mardi 2 octobre 2018

En vert mais pas en vers !

Un rimailleur poussif est venu sans vergogne squatter ces lieux, en profitant pour salir l’image d’un malheureux couple qui ne mérite pourtant pas une telle infamie… Ajoutant le pipeau au mirliton, il se lance dans l’évocation d’une prétendue scène de ménage. Mais non, Monsieur le poétaillon de comptoir en quête de sensationnalisme afin de masquer la vacuité de vos propos, il n’y eut qu’un débat courtois sur l’utilité d’utiliser un mixer. Pas de quoi fouetter un chat, ni même une gelée pas prise !

Bon, le mépris suffira pour régler son compte à un tel personnage. Je ne m’appesantirai pas plus sur ce navrant épisode. Il est temps que ce blog revienne derechef à la vocation qui est la sienne : dispenser de façon didactique, néanmoins plaisante, des procédures simples -sans pour autant être simplistes- aptes à satisfaire des palais gourmets…
Monsieur le métromane s’est englué dans la confiture pour finir dans la déconfiture, eh bien je vais lui montrer comment traiter sereinement d’un même sujet : la confiture.
Cette fois-ci, il s’agit de confiture de tomate verte.

Tout d’abord trancher en quatre les tomates et les épépiner grossièrement. Les mélanger avec du sucre cristallisé dans la proportion 1,5 kg de sucre pour 2 kg de tomate. Ajouter le jus d’un citron et les lambeaux de son zeste avec une partie du zist. Laisser macérer une douzaine d’heures.
Transférer dans la bassine en cuivre destinée à la cuisson.


confiture de tomates vertes
12 heures après...


Laisser sur le feu.

confiture de tomates vertes
L'écume du jour
 
 

Écumer et arrêter la cuisson quand une goutte de jus coagule aussitôt sur une assiette inclinée.


confiture de tomates vertes
Quasi confites


Transférer dans des pots ébouillantés que l’on retourne après fermeture.


confiture de tomates vertes
...et que l'on re retourne un peu plus tard
 


N’en déplaise à certains, cette confiture obtenue à partir de tomates urbaines fut une réussite. On me permettra, à moi qui suis pourtant un bec salé, de me lécher les babines tout en songeant aux pots de confiture de tomates vertes que ma grand-mère poitevine concoctait en ces mêmes lieux.
Une de mes nombreuses madeleines proustiennes…
Et j’espère que l’on me saura gré d’avoir remis ce blog sur des rails qu’il n’aurait jamais dû quitter.
Peste soit de l’aiguilleur fou !

samedi 29 septembre 2018

Coingcoing et les z'ignorants

Deux z’urbains, mari et femme, partirent vers le Poitou,
Laissant à l’abandon leur jardin francilien.
Des légumes orphelins ? Pas du tout !
On ne rompt pas si facilement des liens…
Les plus vaillants furent du voyage,
Mais point tous…
L’invasion des tomates avait fait du ravage,
Certaines seraient exemptées de cambrousse,
Comme quelques cucurbitacées dont on avait assez, assez.
Un échange s’opéra, entre voisins de parcelle,
Un cageot de légumes par un panier de coings remplacé,
De quoi faire le bonheur des z’urbains ruralisés : la vie était belle !


coings, gelée, pâte de cings
Coing, coing et recoing



Pour ces coings on sortit la bassine familiale…
Autant le cuivre rutilait, autant le moral était devenu terne.
Pas moyen de trouver la recette idéale.
Que cuisiniers en querelles, que confiturières en berne…
Divagations de matamores douteux ou recettes de tambouilleuses défaitistes,
Tel était le fruit de leurs lectures.
Rien ne les satisfaisait dans cette liste,
Dur, dur, dur !
Leur dernière ressource était un grimoire,
Un volume défraîchi d’une collection ancienne.
Ils venaient de le retrouver au fond d’une armoire :
Time Life était son nom, autant que me souvienne.

Time Life, livres de cuisine
Life is life

Sitôt lu, sitôt fait : les coings sont tranchés.
On les recouvre d’eau, on les met sur le gaz.
Ils vont bouillir une heure – avec leurs déchets :
Trognons et pépins dans la gaze…


gelée de coing
Coings et gaze de France


Ils piquèrent, c’était tendre.
Les morceaux s’égouttèrent, nichés dans un tamis.

coings
Ils seraient mieux dans le panier...


Pour ce jus, point besoin d’attendre,
Dans la bassine en cuivre il fut mis.


gelée de coing
Fenêtre sur cour


Il devait bouillonner dix minutes,
Une heure fut nécessaire.
Mais pas suffisante, zut, zut !
Triste affaire...


gelée de coings
Vu, mais pas pris !



Trois jours plus tard, les bocaux refusaient de figer
De gelée point, on les secoue, il clapote un liquide,
Le couple fut déçu, vraiment de quoi rager…
Leur gelée de coing, un triste bide !

Restait la pulpe des coings,
Il fallait l’écraser sans ménagement.
Un pilon traînait dans un coin,
Il fit l’affaire et œuvra gentiment.
Tout au moins tel le pensa Monsieur…
Car Madame n’était pas satisfaite.
Elle scruta, éleva son regard vers les cieux.
« Mon pauvre ami, quel médiocre pileur que vous faites »
Elle ambitionnait le mixeur.
Elle était moderniste, et lui réactionnaire…
Il refusa avec vigueur.
Que faire, que faire ?
Que douleur et que rage…
Le dieu de la cuisine souffla un compromis.
Il était pour la paix du ménage…
Madame mixa une bonne moitié, le reste fut omis.


J+2 : recto, non mixé



J+2 : verso, non mixé




J+2 : recto, mixé



J+2 : verso, mixé


Un test est en cours : la science y fut gagnante.
Encore que…
Sur le résultat, la balance est hésitante.
Le test est merdiqueux…

mardi 25 septembre 2018

Ma Chine à choux

Il n’y a pas que les légumes du Sud, tomates, aubergines, courgettes, qui prospèrent en ce moment au jardin. Des choux de Chine réclamaient aussi d’être récoltés.

Et c’est ainsi que je me trouve en train de cuisiner une andouille du pays basque accompagnée de ces crucifères.

Je dépouille l’andouille de sa peau barbouillée de graisse parfumée au piment d’Espelette, la partage en une dizaine de tranches et réserve.
Je découpe ces choux en tronçons, ne gardant que les côtes qui ressemblent à des bettes et une partie des feuilles. Je blanchis ces morceaux 5 minutes dans de l’eau bouillante salée. Puis je les fais sauter dans une poêle sur une cuillerée de graisse d’oie.
Quand je juge la cuisson proche de l’optimum, tendre mais encore un peu al dente, je saisis à feu vif les tranches d’andouille par un aller-retour dans une autre poêle elle aussi ointe d’une fine couche de graisse d’oie, ajoutant à leur côté des tomates cerises et un piment thaï cueilli quelques secondes auparavant puis fendu en deux - le seul fruit obtenu à l’issue d’un semis fort peu productif dans un pot placé près de la fenêtre.
Je dispose cinq tranches d’andouille basque sur chacune des deux assiettes.
Je déglace la poêle de leur cuisson avec un demi-verre de sauvignon et un trait de balsamique de Modène et fait réduire jusqu’à obtention d’un liquide sirupeux dont j’arrose les tranches.
J’avais dans mon placard un sachet de jus de poulet rôti Ariake : j’en verse deux cuillerées dans la poêle où attend le chou chinois, brasse le contenu quelques secondes. Je répartis entre les deux assiettes. Je dispose les tomates, le chou arbore fièrement son plumet de piment. Une capucine entre dans la danse et une petite branche de romarin réussit à se planter dans de petit jardin.

andouille basque, chou chinois
Andouille basque, chou chinois


Il ne reste plus qu’à servir.

samedi 22 septembre 2018

Réunionite

Réunion encore, mais cette fois-ci le thème n’est pas la saucisse fumée, mais le boucané.



Pour le cuisiner j’ai consulté le site Goutanou, référence en ce qui concerne la cuisine réunionnaise.

http://goutanou.re/boucane-bringelle-par-christian-antou/

Il fut créé par Christian Antou, hélas prématurément disparu.



Fort heureusement son épouse continue à entretenir ce lieu…

La recette de cette Viande de porc fumée, coupée en lamelles, cuite en carry, accompagnée de bringelles (aubergines) comporte les proportions suivantes :
Boucané 1,2 kg
Oignons 200 gr
Tomates 100 gr
Ail 50 gr
Huile 1 dl si nécessaire
Sel
Poivre noir en grains PM
Thym vert PM
Curcuma 1 c à café
Aubergines (bringelle) 800 gr


J’avoue que je n’ai pas sorti la balance et me suis contenté de doser au pifomètre… Voici le déroulement de cette préparation :

Je prélève quatre morceaux de boucané (provenant du même charcutier que les saucisses cuisinées il y a quelque temps), deux sans os, deux avec os. Je les blanchis deux fois en portant à ébullition l’eau froide dans laquelle je les plonge. Puis je sépare la viande des os et la partage en tranches d'un centimètre..
Je passe un gros oignon paille à la mandoline, et hache grossièrement deux petites tomates en dés.
je découpe en tranches d'un demi centimètre deux aubergines qui viennent d'arriver du jardin.
Puis je sors mon mortier et y écrase sur une pincée de gros sel : une bonne cuillerée de poivre rouge de Kampot, trois gousses d’ail, les feuilles détachées d’une branche de thym frais.
Je verse les morceaux de boucané, y compris les os, dans un rondeau placé sur un feu moyen. La graisse se met à fondre et le porc commence à dorer. Je déverse l’oignon, puis, quand il commence à blondir, j’ajoute le contenu du mortier et laisse encore suer à feu doux quelques minutes. Suivent les tomates avec une cuillerée de curcuma.
Quand les tomates ont compté, je termine le défilé des ingrédients par les tranches d’aubergine et une cuillerée d’huile d’arachide.
Je coiffe le rondeau de son couvercle et laisse mijoter une vingtaine de minutes environ, venant de temps à autre brasser et vérifier que ça n’attache pas.

Bon, je soulève une dernière fois le couvercle, l’aubergine a bien fondu et le fumet qui monte à mes narines me fait saliver.

boucané, bringelles, aubergines, Réunion
Rondeau à la réunionnaise


J’emplis les assiettes.

boucané, bringelles, aubergines, Réunion
Un os à ronger


C’est bien bon, je me servirai du rab !

J'observe cependant que mon plat est d'un aspect différent de celui de Christian Antou :

Réunion, boucané
L'authentique


Pas étonnant, mes aubergines étaient de la variété tigrée, leur peau n'était pas d'un violet foncé...

aubergine tigrée
Elle est tigrée

Et la proportion de boucané est  plus grande.
Pas étonnant, je suis un viandard...

jeudi 20 septembre 2018

Pompe repompée



M’étant départi pour une fois de l'aimable modestie qui fait tout mon charme, je ne pus m’empêcher de m’exclamer en voyant la pompe à l’huile réalisée par un concurrent de l’émission de M6 La meilleure Boulangerie :


« Mais la mienne était bien plus belle ! ».
Sachant que l’on a souvent tendance à enjoliver ses souvenirs, et me voulant parfaitement objectif, j’ai toutefois effectué des recherches dans mes archives et j’ai retrouvé cette fameuse pompe, confectionnée en début août 2014 - sa photo, mais aussi le texte qu’elle m’avait inspiré, petite parodie des déprimants polars nordiques…
Atteint de flémingite scripturale, je me contenterai donc aujourd’hui  de réamorcer cette

POMPE FUNÈBRE


L’homme regardait le corps gonflé qui flottait dans l’eau. Il était remonté à la surface un peu plus vite que prévu. Sans doute était-ce à cause de la chaleur… Il fallait désormais le recouvrir. L’homme commença à creuser dans la masse friable blanchâtre.

La clim était en panne. L’inspecteur Bengt Heyerdahl suait à grosses gouttes dans le bureau aux vastes baies vitrées qu’il partageait avec sa coéquipière Kerstin Strömblad. C’était le début d’août, et le soleil que l’on avait attendu avec impatience durant de longs mois devenait importun, d’ailleurs, aux yeux de Bengt, sa présence dans une ville comme Helsingborg était aussi incongrue que celle d’un tanagra en robe de soirée dans un rade du port au milieu des pouffes peinturlurées et des matelots imbibés d’aquavit. Ce paysage était fait pour la pluie et la neige, rien d’autre.
Il soupira en essuyant une perle de sueur qui avait maculé un de ces multiples questionnaires et recueils de statistiques que son supérieur hiérarchique lui avait imposé de compléter. En entrant dans la police, il rêvait de défendre la veuve et l’orphelin, pas de noircir des paperasses. De toute façon, le résultat était couru d’avance : le nombre de crimes allait continuer à gravir bravement sa courbe ascendante. La grimpette était générale, les vols, les viols, ces saloperies du quotidien que l’on avait baptisées gentiment incivilités, les chômeurs, les suicides ; enfin, presque générale, car en revanche le nombre d’entreprises, les salaires, les sourires et les occasions de s’amuser étaient en chute libre. 
Le téléphone sonna. Bengt ne se sentit pas le courage de se lever pour aller décrocher. Telle qu’il la connaissait, Kerstin allait se précipiter vers l’appareil. Bingo, elle fonçait vers le combiné, et il entendit :
« Comment ? Allô, allô, j’entends mal… Répétez l’adresse ! Allô, allô, allô ! »
Elle raccrocha et se tourna vers Bengt :
« Je n’ai pas vraiment compris. L’homme avait un accent terrible, français je pense, tout ce que j’ai pu distinguer, c’est le mot pompe, et je crois que j’ai pu noter l’adresse. C’est dans le nouveau quartier que l’on vient de bâtir au bord de la mer. Fiskmåsarnavägen, rue des mouettes.
- Tu as dû constater comme moi que c’est toujours dans les quartiers les plus glauques que l’on colle des noms bucoliques aux rues. Rue des mouettes, rue des mésanges, rue des œillets ; jamais rue des cafards ou rue des orties…
- Tu aurais préféré qu’on les baptise du nom d’un des politicards véreux ou des chevaliers d’industrie pourris qui ont spéculé sur ces terrains devenus constructibles d’un coup de parapheur magique ?
- Au moins ça aurait clarifié les choses. Mais trêve de billevesées. Il faut se rendre sur place. Tu as entendu le mot pompe. Il s’agit sans doute d’un fusil à pompe…
- Il n’avait pas le ton d’une personne affolée.
- Qu’est-ce que t’en sais vraiment ? Et puis la voiture est climatisée, cette ballade nous fera des vacances… »

 Bengt se leva néanmoins à regret, sortant avec difficulté de sa torpeur engluante.

« Tu mets ton gilet pare-balles ! Tu es folle, tu vas crever de chaleur.

- Tu ferais bien d’en faire autant. Tu auras l’air malin si tu prends une bastos dans ton petit bide grassouillet.
- Mais non, la meilleure protection, c’est la parole. Je saurai le dissuader, le zigoto au fusil à pompe. C’est ma conviction.
- Toi, une conviction, c’est nouveau, ça vient de sortir ! »

Elle prit le volant de la Saab, et il s’installa à côté de Kerstin.
Il se mit à trifouiller.
« Shit ! La clim de la bagnole est aussi en panne ! Adieu les fraîches vacances… Pas étonnant avec la baisse des allocations d’entretien du matériel !
Tu sais, j’ai connu jadis l’endroit où l’on va. C’était une côte quasi sauvage, avec seulement deux ou trois petites maisons. J’y venais quand j’étais ado. Je regardais la côte d’Elseneur au loin, et je me récitais : être ou ne pas être. Maintenant, les jeunes s’en foutent. Ce qu’ils veulent, c’est avoir. Ce qu’ils voient à l’horizon, ce n’est pas le pays d’Hamlet, c’est celui de la bibine, du pinard et de l’aquavit meilleur marché qu’ici. La cuite discount.
Je suis écœuré quand je vois ces hordes barbares descendre du ferry le samedi soir ou le dimanche matin, revenant bâtées de canettes et de litrons, les traces nauséabondes s’éparpillant au fur et à mesure des retours au bercail dans nos rues ! »

Ce que Bengt n’ajouta pas, c’est qu’un jour, faisant une ronde préventive, il avait découvert son fils agenouillé comme un supplicié, secoué par des hoquets et des spasmes. Il était descendu de la voiture et s’était précipité vers lui, dans un élan d’amour paternel - ou de remords, il ne savait pas trop bien.
« Erik ! »
Son fils avait levé la tête et lui avait hurlé :
« Barre-toi ! Tu ne vois pas que c’est de te voir qui me fait dégueuler ! »
Il avait soulevé son pied droit, puis il avait renoncé à s'approcher, une fois de plus il avait battu en retraite comme un lâche qu’il était, comme il l’avait fait avec son ex-femme Monika.
Certes, elle cédait tout à Erik, mais n’était-ce pas lui le plus coupable – le seul peut-être… ?
Il se tourna vers Kerstin. Elle conduisait à vive allure.
Elle avait la tête haute, le front plissé et le menton en avant, avec ce regard sévère qu’elle prenait chaque fois qu’elle s’appliquait à bien faire.
En revanche sa nuque était un miracle de douceur, roseur duvetée barrée simplement de quelques mèches follettes de ses cheveux auburn. Il aurait bien voulu poser ses lèvres sur le grain de beauté, juste au-dessus du col du gilet pare-balles.

« Qu’est-ce que tu as à me reluquer comme ça ? »
Il préféra ne pas répondre.
Ce geste qui le tentait, il l’avait fait une fois, quelques mois auparavant, alors qu’ils étaient en planque par une froide nuit d’hiver. Ils s’étaient réchauffés mutuellement, et, de fil en aiguille, il s’était retrouvé dans le studio de Kerstin.
Et ce qui devait arriver arriva…
Dans l’intimité qui suivit leurs ébats, il avait osé lui poser la question qu’il réprimait depuis longtemps :
« Comment toi, la fille d’un médecin et d’une antiquaire, lumineuse d’intelligence et cultivée, es-tu devenue une petite fliquette… ? Flic, c’est bon pour un rustre comme moi…
- Ne crois-tu pas que d’une certaine façon j’exerce le même métier que mon père ? Et en moins routinier ! »
Depuis cette nuit, par un accord tacite, il n’avait jamais été fait allusion à cet instant d’égarement – mais oser qualifier d’égarement un rapprochement, aussi bref soit-il, n’est-ce pas une absurde vulgarité de feuilletoniste médiocre ?
Il détourna son regard et conserva son mutisme. Il ne tenait pas, en tirant sur le fil ténu d’un instant de bonheur, à entraîner en même temps les sacs de nœuds de ses remords et de ses lâchetés.
D’autant plus que c’était à l’époque où il tentait de se rabibocher avec Monika. Il avait échoué, bien entendu…

Un crissement de freins, un dérapage contrôlé, une odeur de caoutchouc brûlé.
« Monsieur est arrivé !
- Ouais, pas la peine de faire ce cinéma. On n’est pas en train de tourner une série télé !
- Je passe devant toi, j’ai le gilet.
- Après vous, gente demoiselle ! »
Elle frappa à la porte de la bâtisse minable.
Un jeunot brun de poil à qui l’on pouvait attribuer une vingtaine d’années ouvrit la porte. Sa tête me dit quelque chose, où l’ai-je déjà vu, pensa Bengt. Oui, où ça ?
« Entrez ! », dit-il avec un fort accent français.« Je m’appelle Eric. »

La pièce était vide, sauf une grande planche où figuraient entre autres des fruits, des mendiants, des nougats, et une brioche plate et vernissée traversée de sept stries.
Eric s’adressa à Bengt.
« Alors, ça ne te dit rien ? »
Un flash éclata dans la tête de Bengt. Mais oui… La dernière année de ses études en gymnasieskola, il avait fait un voyage dans le sud de la France. Il se rappelait, c’était la table des treize desserts de Noël, et le mot pompe qu’avait entendu Kerstin ne concernait pas un fusil. C’était la pompe à l’huile…
Mais on était au mois d’août… Alors, pourquoi ?
Les souvenirs se bousculaient dans sa tête, se dégageaient en force des limbes où ils étaient enfouis depuis des années. Combien au fait ? Une vingtaine. Oui, une vingtaine d’années…
Ce voyage, il l’avait effectué en tout bien tout honneur. Pour ne pas dire en toute naïveté. Pas comme beaucoup de filles de sa classe qui allaient dans les pays du Sud à la pêche aux latin lovers avec comme esche une peau laiteuse et une toison dorée.
Un jour, il avait trouvé oublié dans un casier le carnet de voyage d’une de ses condisciples. Les performances de ses amants d’une nuit avaient été évaluées par une note de 0 à 5. Pire, d’autres testeuses avaient ajouté en dessous leurs propres appréciations. Il avait été écœuré, non pas par pruderie ou pudibonderie, mais par le caractère consumériste d’un tel tableau qui réifiait l’être humain. Il avait remis le carnet à sa place en griffonnant dans un coin Que Choisir, titre d’un magazine qu’il avait vu affiché dans les kiosques français et qui l’avait aidé dans le choix de la bouteille de champagne qu’il avait offert à son père.
Pour lui, rien de tel dans ses motivations, c’est ce soleil qui lui manquait qu’il recherchait, et il était descendu vers la Provence en stop, la bourse lestée de quelques minces économies obtenues par de petits boulots.
Ses ressources s’étaient vite épuisées.
Aussi, l’après-midi du 24 décembre, il errait sur une plage, se demandant bien dans quel fast-food miraculeusement ouvert il allait pouvoir vivre un simulacre de réveillon avec les derniers francs qui lui restaient, en compagnie de quelques paumés aussi esseulés que lui.

Et c’est là qu’il avait croisé Catherine entourée d’une bande de copains et copines.
« Eh, tu ne respires pas la joie, l’ami. C’est Noël, que diable! »
Dans son baragouin en mauvais français rustiné par des mots anglais, il avait expliqué d’où il venait, et que son cafard passerait vite grâce au soleil. Il avait obtenu ce pour quoi il était venu, n’était-ce pas le principal ?
Catherine avait proposé :
« Et si on l’invitait à notre soirée ? »
Tout le monde acquiesça avec enthousiasme, sauf un certain Thierry qui lui jeta un regard noir.

Catherine avait entraîné la petite troupe vers sa maison. Dans la salle à manger, une table était dressée, s’y étalaient les mêmes desserts que Bengt revoyait aujourd’hui, dans une sorte de reconstitution loufoque. Catherine lui avait expliqué la tradition des treize desserts ; de tous c’est la pompe qu’il avait préférée. Sa légèreté était la même que celle de Catherine, et le parfum de fleur d’oranger lui rappelait les fragrances de sa peau brune.
On avait dansé, ri, fait des confidences, bu un peu plus que de raison. On était allé chercher les cadeaux sous le sapin :
« On est désolé, on n’a rien pour toi, on ne savait pas que tu serais là… »
Alors un des copains avait défait sa cravate en titubant et la lui avait offerte avec une courbette :
« Il ne sera pas dit que nous ne savons pas recevoir. Voici pour le nouvel ami de Catherine… »
Qu’était-elle devenue, cette cravate ? Peut-être trainait-elle encore dans un coin de l’armoire où il entassait toutes ces fringues imbibées de tant de souvenirs qu’il n’osait pas s’en séparer et qu’il refusait catégoriquement de les mettre à la poubelle.
Catherine l’avait emmené dans le jardin, lui avait montré une fenêtre.
« C’est celle de ma chambre. Elle sera ouverte. »
Elle avait relevé sa chevelure de jais, avait posé furtivement ses lèvres sur les siennes et elle s’était enfuie dans un bruissement de cotonnade froissée.

Une heure plus tard, il avait escaladé la façade avec une aisance dont il se serait cru incapable.
Elle l’attendait. Quand, allongée contre lui, elle lui chuchota « Tu es mon viking lover… », il eut mal dans son cœur, mais quand il vit qu’il était le premier il sut qu’elle n’était pas comme ses condisciples de gymnasieskola.
« N’est-il pas beau, ton cadeau de Noël ? » lui avait-elle dit quand il s’était échappé à l’aube naissante.
Il revint les nuits suivantes, et c’était toujours le même miracle. Mais il fallut bien rentrer en Suède. En dépit du champagne de France, le réveillon du jour de l’an lui sembla sinistre.
Il attendait une lettre qui ne vint pas. Il en envoya une qui n’obtint aucune réponse.

Elle était donc comme les autres.
Il rencontra Monika. Elle n’allait pas à la pêche aux latin lovers, et ça lui plut. Il l’avait épousée…
Mais après la naissance d’Erik, il s’était aperçu que l’amour de sa vie, à elle, c’était le fric, et ça, il ne pouvait pas lui donner.

Erik… Eric…

« Ah, tu commences à piger….
Eh oui, je suis né huit mois après ton escapade française. Mais pas dans le calme et la sérénité. Figure-toi que les parents de Catherine, oui, mes grands-parents, ont eu vent de tes visites. Ils ont enfermé ma mère en la traitant de gourgandine, on parlait ainsi dans cette famille.
Quand j’ai manifesté ma présence, ce fut pire. On essaya de trouver un mari complaisant. Un dénommé Thierry, depuis longtemps amoureux éconduit de ma mère, s’est proposé. Le 4 août, il est venu se jeter aux pieds du lit où ma mère pleurait en silence. Il proposa ce que l’outrecuidance et la maladresse l’amenèrent à appeler ses services.
Catherine, outrée, n’eut pas de mots assez durs pour dire ce qu’elle pensait de lui. Il sut qu’elle le méprisait, il entra dans une rage folle
« Je le savais ! », hurla-t-il, « J’avais prévu cette réponse… », et il sortit un pistolet, tira dans la poitrine de ma mère et retourna l’arme contre lui.
On ne put sauver Catherine, mais moi, hélas, on me sauva.
Tout ça je ne l’ai su que le jour de mes dix-huit ans, où mes grands-parents m’ont révélé la vérité sur ma naissance. Le niais que j’étais croyait que mes parents étaient morts dans un accident de la route. La prévention routière a bon dos pour dissimuler les crimes. J’ai compris que si tu t’étais manifesté et avais eu le courage de venir chercher Catherine, elle serait encore en vie. Tu as tué ma mère, tout autant que Thierry. »

Une lâcheté de plus, se dit Bengt…
« C’est mon vingtième anniversaire aujourd’hui, et j’ai décidé de venger Catherine.
Tu vois quand je réalisais la recette de pompe à l’huile de ma grand-mère* et que je regardais le pâton de levain s’enfoncer dans l’eau, puis remonter gonflé comme un vieux cadavre, je m’imaginais que c’était toi, et c’était bon.
Mais je t’ai réservé une surprise. Ne remarques-tu rien ? »

« Bon, je t’aide, il n’y a que douze desserts. Voici le treizième », s’exclama-t-il avec un ricanement diabolique. 
Il sortit un pistolet de sa poche.
« C’est un pruneau !** ».
Pendant un millième de seconde, Bengt bondit à la rencontre de la balle. Pour une fois il ne serait pas lâche.
Pendant une seconde, voyant les éclaboussures cramoisies, il s’étonna bêtement de cette sauce tomate parmi les treize desserts de Noël.
Puis, durant une minute interminable, Bengt sut qu’il était un bonhomme de neige en train de fondre sous les rayons torrides du soleil. Quand il ne fut plus qu’une petite flaque honteuse, il vit Kerstin mettre les bracelets à Eric, son autre fils.


Par la vitre de la portière Eric aperçut un adolescent qui crachait en direction de la voiture au gyrophare bleu qui filait à toute allure. Il ne réalisa pas que c’était son frère qu’il venait de croiser.


Pendant ce temps, les techniciens de la Criminelle enfermaient dans un sac en plastique la pompe à l’huile qui, par miracle, n’était pas maculée de sang.

pompe à l'huile


*En réalité, l’auteur s’est inspiré de cette recette parue dans Régal de juin-juillet-août 2013
(N. du Tr.) :

500 g de farine (250 g + 250 g)
15 cl d’huile d’olive (+ 4 c. à soupe)
30 g de levure fraîche de boulanger
1 pincée de sel
70 g de sucre en poudre
3 c. à soupe d’eau de fleur d’oranger. 
Préparez un levain avec la levure émiettée dans 15 cl d’eau tiède et 250 g de farine. Battez dans le robot jusqu’à obtention d’une boule de pâte. Plongez ce levain dans un saladier rempli d’eau tiède. Attendez que la boule de pâte remonte à la surface (entre 2 et 10 minutes, selon la température ambiante), puis laissez-la « faire la planche » à la surface pendant 8 minutes.
Pendant ce temps, préparez le reste de la pâte : dans le robot, battez ensemble 250 g de farine, le sucre, l’huile d’olive, le sel, 5 c. à soupe d’eau et l’eau de fleur d’oranger.
Quand la boule de levain est restée 8 minutes à la surface, prenez-la délicatement et ajoutez-la dans le reste de pâte. Battez au robot jusqu’à obtention d’une pâte bien homogène.
Recouvrez deux plaques de cuisson de papier sulfurisé. Séparez la pâte en deux parties et façonnez sur chaque plaque une pompe ovale et aplatie sur environ 2 cm d’épaisseur. Si la pâte est trop collante, farinez à peine le bout de vos doigts. Pratiquez 7 entailles (comme tes 7 jours de la semaine). Écartez bien les fentes, sinon les bords se rejoindront totalement à la cuisson.
Laissez reposer 2 à 3 heures, les pompes auront gonflé et doublé de volume.
Préchauffez le four à 180 °C. Enfournez les pompes environ 10 à 12 minutes Elles doivent être dorées. Immédiatement après la sortie du four, badigeonnez les pompes d’huile d’olive avec un pinceau.

** En français dans le texte (N. du Tr.)


Que ma mie était belle…



Pas vrai ?

mardi 18 septembre 2018

Ail ail ail

Plutôt qu’ail ail ail, j’aurais pu aussi titrer en famille, car il s’agissait pour moi de préparer un menu d’anniversaire. Bon, je déteste les anniversaires, mais il y en a qui aiment…
J’ai choisi de la jouer tradi. Le plat principal sera un gigot d’agneau…


Je me coiffe donc de ma toque virtuelle et commence les préparations.
Tout d’abord je sors la pièce de viande, un beau gigot d’agneau du Limousin non raccourci, afin qu’elle ne soit pas enfournée glacée. J’enchaîne en pourfendant échalote, oignon et carotte. Je prélève deux têtes d’ail sur ma tresse d’ail fumé d’Arleux que je tranche en travers.



J’étends le gigot salé sur la plaque à rôtir et l’entoure de la majorité de mes découpes – je préserve quelques pétales d’oignon, moitiés de petites échalotes et tranches de carotte pour les cocos de Paimpol qui accompagneront la viande. Je prends bien soin de conserver les peaux de l’ail, même si elles se détachent, afin de pouvoir conférer une note fumée. J’ajoute thym, romarin, sauge, persil, laurier et persil. J’ajoute cinq ou six baies de piment de la Jamaïque et des grains de poivre Voatsiperifery. Je plante une sonde afin de mesurer la température à cœur. Je règle l’alarme à 55 °C.

gigot, ail fumé d'Arleux
En plein dans le gigot !


 En dépit d’une heure déjà passée à température ambiante, je constate que l’intérieur du gigot est encore à 8 °C… Quid des conseils de sortie du frigo une heure avant d’enfourner ? Il faudra que j’aille lire ce qu’en dit Hervé This dans ses livres s’il aborde ce sujet.

Mais pour le moment je réserve ma plaque dans un coin de la cuisine et m’occupe des cocos de Paimpol.



J’écosse les gousses et verse les graines au fond d’une casserole. Suivent les restes de mes découpes, auxquelles j’ajoute une gousse d’ail (non fumé), une petite branche de thym et une tige de sauge bien garnie en feuilles. Je recouvre largement d’eau et pose la casserole sur la flamme. Au bout d’un peu plus d’une demi-heure de cuisson à frémissement, les cocos sont cuits. Je les égoutte, vire thym et sauge qui ont terminé leur rôle et deviennent même gênants pour la dégustation, et les réserve dans un bac.

Une heure avant l’arrivée prévue des invités, je sale le gigot sur toute sa surface et le badigeonne au pinceau de beurre fondu. Je verse deux verres d’eau au fond de la plaque. J’enfourne à 175 °C. J’arroserai et retournerai la pièce tous les quarts d’heure environ jusqu’à ce que la sonnerie de la sonde retentisse.

Eh bien ça y est, je peux sortir le gigot après avoir donné un bref coup de gril sur chaque face.
Je dépose le gigot sur une planche, le recouvrant d’une feuille d’alu.
Quelques minutes plus tard, les invités arrivent.

Pendant que ces derniers finissent de savourer les petits fours salés achetés chez le traiteur tout en sirotant un petit verre d’un capiteux Kefraya Lacrima d’Oro 2004, je m’attelle à réaliser la sauce.
Je place la plaque sur le feu, déglace avec un trait de sauvignon, et laisse réduire. Je transvase dans une petite casserole en filtrant par une passoire à mailles fines. Puis je prélève les têtes d’ail d’Arleux que je place dans un petit chinois perforé en inox où je les écrase avec un pilon en bois. Je récupère ainsi une crème d’ail fumé que j’incorpore à la sauce. Suivent une noisette de beurre et un trait de sauce Worcestershire.
Je remets à température les cocos de Paimpol dans une poêle à feu doux au sein d’une grosse noix de beurre demi-sel avant de les transférer dans un plat.

cocos de Paimpol
De beaux cocos !


Je verse la sauce dans une saucière bien chaude.
Le gigot peut aller sur la table où je procéderai à sa découpe.

gigot, cocos de Paimpol, ail d'Arleux
Du travail sur la planche


Suivent les haricots accompagnés d’un petit saladier où sont tombées des pousses d’épinard arrosées d’une vinaigrette…

gigot, cocos, salade de pousses d'épinards
Je m'en paye une bonne tranche


Visiblement la sauce est très appréciée, et, oubliant toute convenance, chacun sauce avec un quignon de pain au fond de son assiette. Même les enfants dont je craignais une aversion envers la note aillée en redemandent !

Rien de particulier à propos du plateau de fromages choisis suivant les goûts divers des convives.


C’est enfin le moment d’arriver avec le gâteau d’anniversaire et ses bougies allumées.
Il s’agit d’un pithiviers fondant réalisé la veille.
Pour la pâte, 250 g de poudre d’amande, le même poids pour le beurre, le sucre, les œufs. S’y ajoutent deux cuillérées de farine de riz diluée dans de l’eau.
Quasi un quatre-quart où la farine est remplacée par de la poudre d’amande. Et chaque fois c’est un régal. Mais là le gâteau est encore plus réussi que la fois précédente, car la cuisson a été mieux menée et il n’a pas croûté. Et le glaçage est moins épais…

pithiviers fondant
Pithiviers fondant qui vient de se refaire une beauté


Même si nos chevilles devraient en enfler, je ne crains pas de dire que c’était presque parfait.

pithiviers fondant
Un quartier de Pithiviers


Comme j’avais eu la main lourde sur le dosage en kirsch alsacien dans l’humectation du sucre glace, nous avons aussi réalisé ad usum delphinarum une glace. Dans un moule à charlotte, j’ai versé une glace à la cardamome : ½ de litre de crème anglaise réalisée avec du lait dans lequel les baies ont infusé et ¼ de litre de crème fraîche, 30 minutes environ dans la turbine. J’avais placé au milieu du moule un cercle suffisamment haut pour préserver un puits dans lequel sera versée l’autre glace : un sorbet framboise : 500 g de framboises mixées et passées au tamis en raclant avec une corne pour éliminer les pépins et 4 dl de sirop à 28°B, même durée dans la turbine. Une fois l’insert framboise réalisé, je retire – péniblement….- le cercle en inox et réserve dans le congélateur.
Fort heureusement, pressentant un démoulage délicat, j’avais procédé à cette opération dans la matinée pour éviter l’énervement d’un forceps à la hâte. Le résultat n’est pas parfait, l’antique plastique Tupperware n’étant pas antiadhésif, mais bon… Et sera bon !
Je n’ai donc plus qu’à ajouter quelques framboises fraîches en parure finale…

glaces cardamome et framboise
Cardamome et framboise


Bien que prévue pour les enfants, les adultes ne se privent pas de goûter cette glace. Le constat est unanime : la cardamome s’allie particulièrement bien avec la framboise.

Champagne, cadeaux…
Mais ceci est une autre histoire.

lundi 17 septembre 2018

Un Virgile derrière ma porte

Ce midi, mon repas était frugal : un bout de fromage sur une tranche de pain, quelques-unes de nos tomates et surtout des figues délicieuses. Cueillies par ma fille sur un arbre de son jardin mais ne payant pas de mine, elles se sont révélées à la dégustation gavées de sucre et chargées de parfums.

figues, tomate, fromages
Bucolique


En photographiant mon humble pitance, songeant à l’auteur des Géorgiques, je me suis exclamé : voici un repas virgilien !
Sauf que…

Je me suis emparé de la traduction par Maurice Rat des Bucoliques et des Géorgiques éditée par les Classiques Garnier, ouvrage que j’ai un certain temps ouvert avec les remords d'un pompeur quand j’avais à rendre le lendemain une version d’un extrait de ces textes de Virgile, jusqu’à ce qu’une visite d’inspection de notre professeur de latin me redonne bonne conscience. En effet l’inspecteur général qui n’était autre que le trop oublié écrivain Jean Guéhenno nous a encouragés, à la faveur de ce petit évènement lycéen qui fut plutôt une séance de discussion (il est vrai que nous n’étions que sept élèves à ce cours...), à traduire les textes latins en comparant au fur à mesure sa prose à celle d’un traducteur confirmé afin de se perfectionner par l’exemple.
Je me suis emparé, disais-je, de mon vieux bouquin chargé de souvenir afin d’y trouver une poignée de figues latines dégustées avec un fromage des chèvres de son troupeau par un pâtre mélancolique bercé du clapotis d’un limpide ruisseau.
Mais chez Virgile, des châtaignes, des raisins, mais point de figues. Que dalle !
J’en suis donc pour mes frais littéraires. Fort heureusement, l’important, c’est la figue.
Un délice de sucritude.
Tu peux remballer ton miel, Virgile !

LIBER QUARTUS
Protinus aerii mellis cœlestia dona
Exsequar : hanc etiam, Mœcenas, adspice partem.
Admiranda tibi levium spectacula rerum,
Magnanimosque duces, totiusque ordine gentis
Mores et studia et populos et prœlia dicam.
In tenui labor ; at tenuis non gloria, si quem
Numina læva sinunt auditque vocatus Apollo.

LIVRE QUATRIÈME
Les abeilles.
Poursuivant mon œuvre, je vais chanter le miel aérien, présent céleste : tourne encore tes regards, Mécène, de ce côté. Je t'offrirai en de petits objets un spectacle admirable : je te dirai les chefs magnanimes, et tour à tour les mœurs de la nation entière, ses passions, ses peuples, ses combats. Mince est le sujet, mais non mince la gloire, si des divinités jalouses laissent le poète chanter et si Apollon exauce ses vœux.

Mes figues me suffisent !