Quand je range le rognon de veau retour de marché, tout d’un coup une interrogation me turlupine, ou plutôt deux. Une constatation : je n’ai jamais pu connaître le ou les individus, voisins ou acheteurs lointains selon les aléas de la provenance et des circuits de distribution, qui dans leurs estomacs un peu frères du mien ont englouti le second rein de chaque bête de mes rognons d'antan. Diligenter une enquête me semble quand même disproportionné devant la frustration engendrée par ce vide cognitif. Sachons raison garder ! Toutefois une question en générant une autre, je me demande si l’autre rognon de la bête est simplement le symétrique du mien, ou si, comme pour les pieds de cochon, il existe une différence de conformation qui pourrait justifier le choix d’un côté de préférence à l’autre.
J’entame donc des recherches. Plutôt vaines…
Si une étude médicale arrivée en première position pour ma requête « différence de taille des reins » semble confirmer une inégalité significative gauche-droite chez un échantillon d'adultes de Madagascar, elle ne semble pas corroborée par d’autres sources. De toute façon, ma viande préférée n’est pas celle des populations humaines, fussent-elles malgaches - même si la consommation de brèdes est susceptible de conférer un délicat parfum à ces chairs insulaires…
En recentrant sur le rognon de veau, je découvre que le sujet qui m’intrigue n’est pas une source d’intérêt partagée par grand monde. C’est tout juste si un fournisseur distingue une droite ovale et une gauche pyramidale…
Bref, de mes recherches sur Internet ne se dégage qu’une certitude : les deux reins du chat sont de même dimension. De toute façon, ma viande préférée n’est pas celle des populations félines – d’autant plus que la consommation de Ronron est susceptible de conférer un goût douteux à ces populations appartementales…
Je poursuis en interrogeant les ressources de ma bibliothèque. Toujours rien parmi les auteurs récents.
Je me tourne vers les grands anciens.
La cuisine de Madame Saint Ange : rien.
Plusieurs ouvrages d’Édouard de Pomiane : rien.
Dictionnaire universel de cuisine de Joseph Favre : rien.
Ou plutôt si : je découvre dans ce denier ouvrage une recette qui me plaît.
Rognons sautés au vin de Champagne (haute cuisine).
Dans un milieu convenable, chez les nobles, non chez les parvenus, il est d’usage, pour la réussite de ce mets, d’envoyer un valet à la cuisine, avec un plateau contenant deux verres de champagne :
pour la dégustation et l’autre pour les rognons.
Procédé. — Mettre dans une petite casserole une quantité suffisante de sauce demi-glace tomatée ; un verre de champagne, deux douzaines de rognons de coq, deux truffes coupées en lames, quelques champignons émincés, une pointe de cayenne et faire donner un bouillon pendant que l’on prépare les rognons de veau ou de mouton, sautés selon le procédé général ; les ajouter dans la casserole, lier avec un bon morceau de beurre fin et servir.
Las… Certes j'appartiens à un milieu convenable, pour autant je ne dispose point de valet – tout juste d’une dame que je ne veux pas rabaisser à ce rang malgré mes atouts. Donc, en l’absence de ce produit indispensable, il me faudra bien renoncer bon gré mal gré à cette recette.
C’est frustré sur tous les plans que j’entreprends de cuisiner mon rognon.
Après l’avoir paré et découpé, je le fais sauter à feu vif quelques instants dans la poêle sur une noisette de beurre et le flambe avec un petit verre de cognac. Je transvase les morceaux de rognon dans une passoire posée sur une petite bassine et les assaisonne d’une pincée de sel.
Je verse dans la poêle une cuillerée de moutarde de Dijon et une autre de moutarde douce alsacienne. Je déglace avec un peu de fond de veau dilué dans de l’eau et j’ajoute 20 cl de crème liquide. Je laisse réduire et termine en rectifiant l’assaisonnement en sel et en parsemant de quelques tours de moulin de poivre rouge.
Je remets le rognon dans la poêle afin de remettre en température et je transfère dans un plat de service.
Rognons un jour, rognons toujours |
J’accompagne de pâtes : des spaetzle alsaciens.
L'Alsace en poêle |
ÉPISODE 2 : Tu me fends le cœur
Quand je vois ces deux belles tranches de cœur, comme j’ai bon cœur, je décide de les traiter avec respect.
D’habitude, je me contente de les passer simplement sur le gril ou de les snacker dans une poêle, puis de les poser à côté d'un quelconque légume, quand ce n'est pas un légume quelconque.
Là je vais tenter d’aller un peu plus loin.
Pour commencer, je m’occupe de la garniture ; ce seront des carottes arrachées dans la matinée au jardin. Je les mets à glacer séparément, les oranges dans une petite casserole, les violettes - pour ne pas dire noires… - dans une autre. Car ces dernières sont hautement tinctoriales, l’état de mes mains après leur épluchage en est la preuve. Pour ce faire je les recouvre d’eau à effleurement avec une pincée de sel, une petite cuillerée de sucre et une noisette de beurre.
Cette cuisson lancée, je saisis les tranches de cœur sur les deux faces au fond d’une poêle dans du beurre mousseux. Puis je les réserve au chaud dans le four à 70 °C. Je fais fondre deux échalotes ciselées dans le beurre qui commence à devenir noisette. Enfin je déglace avec un petit verre de porto que je complète d'un bon trait de vinaigre balsamique traditionnel de Modène.
Après réduction, il ne me reste plus qu’à dresser les assiettes. Les carottes glacées jouxtant le cœur que je viens de trancher sur une planche - il faut voir comment je vous fends le cœur !
Une volute de persil, quelques tours de moulin de poivre de Kampot, et nous pouvons passer à table.
Haut les cœurs ! |
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