J’étais donc tout réjoui de trouver, exhibées sur l’étalage d’un poissonnier des halles de ma bonne (est-ce toujours vrai ?) ville, des tranches de thon arborant cette information :
THON DE MÉDITERRANÉE (Thunnus thynnus)
- pêché au filet tournant
Cependant, vu de plus près la couleur de la chair ne correspondait pas à cette espèce, et le prix était étonnamment bas (enfin tout est relatif…) pour un tel poisson, d’autant plus que ce commerçant n’a pas l’habitude de brader ses produits.
Question au vendeur :
« Il vient d’où, ce thon ? »
Réponse :
« Il vient du Pacifique »
Et finalement, c’était du thon albacore…
« Ah, zut, on a oublié de changer l’étiquette ce matin ! »
Depuis cette discussion il y a quelques jours, l’étiquette a toujours été oubliée d’être changée. C’est fou comme les relents iodés peuvent rendre certains poissonniers distraits….
Il va sans dire que j’ai rayé définitivement cette poissonnerie de mes fournisseurs. Ce qui est désolant, c'est qu'elle fut jadis fut la meilleure de Versailles, tant pour la qualité que pour la variété de ses poissons et crustacés. Boycott qui ne me privera guère…
Encore que... Hélas, les autres établissements, si la qualité y est moins déplorable, n’offrent toutefois qu’un choix d’espèces très limité. Fini le temps où un vendeur compétent me proposait des poissons inhabituels, comme cette dorade coryphène - m’avertissant du caractère très iodé de sa chair - qui fut pour moi une plaisante découverte ; terminés ces jours où je retrouvais sur l’étal des pouces-pieds qui exhalaient pour moi les relents d’anciennes vacances à la Pointe du Raz ou une lamproie qui allait ensanglanter la cuisine.
D’ailleurs, il y a quelques jours, dans le dépit que me provoque ce manque de possible, je me suis résolu à ouvrir un bocal de lamproie à la bordelaise.
Pot lamproie, pour assurer l'intérim |
J'ai ajouté la feuille de persil |
C’était très convenable, peut-être aussi bon que si je l’avais cuisiné moi-même. Mais voilà, j’étais privé du plaisir de la préparation…*
Or donc j’en étais au moment où je me trouvais sans ce thon espéré et où il me fallait trouver une solution de remplacement.
Le sauveur m’apparut sous la forme d’un espadon de bonne mine dont je me fis prélever deux tranches (les trios se feront servir trois tranches, les quatuors en demanderont quatre, et cætera - à partir d’un certain nombre l’on pourra acheter la bête entière).
Me voici donc à la maison, songeur devant mon poisson de substitution.
Souvent gâte-sauce varie, et bien fol est qui s’y fie. L’espadon me fait songer aux mers du Sud, aux plages de sable blanc bordées de cocotiers. C’est décidé, adieu courgettes, bonjour champignons !
Je vais les préparer en les relevant d’une touche d’exotisme. Ce sont des champignons de Paris au chapeau brun foncé - les meilleurs.
Je les escalope, puis les fais tomber en compagnie d’une échalote hachée dans une cuillerée d’huile d’olive où a fondu une noisette de beurre. Je verse dans la poêle un pack de 25 cl de crème de coco, ajour une gousse d’ail haché, une feuille quatre-épices (il faut bien que je tire profit de mon stock…). Par bonheur un piment rouge, le premier de l’été, vient d’arriver le matin même du jardin. Je le hache grossièrement pour l’introduire pendant que ma crème de coco réduit. Une pincée de curcuma ajoute un peu de couleur à cette sauce trop terne. Le jus d’un demi-citron vert lui confère son parfum et une touche d’acidité.
La consistance souhaitée va bientôt être atteinte. Il est temps de déposer les tranches d’espadon que j’ai parsemées d’une pincée de sel fin quelques minutes auparavant sur le gril oint d’huile d’olive.
Un aller-retour à feu vif, et je dépose sur l’assiette. Suivent les champignons que je parsème de persil ciselé. Une cuillerée de ketchup au chipotle vient barbouiller un coin de la tranche d’espadon. Enfin une tranche de citron vert apporte sa couleur - mais pas que, il suffira de la presser pour obtenir l’acidité réveil papille.
Illuminé par le faux thon |
Les assiettes viennent sur la table, suivies par le pot de ketchup au chipotle, à la disposition de l’amateur (que je suis) et de l’amatrice (qui ne l’est pas moins).
Pas thon, mais bon quand même…
* Je présume qu’un ch’ti lecteur de ce blog à qui j’ai confessé ne connaître le Potjevleesch que par les conserves (et quand même aussi par un repas dans un restaurant lillois…) doit ricaner en lisant ces lignes… Mais voilà, pour la lamproie j’ai connu la préparation maison avant ses substituts.