- I am lost
! murmura en anglais Milady, I must die.
Alors elle se releva d'elle-même, jeta autour d'elle un de
ces regards clairs qui semblaient jaillir d'un oeil de flamme.
Elle ne vit rien.
Elle écouta, elle n'entendit rien.
Elle n'avait autour d'elle que des ennemis.
- Où vais-je mourir ? dit-elle.
- Sur l'autre rive, répondit le bourreau.
Alors il la fit entrer dans la barque, et, comme il allait y
mettre le pied, Athos lui remit une somme d'argent.
- Tenez, dit-il, voici le prix de l'exécution ; que l'on
voie bien que nous agissons en juges.
- C'est bien, dit le bourreau ; et que maintenant, à son
tour, cette femme sache que je n'accomplis pas mon métier ; mais mon devoir.
Et il jeta l'argent dans la rivière.
Le bateau s'éloigna vers la rive gauche de la Lys, emportant
la coupable et l'exécuteur ; tous les autres demeurèrent sur la rive droite, où
ils étaient tombés à genoux.
Le bateau glissait lentement le long de la corde du bac,
sous le reflet d'un nuage pâle qui surplombait l'eau en ce moment.
On le vit aborder sur l'autre rive ; les personnages se
dessinaient en noir sur l'horizon rougeâtre.
Milady, pendant le trajet, était parvenue à détacher la
corde qui liait ses pieds : en arrivant sur le rivage, elle sauta légèrement à
terre et prit la fuite.
Mais le sol était humide ; en arrivant au haut du talus,
elle glissa et tomba sur ses genoux.
Une idée superstitieuse la frappa sans doute ; elle comprit
que le Ciel lui refusait son secours et resta dans l'attitude où elle se
trouvait, la tête inclinée et les mains jointes.
Alors on vit, de l'autre rive, le bourreau lever lentement
ses deux bras, un rayon de la lune se refléta sur la lame de sa large épée, les
deux bras retombèrent ; on entendit le sifflement du cimeterre et le cri de la
victime puis une masse tronquée s'affaissa sous le coup.
Alors le bourreau détacha son manteau rouge, l'étendit à
terre, y coucha le corps, y jeta la tête, le noua par les quatre coins, le
rechargea sur son épaule et remonta dans le bateau.
Arrivé au milieu de la Lys, il arrêta la barque, et
suspendant son fardeau au dessus de la rivière :
- Laissez passer la justice de Dieu ! cria-t-il à haute
voix.
Et il laissa tomber le cadavre au plus profond de l'eau, qui
se referma sur lui.
Le téléphone sonna de tôt matin. Le commissaire Chafort eut un moment de désarroi.
Il se croyait encore dans son appartement parisien, clignait des yeux, et attendait que la silhouette de Julie, qui, elle, avait l'esprit vif dès potron-minet, se découpe dans l'embrasure de la porte de la chambre, brandissant le portable que comme d'habitude il avait oublié sur la table basse du salon.
Mais non, désormais sa femme l'avait quitté, lasse de l'attendre dans des longues soirées de solitude, dépitée du mystère qu'il entretenait sur les affaires, jalouse aussi du temps qu'il partageait avec Clara dans des planques nocturnes. Et après cette bavure stupide qu'il aurait voulu effacer de sa mémoire, il se trouvait désormais relégué au commissariat de Béthune -bienvenu chez les chtis !-, s'ennuyant dans le bureau crasseux depuis lequel il avait du mal à distinguer le beffroi de la ville, sa ville, tant les vitres étaient sales, bureau qu'il partageait avec le lieutenant Tiphaine Bouley. La veille, il venait de découvrir que cette pièce était surnommée par les flicards en uniforme la cage de Titi et Grosminet, mais il ne s'en était pas offusqué, il n'était plus à ça près, le commissaire principal déchu Chafort... Plaqué par sa meuf, trainant dans ses bagages sa fille, une ado qui jouait les rebelles, il avait l'impression d'être plongé dans un remake d'une de ces séries minables mitonnées par France Télévision. Encore heureux que le procureur ne soit pas un frère ennemi, une cousine refoulée ou le premier de la classe de l'école primaire où il avait fait les quatre-cent coups !
La sonnerie avait cessé.
Faut bien que je reprenne mes esprits, il n'y a pas le feu ! Où se cache ce fichu portable ?
Une seule solution, je l'appelle par le fixe pour repérage. Ah oui, mais quel est son numéro ? Pas de panique, je l'ai noté sur mon carnet d'adresses, mais où est donc ce carnet, ah, je m'en souviens, dans la poche interne droite de mon blouson...
Je cours vers le porte-manteau de l'entrée. Pas la peine, le portable sonne à nouveau. Il est dans la coupe de fruits. J'aurais du y penser, j'avais croqué une pomme hier soir en rentrant à la maison.
C'est Tiphaine qui appelle.
" Patron, il faut que vous veniez vite ! On a un meurtre sur les bras. Au couvent..."
Il ne manquait plus que ça... Le désordre dans les ordres !
Je m'habille rapidement, enfin rapidement pour moi, car le matin il me faut autant de temps pour ce faire que le soir à une effeuilleuse pour se déshabiller sur scène...
Une demi-heure plus tard je franchis le portail du couvent.
Tiphaine m'attend.
" Voici le corps. Il a été découvert au moment des mâtines devant la porte de sa cellule.
Le médecin-légiste est déjà là, il est arrivé fissa mais il n'a rien touché afin que vous puissiez voir la scène de crime intacte"
Le fissa de Tiphaine m'énerve un peu, mais je ne relève pas. Elle a sans doute raison, j'aimerais bien avoir encore comme elle la foi en mon métier. Tiens, la foi.. Est-ce par ce que je suis dans un couvent que ce mot me monte à la tête.
Un ricanement me tire hors de ma rêverie.
" Alors commissaire, bienvenue parmi nous, je vous présente notre nouvelle attraction locale, l'abbé froid de Béthune. Froid de chez froid. Refroidi il y a bien une douzaine d'heures au moins, regardez la lividité cadavérique. Ah, ah, je vois que cette tranche de citron vous intrigue. Mais suivez moi, il y a l'accompagnement."
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Citron PacMan |
Je pénètre derrière lui dans la cellule de l'abbé. Presque aussi triste que mon bureau. Un châlit couvert d'une couverture écrue miteuse, une table bancale de bois blanc, deux chaises mal équarries dont la paille s'est effritée sous le défilé de milliers de fesses sacerdotales.
Le légiste a suivi mon regard.
"Eh oui, ce n'est pas le grand luxe. Remarquez, il ne manquerait plus que ça, que les prélats se prélassent... Pourtant vous voyez..."
Oui, j'ai vu, sur la table, une assiette contenant des rondelles entières.
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Assiette de tranches de citron |
Mais surtout deux assiettes rectangulaires.
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Thon sabayon |
" Hein, commissaire, ce thon est plus frais que notre client !
- C'est bien ça qui me chiffonne.
- Oui, à cause de la couleur de l'abbé. Bleu comme l'abbé des anges... Peut-être est-ce lié à un empoisonnement ?
- Ah oui, avec le sang et le couteau yanagiba entre les deux épaules...
- Bof, même chez les assassins il y a des perfectionnistes ! Bon, il faut que je vous quitte, ma maîtresse m'attend. Mais ne faîtes pas cette tête, je plaisante. Et quand la scientifique aura fini ses relevés et les photos, faîtes moi livrer les plats, j'ai un petit creux. Je plaisante. Ciao commissaire, je vous envoie les résultats bientôt."
Je lui fais un vague signe de tête. Ras le bol de ces légistes, praticiens d'une clientèle de patients pour l'éternité qui ne leur enverra jamais à la figure ce qu'ils pensent de leurs soins, et qui se croient obligés de jouer le rôle de rigolos qui noient leur angoisse de fréquenter Thanatos au quotidien sous des flots de plaisanteries stupides. Encore que je sois obligé à leur décharge de constater que les morts qu'ils côtoient ne le sont pas de leur propre fait contrairement à ceux de leurs confrères.
Nous rentrons au commissariat. Je demande au planton :
" Pas de document arrivé qui nécessite que Grosminet y pose sa griffe ? Non ? Alors dans ce cas je vais aller ronronner sur mon coussin !"
Le gardien de la paix me lance un regard effaré, soulève sa casquette et gratte sa tète à poil ras.
Tiphaine sembla accablée.
" Mais patron...
- Il n'y a pas de mais mais... Recouvre tes esprits, sinon Grosminet va te croquer, Titi !"
Je sens que je reprends du poil de la bête.
Ce bon abbé ne sera pas mort pour rien. En guise de récompense pour ce bienfait, j'ai à cœur de résoudre cette affaire et de mener le coupable au châtiment.
Deux jours plus tard arrivent les résultats du légiste. Ils viennent conforter une piste lancée parTiti, désormais au mieux avec moi car je l'ai caressée dans le sens des plumes.
" Patron, j'ai remarqué quelque chose d'étrange. Si j'ai raison, vous allez pouvoir vous friser la moustache !"
Elle me plait, cette petite, elle a le sens de l'humour...
" Voilà, patron, vous avez vous même constaté que le couteau était japonais.
- Oui, pas difficile, je me suis gavé pendant des années de sushi rue Saint-Anne, à l'époque j'étais plus samouraï que Grosminet...
-Ne broyez pas du noir, patron, ce Grosminet a des gènes de chat sauvage..."
Elle me plait de plus en plus. Je continue à marivauder.
" Haret seulement. Haret de carrière... Mais continue ton propos...
- Eh bien je me suis demandé pourquoi, contrairement aux rondelles de citron trouvées sur l'assiette posée sur la table à côté des plats, la rondelle tenue par la main crispée de la victime était entaillée. L'abbé ne voulait-il pas ainsi désigner son assassin ? Et savez-vous à quoi cette rondelle me fait penser ?
- Non, mais tu vas me le dire..
- Trouvez vous-même, monsieur le chat de race... Le Japon, le Japon vous-dis-je...
- Mais oui, on dirait un Pac-Man !
- Bravo !
- Donc une piste japonaise. Pour un peu je vous embrasserais, chère Titi.
- Ne vous privez point de cette satisfaction, cher Grosminet, la vie est courte, l'abbé est là pour vous le rappeler...
- Est-ce une avance ?
- Qui sait, on ne prête qu'aux riches. Mais voyons d'abord ce que ce bon légiste nous a découvert."
Dans la hâte de déchirer l'enveloppe, nos mains se frôlent.
" Bas les pattes, Raminagrobis. Les soldes sont finies, voyons quels marrons il nous a tirés du feu..."
Une photo s'échappe du dossier. Il s'agit de celle d'une des assiettes. Des lettres correspondent à des annotations sur un feuillet joint.
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Thon du légiste |
A : Thon albacore provenance atlantique, traces de métaux lourds, la teneur en histamine implique une grande fraîcheur. La coupe démontre une cuisson rapide laissant l'intérieur bleu (au sens culinaire du terme) . Sur la surface, l'analyse met en exergue les mélanoïdines et les dérivés hétérocycliques correspondant à la réaction de Maillard au sein d'une couche d'huile d'olive d'origine libanaise n'ayant pas atteint son point de fumée.
Aucun élément susceptible d'avoir provoqué une violente réaction toxique n'a été découvert.
B : Cette fraction du plat correspond à une émulsion de jaunes d'œufs avec un liquide affermie par réchauffement appelée sabayon dans les milieux de la cuisine. Si le microscope électronique a permis de vérifier rapidement que les œufs étaient d'origine bio et ne contenaient aucun élément toxique (un approfondissement concernant la race de la poule n'a pas été jugé nécessaire dans le cadre de l'enquête), en revanche la nature du liquide utilisé a été plus difficile à déterminer. En l'état actuel, nous savons seulement qu'il contenait de l'alcool, du piment et de la prune. Mais nous n'avons pas la certitude qu'il n'y a que de la prune...
Aucun élément susceptible d'avoir provoqué une violente réaction toxique n'a été découvert.
C : La nature végétale des particules recouvrant la pomme de terre et une partie de la surface de l'assiette nous a conduit à consulter un botaniste.. Celui-ci nous a indiqué qu'il s'agissait d'algue rouge de la famille des Ulvaceae séchée et vendue au Japon sous le nom de Ao Nori. Devant notre étonnement confrontés que nous étions à une couleur verte, le spécialiste a évacué l'hypothèse du daltonisme nippon et nous a fourni l'explication convaincante de la disparition de la molécule assurant la coloration durant le processus de séchage.
En raison de la provenance, le produit fut soumis à des tests de radioactivité. Les rayonnements mesurés sont contenus dans une fourchette acceptable.
Aucun élément susceptible d'avoir provoqué une violente réaction toxique n'a été découvert.
D : La pomme de terre contient des traces de nitrate.
Sa surface est recouverte d'une couche de beurre dont la composition laisse penser qu'il s'agit de beurre demi-sel d'Isigny mêlée à des cellules d'amidon
Aucun élément susceptible d'avoir provoqué une violente réaction toxique n'a été découvert.
E : Les carottes sont d'origine bio, sans traces quantifiables de produits phytosanitaires.
Leur surface est recouverte d'une couche brillante dont l'analyse démontre la présence d'un beurre identique à celui trouvé sur la pomme de terre et de sucre (de betterave) dont une partie fut transformée en caramel après évaporation de l'eau.
Aucun élément susceptible d'avoir provoqué une violente réaction toxique n'a été découvert.
F : Le liquide répandu à la surface de l'assiette à côté des carottes a été analysé lui aussi afin de lever toute incertitude. Il est composé simplement de beurre, sirop léger de sucre et exsudats de carotte.
Aucun élément susceptible d'avoir provoqué une violente réaction toxique n'a été découvert.
G : Il convenait de lever tout doute sur la nature de la mouture qui parsemait la partie droite de l'assiette. Une inspection au microscope électronique a démontré qu'il s'agissait de poivre noir de Kâmpôt broyé.
Aucun élément susceptible d'avoir provoqué une violente réaction toxique n'a été découvert.
Un autre feuillet attribue la mort à la perforation par arme blanche avec plaie en séton. Il faut dire que nous nous en doutions un peu... Plus étrange, la préparation des plats est postérieure d'une douzaine d'heures à l'assassinat.
" Alors, patron, la filière japonaise se précise !
- Ouais, mais pour les motivations nous n'avançons guère. As-tu fait des recherches sur le passé de l'abbé ?
- J'ai fouillé, mais rien côté Japon. Quelque chose d'amusant cependant : les généalogistes ont découvert il y a quelques années qu'il était le descendant du célèbre bourreau de Béthune, mais non, pas le catcheur, ô esprit primaire et masculin, mais l'ancien, celui dont parle Alexandre Dumas. On raconte que ça lui aurait fait un choc, et que c'est pour expier les péchés de son ancêtre qu'il serait entré dans les ordres.
- En attendant, faisons du concret : une enquête de voisinage pour savoir si des nippons ni mauvais n'ont pas été vus dans les parages."
Je baisse la tète, honteux de m'être livré à une plaisanterie de garçon-légiste..
Le lendemain, nous avons une piste : un japonais et une japonaise avaient été signalés près du couvent, et même, mieux, nous connaissons l'hôtel-garni qui les héberge. L'hôtel Sans-Soucis, ça ne s'invente pas... Pourquoi pas Sans-Sushis !
Pourvu qu'ils n'aient pas décampé.
Nous grimpons l'escalier quatre à quatre, Titi se prend les pieds dans le tapis et s'étale.
" Titi, tes vols planés ne sont pas dignes d'un oiseau. Je suis certain que tu ne serais pas capable d'échapper aux griffes d'un Grosminet...
- Eh bien qu'il essaye, mais pour le moment ce sont nos Nippons qui risquent de s'échapper et d'être aux Japonais absents.."
Finalement je n'aurais pas dû avoir honte, elle aussi donne dans la blague d'autopsieur...
Pistolet à la main, nous faisons irruption dans la chambre du garni. Deux jeunes gens sont assis, un garçon et une fille. Ils n'ont pas l'air bien hostiles. Nous baissons le canon de nos armes.
Le garçon prend la parole dans un français parfait.
" Nous somme frère et sœur... Si nous parlons si bien votre langue, c'est par tradition familiale.
En effet un de nos ancêtres était venu de France il y a près de quatre siècles. C'était un missionnaire jésuite."
Je l'interromps.
" Venons en au fait, je ne suis pas ici en tant qu'historien. Avouez vous tous deux cet assassinat ?
- Non seulement nous l'avouons, mais nous le revendiquons. Sauf qu'il ne s'agit pas d'un meurtre, mais d'une juste vengeance. Et pour en connaître les motifs il vous faudra bien faire un retour dans le passé.
Notre aïeul jésuite était le fils caché de Milady de Winter et du frère du bourreau de Béthune.
Eh oui, ils s'aimaient vraiment, et ils auraient pu vivre une vie heureuse si la jalousie du bourreau n'avait détruit leur vie par des accusations infâmes. Non le frère du monstre à la cape rouge ne s'est pas pendu, il fut assassiné par celui-ci en dépit des liens du sang.
Heureusement ce fils fut recueilli par des bons pères qui lui donnèrent une excellente éducation. Fuyant les terres souillées par tant de crimes, il partit évangéliser l'Empire du Soleil. Et là, comme son géniteur, il s'éprit malgré ses vœux d'une jeune fille locale.
Il n'avait pas de frère monstrueux pour détruire leur avenir. Ils eurent un fils et...
...et maintenant nous sommes là."
Il se tourne vers sa sœur qui comprend que désormais c'est à elle de parler.
Elle nous regarde fixement et déclare d'un ton détaché semblant venir de l'au-delà.:
" Savez-vous qu'il existe au Japon une femme-démon, Hannya, qui s'incarne sur terre pour exercer les vengeances.
Je suis Hannya, je suis venue venger Milady."
Pendant qu'elle parle, je balaye la pièce du regard. Dans un coin, j'aperçois un flacon aux reflets mordorés
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Ginkoubai Hannya |
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"Oui, c'est ma boisson quotidienne, ma source de vigueur qui renforce ma détermination. Mon portrait figure sur une face, je suis belle n'est-ce pas ?
Maintenant faites de moi ce que vous voulez, j'ai accompli ma mission."
L'affaire est pratiquement résolue. Toutefois je ne comprends toujours pas les heures écoulées entre l'assassinat et la découverte d'un repas presque encore tiède quand nous sommes arrivés.
Tiphaine a décelé mon désarroi, me fait un clin d'œil et me souffle dans l'oreille :
" Pour les plats, vous devriez les cuisiner..."
Mais ce n'est pas la peine, le frère a repris la parole.
" Nous sommes passés le soir, dans la cellule il y avait une tranche de thon cru sur la table et l'abbé s'apprêtait à l'arroser du jus d'une tranche de citron. Quelle ironie du sort que cette parodie minable de notre sashimi... ! Ma sœur s'est jetée sur lui, a planté le couteau dans son dos. Pendant qu'il agonisait, nous sommes regardés. Quelle merveilleuse idée ! Nous allions festoyer à ses côtés, la tranche de thon trouverai une meilleure destinée. Ma sœur a mis en application les cours de cuisine française qu'elle est en train de suivre. Après avoir préparé nos deux assiettes dans cet hôtel, nous sommes revenus au couvent..."
Sa sœur se met à ricaner.
" Je suis fière de mon sabayon Hannya. J'y ai mis les deux-tiers d'un flacon comme celui que vous voyez là-bas. Cette liqueur de prune qui cache en son sein un piment vengeur. Nous avons failli nous régaler..."
C'est à mon tour de chuchoter dans l'oreille de Tiphaine :
" Et dire que je pensais que la vengeance est un plat qui se mange froid..."
Le frère prend le relais.
" Malheureusement nous avons entendu du bruit. Faute de place dans l'étroite cellule, nous avions mis le corps dehors, devant la porte. Il allait être découvert. Nous nous sommes enfuis.. quel dommage, nous aurions pu faire un si savoureux festin !"
Je ne puis m'empêcher de rétorquer :
" Mais il n'a pas été perdu pour tout le monde. Le légiste s'est régalé..."
Je me tourne vers les fliquettes qui nous accompagnent.
" Allez, mes souris, Grosminet vous demande d'embarquer Mademoiselle et Monsieur !"
Dans la voiture qui nous conduit toute sirène dehors -il faut bien faire joujou de temps à autre- au commissariat, je me tourne vers ma collaboratrice.
" Et si nous allions fêter cette victoire dans un restaurant japonais ?
- Restaurant oui, mais pas japonais. Un restaurant gascon.
- Pourquoi gascon ?
- Mais en l'honneur du malheureux époux de Milady...
- Bon, d'accord mon Titi, tu sais quelle spécialité locale j'aimerais déguster. Non ? Eh bien c'est un petit oiseau que l'on savoure enfoui sous un drap, non, pardon, une serviette..."