Son récital s’était très mal passé. Un chat dans la gorge avait donné un coup de patte à son contre-ut, et sa vocalise s’était terminée par un lamentable miaulement.
Récital désastreux... |
Aussi les bouquets de fleurs habituels s’étaient vu remplacés par une pluie de tomates. Le Directeur de l’Opéra était entré dans une colère noire et avait hurlé : « Débarrassez-moi la scène de cette courge et de ces tomates ! ». Sous son regard exaspéré Tintin et le Capitaine Haddock s’étaient empressés de collecter tous les fruits, et quelques minutes plus tard Nestor les conduisait vers Moulinsart le pied sur l’accélérateur en compagnie d’une Castafiore ne pouvant réprimer ses sanglots et de cageots débordants de projectiles fruitiers.
La Castafiore s’est enfermée dans sa chambre. Tintin et le Capitaine Haddock se regardent.
« Qu’allons-nous faire de toutes ces tomates ?»
Le Capitaine, qui a les pieds sur terre, est d’avis qu’il serait dommage de laisser perdre ces beaux fruits.
«...et puis un bon repas devrait revigorer notre amie, tonnerre de Brest !
- Bon, ce n’est finalement pas une mauvaise idée. Je suggère des tomates farcies, c’est fin et sa se mange sans faim
- Va pour la tomate farcie, mais…
- Je me charge de les cuisiner. Nestor, faites-donc un saut à la boucherie Sanzot pour y acheter 750 g de porc haché et une tranche de jambon de pays !»
Nestor se met au garde-à-vous, hausse le menton, et répond d’une voix neutre mais assurée.
« Monsieur me permettra de lui rappeler que je viens d’assurer la conduite d’un véhicule puissant et nerveux qui m’a demandé une attention constante sur de nombreux kilomètres de voies sinueuses et mal signalées, aussi je crains que ma fatigue ne me permette pas d’assurer convenablement cette mission. L’honorable maison Sanzot dispose d’une connexion téléphonique qui devrait permettre à Monsieur de voir arriver ses emplettes avec encore plus de célérité que mon seul dévouement n’en eut été capable.
- Mais, espèce de Bachibouzouk, j’ignore son numéro ! »
Tintin n’est pas reporter pour rien. Il sait quérir l’information. Un petit tour chez un voisin, et il revient triomphant.
« C’est le 421 ! Allez, mon cher Haddock, vous êtes le maître de maison, appelez-nous donc ce brave commerçant… »
Peine perdue, le numéro est toujours occupé.
« Mille sabords, que cette Madame Sanzot est bavarde. Mon pauvre Nestor, je vais me voir dans l’obligation de vous charger de cette course en dépit de votre réticence.
- Que Monsieur ne s’offusque point si je tente une explication à cette absence de réponse en bout de ligne. Le chiffre de 421 n’est autre que celui du téléphone du château de Moulinsart que vous avez la chance d’habiter et où j’ai l’honneur de servir. Votre liaison téléphonique n’est qu’un serpent qui se mord la queue, si j’ose dire…
- Mais, ectoplasme à roulettes, pourquoi ne pas l’avoir dit plus tôt ?
- Monsieur ne m’a point posé la question… »
Le reporter reprend donc ses investigations. Il revient à nouveau triomphant.
« C’est le 431 !
- Oui Monsieur, c’est bien le numéro que j’entends quand je décroche, que l'on s’étonne de pas être en communication avec la boucherie Sanzot et que l'on insiste en affirmant : vous êtes pourtant bien le 431 ?
- Mais, concentré de moules à gaufres, pourquoi ne pas l’avoir dit plus tôt ?
- Quitte à me répéter, je répondrai à Monsieur que Monsieur ne m’a point posé la question. »
Quelques minutes plus tard la boucherie Sanzot effectue sa livraison.
La chair de porc et le jambon arrivent ! |
Tintin peut commencer la préparation de la farce.
Il fait fondre un oignon ciselé dans un trait d’huile d’olive. Il fait tremper de la mie de pain dans du lait. Il hache du persil et de l’ail, ainsi que le jambon de pays
Dans une bassine il mélange la viande de porc, le hachis, l’oignon refroidi, la mie de pain essorée, un œuf, de la fleur de thym, une pincée de quatre épice. Il a aussi salé, et donné quelques tours de moulin d’un poivre noir parfumé. Le Capitaine a proposé d’ajouter un verre de whisky, mais Tintin s’y est opposé catégoriquement.
Tintin décapite les tomates, les creuse et dispose la chair prélevée au fond d’un plat barbouillé d’huile d’olive. Il les emplit de farce avant de les recoiffer. C’est en rouspétant qu’il les place dans le plat. Quelle idée ont eu ces mélomanes de choisir des Coeurs de Toro au bout pointu ! Et, de plus, il y a des Green Sausages, comment les farcir avec leur petite taille et leur forme allongée ? Heureusement, il lui vient une idée. Il a trois de ces tomates, il en fend deux partiellement, et bourre la fente placée vers le haut et écartée d’une quenelle de farce. La troisième tomate est fendue en deux, chaque moitié posée sur la farce fera office de coiffe.
Ces deux nouvelles tomates vertes atypiques ont surgi fort à propos pour caler les rouges.
Une feuille de laurier, un soupçon d’origan, deux brins de thym viennent s'insérer avant qu’il n’arrose le plat avec un bon trait d’huile d’olive.
Et il enfourne à 180°C, laisse une à cette température une dizaine de minutes, puis baisse à 160°C pour environ une demi-heure.
Le plat est sorti, Tintin le trouve plutôt appétissant, le Capitaine Haddock confirme.
Ils aiment |
Mais la Castafiore refuse de se rendre à la salle à manger.
« Nestor, portez donc cette assiette à notre chère cantatrice sur un plateau dans sa chambre. »
Nestor frappe à la porte. Un « Entrez » geignard lui répond.
Il pose le plateau.
La Castafiore se met à hurler.
Castafiore en colère |
« On se moque, on se gausse, je suis la risée de tous. C’est une cabale dont même ceux qui se prétendaient mes amis font partie. Des tomates, encore des tomates ! Je hais les tomates ! »
Elle se saisit de l’assiette, s’apprête à la lancer à la figure de Nestor. Tout à coup son geste s’arrête, elle renifle.
Elle n'en voulait pas |
« Mais c’est que ça sent bon. Hum, finalement j’ai faim. Après tout, c’était sans doute l'hommage à l’italienne qu’ils réservent aux grandes divas. Nestor, vous avez oublié la carafe d’eau fraîche. »