Aujourd’hui je vais préparer une beuchelle tourangelle.
Tourangelle ? Ce n’est pas si certain, car je lis sur Wikipédia : recette, inventée par Édouard Nignon au début du XXe siècle d’après la "beuschel" autrichienne. Je m’empresse donc de sortir de ma bibliothèque l’Heptameron des Gourmets que ce cuisinier lyrique avait fait paraître en 1919.
Pas de trace de beuchelle dans les fastueux repas décrits. En revanche, en feuilletant l’ouvrage, je tombe sur cette fascinante recette :
LE JAMBON DU COMTE DE BÉRU — Faites baigner le jambon pendant trois semaines dans de la lie de vin rouge de Bourgogne (du Corton ou du Musigny) Fumez-le ensuite pendant un mois dans une cheminée.
L’en ayant décroché, suspendez-le ailleurs pour un autre mois.
Ce temps écoulé, cuisez-le aux trois quarts dans de l’eau ; puis, après l’avoir dépouillé de sa couenne, couchez-le dans une braisière. où vous le laisserez reposer dans un bain de Corton. Achevez de cuire le jambon ; arrosez-le copieusement de son jus et glacez-le de quelques cuillerées de fine demi-glace.
Réduisez alors la cuisson au point voulu, passez-la à la mousseline, et mêlez-y un kilogramme de petites têtes de champignons cuites au beurre. À part, vous offrirez une fine purée de choux-fleurs.
J’imagine le descendant du comte s’attablant avec le commissaire San Antonio pour trancher la bidoche et écluser quelques litrons de Beaujolpif…
Mais foin de rêveries et de recherches, il me faut plutôt passer à l’action pour que tout soit prêt quand les invités arriveront…
Je commence par sortir un couteau d’office, une brosse et un torchon humide qui me serviront à parer les champignons : girolles et cèpes.
Bon, mission accomplie. Je réserve dans des bacs…
Les deux bacs |
Passons aux abats. Le plus long sera de s’occuper des pièces de ris de veau de cœur. Je les laisse tremper une heure dans l’eau glacée, renouvelant cette eau deux fois.
Ris à l'eau |
Puis je dépose le ris dans une casserole d’eau froide salée, pose sur le feu jusqu’à un frémissement que je poursuis pendant une vingtaine de minutes.
Pendant que le ris vit sa vie, je découpe un rognon de veau dont je réserve les morceaux.
Rognons |
Dans mon élan je dépouille et je hache trois petites échalotes du jardin.
Je sors le ris de veau et le plonge à nouveau dans l’eau glacée. Je le débarrasse les morceaux de leurs peaux.
La pelisse, au vestiaire... |
L’idéal serait de maintenant presser ces pièces sous un poids, mais je n’ai pas le temps. Il aurait fallu commencer la veille au soir, mais j’avoue qu’à une heure du matin je n’en ai pas eu le courage… Et puis les morceaux seront sous la sauce, alors la perfection du visuel ne s’impose pas. Je me contente donc de trancher et réserver au frais.
Je fais sauter dans une poêle les girolles dans une noix de beurre et une cuillerée d’huile d’olive. Je les sors et les réserve, remets huile et beurre dans la poêle pour continuer la préparation avec les cèpes parsemés d‘échalote. Quand les champignons commencent à roussir sur les bords, je verse un petit verre de sauvignon et poursuis la cuisson jusqu’à réduction complète.
Les cèpes viennent rejoindre les girolles dans leur bac, et j’assaisonne le tout d’une pincée de sel fin.
Je fais ensuite revenir à feu vif dans une autre poêle les découpes de rognon qui devront conserver un cœur saignant. Je les verse dans une passoire posée sur une bassine. Je les laisse s’égoutter.
Quand les invités sont arrivés, je fais légèrement colorer au fond de la poêle ayant servi à cuire les champignons les tranches de ris de veau dans du beurre mousseux. J’ajoute les découpes de rognon.
Puis je flambe avec un petit verre de cognac. Ça sent bon - quoi que… Je détecte un petit effluve de cochon que l’on épile… Ben oui, je n’ai pas retiré assez vite mon bras nu qui brandissait l’allumette !
Je verse trois cuillerées de crème fraîche épaisse d’Isigny et laisse réduire.
Le groupe Abats |
J’assaisonne et transvase au creux du plat de service chauffé au four à 70 °C.
Ce sont girolles et cèpes qui remplacent les abats dans la poêle. Je les recouvre de crème fraîche (cinq cuillerées) additionnée d’une pincée de sel qui va les remettre à température tout en réduisant. Quand la consistance de la sauce est devenue bien onctueuse, je prends une petite louche afin de disposer le contenu de la poêle par dessus ris et rognon dans le plat. Vite, un tour de moulin de poivre rouge de Kampot, une petite pluie parcimonieuse de persil frisé finement ciselé et je me dépêche de servir ma beuchelle avant qu’elle ne refroidisse.
Beuchelle |
Ma petite-fille puînée s’est découvert une addiction pour le ris de veau dont il a fallu lui resservir du rab. Nul ne doutera que j’en suis fort aise. Quant à l’aînée, absente car retenue par des occupations extérieures, je ne saurai pas si elle partage ce penchant… Mais je l’espère sans trop y croire.
Le lendemain, je puis enfin reprendre mes recherches.
Je découvre un article fort documenté qui fait le point sur tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la beuchelle sans jamais oser le demander.
https://www.cducentre.com/encyclopedie-La-beuchelle-tourangelle
Instructif, non ?
Puis je me souviens que dans mes rayons se cache aussi un second ouvrage d’Édouard Nignon, Éloges de la cuisine française, publié à L’Édition d’Art H.Piazza avec une présentation de Sacha Guitry en 1933. Je le retrouve, consulte l'index. La beuchelle répond bien présent.
Voici donc la recette telle qu’elle figure dans le chapitre Vendanges bourguignonnes. Elle participe à un grand menu parmi les hors-d’œuvre chauds entre les Caisses de Mauviettes au Chasseur et le Curry de Crevettes roses. On notera qu’il n’est aucunement fait référence à la région tourangelle, ni dans l’intitulé, ni dans le texte !
LA BEUCHELLE
Colorez au beurre, en les faisant sauter séparément, d’abord un rognon de veau émincé avec sel et poivre, puis une noix de ris de veau taillée en minuscules escalopes ; tenez le tout au chaud. Sautez également au beurre un émincé de 3 beaux cèpes ; quand ils sont bien dorés, ondoyez-les de quelques cuillerées de fin madère ; couvrez aussitôt, et, quelques secondes après, nappez de crème double épaisse, ajoutez sel, poivre, 6 cuillerées de glace de veau, et laissez les champignons s’enrober de cette crème. Quand ils vous paraîtront délicatement voilés, ajoutez rognon et ris de veau, amalgamez le tout, puis versez-le clans un flan de croustillant feuilletage ; saupoudrez de parmesan ce mélange et faites-lui prendre au four une belle couleur d’or. Servez ce mets sortant du four.
Je suis rassuré. Je n’ai pas trop trahi le maître… Modernisé simplement ! Pas vrai ?