vendredi 6 avril 2018

Pâté presque pour Pâques

Ben oui, je sais, mon pâté de Pâques sera un pâté postpascal…
Tant pis !


Jour J-2

Je découpe des lèches.
En premier lieu dans du veau. Las, le boucher, sous prétexte que la viande était destinée à un pâté, a refilé des morceaux avec plein d’aponévroses… Il me faut donc jouer du couteau non seulement pour découper, mais aussi pour parer.
En second lieu, du canard. Re las, le volailler, n’ayant pas les aiguillettes que je souhaitais utiliser a cru malin de les remplacer par une cuisse. Je n’aurais jamais pensé que l’anatomie de ce palmipède soit aussi complexe et que sa mobilité mette en œuvre autant de tendons… Que ce volailler soit maudit jusqu’à la septième génération !
Il me vient de mauvaises pensées. J’imagine ces artisans balançant tous leurs rebuts dans un cutter pour les pulvériser afin de confectionner des pâtés - leurs pâtés… - qu’ils nous vendront à prix d’or. Sachez, Messieurs, que je ne mange pas de ce pain-là, et qu’un pâté est une construction et non une destruction.
Enfin mes lèches sont prêtes. Je les mets à mariner dans du cognac avec poivre long, poivre Timiz, poivre rouge de Kampot, piment de la Jamaïque, baie de genièvre, clou de girofle, thym, laurier et échalote tranchée.

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Des lauriers pour la lèche



Je réserve au frais. Bonne nuit les petits !

À demain, bonne nuit. Moi je continue ma ronde. Ou plutôt je passe à la confection de la pâte. Ce sera une variante de pâte brisée comportant les proportions suivantes :
500 g de farine
250 g de beurre
2 grosses cuillerées de saindoux
1 œuf entier
1 jaune d’œuf
2 cuillerées à café de sel.

Ces ingrédients plus agglomérés que pétris sont mis en boule et viennent rejoindre les lèches au réfrigérateur. Chut, ne les réveillez pas !


Jour J-1

Je commence par la préparation de la farce à gratin. Je verse les foies de volaille dans le bol du mini-préparateur. J’y ajoute trois échalotes, un petit verre de porto blanc, un trait de cognac, une pincée de sel, un tour de moulin de poivre. Je hache finement le tout jusqu’à obtenir une sorte de crème que je verse dans une petite poêle sur du beurre fondu.

farce à gratin, foies de volaille
La crème du gratin


Je brasse sur feu moyen afin de dessécher. La consistance souhaitée obtenue, je réserve.

farce à gratin, pâté de Pâques
Mais c'est une farce ?


Je mets à gonfler une poignée de morilles séchées dans un verre de porto. La saison aurait pu impliquer des morilles fraîches, mais sur les étals il n’y a que de la morille de Turquie. Et puis je ne suis pas certain que la morille fraîche procure plus de parfum dans un pâté que la morille séchée…
Je réserve. Imbibez-vous !

Ensuite je fais cuire cinq œufs durs que j’écale et réserve.

Je sors la viande : veau et gorge de porc. Je la découpe en cubes d’environ 3 cm de côté.
J’en verse la moitié dans le bol du gros robot multifonctions muni de sa lame à trancher. Je donne quelques impulsions afin de parvenir à un hachage relativement fin. Je verse le résultat dans un saladier.
Je répète l’opération avec le reste de viande, mais en m’arrêtant au stade d’un hachage grossier.

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Veau, porc


Je pèse le contenu. Je lis sur la balance 1 360 g, donc, avec la proportion réglementaire 16 g/1 000 g il me faut ajouter 22 g de sel. Ce que je fais.

Je sors les lèches et la farce à gratin du réfrigérateur.
Les lèches parfumées me disent : « Ah, ça va être un magnifique pâté ! ». Aucun doute, ce sont bien des lèches… Je verse le jus dans lequel elles ont baigné dans le saladier où repose la viande hachée. Je complète avec la farce. J’ajoute les morilles avec leur jus. Je donne moult tours de moulin de poivre rouge, saupoudre d’une pincée de quatre-épices. Et je pétris à tout va afin de bien mélanger.
Il me faut désormais passer au montage.
Je sors la boule de pâte du réfrigérateur et la débarrasse du film qui la protège. J’en prélève le tiers que j’étale en un rectangle approximatif que je transfère sur une plaque d’alu perforée recouverte de papier siliconé. Je recouvre cette pâte d’un rectangle plus petit de viande hachée. J’y dispose les œufs durs raccourcis en leurs bouts afin de pas trop risquer de tomber sur du blanc lors de la découpe future de tranches. Puis je superpose viande hachée, lèches de veau et de canard jusqu’à épuisement en tassant bien et en resserrant les flancs avec les paumes de la main.

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S'en battre les flancs


J’étale le reste de la pâte en un rectangle plus grand susceptible de recouvrir la masse du gros gisant viandesque. Je le pose en l’ajustant. Il ne me reste plus qu’à retrousser et ourler les bords, les chiqueter, puis percer trois trous sur le toit avant de tenter une vague décoration.

pâté de Pâques
Droit dans le décor


Le pâté cru est désormais prêt à passer au four.
Je l’enfourne pour 10 minutes à 200 °C. Je le sors et le badigeonne alors de jaune d’œuf dilué dans de l’eau. Je le réintègre ayant baissé la température du four à 180 °C.
Une demi-heure plus tard je ressors le pâté. La dorure de sa surface est aboutie, je le recouvre donc d’une feuille d’aluminium pour éviter une sur coloration. La fin de la cuisson sera gérée avec la mesure de la température au centre que je mesure avec une sonde.



Les bips qui se succèdent me signalent que c’est le moment d’évacuer mon œuvre hors du four. Je m’exécute, laisse tiédir le pâté sur la plaque de cuisson avant de le transférer sur un plat que je réserve au frais jusqu’au lendemain.

pâté de Pâques
Mon pâté postpascal



Jour J

Le matin je verse à l’aide d’un petit entonnoir de la gelée dans les trous du dessus du pâté que je remets ensuite au frais.
Le moment fatidique de la dégustation est arrivé. C’est un instant toujours un peu stressant, car on n’est pas certain de ce qui apparaîtra sous la croûte, dont il n’est pas non plus certain qu’elle ne tombera pas en miettes au cours des manipulations.
Mais non, ouf, tout ce passe bien. Et ce sont des tranches présentables que je puis déposer sur les assiettes, enfin, non, les ardoises…

pâté de Pâques
L'ardoise est pour vous...


Mais quid du goût ? La pesée du sel me permet de ne pas trop avoir d’inquiétude pour l’assaisonnement. Mais les saveurs, les parfums ?
Eh bien, ce pâté postpascal est bon. Un seul regret : j’aurais dû ajouter à sa composition du lard gras afin de lui conférer plus de moelleux.

À savoir pour Pâques 2019 !

mercredi 4 avril 2018

Avant la chasse

Si comme chaque année je me suis attelé à la confection d’un gratin de morue pour le Vendredi saint, en revanche cette année pour le repas du dimanche de Pâques je me suis contenté de mettre les pieds sous la table (ou presque, j’ai quand même apporté ma contribution en ouvrant les oursins…) car c’est ma fille qui nous recevait.
Elle avait concocté un ambitieux repas si savoureux que je me sens obligé de rendre en cette page un hommage à ses talents de cuisinière.
Pas d’apéritifs coupe-faim ! Nous sommes entrés directement dans le vif du sujet.

L’entrée répandait à un souhait de l’aînée de mes petites filles. En effet, allez savoir pourquoi, elle s’est entichée d’un plat qu’elle avait mangé dans un restaurant de Venise et réclame régulièrement la « bonne soupe aux coquillages que l’on a mangée en Italie ».
Désir exaucé en ce jour du 1er avril ! Nous avons vu arriver une soupière débordante de coquillages, crevettes, découpes d’encornets et darnes de poissons plongés dans un odoriférant bouillon écarlate de tomate et de poivron - il en rougit, le traître…

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Cacciucco


En plongeant nos cuillères, nous avons pu constater que le ramage se rapportait au plumage, c’est-à-dire le goût au parfum.

cacciuco, soupe de coquillages
Prêt au combat


Ma petite-fille était comblée, mais pas qu’elle… D’autant plus que nous bénéficions dans nos verres d’un excellent chablis. Pas elle…
Puis est arrivé le plat principal. Conçu par ma fille qui connaît bien mes goûts culinaires afin de les satisfaire : une assiette terre mer. C'était mon tour d'être comblé, et fort heureusement l’ensemble des convives l'étaient tout autant : même mes infantes lui ont fait honneur !
Deux couches se superposaient : un risotto blanc (bouillon de volaille et parmesan) et un risotto noir (bouillon de crustacés et encre de seiche), les deux séparés par un disque découpé dans une feuille d’algue et une duxelles de champignon de Paris et de shiitake. Plantée sur cette tour au sommet tapissé de panure panko torréfié avec un filet d'huile d'olive, une tuile de parmesan.
La viande, un grenadin de veau de lait, avait été passée à poêle dans un bain de beurre mousseux. Comme légume, des côtes de bettes cuites à la vapeur puis caramélisées. Dans un coin, une chantilly salée réalisée au siphon relevée avec de la poutargue râpée . Enfin, au centre de l’assiette, en guise de condiment, des langues prélevées sur des oursins frais.
Au centre de la table trônait une saucière contenant un jus réalisé avec des os et des parures de veau roussis recouverts d’eau puis mijotés trois heures durant avec une garniture aromatique. Un bonheur pour les papilles ! J’en ai arrosé abondamment ma viande.
Qu’est-ce donc que cette vague tache chichiteuse qui décore l’assiette ? Ah oui, on veut jouer les grands chefs…
Mais bien heureusement nous sommes en famille, alors je me sers et me ressers, et même que je sauce mon assiette avec un quignon de pain… Non mais !

Ah, la tuile !


Dans les verres un bon bourgueil. Je précise bon, car hélas ce n’est pas toujours le cas, loin de là…

Pour ma part, j’avais fourni le plateau de fromages. Beaucoup étaient de ch’nord. Normal, en raison de la localisation du fromager qui avait affiné ces pièces avant de me les expédier…


plateau de fromages, Philippe Olivier
Plateau tendance nordiste

Je craignais, me souvenant d’un calage brutal observé jadis au cours d’un repas dégustation pris jadis chez Androuet, que le même phénomène se produise devant l’abondance des propositions sur la table, mais non, chacun est venu à bout de l’ensemble des échantillons déposés sur son assiette.
Pour ma part, j’ai été un peu déçu par le fromage fort de Béthune… Pas si fort que ça, en tout cas bien moins que la pétafine du Dauphiné dont je garde un souvenir ému ou le casgiu merzu de Corse que je ne parviens pas à me procurer.

Je ne parlerai pas du gâteau, production décevante d’un artisan pourtant plutôt réputé – mais comme chocolatier…

gâteau
Je n'irai pas avec le dos de la cuillère...


Mes petites-filles pouvaient enfin partir à la chasse aux œufs !


chasse, oeufs de Pâques
Pas trop bien caché...

mardi 3 avril 2018

Rebonjour morue

Tel un vieux breton nostalgique assis sur un rocher au bord de la falaise guettant l'apparition des voiliers revenant d'Islande



tel une bigoudène assise sur une bitte d'amarrage du port scrutant l'horizon dans l'espoir de pouvoir enfin serrer son pêcheur chéri dans ses bras, assis sur un tabouret de ma cuisine, j'épie le calendrier dans l'attente de l'instant béni de la réapparition de ma morue...



... le Vendredi-Saint.


 année 2014




année 2015



année 2016



année 2017



année 2018



année 2019...









mardi 27 mars 2018

Adieu lapin

Souvent ma grand-mère tuait le lapin gras pour le séjour de sa descendance prodigue.

Je tiens tout d’abord à préciser que je n’étais pas plus un de ces enfants prompts à pousser des cris d’orfraie si l’on touche le moindre poil à un lapinou, lui réservant plus d’empathie qu’envers des camarades harcelés, qu’un de ces arracheurs d’ailes de mouche ou tortionnaires de chats qui forment la pépinière des futurs tueurs en série. Mes rapports avec la gente lapine étaient empreints d’un humanisme poli sans affection particulière envers ces animaux d’un abord pas spécialement avenant. En effet le lapin agité d’un tic renifleur vous regarde d’un œil torve du fond de sa cage où sa principale occupation est de ronger les montants de bois déjà attaqués par ses salves pisseuses. Il faut toutefois reconnaître qu’il prend soin de se réserver un espace pour ses innombrables crottes qu’il propulse avec l’énergie itérative d’un Kalachnikov, sachant bien qu’une bonne âme viendra faire le ménage. Le lapin serait-il encore plus sournois que crétin ? Ce comportement de mitraillette à pattes se retrouve quand il sort de sa cage pour pratiquer des coïts furtifs avec ses voisines de palier. Bref, rien d’attirant, mais rien de vraiment rédhibitoire non plus. D’autant plus qu’à l’époque je ne connaissais pas le grand malfaisant qu’est le lapin d’appartement…
On comprendra donc que, si j’étais un peu contrarié par les lapinocides pratiqués par ma grand-mère, c’était plus par le déroulement de l’action que par le résultat final.
Car il s’agissait d’un combat titanesque entre une frêle femme âgée handicapée par une vue défaillante et une vigoureuse bête dopée par les herbes coupées au bord du fossé, les épluchures des légumes du jardin et le blé donné par un paysan en contrepartie du fermage d’un petit champ étriqué qu’il était le seul à pouvoir cultiver, en étant resté au labourage avec une paire de bœufs…
Qui n’a entendu le cri strident du lapin quand on essaie de l’extraire de sa cage manu militari ne peut imaginer la puissance que parvient à générer un aussi petit coffre… Visiblement, l’animal n’était pas dupe des intentions de mon aïeule. Tenu par les oreilles, il donnait d’impressionnants coups de reins avant de se trouver pendu par les pattes arrière ligotées à l’aide d’un bout de ficelle de chanvre et accrochées à un barreau de l’échelle qui menait au grenier.
Commençait alors la partie la plus critique de la cérémonie. La vieille femme se saisissait d’un bâton et tentait d’estourbir la jeune bête par un bon coup sur le crâne. Mais voilà, le lapin se débattait. Si les coups pleuvaient, ils n’atteignaient pas toujours leur cible, et pas avec l’énergie nécessaire…
Il arrivait quand même un moment où, je ne sais si c’est par épuisement de l’animal ou par le hasard d’un impact bien ajusté - peut-être les deux -, la victime devenait inerte. Alors ma grand-mère sortait de la poche de son tablier noir un couteau à la lame étrécie par maintes années d’affûtage et, plaçant un bol dans lequel elle avait versé une cuillerée de vinaigre, pratiquait l’énucléation du rongeur. L’œil roulait dans l’herbe, et le bol recueillait le filet de sang qui s’écoulait de l’orbite de l’animal agité de derniers soubresauts. Puis ce même couteau fendait le ventre dont s’échappaient tripes et boyaux, déjà les poules s’approchaient dans l’espoir de profiter de cette manne inespérée, et le vieux matou, amateur de melon mais pas vegan pour autant, rodait la queue dressée dans les parages. Il avait droit à une patte de lapin encore revêtue de son pelage avec laquelle il jouera au chat et la souris…
Ensuite la bête était dépouillée soigneusement, un marchand de peaux de lapin passant encore régulièrement dans le village pour les acheter.
Après…
Ben, après, il n’y avait plus qu’à le cuisiner.

Le premier jour, ma grand-mère se saisit d’une poêle, et se contente d’y faire sauter les cuisses qu’elle recouvre ensuite de persillade. Elle les accompagnera de la préparation rituelle du pays, des pois, c’est-à-dire des haricots cocos secs qui ont mijoté dans un petit pot en tôle émaillée au couvercle à charnière qu’elle a posée sur la cendre dans la cheminée à côté des tisons rougeoyants. Parfois elle dérogera en servant ce qu’elle appelle brocolis – des pousses tendres prélevées sur les choux à vache qui ont monté. Elle les sert alors tièdes arrosés d’huile de noix et d’un trait de vinaigre.

Le lapin est là, dans ma cuisine. Mais je n’ai pas à le tuer. Plus encore, il a été découpé par le volailler.
En revanche je fais comme ma grand-mère, je prélève les deux cuisses dans le paquet. Toutefois je vais un peu différer dans la préparation, car mon aïeule ne disposait pas de four en été, quand le fourneau à bois n’était pas allumé. Je bénéficie de l’eau et du gaz à tous les étages ! Eh oui, on n’arrête pas le progrès ! Alors, après avoir doré le lapin sur toutes ses faces, j’ajoute un petit verre de vin blanc dans la poêle que j’enferme emmitouflée d’une feuille de papier d’aluminium, et j’enfourne pour une vingtaine de minutes à 170 °C. Pendant ce temps je hache une poignée de persil et trois gousses d’ail. Je nettoie et tranche en quatre un quarteron de champignons de Paris et les fais revenir dans du beurre doux mousseux. Et, comme il faut vivre avec son temps, ce sont des feuilles de chou kale - la dernière récolte de la saison de ce légume au jardin – que je plonge dans l’eau bouillante salée pour cinq minutes puis dans de l’eau glacée avant de les réchauffer bien égouttées dans du beurre demi-sel.
Je sors la poêle du four, découvre les cuisses et les parsème de la persillade.
Il ne me reste plus qu’à dresser dans les assiettes…


lapin, chou kale, persillade
Lapin à fond de kale





Le lendemain, ma grand-mère cuisine un civet avec les autres morceaux de la bête.
Mais voilà, elle dispose du sang recueilli dans le bol pour lier la sauce au vin rouge de Chinon ou tout simplement au baco de la vigne d’un voisin. Moi, non…
Alors je décide de réaliser une gibelotte au vin blanc, en l’occurrence du chenin pour rester dans une ambiance Val de Loire.
Je dore les morceaux de lapin, y compris la tête dont j’ai réclamé que l’on ne me la jette pas, au fond d’une cocotte dans un mélange fumant d’huile et de beurre. Je les sors et les réserve.
Je jette la graisse, replace la cocote sur un feu apaisé, fais fondre une noix de beurre dans laquelle je fais suer deux échalotes ciselées. Je réintègre le lapin, dépose trois gousses d’ail dégermées et singe avec deux cuillerées de farine. Après avoir brassé le contenu, je verse la moitié de la bouteille de vin blanc et plonge un bouquet enfermant entre deux feuilles vertes de poireau du thym, du romarin, de l’origan, du laurier et des queues de persil. J’ajoute quelques baies de genièvres et de piment de la Jamaïque, un segment de poivre long et un autre de poivre Timiz. Tiens, il y a des oignons qui ont germé, pourquoi ne pas profiter de leurs pousses vertes. Sitôt pensé, sitôt fait… Je coiffe la cocotte et enfourne pour une demi-heure à 170 °C.
Je découpe une poignée de lardons dans de la ventrèche basque et j’émince une demi-douzaine de champignons de Paris. Le tout est jeté dans une petite poêle sur un mélange de beurre doux et d’huile d’olive. Une fois légèrement doré, je réserve.
La demi-heure est passée, je sors la cocotte et ouvre.

lapin, gibelotte, vin blanc
Cocotte et chaud lapin
Je peux compléter avec le mélange de champignons et lardons après avoir retourné les morceaux de lapin. Je renfourne pour une nouvelle demi-heure.

Parallèlement, j‘ai confectionné des gnocchis.
J’ai suivi la recette proposée dans le blog La Pistacheraie.

https://lapistacheraie.com/2017/01/17/recette-72-les-gnocchis-poire-gorgonzola/

Les proportions :
500 g de chair de pomme de terre en purée (ici de la bintje)
150 g de farine T55
1 jaune d’œuf

se révèlent parfaites, la pâte obtenue après un bon frasage étant ferme, malléable et pas friable, en un mot facile à travailler.
Je me suis lancé dans le façonnage sur la planchette.

gnocchis, planchette
Du travail sur la planche
Puis tout ce petit monde a fini dans l’eau bouillante salée. Là encore, le bonheur : la tenue était parfaite.

Je n’ai plus qu’à faire revenir à feu doux mes gnocchis dans une grosse noix de beurre demi-sel.
Ils commencent à dorer quand l’heure est arrivée de sortir ma cocotte du four. À l’intérieur je peux découvrir mon lapin baignant dans une sauce réduite.

lapin, gibelotte, lardons, champignons
Chaud lapin, le retour
Je prélève les morceaux, sacrifiant la tête ayant donné sa contribution goûteuse, les dépose dans un plat et les arrose de la sauce avec ses champignons et ses lardons. Je donne un tour de moulin de poivre rouge.

lapin, gibelootte
Carrément lapin
Je verse les gnocchis dans un autre plat, les saupoudre de poivre moulu mais aussi de noix de muscade râpée. Je les parsème de ciboulette du jardin ciselée.

gnocchis, beurre
Gnocchis qui se bousculent

À table !

gibelotte de lapin
Un bras de lapin
Que penserait ma grand-mère de cette revisite ?

samedi 24 mars 2018

Abats la carotte, rognons les pâtes!

ÉPISODE 1 : Passage du rein

Quand je range le rognon de veau retour de marché, tout d’un coup une interrogation me turlupine, ou plutôt deux. Une constatation : je n’ai jamais pu connaître le ou les individus, voisins ou acheteurs lointains selon les aléas de la provenance et des circuits de distribution, qui dans leurs estomacs un peu frères du mien ont englouti le second rein de chaque bête de mes rognons d'antan. Diligenter une enquête me semble quand même disproportionné devant la frustration engendrée par ce vide cognitif. Sachons raison garder ! Toutefois une question en générant une autre, je me demande si l’autre rognon de la bête est simplement le symétrique du mien, ou si, comme pour les pieds de cochon, il existe une différence de conformation qui pourrait justifier le choix d’un côté de préférence à l’autre.
J’entame donc des recherches. Plutôt vaines…
Si une étude médicale arrivée en première position pour ma requête « différence de taille des reins » semble confirmer une inégalité significative gauche-droite chez un échantillon d'adultes de Madagascar, elle ne semble pas corroborée par d’autres sources. De toute façon, ma viande préférée n’est pas celle des populations humaines, fussent-elles malgaches - même si la consommation de brèdes est susceptible de conférer un délicat parfum à ces chairs insulaires…
En recentrant sur le rognon de veau, je découvre que le sujet qui m’intrigue n’est pas une source d’intérêt partagée par grand monde. C’est tout juste si un fournisseur distingue une droite ovale et une gauche pyramidale…
Bref, de mes recherches sur Internet ne se dégage qu’une certitude : les deux reins du chat sont de même dimension. De toute façon, ma viande préférée n’est pas celle des populations félines – d’autant plus que la consommation de Ronron est susceptible de conférer un goût douteux à ces populations appartementales…
Je poursuis en interrogeant les ressources de ma bibliothèque. Toujours rien parmi les auteurs récents.
Je me tourne vers les grands anciens.
La cuisine de Madame Saint Ange : rien.
Plusieurs ouvrages d’Édouard de Pomiane : rien.
Dictionnaire universel de cuisine de Joseph Favre : rien.
Ou plutôt si : je découvre dans ce denier ouvrage une recette qui me plaît.

Rognons sautés au vin de Champagne (haute cuisine).
Dans un milieu convenable, chez les nobles, non chez les parvenus, il est d’usage, pour la réussite de ce mets, d’envoyer un valet à la cuisine, avec un plateau contenant deux verres de champagne :
pour la dégustation et l’autre pour les rognons.
Procédé. — Mettre dans une petite casserole une quantité suffisante de sauce demi-glace tomatée ; un verre de champagne, deux douzaines de rognons de coq, deux truffes coupées en lames, quelques champignons émincés, une pointe de cayenne et faire donner un bouillon pendant que l’on prépare les rognons de veau ou de mouton, sautés selon le procédé général ; les ajouter dans la casserole, lier avec un bon morceau de beurre fin et servir.


Las… Certes j'appartiens à un milieu convenable, pour autant je ne dispose point de valet – tout juste d’une dame que je ne veux pas rabaisser à ce rang malgré mes atouts. Donc, en l’absence de ce produit indispensable, il me faudra bien renoncer bon gré mal gré à cette recette.

C’est frustré sur tous les plans que j’entreprends de cuisiner mon rognon.

Après l’avoir paré et découpé, je le fais sauter à feu vif quelques instants dans la poêle sur une noisette de beurre et le flambe avec un petit verre de cognac. Je transvase les morceaux de rognon dans une passoire posée sur une petite bassine et les assaisonne d’une pincée de sel.
Je verse dans la poêle une cuillerée de moutarde de Dijon et une autre de moutarde douce alsacienne. Je déglace avec un peu de fond de veau dilué dans de l’eau et j’ajoute 20 cl de crème liquide. Je laisse réduire et termine en rectifiant l’assaisonnement en sel et en parsemant de quelques tours de moulin de poivre rouge.
Je remets le rognon dans la poêle afin de remettre en température et je transfère dans un plat de service.

rognon, cognac, moutarde, fond de veau
Rognons un jour, rognons toujours

J’accompagne de pâtes : des spaetzle alsaciens.

spaetzle
L'Alsace en poêle




ÉPISODE 2 : Tu me fends le cœur

Quand je vois ces deux belles tranches de cœur, comme j’ai bon cœur, je décide de les traiter avec respect.
D’habitude, je me contente de les passer simplement sur le gril ou de les snacker dans une poêle, puis de les poser à côté d'un quelconque légume, quand ce n'est pas un légume quelconque.
Là je vais tenter d’aller un peu plus loin.
Pour commencer, je m’occupe de la garniture ; ce seront des carottes arrachées dans la matinée au jardin. Je les mets à glacer séparément, les oranges dans une petite casserole, les violettes - pour ne pas dire noires… - dans une autre. Car ces dernières sont hautement tinctoriales, l’état de mes mains après leur épluchage en est la preuve. Pour ce faire je les recouvre d’eau à effleurement avec une pincée de sel, une petite cuillerée de sucre et une noisette de beurre.
Cette cuisson lancée, je saisis les tranches de cœur sur les deux faces au fond d’une poêle dans du beurre mousseux. Puis je les réserve au chaud dans le four à 70 °C. Je fais fondre deux échalotes ciselées dans le beurre qui commence à devenir noisette. Enfin je déglace avec un petit verre de porto que je complète d'un bon trait de vinaigre balsamique traditionnel de Modène.
Après réduction, il ne me reste plus qu’à dresser les assiettes. Les carottes glacées jouxtant le cœur que je viens de trancher sur une planche - il faut voir comment je vous fends le cœur !
Une volute de persil, quelques tours de moulin de poivre de Kampot, et nous pouvons passer à table.

coeur, carotte violette, carotte orange, échalote, porto
Haut les cœurs !


jeudi 22 mars 2018

De rouge et d'or

Violence dans ma cuisine !

Jets de pavés et lancers de couteaux… Une sortie de boîte, des thons qui avait mariné, le tout à la sauce basque… Une cocotte qui traînait par là…

Je le reconnais, tout est ma faute.
J’avais trouvé un fond de paquet de riz qui emplissait opportunément un verre, et j’ai voulu régler son sort. Alors j’ai porté à ébullition trois verres de bouillon de volaille et j’y ai fait infuser une pincée de pistils de safran.
Et là c’est moi qui ai dégainé des navajas espagnoles tout juste sorties de boîte. Dans leur jus, comme on dit chez les brocanteurs. Un jus qui est venu parfumer le bouillon, alors que je tranchais mes couteaux ibériques bien émoussés à l’aide d’un homonyme japonais à la dureté nettement plus affirmée. Je me suis débarrassé de ces tronçons compromettants en les jetant dans le bouillon voisin.
La cocotte, maquillée d’un trait d’huile d’olive, après avoir réchauffé en son sein un oignon partagé et une gousse d’ail dégermée a bien voulu accueillir l’Oncle Ben - vingt minutes, pas plus ! Et, sous un drap de papier siliconé, ce fut chaud après le bain safrané… Pas un minable 37°2 le matin, carrément un 157° le soir !

Je continue ma confession. Oui, c’est moi qui ai jeté les pavés.
Mais c’est le thon qui me les avait fournis. Un rouge…
Il avait mariné chez les Basques, le thon, oui, je sais, ce n’est pas une excuse… N’empêche qu’avant de le mettre sur le gril, j’ai eu la délicatesse de l’essuyer, le débarrassant de la sauce Sakari qui le barbouillait.
Il n’est resté que quelques instants à se dorer. Il m’a déclaré : « Bon, on ne va pas en faire tout un plat… »

Ben si, j’en ai fait tout un plat.
Ces thons, il faut que l’on les dresse, non mais !


thon, riz, safran, couteaux
Pavés d'un thon...


lundi 19 mars 2018

Cuisine de blog

Après être passé la semaine dernière du jour au lendemain des derniers poireaux d’hiver du jardin aux premières asperges du printemps (mais pas du jardin, hélas…) j’ai eu le projet de rédiger une chronique à la fois nostalgique et grinçante sur l’écoulement du temps et les rites qui nous permettent de jalonner ce parcours de combattants. Je me serais décrit faisant le poireau sur mon banc (de Saint Jacques) en train d’attendre une grande asperge et j’aurais illustré le propos par la visite de deux plats-témoins...

poireaux, Saint-Jacques
Asperge du pauvre

asperge
Asperge du riche


Mais voilà… Les flocons churent, et mon propos fut enseveli sous une couche de neige. La révolution des asperges avait tourné court !
Aussi je me vois dans l’obligation pour cet article de remplacer l’aigre-doux par le réchauffé : celui des restes du cassoulet…

En effet, même avec l’aide d’une tierce personne, nous n’étions pas parvenus à venir à bout du contenu de la cassole, du format six parts il est vrai. Les yeux plus gros que le ventre…
Néanmoins, étant bien conscients de l’insuffisance de la capacité de nos poches stomacales, nous sommes convenus de préserver un échantillon représentatif des viandes et de garnir une cassole plus petite de format deux parts avec ce que notre voracité avait épargné.

cassoulet
De beaux restes

Hier soir j’ai sorti ce plat du réfrigérateur, et c’était reparti : une nouvelle heure au four avec cette fois-ci deux enfoncements de la peau… Et nous nous sommes encore régalés !

cassoulet
Dans une nouvelle peau


Les plus observateurs auront remarqué la forme différente de la cassole, bien que tournée par le même potier : ventrue au lieu de tronconique. Ce fait témoigne de ma neutralité dans le combat impitoyable entre les tronconiciens et les ventruphiles.
Citons un article paru dans Slate :
http://www.slate.fr/story/26409/savez-cassoulet-faux-gawker

Si l’on en croit la Confrérie du cassoulet, Wikipedia et de nombreux sites internet sur le sujet, la cassole est un plat en forme de cône tronqué dont les extrémités sont évasées. « Pas du tout, rétorque formellement Jean-Claude Rodriguez de l’Académie du cassoulet, on trouve dans les archives un journaliste toulousain qui décrit en 1850 la cassole comme « un plat rond et ventru, plate du cul », or la cassole promue par la Confrérie est une grésale, plat dans lequel on mettait le « gras au sel » (d’où « grassale » puis « grésale ») qui, elle, passez-moi l’expression, est « étroite du cul ». » Or, c’est cette forme plate qui doit assurer la cuisson uniforme au cassoulet, et dans la grésale de la Confrérie, on ne cuit pas avec homogénéité. Après avoir retrouvé un modèle de cassole « plate du cul » du début du siècle, Jean-Claude Rodriguez a déniché un potier, Guy Sanchez à Bram, qui a su lui fabriquer une véritable cassole. Aujourd’hui, les restaurateurs membres de l’Académie utilisent cet ustensile à l’ancienne qui est également proposé au public.

Ben moi, ce n’est pas chez Sanchez fournisseur de Rodriguez que j’ai déniché ma ventrue, mais chez Moreno.


Si tu vas à Castelnaudary
N’oublie pas de monter là-haut…