeune, même s’il est plutôt goûteux.
Enfin je sors la bûche, ce qui ne me demande pas trop de travail, d’autant plus que ce n’est pas moi qui vais la découper.
Bûche !
L’alliance marron et main de bouddha fonctionne bien, je regrette simplement qu’un sirop léger au Grand-Marnier n’ait pas imbibé le socle. Mais la présence de mineures…
Une bonne tranche
Les adultes se consolent avec du champagne offert par la maison - comme le reste du repas d’ailleurs…
Je rends mon tablier, provisoirement s’entend.
MARDI 25 DÉCEMBRE Le petit-déjeuner :
Je vois que les hôtes n’ont pas dédaigné le langhopf.
Langhopf un peu moins lang
Pour ma part, n’aimant guère le sucré le matin, je reporte ma dégustation, bien qu’il ait l’air réussi…
Et puis je dois me recoiffer de ma toque virtuelle… La dinde de Bresse :
Je la fais évacuer son refuge réfrigéré.
Je la pose sur une grille munie de pieds posée au fond d’une plaque à rôtir. Je pose à ses côtés le reste de farce dévêtu de son maillot. Je verse trois verres d’eau sous la grille.
J’enfourne et j’allume le four en le réglant à 150 °C. Je prévois de laisser la bête à peu près deux heures et finir par un quart d’heure à 200 °C.
Les légumes de Noël :
J’enferme les légumes que j’avais blanchis dans une vaste papillote constituée avec des feuilles de papier parchemin doublé d’aluminium après les avoir assaisonnés, ajouté une tête d'ail fumé d'Arleux tranchée en deux suivant l'équateur, un brin de thym, une feuille de laurier, deux grosses noix de beurre et arrosé d’un trait d’huile d’olive herbacée. Je glisse cette papillote dans le four à côté de la dinde.
Le repas de Noël :
Pour l’entrée, je n’ai pas beaucoup d’efforts à fournir, le foie gras de canard est tout prêt. Je n’ai eu qu’à le sortir du sac sous vide dans lequel il a cuit et lui laisser le temps de s’aérer et remonter à température ambiante.
Je le pose sur un lit de roquette.
Foie prisonnier de la roquette
Si tout le monde semble satisfait, pour ma part je ne me régale pas vraiment. Il est vrai que je préfère nettement le subtile et onctueux foie d’oie à celui de canard (qui lui ne mérite pas sa palme !).
Et le gewurztraminer récolte tardive sait me consoler de ma déception.
La dinde est restée un peu plus longtemps au four que prévu. À la découpe, je constate qu’effectivement elle est un peu trop cuite à mon goût, mais rien de catastrophique. La farce extraite est partagée et disposée sur un plat rond. Le jus contenu dans la plaque de cuisson est réduit sur un feu et versé dans une saucière, relevé d’un trait de vinaigre balsamique et de force poivre.
Quelle dinde !
Je vide ma poche de ses légumes sur un plat en inox qui a bien du mal à les contenir. Un tour de moulin de poivre noir de Kampot, et c’est prêt pour aller rejoindre la dinde - non pas sur la table mais sur une desserte faute de place.
Racines..
J’aurais souhaité une bouteille de Fixin (appellation fort honorable et chargée de souvenirs pour moi…) en accompagnement de ce plat, mais ce vin était impossible à trouver chez les cavistes locaux. Je me suis replié sur un Givry 1er cru qui ne m’a pas enchanté plus que ça…
Bon, chacun semble se régaler de la bête. On reprend des légumes, agréablement parfumés par l'ail d'Arleux. Même les infantes en réclament, ce qui ouvre un nouvel horizon à leur mère qui habituellement a bien du mal à faire accepter les végétaux au menu.
Arrive ensuite le plateau de fromages :
Brie fermier d’Île de France Charolais fermier Fort du Gévaudan Comté Extra Vieux Cristallisé Cheddar Blanc Toilé Strachitunt Boulette de Cambrai Poiret de la Meuse
Heureuse découverte qu’est ce strachitunt. Ce persillé de Lombardie provient d’une production qui prévoit toujours l’utilisation de lait entier cru, c’est-à-dire, utilisé dès la traite à la température de l’animal et travaillé avec l’ancienne technique de pâte double qui consiste en l’union du caillé du soir, avec le caillé chaud du matin.
En revanche le Poiret de la Meuse n’a pas convaincu tout le monde. Pour cause, je me suis risqué dans le bizarre et y a pas à dire : c’est un fromage d’hommes !
Mais les palais timides seront rassurés par le dessert. Ce n’est pas une confection maison.
Il s’appelle Mon Bon Sapin, et voici sa naissance :
Il a fière allure sur notre table.
Mon mien !
Et je dois reconnaître qu’il est excellent. Même moi, qui ne suis guère porté vers les sucreries, j’en reprends une part.
Un crémant d’Alsace fournit le contrepoint qui rafraîchit les papilles
. Un bon espresso et l’addition s’il vous plaît…
Mais non, à l’Hostellerie du Veau d’Or tout est offert par la maison.
Vous espérez y être invité ? Vous croyez au père Noël !!!
Il ne sera pas dit qu’aujourd’hui je travaillerai sans filet…
Ils sont là, deux beaux filets de barbue
Alors, malheur aux barbues !
À poêle les barbues !
Mais auparavant il y a les préliminaires.
Une noix de beurre demi-sel est déposée sur une poêle où je viens de torréfier des pistils de safran. La veille, j’avais fait tomber en farfouillant dans l’étagère des épices un petit flacon contenant ces filaments.
Sur l'étal avant achat
Heureusement, le récipient n’avait été que décapité sans produire trop d’éclats de verre, donc j’avais pu récupérer ce précieux or végétal. Toutefois, en l’absence de nouveau petit contenant approprié, j’avais prévu de l’utiliser rapidement. Ce poisson tombait à pic…
Mais décidément le charmant village des Deux-Sèvres
où a été produit ce safran dégage de mauvaises ondes en ce qui me concerne ( pas comme pour François Villon qui écrit à son propos : Se je parle ung poy poictevin, Ice m’ont deux dames apris. Illes sont tres belles et gentes, Demourans a Saint Generou Prez Saint Julïen de Voventes, Marche de Bretaigne a Poictou ). En effet on m’y a infligé au temps jadis - mais quand même après celui de Villon… - l’un des pires repas de ma vie. Il y avait alors une petite auberge où nous allions de temps à autre manger au gré d'un menu du jour simple mais correct, le plus souvent axé sur une simple grillade, avant de faire une balade dans les sentiers environnants. Las, nous avons eu un jour le malheur d’y aller le surlendemain d’une noce dont on nous a servi les restes. Je me souviens encore du plat principal, une bouchée à la reine : une pâte molle, graisseuse et détrempée au goût de réchauffé emplie d’une sauce blanche collante et insipide d’où la fourchette extrayait quelques cubes de blancs de dinde puant la batterie mal nourrie, quatre ou cinq tranches de champignons de Paris récoltés à l’ouvre-boîte, et des masses informes et visqueuses qui se voulaient quenelles. L’odeur et la consistance m’ont approché de la nausée… Autant dire que ce fut la séance d’adieu. Nous n’aurions pas pu franchir à nouveau la porte de cette auberge. Dommage, que la campagne était belle…
Mais revenons au safran. Dans ce cas l’histoire finit quand même bien, le rescapé dégage d’odoriférants effluves qui présagent le régal.
J’éteins le gaz et laisse infuser dans le beurre fondu.
Pendant ce temps je fais tomber des feuilles d’épinards, cueillies dans l’heure précédente au jardin, sur une seconde grosse noix du même beurre. Je réserve.
Je remets la poêle avec le beurre safrané sur le feu. Les filets viennent y faire un aller-retour. D’habitude, je cuis la barbue sur l’arête, alors je dois me montrer particulièrement vigilant pour éviter le désastre d’une surcuisson. Mais bon, finalement, la chair de barbue n’est pas trop fragile, et c’est sans problème que j’arrive à déposer les filets cuits à point sur les assiettes.
Un dernier passage rapide sur feu vif pour remettre à température, et je peux ajouter l’épinard sur l’assiette.
Je verse le fond d’un pot de crème reste d’une préparation précédente dans la poêle débarrassée de son poisson . Je fais réduire rapidement avant de déverser cette sauce parfumée et onctueuse sur la barbue.
Je finis le dressage avec le jaune du citron tranché et le rouge du piment d’Espelette en poudre.
Barbue cuite pile poil
À table !
La belle barbue qui s’avance, bue qui s’avance… Ce n’est pas Agamemnon, mais non, mais non !
Ah qu’il est beau le Bordelais Ah qu’il est laid le bord de l’eau Bordelais si beau bord de l’eau si laid S’il est un bord laid c’est bien le laid bord de l’eau.
Voilà ce que je fredonnais en ouvrant les huîtres rapportées des halles de ma bonne ville où un ostréiculteur breton a la bonne idée de tenir un stand en fin de semaine. Je les déposais sur du varech au pourtour d’un plateau, créant une frontière gardée par un citron séparant les huîtres de pleine mer de celles élevées sur l’île de Gavrinis. Au centre, déjà installé, un plat destiné à recevoir les morceaux de saucisse pour la dégustation à la bordelaise prévue…
Pendant que la deuxième eau se reformait à l’intérieur des coquilles, j’ai fait dorer un tronçon de saucisse de Toulouse partagé en petits morceaux dans une poêle sur un léger trait d’huile d’olive. J’ai versé un verre prélevé sur le vin blanc destiné à accompagner le plat, en l’occurrence un muscadet car je n’avais pas pu trouver l’Entre-deux-Mers qui me semblait approprié. J’ai ajouté deux échalotes tranchées grossièrement - une rose et une grise -, une feuille de laurier, un brin de thym et une petite cuillerée de piment d’Espelette. J’ai coiffé d’un couvercle pendant six minutes, puis continué la cuisson à découvert jusqu’à réduction quasi complète. J’ai transféré le contenu de la poêle dans le plat qui trônait au milieu du plateau.
Toulouse cernée par des Bretonnes
Vite, à table, afin de bénéficier du contraste entre la saucisse épicée bien chaude et la fraîcheur de l’huître avec la ponctuation de gorgées de vin sortant du seau à glace.
Et c’est ainsi que Bretagne, Toulouse, Nantes et Espelette réunies nous font croire que nous sommes dans le Bordelais…
Un Veau vit un Escargot qui lui sembla chanceux. Le gastéropode n’avait qu’à ouvrir la bouche pour brouter l’herbe tendre quand lui, haut perché sur pattes, devait baisser la tête. Envieux, il se recroqueville, s’aplatit, et se travaille pour égaler l’animal en aspect. Bien mal lui en prit ! Un paysan qui passait par là l’aperçut et s’exclama : « Qu’est qu’c’est donc qu’ce bestiau ? J’l’amène à mon logis ! Ça amusera ma drolière et p’t-être que ma fumelle m’en fera un frichti… » Sitôt dit, sitôt fait. Il enferme le Veau déguisé en luma dans son mouchoir (de Cholet) noué aux quatre coins et rentre tout faraud à la maison. « R’gardez donc c’que j’ai dégotté sur la prairie du père Anselme ! » Sa fille lève à peine les yeux de sa tablette et déclare avec une moue dégoûtée qu’elle ne kiffe pas et que c’est gravement crade. Son épouse s’apprête à balancer la trouvaille à la poubelle. « Ah non, tu cuisines c’te bête fissa ! » Le maître de céans a dit, elle s’exécute.
Oui, ça risque d’être un peu fade. Je vais dérouler ce bizarre escargot qui me semble bien anémique et ajouter une tranche de jambon. Ah, ce pauvre Hector, je me souviens encore de ses cris quand on l’a saigné, mais que le boudin était bon… Et puis une tranche fine du fromage que j’ai acheté hier au supermarché.
« Eh, ne reste pas planté à me regarder bosser, va sortir du frigo du lard gras. Je vais barder.
- Ah ça, avec touai, ça barde toujours !
- Active-toi au lieu de dire des sornettes. »
Finalement, ficelé comme ça, c’est moins laid. On dirait presque le Petit Jésus emmailloté… N’empêche que Petit Jésus ou pas, tu vas aller dorer au fond de la cocotte en fonte sur un filet d’huile Lesieur et une noisette de beurre de la ferme. Il n’y a pas à dire, elle assure, la Marguerite, avec ses grosses mamelles débordantes de lait bien gras… Bon, ça y est, tu es doré… Tu vas sortir un moment, mais ne t’en fais pas, c’est reculer pour mieux sauter. Je vais nettoyer et découper les champignons que mon homme a cueillis hier sur un pré du père Magloire, j’espère que ce ne sont pas des amanites. Maintenant, un navet et une carotte du potager. Je les tranche et les pose avec les champignons sur les deux petits oignons blancs tranchés en quatre en train de fondre au fond de la cocotte.
Je remets le bestiau assaisonné, arrose d’un verre d’eau et un autre de gros-plant, qu’est-ce que je regrette de ne plus avoir le bon noah des vignes de mon grand-père, je vais dans la cour de la ferme détacher une feuille du laurier et couper une branche de thym. Une pincée de sel, quelques grains de poivre. Et zou, dans le pinard…
Ça bloblotte, je pose le couvercle, glisse le récipient sur une petite flamme. Roule ma poule, trotte ma cocotte !
Un quart d’heure plus tard, je retourne la viande, poursuit la cuisson une vingtaine de minutes.
Je décoiffe, le liquide a réduit. Je sors mon escargot fantoche, le débarde.
« T’as pas mis ton débardeur ? »
Qu’est-ce qu’il peut être crétin, mon homme, avec ses plaisanteries lourdingues !
Je découpe en deux parts, la drolière ayant décrété que pour rien au monde elle voudrait bouffer ça. « J’vais grailler avec les copines au kebab à côté d’Intermarché, c’est trop cool ! Bye. »
Je mélange un jaune d’œuf avec deux cuillerées de crème fraîche. Merci encore, la Marguerite aux pis généreux ! J’incorpore délicatement au jus après avoir retiré laurier et thym. Je remets l’escargot pourfendu. À table !
Escarveau
« Fi d’garce, qu’c’est bon. J’suis beunaise asteur. Et dire qu’t’allais l’jeter ! »
C’est vrai que c’est savoureux.
Mais on toque à la porte : c’est le père Anselme.
« Z auriez pas vu mon viau ? L’est point dans mon pré où j’l’avions laissé… »
Le malheur était dans le pré : la jeune pécore se diminua tant qu’il lui en cuisit. Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages. Cherchant la facilité, ils y perdent leur nature. Se voulant simples, ils deviennent médiocres...
Sens de la vue, sens de l’odorat, sens du goût…
Sens ouest, sens est, sens sud…
Tout proche ou lointain…
Vert, rouge et bistre pour cette escalope de veau et chou romanesco :
Cuite dans du beurre demi-sel mousseux, la viande est saupoudrée d’épices Cajun venues de Louisiane aux senteurs de thym, oignon rose, ail, piment doux, origan, poivre noir, graines de moutarde, cumin.
Le chou romanesco blanchi quelques minutes dans l’eau bouillante salée est arrosé dans une poêle de beurre fondu parfumé d’une pincée de cumin arrivé tout droit du Maroc.
Mais la tomate, l’une des dernières récoltée au jardin est bien locale…
Le veau est tendre et goûteux, le chou conservé légèrement al dente voit ses sommités fondre dans la bouche en ajoutant à sa propre saveur les fragrances du jus récupéré.
Or, rouge et vert pour ce rognon dans son nid de pâtes :
Saisi à feu vif sur une poêle barbouillée d’un trait d’huile d’arachide enrichi d’une noisette de beurre doux, le rognon simplement fendu en deux et nettoyé avant cette cuisson va reposer et exsuder recouvert d’une feuille d’alu sur une grille.
Pendant ce temps, les pâtes d’Alsace sorties de leur eau de cuisson sont versées dans une poêle où est en train de fondre du beurre parfumé par du curry de Madras aux senteurs de coriandre, curcuma, fenugrec, piment, cumin, poivre, ail, fenouil. La couleur est accentuée par l’ajout d’une petite cuillerée de curcuma de l’île de la Réunion avant de bien brasser.
La poêle de cuisson du rognon est vidée de son liquide. Elle est déglacée avec un alcool polonais, un petit verre de Soplica wiśniowa
produit à 32° d’alcool sentant bon la cerise, malheureusement plus douceâtre que la délicieuse Wódka wiśniówka à 45°produite par la régie d’État que j’avais découvert à Varsovie bien avant que ne tombe le mur, que j’ai aimé siroter plus d’une fois plus tard -là-bas mais aussi à Paris- mais dont je ne peux me procurer désormais l’équivalent.
Une pincée de piment d’Espelette est ajoutée afin de donner un peu de vigueur ainsi que quelques gouttes de jus de citron pour conférer une pointe d’acidité.
Les pâtes sont déposées sur les deux assiettes. Aux centres viennent se nicher les demi-rognons repassés quelques secondes à la poêle dans le liquide qui est devenu sirupeux, presque caramélisé et dont le reste sert à les arroser.
Trois grosses feuilles de persil plat viennent apporter leur touche de couleur.
La coopération polono-basquaise a bien fonctionné et habille bien le rognon resté rosé à cœur.
Les pâtes reposent le palais avec leur rondeur, mais n’apparaissent pas pour autant fades grâce au curry qui de plus tend les bras au piment d‘Espelette pour assurer la jonction entre la viande et son accompagnement.
Dans tous les sens, oui, mais avec des jonctions !