Les menus furent ceux de l’Hostellerie du Veau d’Or (il est toujours debout…), avec des plats empreints d’une bonhomie toute provinciale. Reposant, non ?
Sauf que cet établissement fantasmagorique a occupé mes locaux et m’a embauché comme cuisinier…
J’avais donc en charge deux menus :
Menu du réveillon de Noël
Chiffonnade de saumon fumé sauce raifort
Civet de gigue de cerf Vox Dei, embeurrée de spätzles maison
Bleu de Termignon
Bûche glacée main de bouddha dans les châtaignes
Menu du 25 décembre
Foie gras de canard mi-cuit à l’ancienne
Dinde de Bresse farcie et ses légumes de Noël
Plateau de fromage
Gâteau de Noël Mon Bon Sapin
Mon assistante se chargeait, quant à elle, due la préparation du petit-déjeuner, avec en particulier un langhopf qui participe à sa renommée pâtissière…
DIMANCHE 23 DÉCEMBRE
La bûche glacée :
En premier lieu, réalisation d’un gâteau joconde dont une découpe formera le socle de la glace.
Une main de bouddha se demande bien à quelle sauce elle va être mangée.
Si tous les bouddhas du monde allaient main dans la main... |
Son parfum tout aussi puissant qu’exquis sera parfait pur l’insert de la bûche.
Je découpe quelques sommités qui, partagées en deux dans le sens de la longueur, sont confites dans un sirop afin de participer au décor. Deux bonnes cuillerées à soupe de zeste râpé vont infuser dans du lait chaud. La main de bouddha dans la calotte du zouave que je suis… Une fois bien imprégné des voluptueuses fragrances agrumesques, ce lait passé dans un chinois qui n’aurait jamais pensé se trouver aussi proche de bouddha sert à confectionner une crème anglaise. Additionné de crème, on obtient l’appareil qui va être turbiné avant d’être moulé pour l’insert. Mais, ventrebouddha, de moule à insert, je n’en ai point ! Comme toujours, le magasin local m’a répliqué : « Il fallait le commander ! ». Je joue donc les MacGyver en utilisant deux petits ramequins rectangulaires en porcelaine.
Et hop, c’est fait, la glace parfum main de bouddha va au congélateur en mode superfrost.
Je passe à la confection de l’autre parfum, une glace au marron dont je pense qu’elle s’alliera bien avec sa compagne de bûche. Mais plutôt que d’utiliser de la crème de marrons j’ouvre une boîte de purée de marrons non sucrée.
Je me contenterai d’augmenter la dose de sucre dans la crème anglaise.
Cette glace est introduite au fond d’un moule plutôt kitsch en forme de simili bûche. J’y dépose les inserts démoulés non sans mal et dont j’ai verticalisé une des extrémités biseautée afin de pouvoir les accoupler. Miracle, bouddha soit loué, j’obtiens juste la longueur du moule.
Je recouvre ensuite de glace au marron, arase au niveau du bord du moule.
Et zou, au congélateur jusqu’à demain.
Le civet :
Ce fut la galère pour me procurer une gigue de cerf, mais enfin elle est là, découpée par le volailler. Je lui prépare une marinade.
Le vin utilisé, recommandé par le caviste, est un corbières Vox Dei.
Devant la désolation de ce marchand devant un si triste sort culinaire infligé à un si bon vin, nous ne pouvions qu’acheter une sœur à cette bouteille pour la déguster avec le plat. Nous n’avons d'ailleurs pas eu à regretter notre influençabilité…
Ce nectar a recouvert les morceaux de cerf mélangés avec une découpe de carottes, panais, céleri oignons. S’y ajoutent deux gousses d’ail, une branche de thym, une branche de romarin et des épices pilés au mortier : poivre long, macis, poivre blanc de Pandja, poivre à queue, poivre de Cayenne, graines de Paradis, clou de girofle. Pour terminer, un trait de vinaigre balsamique de Modène, et je mets sous vide. Tout ce petit monde se réfugie au réfrigérateur.
La dinde de Bresse :
Elle est arrivée la veille de sa région natale.
Ah, la belle bête ! |
Ayant suffisamment de tâches culinaires prévues, j’ai demandé qu’elle ne soit pas simplement éviscérée, mais vidée : je n’ai donc plus qu’à sortir le foie, le gésier, le cœur et la boule de graisse qui sont déjà détachés dans le coffre de la bête.
Mais il me faut aussi préparer un bouillon pour la précuisson. J’ai obtenu du volailler deux carcasses de poulet.
Hou, les bêtes pas belles ! |
Je les concasse à l’aide d’un couperet. J’épluche deux carottes, un navet, un panais. Je nettoie deux poireaux, je pique un gros oignon paille de trois clous de girofle.
Je prends un faitout, dore les carcasses et le gésier de la dinde sur un trait d’huile d’olive, fait suer les légumes. J’ajoute une feuille de laurier, un brin de thym, du poivre noir, du piment de la Jamaïque.
On se décarcasse et on se fait suer
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Je recouvre d’eau abondamment, je porte à ébullition et laisse frémir durant une heure.
Pendant ce temps je confectionne la farce en mixant 500 g de veau (des morceaux pour blanquette) avec le foie et le cœur de la dinde, sa boule de graisse, ainsi qu’une poignée de mie de pain rassis trempée dans du lait. Puis je transvase dans une bassine en inox, ajoute deux petits-suisses, des morilles séchées réhydratées grossièrement découpées, trois échalotes grises hachées, des feuilles d’estragon ciselées, des pelures de cerfeuil, deux œufs entiers et brasse afin de bien mélanger le tout. Je finis en assaisonnant : sel, poivre noir de Kampot et quatre-épices.
La farce est une chose sérieuse ! |
Je fourre la dinde, dont j’ai salé l’intérieur du coffre avec du sel fin, de cette préparation. Il y a un excédent dont je forme une boule que j’enferme dans un torchon que je scelle par quelques tours de ficelle.
Je transvase du faitout le bouillon parfumé dans une marmite en le filtrant à l’aide d’un tamis. Je complète d’eau pour avoir suffisamment de liquide, et sale d’une poignée de gros sel. Je plonge dans ce bain chaud la dinde bridée et le reste de farce emmailloté et laisse cuire à frémissement environ une demi-heure.
Le chiffon blanc flotte dans la marmite |
Je sors et égoutte, laisse refroidir et réserve au frais.
LUNDI 24 DÉCEMBRE
Les spätzles :
Je prépare le mélange classique, 100 g de farine (ici de la T55 des Moulins de Versailles) pour 1 œuf entier et une pincée de sel. Il s’agit ici simplement d’ajuster la quantité d’eau afin d’obtenir la fluidité adaptée à l’écoulement lent dans l’ustensile adéquat posé au-dessus d’une casserole d’eau bouillante salée.
Sous la râpe, la vapeur |
Les spätzles remontant à la surface sont retirées à l’aide d’une araignée, puis rincées à l’eau froide.
Douche écossaise |
Je les égoutte bien et les stocke sur une plaque qui sera filmée et réservée au frais jusqu’au soir.
Que de spätzles ! |
Le langhopf :
La pâte confectionnée par mon assistante a fini sa deuxième pousse dans le moule.
Avant le four
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Elle est enfournée pour une quarantaine de minutes avant que ce gâteau soit démoulé et arrosé de beurre fondu sur lequel viendra se coller la pluie du mélange de sucre semoule et de cannelle.
Le civet :
J’ouvre la boîte sous vide où marinent les morceaux de cerf.
Le cerf n'a pas peur du vide |
Je prélève au moyen d’une pince cette viande que je saisis à feu vif sur toutes les faces dans une cocotte en fonte ointe d’une larme d’huile d’olive, puis réserve provisoirement sur une plaque. Cette opération terminée, je baisse la flamme et je fais suer les légumes prélevés avec une araignée. Je remets le cerf et singe d’une cuillerée de farine. Je verse le liquide de la marinade, assaisonne d’une cuillerée rase de gros sel et laisse cuire à feu doux pendant une heure. Puis je sors une nouvelle fois les morceaux de cerf de la cocotte, passe le liquide au chinois et le remets dans la cocotte, débarrassé de la garniture aromatique et des épices qui prennent une retraite bien méritée. La cuisson sera prolongée au four à 130 °C pendant deux heures. À la sortie, la sauce a bien réduit et la viande se laisse traverser par la pointe d’un couteau. La cocotte n’a plus qu’à patienter jusqu'à l’heure du repas.
En attendant, je pèle quelques oignons grelots que je fais glacer dans le reste du beurre fondu qui avait servi à arroser le langhopf sorti du four juste avant qu’il soit remplacé par la cocotte. J’ajoute juste dans la casserole une petite cuillerée de sucre, une pincée de sel et un verre d’eau, et je couvre d’un disque de papier siliconé.
Les légumes de Noël :
Corvée d’épluchages ! Il y a sur le plan de travail un potimarron, une courge butternut et un céleri-rave dont je n’utiliserai qu’une partie, un gros panais, trois racines de persil tubéreux, deux navets et trois betteraves rouges : tous légumes récoltés au jardin. S’y ajoutent trois carottes, une patate douce et trois topinambours achetés au marché. Après la découpe finale, je blanchis cinq minutes les morceaux obtenus dans de l’eau bouillante salée - les betteraves en quarantaine dans une autre casserole pour risque de contamination rubescente…
J’égoutte et réserve au frais.
La bûche glacée :
Je la démoule sur le rectangle de gâteau joconde que je découpe suivant son gabarit. Je la décore de quelques stries sinueuses et pluies de poudre de cacao à travers une passoire fine. Je pose des ongles confits des doigts de la main de bouddha et trois marrons glacés, d’une qualité je l’avoue assez médiocre, car achetés dans l’urgence. Le superfrost et la vapeur culinaire ont fait que la bûche est envahie par le givre.
Bûche dans les frimas |
Je baisse la température du congélateur afin que le dessert soit tranchable après une brève transition au réfrigérateur à la fin du réveillon.
Le saumon fumé :
Je tranche un demi-filet d’un saumon d’excellente qualité fumé par un artisan du Médoc afin d’obtenir une chiffonnade que je dispose sur un plat. Je décore de quelques feuilles d’aneth et d’une sauce au raifort qui sera servie à part. Je réserve au frais.
L'ai je bien chiffonné ? |
Le repas :
Le plat de saumon est apporté sur la table avec à côté de la sauce raifort et les blinis du paresseux (pas maison, alibi : pas le temps…). De la vodka est proposée.
Quant à moi, après avoir dégusté cet écossais bien né au lance-pierre - dommage, il est savoureux… -, il me faut retourner en cuisine où j’ai remis la cocotte sur le feu, à côté d’une poêle dans laquelle les spätzle s’enduisent d’un bon beurre demi-sel mousseux.
Je sors les morceaux de cerf pour les placer dans le plat de service. Ils sont devenus suffisamment tendres pour que je puisse les débarrasser des os qui les encombrent. J’ajoute à la sauce une cuillerée de confiture de groseille diluée avec du vinaigre balsamique. Je sors du feu, ajoute plusieurs tours de moulin de poivre rouge et épaissit la sauce avec un petit bocal de sang que le volailler a bien voulu me donner. Elle devient crémeuse et presque noire. Je la verse sur le cerf. Pendant que je transvase les spätzles dans un autre plat de service assorti, je remets à température les oignons glacés que je dispose ensuite sur le civet. Mon assistante venue à ma rescousse fait tomber quelques peluches de cerfeuil, puis emporte les plats vers la tablée.
Civet de cerf aux petits oignons |
Embeurrée de spätzles |
Pour ma part j’arrive avec la bouteille de Vox Populi débouchée une heure auparavant.
Tout le monde a l’air de se régaler, même les petites infantes - enfin jusqu’au moment où l’aînée réalise qu’il s’agit d’un grand cerf dans la forêt et que le chasseur l’a tué…
Puis on passe au fromage, le bleu de Termignon, qui malheureusement me semble trop jeune, même s’il est plutôt goûteux.
Enfin je sors la bûche, ce qui ne me demande pas trop de travail, d’autant plus que ce n’est pas moi qui vais la découper.
Bûche ! |
L’alliance marron et main de bouddha fonctionne bien, je regrette simplement qu’un sirop léger au Grand-Marnier n’ait pas imbibé le socle. Mais la présence de mineures…
Une bonne tranche |
Les adultes se consolent avec du champagne offert par la maison - comme le reste du repas d’ailleurs…
Je rends mon tablier, provisoirement s’entend.
MARDI 25 DÉCEMBRE
Le petit-déjeuner :
Je vois que les hôtes n’ont pas dédaigné le langhopf.
Langhopf un peu moins lang |
Pour ma part, n’aimant guère le sucré le matin, je reporte ma dégustation, bien qu’il ait l’air réussi…
Et puis je dois me recoiffer de ma toque virtuelle…
La dinde de Bresse :
Je la fais évacuer son refuge réfrigéré.
Je la pose sur une grille munie de pieds posée au fond d’une plaque à rôtir. Je pose à ses côtés le reste de farce dévêtu de son maillot. Je verse trois verres d’eau sous la grille.
J’enfourne et j’allume le four en le réglant à 150 °C. Je prévois de laisser la bête à peu près deux heures et finir par un quart d’heure à 200 °C.
Les légumes de Noël :
J’enferme les légumes que j’avais blanchis dans une vaste papillote constituée avec des feuilles de papier parchemin doublé d’aluminium après les avoir assaisonnés, ajouté une tête d'ail fumé d'Arleux tranchée en deux suivant l'équateur, un brin de thym, une feuille de laurier, deux grosses noix de beurre et arrosé d’un trait d’huile d’olive herbacée. Je glisse cette papillote dans le four à côté de la dinde.
Le repas de Noël :
Pour l’entrée, je n’ai pas beaucoup d’efforts à fournir, le foie gras de canard est tout prêt. Je n’ai eu qu’à le sortir du sac sous vide dans lequel il a cuit et lui laisser le temps de s’aérer et remonter à température ambiante.
Je le pose sur un lit de roquette.
Foie prisonnier de la roquette |
Si tout le monde semble satisfait, pour ma part je ne me régale pas vraiment. Il est vrai que je préfère nettement le subtile et onctueux foie d’oie à celui de canard (qui lui ne mérite pas sa palme !).
Et le gewurztraminer récolte tardive sait me consoler de ma déception.
La dinde est restée un peu plus longtemps au four que prévu. À la découpe, je constate qu’effectivement elle est un peu trop cuite à mon goût, mais rien de catastrophique. La farce extraite est partagée et disposée sur un plat rond. Le jus contenu dans la plaque de cuisson est réduit sur un feu et versé dans une saucière, relevé d’un trait de vinaigre balsamique et de force poivre.
Quelle dinde ! |
Je vide ma poche de ses légumes sur un plat en inox qui a bien du mal à les contenir. Un tour de moulin de poivre noir de Kampot, et c’est prêt pour aller rejoindre la dinde - non pas sur la table mais sur une desserte faute de place.
Racines.. |
J’aurais souhaité une bouteille de Fixin (appellation fort honorable et chargée de souvenirs pour moi…) en accompagnement de ce plat, mais ce vin était impossible à trouver chez les cavistes locaux. Je me suis replié sur un Givry 1er cru qui ne m’a pas enchanté plus que ça…
Bon, chacun semble se régaler de la bête. On reprend des légumes, agréablement parfumés par l'ail d'Arleux. Même les infantes en réclament, ce qui ouvre un nouvel horizon à leur mère qui habituellement a bien du mal à faire accepter les végétaux au menu.
Arrive ensuite le plateau de fromages :
Brie fermier d’Île de France
Charolais fermier
Fort du Gévaudan
Comté Extra Vieux Cristallisé
Cheddar Blanc Toilé
Strachitunt
Boulette de Cambrai
Poiret de la Meuse
Heureuse découverte qu’est ce strachitunt. Ce persillé de Lombardie provient d’une production qui prévoit toujours l’utilisation de lait entier cru, c’est-à-dire, utilisé dès la traite à la température de l’animal et travaillé avec l’ancienne technique de pâte double qui consiste en l’union du caillé du soir, avec le caillé chaud du matin.
En revanche le Poiret de la Meuse n’a pas convaincu tout le monde. Pour cause, je me suis risqué dans le bizarre et y a pas à dire : c’est un fromage d’hommes !
Mais les palais timides seront rassurés par le dessert. Ce n’est pas une confection maison.
Il s’appelle Mon Bon Sapin, et voici sa naissance :
Il a fière allure sur notre table.
Mon mien ! |
Et je dois reconnaître qu’il est excellent. Même moi, qui ne suis guère porté vers les sucreries, j’en reprends une part.
Un crémant d’Alsace fournit le contrepoint qui rafraîchit les papilles
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Un bon espresso et l’addition s’il vous plaît…
Mais non, à l’Hostellerie du Veau d’Or tout est offert par la maison.
Vous espérez y être invité ? Vous croyez au père Noël !!!