samedi 18 août 2018

Daurade l'exploratrice et sa sœur

Il y a un peu moins de quatre ans j’avais eu connaissance des échanges épistolaires entre Daurade l'exploratrice et Monsieur Nicolas. Je n’hésite pas à en publier aujourd'hui la copie après une visite inattendue qui m’a fait replonger dans le passé….

Daurade l’exploratrice à Monsieur Nicolas
Mon ami, vous vous souvenez du jour où, las de gâcher pauvrement notre vie ensemble, nous décidâmes de partir chacun de notre côté en quête de fortune, afin de nous retrouver plus tard, mais vêtus de soies chatoyantes, emmitouflés de pelisses arrachées à des animaux inconnus, lestés d’une besace gonflée de pièces d’or et accompagnés d’une cohorte de valets dociles de toutes races traînant péniblement des malles chargées de trésors.
J’attendais ce jour béni où nous pourrions enfin vivre d’amour et de vins capiteux.
Eh bien, mon ami, cet instant est sans doute bientôt venu.
Le hasard, ou plutôt la force du destin, m’a fait rencontrer une étrange aventurière, Sparida, qui me ressemble comme une sœur et qui m’a parlé d’une contrée au-delà des océans, l’El Daurado (quelle coïncidence, serait-ce un signe !) qui regorge de ces richesses dont nous rêvions, que dis-je, dont nous rêvons jour et nuit…
Sparida possède une carte propre à nous y conduire promptement.
Elle en a dépossédé un pauvre thon qui ne se doutait pas de sa valeur, et demain nous nous embarquerons, voguant de conserve vers ce pays lointain qui va enfin nous permettre de nous retrouver vous et moi, de nous toucher, enfin, et de nous presser comme jadis l’un contre l’autre, enfin, enfin !
Et vous, mon ami, où en êtes-vous dans cette quête ? Ne serait-elle pas parvenue à terme, je souhaiterais quand même venir me blottir dans vos bras. Mais je ne le ferai pas, car je ne veux pas vous blesser dans votre fierté virile.
Qu’importe, j’attendrai - je me doute que la réussite de votre entreprise ne saurait tarder.
Narrez-moi bien vite vos dernières aventures, je brûle d’impatience de les connaître par le menu.
Votre amante passionnée, Daurade.


Monsieur Nicolas à Daurade

Ma mie, mon pain blanc, je me suis réjoui en lisant votre lettre que je conserve serrée contre mon cœur. Bien pauvre étreinte qui me rassure quand même sur nos sentiments
Vous me connaissez, et vous savez que souvent vous vous montrez d’un tempérament plus mâle que le mien. Pour ma part, je ne saurais traverser ces océans aux flots redoutables où Poséidon se joue de notre vie. Je suis un homme de la ville, que dis-je, de ma ville, Paris, me risquant simplement parfois à sillonner les campagnes sur quatre roues afin de gagner une autre cité où je ne tarderai pas de m’ennuyer, pris d’une envie irrésistible de regagner mon bercail.
Vous n’ignorez pas non plus que le parfum de vieux livres caparaçonnés de cuir ouvragé m’est plus plaisant que celui de l’iode dans lequel vous devez actuellement baigner. En ai-je lu et en ai-je relu, de ces ouvrages défraîchis, de ces grimoires jaunis, de ces incunables poussiéreux, de ces palimpsestes moisis, et même de ces lambeaux de papyrus, en quête de précieuses lignes qui m’indiqueraient le chemin le plus court vers la richesse…
En vain jusqu’à hier.
Mais ce jour devait me réserver deux bonheurs : celui de recevoir de vos nouvelles, celui de découvrir une information qui me laisse présager que la prochaine année pourrait m’être propice.
Nos destinées sont-elles si liées qu’il faille que la voie de la fortune nous soit communiquée quasiment au même instant ?
Toujours est-il que c’est bien par hasard que je suis tombé sur un papier manuscrit qui servait de marque-page dans une édition originale du Décaméron de Boccace.
Il y avait été noté la façon d’accumuler les richesses dans l’année qui suit : il faut manger le jour de l’An le plus de lentilles possible accompagnées d’une saucisse cotechino, et les ducats seront proportionnels au nombre de graines avalées.
Je vais donc, bon gré, mal gré, m’embarquer dans un de ces périples qui ne me plaisent guère, tout d’abord en passant par Saint-Flour, puis en allant jusqu’à Modène.
Le souvenir de votre corps ravissant sera mon seul compagnon de route.
Votre amant enflammé, Nicolas


Daurade à Monsieur Nicolas

Mon Nicolas, permettez-moi de vous adresser à vous par ce prénom qui est doux à mes lèvres, oui, mon Nicolas, quel bonheur pour moi que cette lettre où vous me laissez espérer votre fortune qui fera la mienne en permettant notre rapprochement.
Eh bien, ça y est, Sparida et moi voguons ensemble vers l’Eldaurado. Certes l’embarcation n’est pas très grande, nous nous y tenons bien à l’étroit l’une contre l’autre, et il y a à peine la place pour les vivres : champignons, fenouil, pomme, échalote, mais aussi citron vert et citron jaune dans la crainte du scorbut. Nous avons préféré embarquer du vin blanc plutôt que du rhum. Mon aimé, vous nous imaginez, Sparida et moi, braillant des chansons gaillardes de marins après un punch trop copieux… !


J’oubliais les oignons dont les rondelles nous déguisent en bagnards enchaînés.



Mais ce n’est pas vers un bagne que nous allons, c’est vers l’Eldaurado. L’Eldaurado… Dire que nous y serons bientôt, et qu’en m’éloignant de vous je me rapproche de vous…

Monsieur Nicolas à Daurade

Mon adorée, je sais bien que cette lettre ne pourra vous être délivrée au milieu de l’océan.
Mais je prends quand même la plume afin de me sentir en votre compagnie.
Je suis à Saint-Flour dans une chambre d’une auberge miteuse. J’ai réussi à me procurer auprès du maître de céans, après force palabres, une livre de cette légumineuse au pouvoir magique. Je me suis plongé dans des calculs après avoir sorti le trébuchet que j’avais eu la précaution d’emmener dans mes modestes bagages que l’aubergiste n’a pas manqué de scruter d’un œil soupçonneux. J’ai pesé 100 lentilles et constaté un poids de 3,1 g. N’importe quel escholier saurait en déduire que ma livre contient un peu plus de 16 000 lentilles.
Or l’auteur inconnu de la note manuscrite laissait entendre que chaque lentille était la promesse d’un ducat dans son escarcelle… Combien de louis font 16 000 ducats ? Je ne connais pas le cours exact, mais je serai certainement - enfin ! - à la tête d’une grosse somme.

Je quitte la plume afin de me coucher et de rêver de vous…

******

J’ai eu bien des difficultés à m’endormir. Dans la grande salle au-dessous de ma chambre, tout le village s’était donné rendez-vous pour une séance de bourrées endiablées.
Et le chant d’un coq vient de me réveiller aux aurores. Vilaine bête !
Pour ajouter à mon irritation, au lieu de rêver de vous, j’ai fait un cauchemar : une nuée de lentilles me survolait en me regardant d’un sale œil. Avais-je mal digéré la roborative nourriture auvergnate ?






Daurade à Nicolas

Pour vous faire parvenir mes lettres, je n’aurais d’autre coursier qu’une bouteille à la mer…
Mais j’espère vous les remettre moi-même entre vos mains si caressantes et si fortes à la fois à mon retour. Et nous rirons ensemble de mes aventures.
Sparida et moi, nous nous sommes égarées vers des contrées un peu trop chaudes à notre goût. Si, dieu soit loué, je n’ai pas eu le temps de prendre le teint hâlé d’une paysanne, c’est intérieurement que j’accuse le coup.
Et nos légumes ont pas mal souffert.





J’espère que l’Eldaurado n’est plus très loin, car la lutte contre les éléments est de plus en plus ardue !

Nicolas à Daurade

Je suis enfin arrivé à Modène et j’ai pu me procurer – à prix d’or - le cotechino.
Cette saucisse, m’a expliqué le charcutier moustachu Mario en se frottant les mains, sans doute dans la satisfaction d’avoir plumé le pigeon que j’étais, comporte une bonne proportion de couenne.
Je vais donc pouvoir allier l’agréable à l’utile en la dégustant.


La chance est encore avec moi. Je viens de rencontrer un mystérieux italien dans une taverne, et le croirez-vous mon adorée, il connaît parfaitement le rite du cotechino aux lentilles bien qu’il soit sicilien. Il m’a affirmé que la date était secondaire et a eu la bonté de me proposer de m’initier aujourd’hui même. Car il faut aussi ajouter quelques pratiques ésotériques. Nous avons rendez-vous ce soir. 

******

Mon sicilien, qui ne m’a pas donné son nom – je sais simplement qu’il se prénomme Luiggi- a écarté les bambini qui tentaient de me faire plus ou moins discrètement les poches, m’a bandé les yeux et m’a pris par la main. « Il ne faut pas que les esprits te voient arriver, sinon ils se sauveraient » a-t-il baragouiné dans un français de vache transalpine.
« C’est plutôt moi qui ne les verrai pas, me semble-t-il…
- Pas seulement, ils ne peuvent voir ceux qui ne les voient pas.
- Alors ils vont te voir…
- Oui, mais, moi, ils me connaissent ! ».
On ne peut vaincre la dialectique sicilienne.
Nous avons parcouru ainsi quelques centaines de mètres comme de jeunes amoureux ou des policiers turcs. J’ai grimpé un escalier aux relents prononcés de vinaigre et de chou. Luiggi a retiré mon bandeau. J’étais dans une pièce aux murs blanchis à la chaux où une minuscule lucarne laissait pénétrer chichement la lumière d’un coin de ciel violacé.
J’ai sorti mes lentilles et mon cotechino, et nous avons commencé le rite. Luiggi a brandi un récipient de cuivre :
« C’est dans cette vasque ancestrale et bénie par San Geminiano qu’il nous faut cuire les lentilles. ».
Je m’apprêtais à jeter la saucisse dans l’eau frémissante quand mon compagnon m’arrêta brutalement : « Malheureux, il faut d’abord réciter la formule ! Répète après moi :
chaviro rotantacha chamipataro rogrillapatacha.
- Chaviro rotantacha chamipataro rogrillapatacha.
- C’est bien, la cérémonie peut commencer ! »
Une demi-heure plus tard, j’ai pu couper le cotechino.
« Attention, il nous faut sept morceaux à disposer en heptacle. Voilà, parfait ! »
Luiggi sortit une bouteille de grappa sacrée et proposa une libation autour de la vasque.





Je fis cul-sec puis je vis Luiggi qui marmonnait quelque chose que je ne comprenais pas. Ensuite entrèrent les divinités de la maison, des dieux lards hilares. Ils dansèrent autour de moi en chantant d’une voix de fausset :
« Tu seras riche, tu seras riche, à Pâques ou à la Trinité… ».
Je sombrai bientôt dans un sommeil profond.

Mon amie, ma douce amie, je me suis réveillé sur un banc d’un parc de la ville, sous un soleil de plomb au zénith. Je n’avais plus rien, mes poches étaient vides, à part un papier enveloppant une petite pièce de monnaie. Sur cette feuille était inscrit en rouge d’une main maladroite : « Pour la strada ! ». Ce sicilien avait quand même un restant de cœur…
Je suis rentré à l’hôtel où dieu merci j’avais déjà payé ma chambre. Pour vous rédiger cette épître, je n’avais même plus mon encrier d’argent. J’ai demandé de l’encre au tenancier des lieux.
« Mon pauvre monsieur, je ne sais pas écrire, alors, bien sûr, vous n’en trouverez pas en cette maison ! Mais j’ai une idée… ».
Et il m’apporta un flacon empli d’un liquide brun foncé.
« C’est du vinaigre balsamique. Je pense que ça pourrait vous dépanner… »
Je remerciais ce brave homme. Et en plus de me permettre de prendre la plume, ça sent fichtrement bon.
Je songe à introduire ce produit à Paris et à le vendre. Très cher… Ainsi je pourrai faire fortune. Le papier de la bibliothèque disait vrai, ma mie.
Je brûle de vous revoir bientôt…


Daurade à Nico

Mon Nico…
Oui, mon Nico, permets-moi de t’appeler ainsi. Offre-moi ce dernier plaisir.
Car je crains de ne plus jamais te revoir.
Nous n’avons pas découvert l’Eldaurado, je ne sens pas dans mon assiette.
Il faut que je m’allonge.





La vie est trop cruelle, mon ami… Adieu !



Eh bien durant toutes ces années sa sœur ne l'avait pas oubliée et était partie à sa recherche.
Une quête qui a fini par mener ses pas vers ma cuisine…

« Merci de m'avoir permis la lecture de ces lettres. Je connais désormais quel fut son destin. Je puis partir la retrouver le cœur en paix.»
Elle s'est étendue sur le lit de poivron vert que je lui avais préparé, je l'ai entourée de légumes et d'herbes du jardin. Je l'ai parfumée de poivre de Timiz, de baies de cannelier, de gingembre et surtout de feuilles de mélisse cueillies pour elle.
« Merci pour ce parfum de mélisse... Non, pas d'huile d'olive, non, non. Du bon beurre de Bretagne sentant les embruns ! »
Son vœu fut exaucé.



daurade
Une bonne sœur


Quand elle est sortie, je l'ai parée et j'ai semé sur elle une poignée de ces feuilles de mélisse qu'elle aimait tant.

daurade
Ses vœux exaucés



Je n'ai pas de nouvelles de Monsieur Nicolas...



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jeudi 16 août 2018

Sauvés du compost...

Ces petits poireaux n’ont rien d’un hercule, ils n'atteignent même pas la taille de poireaux crayons. Normal, ce sont les frères délaissés de poireaux d’hiver qui viennent d’être repiqués et qui s’épanouiront à la fin de l’automne.
Ça me fend le cœur toutefois de les balancer au compost. Leur brève vie finira dignement ! Je décide de les incorporer dans une omelette. Non loin d’eux, de l’oseille aurait besoin d’un bon rafraîchissement, son scalp saura apporter une touche de vivacité supplémentaire à mon projet…

Préparer les poireautins n’aura pas été une mince affaire : enlever la première couche de feuille, trancher au ras du bulbe, supprimer les coriaces extrémités, fendre au besoin si l’on aperçoit un soupçon de terre, c’est facile sur un poireau XL., mais là il faut de la patience et de la minutie.
Ouf, mes bébés barbotent dans une bassine en inox.

petits poireaux, repiquage, récupération
Les pieds dans l'eau


Vérification : le fond ne révèle aucune trace de sable. Je vais donc pouvoir les découper en tronçons d’à peu près un centimètre que je vais faire tomber à feu doux dans la poêle avec une noix de beurre demi-sel.

poireau
Poireau en petites coupures


Sur l’autre feu, plus vif, dans une autre noix de beurre les feuilles d’oseille fondent à vue d’œil – dire que la petite sauteuse était débordante de verdure… J’ajoute un trait de jus de citron afin d’éviter la peu appétissante couleur caca d’oie.

oseille
Oseille en grosses coupures


Il me reste le quart d’un fromage de brebis Ossau-Iraty. J’enlève la croûte qui va dans mon estomac et partage le cœur en morceaux qui vont dans un bac inox GN 1/9.

Ossau-Iraty, omelette
J'ai cassé la croûte


Je ne lésinerai pas. Ce sont six œufs que je bats dans une bassine et assaisonne d’une pincée de sel et d’un tour de moulin de poivre rouge.
Je verse dans ma poêle où mousse une noix de beurre doux posée sur une cuillerée d’huile d’olive.
Je décolle les bords avec une spatule, répartis les morceaux de fromage, répands la poêlée de poireau. J’agite la poêle, tout va bien, l’omelette n’a pas accroché. Je dispose sept (le chiffre magique !) petites cuillerées d’oseille fondue.

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Un disque qui apporte de l'oseille


Il est temps de faire glisser l’omelette sur le plat. Je sais bien que la présence d’oseille inciterait à la plier en portefeuille, mais comme elle est épaisse (6 œufs !) je me contente de la plier en deux. Je n’omets toutefois pas la touche finale : un lustrage avec un petit morceau de beurre.


omelette à l'oseiille, au ppoireau et au fromage
En demi lune


Que dire ? Sinon que je ne regrette pas mon sauvetage. C’était bien bon…


mercredi 15 août 2018

L'araignée passe au rouge

Araignées…

Il ne s’agit pas d’épeires du jardin mais des paires de muscles nichés dans l’arrière-train du porc.
Le jardin est quand même concerné, car leur arrivée (à bon port et à bon porc) dans ma cuisine m’a permis de faire un sort à plusieurs de ces tomates qui commencent à devenir envahissantes.

Je commence par faire suer à feu doux un oignon paille haché dans la cuillerée d’huile d’olive versée dans ma cocotte en fonte. Puis je hausse à feu moyen afin de faire légèrement dorer les araignées sur toutes leurs faces. L’oignon voudrait désormais lui aussi prendre de la couleur… Pas question, mes p’tits cubes ! J’interromps ces velléités sous une cascade de tomates variées émondées et épépinées. Sous le feu de l’émotion et du gaz réunis, elles se mettent à fondre, et je leur remonte le moral par un bon verre de chardonnay. Je plonge un bouquet garni constitué d’une feuille de laurier, de brins de thym et de romarin ficelés au milieu d’un petit bouquet de persil. Mais où ai-je la tête ? J’allais oublier l’ail ! Je me dépêche de ciseler finement deux gousses que je déverse dans ce qui commence à devenir une sauce. En revanche, j’avais bien pensé à parfumer le plat d’arômes épicés. Dans mon mortier en granit j’avais écrasé une cuillerée de poivre blanc de Penja, la même quantité de poivre sauvage de Madagascar ainsi que de baies de Sansho, un clou de girofle et une pincée de gros sel. Je parsème de la poudre obtenue. Pour terminer, je me saisis d’un citron que je présume bio (ce n’est pas moi qui l’ai acheté…) et en détache un lambeau de zeste qui plonge dans la cocotte.

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Araignées du soir


Je peux désormais coiffer mon ustensile de son couvercle. Je laisse environ une heure mijoter à petit feu, avec un retournement des araignées à mi-parcours.

La sauce a beaucoup réduit. Je la détends avec le jus d’un demi-citron. Que cet agrume soit ici publiquement remercié : il a donné à la fois sa peau et son sang…
Je transvase le contenu de la cocotte dans un plat. Je sacrifie à la touche verte rituelle : quelques feuilles de basilic se plient complaisamment à ce rôle, bien qu’à vrai dire elles n’aient pas trop leur place au milieu des fragrances et saveurs déjà présentes.

araignées de porc
Araignées dans le rouge


Mais quid comme accompagnement ? Eh bien j’ai choisi des spätzle. Je sais bien que ce sera un choc de civilisations. Mais après tout cette pâte saura boire la sauce tout autant qu’une autre. Et glou, et glou, elle sera des nôtres !

spätzle, araignées de porc
Spätzle détournées

mardi 14 août 2018

L'espadon se met au vert

L’espadon se met au vert.
En effet je l’ai rangé dans la catégorie des poissons d’arroche.

J’ai fait une grande razzia sur une rangée d’arroche menaçant de monter en graines. Une fois les feuilles arrachées des longues tiges, celles-ci emplissent complètement un bac de l’évier.

arroche
Effeuillons l'arroche


Mais je les plonge une dizaine de minutes dans de l’eau bouillante salée, et une fois ce légume égoutté et pressé, j’obtiens un petit tas : les deux parts que j’espérais, ni plus ni moins. Hein, arroche, au début on joue les durs de la feuille, et bientôt on se retrouve tout petit !
L’espadon faisait lui aussi le fier, se pavanant sur l’étal du poissonnier, menaçant le passant de son rostre acéré. Mais lui aussi, de tranche en tranche, il s’est fait plus petit...
Pour moi une demi-darne a suffi. Je la barbouille d’huile d’olive et lui fais subir un aller-retour express sur le gril. Il ne manquerait plus que je dessèche ce beau morceau ! Je le pose, découpé en deux parts, sur le plat au milieu de l’arroche. Je parsème ce poisson d’une pincée de curry de Madras.
Des petites tomates tranchées en deux viennent apporter une touche colorée.
Il me reste à apporter la touche finale  - last but not least. Je ne suis pas convaincu a priori par l’opportunité d’une alliance de l’arroche et de l’huile d’olive. Alors j’arrose mes feuilles d’un trait d’huile d’argan. Bingo ! Ses notes de noisette et de sésame se marient à merveille avec mon légume…

espadon, arroche, huile d'argan
Espadon mis au vert


Enfin, cela, je le saurai quand espadon et arroche auront quitté le plat pour nos assiettes.

samedi 11 août 2018

Pèlerinage de basilic en basilic

Première étape de mon pèlerinage de basilic en basilic, deux d’un coup : basilic de Gênes et basilic grec.

Tout a commencé sous la pression d’une ruée de tomates aux robes cardinalices. Elles m’ont poussé à trouver une solution apte à les recevoir à ma table dans toute leur majesté.
Mon idée fut de préparer des pappardelles avec une sauce tomate parfumée par des feuilles de basilic(s) et des tranches de ‘nduja.
Las, ma boutique italienne des halles ne vendait point cette charcuterie calabraise haute en goût, et j’ai dû me contenter d’une saucisse vaguement analogue baptisée étrangement soubressade, appellation qui n’a rien de transalpine…
Puis au moment de faire cuire mes papardelles, j’ai découvert, en sortant le sac de cellophane de son élégante boîte en carton, que des insectes s’étaient lancés dans la dégustation de ces pâtes bien avant moi. Je me suis rabattu sur des nouilles fines alsaciennes moins adaptées mais intactes…
Un plat hérétiquement modifié a donc figuré sur ma table.

nouilles alsaciennes, tomate, soubressade, basilic
Basilic et hérésie


Si les tomates et les herbes du jardin ont tenu leur promesse, par contre la saucisse de substitution s’est révélée sans le moindre intérêt, n’apportant ni parfum, ni vigueur. Et l’on s’étonnera que je préfère finalement acheter en ligne…
Mes saucisses ‘nduja arrivées tout droit de Calabre offrent une tout autre saveur !



Seconde étape (et sans doute deuxième…) : basilic thaï.

Puisque cette plante prospère youp la boum au jardin, j’ai été interpellé au niveau du vécu et de l’estomac par la lecture d’une recette de l’excellent blog La Cuisine de Bernard :
Poulet au piment, basilic thaï et cacahuètes
http://www.lacuisinedebernard.com/2018/07/poulet-au-piment-basilic-thai-et.html

J'ai confiance. Je suis donc cette recette à peu de divergences près, dues à mes contraintes personnelles.
En premier lieu, mon volailler ne fournit pas des hauts de cuisse de poulet. J’achète donc deux cuisses entières. Bon, je pourrais réserver les pilons pour un autre usage futur, mais il y a déjà assez de produits en instance. Alors, me lançant dans le parage des morceaux de poulets, je sais que la durée de confection de mon plat va dépasser le quart d’heure indiqué par Monsieur Bernard Laurance. En effet les tendons, aponévroses et autres nerfs ne manquent pas, surtout dans ces satanés pilons. En témoigne cette photo :

poulet, cuisse, pilon, découpe
Chicken's anatomy


En revanche je découpe rapidement les trois (ils sont petits) oignons rouges.

oignon rouge
L'oignon fait la force (un thaï rouge)


La sauce est réalisée tout aussi promptement, à l’œil je l’avoue : un tant pour tant en volume de sauce piment à l’ail, sucre (j’ai choisi de la cassonade), eau, et un peu moins de sauce huître. Comme je suis un peu inquiet de l’inscription sauce piment doux qui figure sur le flacon, j’ajoute quelques gouttes de tabasco rouge, mon pied de piment thaïlandais étant un regretté défunt désormais, et une gousse d'ail écrasée (car tel est mon bon vouloir).

sauce, poulet au wok, thaï
Sos pas gribiche


Je mets à griller une poignée cacahuètes dans une petite poêle. Attention, ça aurait vite fait de cramer !

cacahuètes grillées
Se griller les cacahuètes...


Je pose mon wok sur le cercle crénelé qui l’éloigne du grand brûleur, et je pousse la flamme au maximum. Je verse mes six bonnes cuillerées d’huile (d’arachide) et déverse les pétales d’oignon.
Une fois qu’ils commencent à prendre de la couleur, j’ajoute les morceaux de poulet.
La viande est saisie sur toutes ses faces après quatre ou cinq minutes ponctuées de brassage avec la spatule en bois. J’arrose de la sauce, et je mélange. Trois minutes plus tard, la sauce a pris de la consistance.
Je peux alors recouvrir des cacahuètes grillées. Puis des feuilles de basilic thaï.
Je brasse le tout et laisse encore une minute sur la flamme. La sauce est devenue bien sirupeuse et du wok émanent de puissantes fragrances.

poulet, basilic thaï, piment
Que thaï qui m'aille


Je transporte le wok sur la table où un support en inox l’attend à côté des assiettes encore désespérément vides, mais pas pour longtemps.

Il est très difficile de s’arrêter de le manger une fois qu’on l’a goûté !
Je confirme cette affirmation de notre bon Bernard.

mercredi 8 août 2018

Ceci est une autre histoire : les tomates de l'entracte

Une autre histoire : les tomates farcies, entracte Moussaka marine acte I / Moussaka marine acte II.

Rien que du très classique. Mais puisque j'ai mentionné ce repas dans mon sujet précédent…

Comme tomates, des tomates du jardin : cuor di bue, plus pour compléter et emplir l’espace vacant, une noire russe et deux tomates poire.
Je n’ai pas fait dégorger les tomates après trépanation et lobotomie, car nous aimons nous régaler du jus envahissant le fond du plat. Oui, il nous faut une cuillère… Et alors ?

La farce est constituée de porc haché par mon éleveur normand favori, de deux tranches épaisses de jambon de Bayonne hachées au couteau, de mie de pain trempée dans du lait, d’échalote, ail et persil ciselés, de basilic lacéré, de feuilles de thym, origan et romarin. Pour assaisonner : fleur de sel, poivre rouge de Kampot, quatre-épices. Le tout bien malaxé à la main avec une cuillerée d’huile d’olive.
Une fois les tomates emplies de cette farce (surtout pas sur un lit de grains de riz !) et installées dans le plat en fonte, j’ajoute entre elles deux feuilles de laurier et des herbes : romarin, thym, origan, sauge, persil. J’arrose d’un trait d’huile d’olive.

tomates farcies, cuor di bue, noire russe, tomate poire
Un cœur gros comme ça…


J’enfourne 30 minutes à 190 °C.

tomates farcies
Si jeunes et déjà ridées !




L’attaque des tomates envahisseuses a parfois du bon si l’on pratique la résistance armée !
Tout le parfum du Sud sans l’escagasseur soleil, évacué manu militari en claquant les volets.

lundi 6 août 2018

L'hachis mer en moussaka

Si pour une soirée de gala le poivron s’habille en noir, c’est en blanc que s’habille l’aubergine - se parant parfois d’une petite touche violette pour les plus fantaisistes…

aubergine blanche
L'aubergine en fête


Elles étaient arrivées à trois du jardin, je les ai hébergées pour la nuit, leur promettant une soirée moussaka pour le lendemain.
Toutefois, des tomates farcies étant au programme du surlendemain, j’ai craint une redondance de viande hachée. La solution ? Eh bien une farce marine… Ce qui en plus offrait l’avantage de rester dans les nuances virginales. Un dîner en blanc, quelle classe !
En premier lieu je découpe les aubergines à l’aide d’une mandoline en tranches que je mets à dégorger avec du gros sel.
Je profite de ce délai pour préparer la farce. Je déballe le calamar et les gambas achetées le matin aux halles.

calamar, gambas
Calamar du matin, espoir


Je nettoie le mollusque et le taille grossièrement au couteau. Je décortique les crustacés, réserve les têtes et les carapaces. Je prends mon minipréparateur et hache finement les deux tiers du calamar et trois gambas complétées par deux petites échalotes, quelques feuilles de persil et un trait de jus de citron. J’obtiens une sorte de purée. J’ajoute alors le reste de calamar et la dernière gambas, et ne presse que brièvement le bouton artistiquement orné d’un hachoir ad usum analphabetorum car je souhaite conserver de la texture.
Je transvase dans un bac, ajoute une échalote hachée à la main et une pincée de persil ciselé. J’assaisonne de fleur de sel, de poivre blanc de Penja et d’une petite cuillérée de cannelle. Je réserve au frais.

calamar, gambas, mixer
Cuisine presse-bouton


J’épluche une grosse pomme de terre de la variété Yona récoltée quelques jours auparavant au jardin. Je la découpe à la mandoline en tranches d’environ 4 millimètres que je fais cuire un quart d’heure dans de l’eau salée avec une pincée de filaments de safran. Je les égoutte et les réserve.

pomme de terre, yona, safran
Yona safranée


C’est le moment de m’occuper des tranches d’aubergine. Elles ont rendu pas mal d’eau. Je les rince afin de les débarrasser du sel qui les recouvre, les pose sur du papier absorbant et les éponges avec une autre feuille.

aubergine, dégorgement
Dessalées, les aubergines...


Je verse un bon trait d’huile d’olive dans une poêle et fais revenir les tranches à feu moyen. Une fois légèrement dorées, je réserve.

tranches d'aubergine, poêle
Tout en onction


Je rajoute de l’huile d’olive dans cette même poêle et y verse les têtes et carapaces de gambas que je fais sauter à feu vif. J’éteins et laisse infuser afin d’obtenir une huile parfumée.

Enfin je prépare une béchamel classique que je parfume par une feuille de laurier, un brin de thym, un autre de romarin et un tour de moulin de noix de muscade.

béchamel
Le péché de la béchamel



Il ne me reste plus qu’à passer au montage.
Dans mon plat en faïence, j’étends une première couche constituée de la moitié de mes tanches d’aubergine.
Je verse sur ce lit mon hachis marin. Je l’arrose de mon huile de gambas passée au chinois.

montage de la moussaka, calamar, gambas
Au deuxième étage


Je tapisse de mes tranches de pomme de terre que je recouvre du reste d’aubergine.
J’ajoute un jaune d’œuf dans ma béchamel encore tiède, je mélange vivement et je recouvre le contenu de mon plat de cette sauce.
Un tour de moulin de poivre rouge, et j’enfourne à 180 °C pour un quart d’heure. Encore cinq minutes à 200 °C pour obtenir une surface dorée, et je sors le plat.

moussaka de la mer
La moussaka sort du four


Quand je découpe les parts que je vais poser sur les assiettes, je suis un peu anxieux. En effet j’ignore quelle sera la tenue de mon hachis improvisé. Eh bien ça marche, le parallélépipède ne s’écroule pas lamentablement. C’est déjà ça ! Je complète les assiettes de petites tomates grappe diverses récoltées au jardin. J’ai oublié les gouttes de Tabasco prévues dans mon hachis marin, qu’à cela ne tienne, je parsème d’un peu de poudre de piment d’Espelette mon anxiété de l’assiette blanche. Un peu d’assaisonnement pour les tomates : huile d’olive herbacée, jus de citron et quelques cristaux de sel.

moussaka
Planète Moussaka et ses satellites


Reste le plus important : le goût. Passons à table !
Bon, ça va, la chair évoque bien les fruits de mer dans une mâche agréable. Le parfum du safran dans les pommes de terre est discret – trop discret peut-être… La béchamel est parfaite en consistance, parfumée à souhait, bref on n'est pas en présence de cette colle infâme qu'est trop souvent cette sauce.
Et les aubergines ? Eh bien tout simplement ces dames sont à la fête. Que demander de plus ?

Le lendemain, les tomates farcies. Mais ceci est une autre histoire.

Le surlendemain, la moussaka marine, le retour.
Elle était servie froide, cette fois-ci. Et elle était encore meilleure, à la façon de ces pâtés ou terrines dont les fragrances se sont entremêlées et consolidées après plusieurs heures, voire journées, de repos. C’était bon, c’est devenu excellent.
Et, olive sur la moussaka, j’ai pu effectuer une coupe verticale montant les diverses strates de mon édifice gréco-gaulois.

moussaka, mer, coupe
5 étages


Ben oui, il faut laisser du temps au temps !