mardi 28 juillet 2020

Sans thon de Provence

L’avalanche de courgettes dévalant du jardin vers mon garde-manger m’avait donné l’idée d’en confectionner un gratin. Et quoi de mieux qu’une belle tranche de thon rouge passée sur le gril pour l’accompagner sur la table.

J’étais donc tout réjoui de trouver, exhibées sur l’étalage d’un poissonnier des halles de ma bonne (est-ce toujours vrai ?) ville, des tranches de thon arborant cette information :

THON DE MÉDITERRANÉE (Thunnus thynnus) 
- pêché au filet tournant

Cependant, vu de plus près la couleur de la chair ne correspondait pas à cette espèce, et le prix était étonnamment bas (enfin tout est relatif…) pour un tel poisson, d’autant plus que ce commerçant n’a pas l’habitude de brader ses produits.
Question au vendeur :
« Il vient d’où, ce thon ? »
Réponse :
« Il vient du Pacifique »
Et finalement, c’était du thon albacore…
« Ah, zut, on a oublié de changer l’étiquette ce matin ! »
Depuis cette discussion il y a quelques jours, l’étiquette a toujours été oubliée d’être changée. C’est fou comme les relents iodés peuvent rendre certains poissonniers distraits….
Il va sans dire que j’ai rayé définitivement cette poissonnerie de mes fournisseurs. Ce qui est désolant, c'est qu'elle fut jadis fut la meilleure de Versailles, tant pour la qualité que pour la variété de ses poissons et crustacés. Boycott qui ne me privera guère…
Encore que... Hélas, les autres établissements, si la qualité y est moins déplorable, n’offrent toutefois qu’un choix d’espèces très limité. Fini le temps où un vendeur compétent me proposait des poissons inhabituels, comme cette dorade coryphène - m’avertissant du caractère très iodé de sa chair - qui fut pour moi une plaisante découverte ; terminés ces jours où je retrouvais sur l’étal des pouces-pieds qui exhalaient pour moi les relents d’anciennes vacances à la Pointe du Raz ou une lamproie qui allait ensanglanter la cuisine.
D’ailleurs, il y a quelques jours, dans le dépit que me provoque ce manque de possible, je me suis résolu à ouvrir un bocal de lamproie à la bordelaise.


Pot lamproie, pour assurer l'intérim



lamproie à la bordelaise
J'ai ajouté la feuille de persil


C’était très convenable, peut-être aussi bon que si je l’avais cuisiné moi-même. Mais voilà, j’étais privé du plaisir de la préparation…*

Or donc j’en étais au moment où je me trouvais sans ce thon espéré et où il me fallait trouver une solution de remplacement.
Le sauveur m’apparut sous la forme d’un espadon de bonne mine dont je me fis prélever deux tranches (les trios se feront servir trois tranches, les quatuors en demanderont quatre, et cætera - à partir d’un certain nombre l’on pourra acheter la bête entière).
Me voici donc à la maison, songeur devant mon poisson de substitution.
Souvent gâte-sauce varie, et bien fol est qui s’y fie. L’espadon me fait songer aux mers du Sud, aux plages de sable blanc bordées de cocotiers. C’est décidé, adieu courgettes, bonjour champignons !
Je vais les préparer en les relevant d’une touche d’exotisme. Ce sont des champignons de Paris au chapeau brun foncé - les meilleurs.
Je les escalope, puis les fais tomber en compagnie d’une échalote hachée dans une cuillerée d’huile d’olive où a fondu une noisette de beurre. Je verse dans la poêle un pack de 25 cl de crème de coco, ajour une gousse d’ail haché, une feuille quatre-épices (il faut bien que je tire profit de mon stock…). Par bonheur un piment rouge, le premier de l’été, vient d’arriver le matin même du jardin. Je le hache grossièrement pour l’introduire pendant que ma crème de coco réduit. Une pincée de curcuma ajoute un peu de couleur à cette sauce trop terne. Le jus d’un demi-citron vert lui confère son parfum et une touche d’acidité.
La consistance souhaitée va bientôt être atteinte. Il est temps de déposer les tranches d’espadon que j’ai parsemées d’une pincée de sel fin quelques minutes auparavant sur le gril oint d’huile d’olive.
Un aller-retour à feu vif, et je dépose sur l’assiette. Suivent les champignons que je parsème de persil ciselé. Une cuillerée de ketchup au chipotle vient barbouiller un coin de la tranche d’espadon. Enfin une tranche de citron vert apporte sa couleur - mais pas que, il suffira de la presser pour obtenir l’acidité réveil papille.





espadon, champignons de Paris
Illuminé par le faux thon


Les assiettes viennent sur la table, suivies par le pot de ketchup au chipotle, à la disposition de l’amateur (que je suis) et de l’amatrice (qui ne l’est pas moins).

Pas thon, mais bon quand même…

* Je présume qu’un ch’ti lecteur de ce blog à qui j’ai confessé ne connaître le Potjevleesch que par les conserves (et quand même aussi par un repas dans un restaurant lillois…) doit ricaner en lisant ces lignes… Mais voilà, pour la lamproie j’ai connu la préparation maison avant ses substituts.

lundi 27 juillet 2020

Jyfoutou baveux


Un hacker (de lapin) s’est emparé de ce blog pour y déverser son fiel. Un lapin à plume… Tu parles !
Un hacker (d’oie) eut été plus légitime dans ce rôle de corbeau.
Bref, ce hacker (de pirate) s’est complu à me caricaturer comme un snobinard prétentieux en quête d’une originalité factice.
Non, bibi n’est pas un bobo, comme le prouve ce plat d’une simplicité biblique que j’ai réalisé dans un esprit aussi prosaïquement ménager qu’utilitairement jardinatoire. Mais fort bon quand même.

Aïe aïe aïe je m’égare, j’entends déjà ce vil locataire de clapier ricaner à mes dépens de ce style alambiqué proche du sien, sauf que chez moi l’alambic ne distille pas le venin. Ma plume est peut-être aussi médiocre que la sienne mais je ne l’ai pas trempée dans de l’encre antipathique.

Ô plume, suspens ton vol et reviens à l’office !



MON JYFOUTOU

Contraintes :
1-ne pas laisser perdre des fins ou débuts de saisons de cueillettes du jardin, récoltes trop maigres pour assurer seules l’accompagnement d’un plat.
2-terminer un saucisson corse déjà bien entamé.
3-évacuer de la boîte où ils se morfondent depuis trop longtemps cinq œufs (je ne sais même plus à quoi le sixième a servi…)
4-s’empresser de terminer un paquet de beurre au lait cru qui n’a pas l’endurance d’un beurre pasteurisé, même si le goût en est largement meilleur (toutefois avant qu’il rancisse…).

Procédure :
1-laver et parer les petites carottes.
2-écosser les fèves, déshabiller les gaines et les blanchir brièvement.
3.-écosser les petits pois et les blanchir un peu moins brièvement que les fèves.
4-éplucher une échalote et la hacher grossièrement.
5-dégermer deux gousses d’ail partagées en deux.
6-faire fondre le beurre dans une poêle.
7-faire suer l’échalote dans le beurre mousseux saupoudrée d’une pincée de sel.
8-verser les carottes dans la poêle et verser un grand verre d’eau, ajouter l’ail, une feuille de laurier, un brin de thym, un brin de romarin.
9-couvrir et laisser à feu moyen une dizaine de minutes (en introduisant les petits pois à la cinquième minute.
10-pendant ce temps enlever la peau du saucisson corse, s'octroyer l'extrémité avec la ficelle afin de s'auto-récompenser,déguster cette prime, et trancher sur une planche
11-découvrir, verser les fèves et les rondelles de saucisson ; il ne reste alors pratiquement plus de liquide.

légumes du jardin, omelette
En attente d'œufs


12-dans un cul-de-poule battre les œufs au fouet après les avoir assaisonnés.
13-recouvrir les légumes débarrassés du thym, du romarin et du laurier.
14-ramener l’œuf vers le centre à l’aide d’une maryse tout en agitant la poêle.
15-une fois le fond bien pris, recouvrir la poêle d’un couvercle et finir la cuisson à feu très doux afin que le dessus coagule.
16-retirer le couvercle, normalement on doit avoir obtenu un jyfoutou baveux.
17-faire tomber quelques pincées de piment d’Espelette sur cette bave.

Jyfoutlette baveuse


Il ne reste plus qu’à savourer en s’exclamant :

BAVO L’ARTISTE !

vendredi 24 juillet 2020

La vengeance du Lapin à plume

Un âne est bien capable d’écrire ses mémoires, alors qu’est-ce qui empêcherait qu’un lapin comme moi ne prenne la plume.
Oh oui, je sais, l’éternelle antienne, l’équation immuable : lapin = crétin. Devrais-je pour autant ronger ma carotte et mon frein sans réagir ? Eh bien non, je vais taper du pied et ricaner en frisant ma moustache, car l’histoire suivante va mettre en scène un humain crétin.
Il se croyait malin pourtant quand, sortant d’un papier les deux cuisses d’un de mes malheureux frères, ce méchant bougre prit un air pontifiant pour affirmer qu’il allait revisiter la recette de sa grand-mère dont, je me suis laissé dire, il a souvent vanté les prouesses lapinocides. On allait voir ce qu’on allait voir. Et j’ai vu, ce qu’on…
Mais j’anticipe. Ce débile de première, qui a certainement abusé des cartoons, s’était imaginé qu’avec les petites carottes cueillies dans son jardin ce serait l’accord parfait : un Bugs Bunny sommeille en tout lapin, comme chacun sait…



Quelle créativité ! Bravo l’artiste
.
Alors il a entrepris de glacer le fruit de sa réflexion baignant à affleurement au sein d’une eau légèrement salée de fleur de sel de l’Île de Ré (quel snobinard de bas étage…) et sucrée d’une pincée de Daddy Cristal (je m’étonne que ce ne fût pas de ce Sucre Noir D’Amami qui doit pourtant bien trôner dans son placard, écrasant vergeoise et cassonade de son mépris) dans laquelle avait fondu une noisette de Beurre des Montagnes. Les petites boules et fuseaux rubiconds étaient coiffés d’un disque de papier siliconé découpé avec la maestria - du moins le croyait-il - d’un concurrent de Top Chef. Pourtant il aurait fallu voir quelques minutes auparavant ce pseudo-chef domestique, plus près du paillasson que des étoiles, en train de brosser avec une énergie de façade ces carottes qui n’en demandaient pas tant, puis tentant d’extraire d’une main mal assurée la terre accumulée à la périphérie du feuillage avec l’aide de la pointe d’un couteau acheté chez Dehillerin et non pas chez un vulgaire Leclerc…
Finalement, les carottes sont cuites. Ce Monsieur ne colle pas la casserole dans un coin - il réserve…

J’aurais dû m’en douter. Une confection de pickles va suivre, c’est si tendance. Dans une petite casserole un verre de vinaigre de cidre Maille, mais aussi une petite cuillerée de Balsamique de Modène IGP, du bon, là pas de Maille qui lui aille. Il a porté à ébullition et ajouté une petite cuillerée de sucre ainsi qu’une pincée de sel. Il a ôté le récipient de la flamme et y a plongé des cubes taillées dans un petit concombre venu lui aussi du jardin. « Il est bien ferme ! » s’est-il réjoui en parlant tout seul dans sa barbe pendant qu’il tranchait. Certes, plus que toi, vieux gâteux !

Dans la foulée, il avait aussi prélevé des cercles dans un oignon violet à l’aide d’une mandoline. Bravissimo, il ne s’est pas coupé les paluches, il en fut sans doute aussi étonné que je le suis. Dommage, son sang vermeil qu’il eût sans doute préféré bleu aurait fait merveille pour obtenir un plaisant camaïeu avec le cinabre de la carotte.
Quelques chutes de ce bulbe rejoignirent le concombre.
Monsieur dépose la casserole dans un angle du plan de travail - il réserve.

Mais que devient ce pauvre lapin ?
Eh bien notre Q.I.-sinier a bien cogité pour renier sans en avoir l’air la bonne cuisine de son aïeule. Il a commencé sa recette de façon identique : les cuisses assaisonnées sont dorées sur une noix de beurre au fond d’une poêle en compagnie de carotte, oignon, ail, laurier, thym, romarin.

lapin, carotes
Cuisse tôt


Puis elles sont arrosées de deux verres de vin blanc sec. La cuisson s’est poursuivie à feu doux jusqu’à évaporation presque complète. Un précieux jus s'était formé.

C’est à ce moment que la créativité du petit-fils a conduit à rompre les amarres. La bonne ménagère poitevine du temps jadis aurait simplement parsemé les cuisses d’une persillade et laissé mijoter ce plat parfumé quelques instants sur le feu avant d’apporter la poêle sur la table.
Mais on n’arrête pas le progrès. Notre énergumène s’est cru malin d’étaler la persillade sur des feuilles de filo barbouillées au pinceau de beurre fondu. Il a ajouté des lambeaux d’estragon.

lapin, persillade
Persillade et estragonade


Pour achever cette revisite, il a refermé les feuilles de filo autour des cuisses pour obtenir de petits paquets.

Continuant sur sa lancée, ce triste individu ne s’est pas contenté de saboter une bonne vieille recette du Haut Poitou. Il a fallu en outre qu’il s’attaque à un pilier de la gastronomie saumuroise en revisitant aussi de façon aussi barbare la galipette.
Au lieu du grand champignon traditionnel récolté tardivement dans les caves, c’est un petit champignon de Paris brun qui s’était épanoui après quelques jours passés dans un bac du réfrigérateur qui a servi de récipient non pas à des rillettes mais à du lard gras salé finement haché au couteau (il me faut reconnaître qu’il s’est donné du mal - et il ne s‘est même pas coupé, dommage, l’andrinople de son sang aurait fait merveille en contraste avec le lard albugineux) et mélangé avec le reste de persillade et force poivre rouge.

Les cuisses prisonnières furent étendues sur une grille au fond d’une plaque, et à côté furent déposées les mini-galipettes.

lapin, filo
Inspiré par une blague à tabac ?


Ce petit monde fut enfourné à 160 °C pour une dizaine de minutes avant de terminer par cinq minutes à 180 °C - en même temps que les carottes étaient remises à température en achevant leur glaçage. Le jus restant au fond de la poêle finissait paisiblement sa réduction.

L’humain crétin était tout content, il allait pouvoir passer au dressage de ses magnifiques assiettes relevant la tradition de touches de modernité.
Tout se passa comme prévu. Il marmonna « N’est-elle pas belle mon assiette ? ». Certes, plus que toi, débris malfaisant…

lapin, carottes, galipette, pickles
Croustillant de lapin, ses fraîches carottes du jardin et sa petite galipette, pickles de concombre



Phase finale : l'arrivée sur la table.
Le tambouilleur de mes deux, la mine réjouie, planta la fourchette de sa senestre afin de retenir le paquet doré, croustillant et odoriférant. De sa dextre il entreprit de découper une tranche de l’un de ces lapins qu’il avait osé affubler du sobriquet de crétins.
Il fut stoppé dans son élan. Il était tombé sur un os. Il n’avait pas pensé à les enlever !

Quand je disais qu’il y a des humains crétins !

mardi 21 juillet 2020

L'Aubracage du siècle

Mon voyage en Aubrac autour de mon fourneau, faut l’clore.
Autant terminer en beauté, dans une épure de ruralité rêvée

Pour ce faire je vais réaliser une truffade tout ce qu’il y a d’authentique. Préparée et bonne comme là-bas - tout au moins je l’espère.
Je commence par éplucher mes pommes de terre de variété Ditta garanties bio et les trancher, non pas avec une mandoline, mais façon mémé au couteau (hélas pas mon Laguiole, car il est un peu trop petit pour cet usage…) sur une planche. Ne le répétez à personne : j’en choisis une en polystyrène, et dédaigne celle en bois de charme (discret de la paysannerie). Sans regret, car, après tout, n’est-ce pas une façon de signifier qu’un minimum de saine modernité n’est pas absent de nos hameaux ?
Je m’arrête de pourfendre à tout va quand j’ai obtenu suffisamment de disques pour recouvrir la poêle de 32 cm. Il s’agit d’un ustensile en acier bien culotté par plus d’un quart de siècle d’usage.
Je lave à grande eau mes découpes de pommes de terre, les sèche au sein d’un bon vieux torchon rapetassé en maints endroits.
Je verse au fond de ma poêle une cuillerée de graisse d’oie dans laquelle je fais fondre à feu doux des petits lardons découpés dans un morceau de lard gras salé. Quand ce dernier a bien rendu sa graisse je hausse la flamme et déverse les tranches de pommes de terre. Ditta jacta est, comme aurait pu le dire un célèbre massacreur d’Arvernes…

truffade
Du lard et la manière


Un quart d’heure plus tard, j’ai réussi à dorer mes patates sur les deux faces.

truffade
Les pièces jaunes de l'Aubracage


« Comment ça, des patates, patate toi-même, nous sommes de vaillantes Solanacées et tu pourrais être poli…
-  Je ne vous permets pas de me tutoyer, nous n’avons pas nourri les cochons ensemble, et c’était simplement pour éviter une répétition, pas de quoi fouetter une crème. »
D’ailleurs, à propos de crème, c’est le moment d’en verser une cuillerée sur mes tubercules.
« Tubercules, mon…
-  Ah non, vous n’allez pas vous remettre à ces interruptions intempestives, laissez-moi écrire cuisiner paisiblement ! »

Je reprends le fil de la recette, excusez-les, après tout ce ne sont que des légumes…
Or donc, il s’agit d’une bonne crème épaisse de montagne, fleurant bon le lait et le terroir.



Je remue la poêle pour la répartir.

Dans un cul-de-poule attendent des petits cubes que j’ai taillés dans un pain de tome fraîche de l’Aubrac.



J’en parsème mes disques dorés pataugeant dans la crème, brasse avec la délicatesse qui peut être mienne quand je m’en donne la peine.
Eh oui, ça fond, et bientôt ce sera notre tour de fondre de plaisir, transportés dans un buron perdu sur les pentes herbeuses.
Tiens, à ce propos, je tiens à répondre à celles ou ceux qui pissent froid même en été que le buron est un refuge habité en période d’estive et que la réalisation de cette roborative truffade n’a donc rien d’incongru en juillet - bien au contraire, le lait de fabrication de la tome étant parfumé par les herbages dont se gavent les troupeaux.
Un peu de persil du jardin ciselé, et nous sommes définitivement arrivés au buron. Nous nous attablons.

truffade
Truffade Komlaba



Je me sens chef de buron...

dimanche 19 juillet 2020

J'ai perdu le fil

Comment avoir le beurre et l‘argent du beurre ? Eh bien voilà....

Le beurre, il vient du jardin : une récolte de haricots beurre, de la variété Maxidor pour être précis.
Et d’argent pour acheter du beurre, je n’en ai pas besoin..
En effet c’est dans une cuillerée d’huile de noix venue du Poitou versée au fond d’une poêle que je réchauffe à feu moyen ces haricots que j’ai blanchis six minutes dans l’eau bouillante salée avant de les réserver.

Chasse-beurre


Dans un cul-de-poule j’ai battu au fouet un petit verre de vinaigre de vin, deux œufs, une pincée de sel et quelques tours de moulin de poivre noir. Je retire la poêle du feu et recouvre les haricots remis à température du mélange un peu mousseux. Je brasse aussitôt, mon légume se voit enduit d’un mélange crémeux. J’apporte sans tarder sur la table.

haricots beurre, haricots verts à la poitevine
Une carbonara de haricots, en quelque sorte...


C’est la recette poitevine de ma grand-mère que je viens d’exécuter.
Avec une différence : en ces temps lointains les haricots, et pas seulement ceux du jardin de mon aîeule, avaient bien souvent des fils…

jeudi 16 juillet 2020

Souvenirs d'un en pôtée

CRASH SUR UN PLATEAU AUVERGNAT

Les victimes ont été retrouvées gisant au milieu de pommes de terre et de pousses de livèche.

pôtée, chou, carotte, saucisse cousine, lard salé
Crash en Aveyron


Pour en savoir plus, il a fallu extraire les données enregistrées au sein de la boîte bleue.



Au départ, il n’y avait que des petits lardons bien gras même pas dessalés qui en fondant sur une petite flamme ont entrepris de faire suer un oignon découpé en pétales et quatre mignonnes petites échalotes partagées avant d’accueillir trois gousses d’ail.

pôtée, Aveyron
Ce sont mes échalotes...


Puis sont arrivées les grosses légumes : un chou qui s’était mis en quatre, que dis-je, en huit pour plaire, et deux carottes plutôt dispersées. Pour les honorer, lauriers bien sûr, mais aussi un bouquet d’herbes diverses, allant du thym à l’origan en passant par le romarin. Des poivres, rouge de Kampot, blanc de Penja, sauvage de Madagascar, mais aussi des baies de genièvre diffusaient leurs parfums.

pôté, chou, carotte
Embarquement des grosses légumes


Ce n’est qu’un peu plus tard qu’est entrée l’Aveyronnaise - enfin sa poitrine… Poitrine plate (parfois il arrive qu’elle soit bien roulée, mais ici ce n’est pas le cas) que je m’étais empressé de dessaler avant l’embarquement en la passant à la casserole (en tout bien tout honneur, dans deux litres d’eau frémissante (de plaisir ?)).
Elle aussi s’est mise en quatre.

pôtée, lard salé
Pour une poignée de beau lard


Tout comme la cousine qui est venue la rejoindre.

pôtée, lard salé, saucisse cousine
Je vous présente ma cousine


Je tiens à préciser, pour d’aucuns ou d’aucunes qui ne seraient pas familiers avec la charcuterie aveyronnaise, qu’il ne s’agit pas d’une parente de qui que ce fut, mais d’une saucisse sèche confectionnée avec en plus de la chair de porc du poumon et du cœur. Elle porte ce nom car elle était jadis offerte à titre de reconnaissance au cousin (à la mode de Bretagne ?) venu apporter son aide le jour où l’on tuait le cochon.

Je me prends à imaginer le pendant de cette démarche : une auberge rouge où l’on offrirait au porc qui avait couvert par ses couinements stridents les cris du voyageur trucidé une saucisse cochonne réalisée avec la chair et les abats du malheureux. 




Je suis certain que l’animal ne dédaignerait pas ce cadeau, s’empressant bien au contraire de s’en goinfrer gloutonnement en ponctuant ses empiffrements de grognements béats. Je connais depuis ma petite enfance les mœurs sournoises de ce végétarien de façade qui fait semblant de se satisfaire des platées de patates, maïs, glands ou châtaignes quand on lui met le couvert, mais se précipite sur la première bestiole vulnérable venue - du rat mulot jusqu’à la fermière pour les plus ambitieux - afin de satisfaire ses instincts carnassiers. 
En effet, surgis du temps de ma prime jeunesse, effleurent dans ma mémoire quelques souvenirs du pavillon de banlieue parisienne où vivait la nourrice chargée de me garder pendant que mes parents travaillaient. 
Le premier est celui d’une bagarre entre cette digne (?) femme et son jeune fils (la caillera n’est pas d’apparition récente), prise de becs suivie de gesticulations qui s’étaient terminées par la chute du tuyau d’évacuation de fumée sortant du fourneau. Dieu merci, le vacarme de la tôle roulant sur le carrelage de la cuisine a interrompu l’escalade, m’évitant le traumatisme d’une nounou ensanglantée gisant les bras en croix entre la poubelle et la huche à pain.
Hélas, traumatisme il devait néanmoins avoir, car quelques jours plus tard quand, me baladant dans la petite cour où s’étiolaient quelques salades flétries et un pied de thym rabougri, mon attention fut attirée par les agissements du cochon qui sommeillait, non pas dans mon cœur alors innocent, mais au fond de l’enclos grillagé où il était engraissé - je me demande bien avec quoi… - avant un sacrifice fort bienvenu en ce temps où existaient encore les tickets de rationnement. Ce cochon avait eu aussi l’attention attirée, mais, quant à lui, c’était par les agissements du lapin voisin de prison enfermé dans la cellule voisine. Ce lapin crétin n’avait pas trouvé mieux, à force de grattages frénétiques, que de creuser sous le grillage qui le séparait de son imposant voisin. Erreur tragique, car dans son remake de La Grande Illusion, son tunnel déboucha dans l’enclos fatal sous mes yeux consternés et sous le groin frémissant de Mister Pig. La grosse bête égorgea et éventra la petite et se livra à un festin sanglant. J’entends encore ses rots de satisfaction, mais ça, ce n’est sans doute que le fruit de mon imagination…
L’on comprend mieux que je puisse exorciser cette triste réminiscence en me livrant à des orgies de lard, côtelettes, boudins, saucisses en tous genres, bref toute charcutaille parvenue dans mon enclos. L’antique bête cuniculicide aux yeux cruels est là quand…

Mais il est temps de clore cette parenthèse intime - néanmoins de portée universelle en ce qui concerne les mœurs des porcins et de revenir à l’analyse de la boîte bleue.
La cousine a rejoint ses compagnons, et le voyage au fond de la nuit couverclée va continuer, sans se presser, durant une bonne heure.

Maintenant, ça y est, l’analyse de la boîte bleue est achevée.
Il ne reste plus qu’à en digérer le contenu.

pôtée, saucisse cousine, poitrine salée  plate
Cousine cernée par une trilogie de pommes de terre



PS : c’est bien bon !

dimanche 12 juillet 2020

Les amulettes suédoises

Il est certaines pratiques culinaires qui sont comme des amulettes. Elles sont censées nous assurer la réussite, mais bien entendu ce n’est que pure illusion.

Mais j’anticipe…


Après la déception causée par l’entrecôte achetée aux halles locales il y a une quinzaine de jours, carne que j’avais trop honorée en lui accordant la compagnie d’un gratin dauphinois au-dessus de sa condition, j’ai voulu effacer ce mauvais souvenir côté bovin.

Comme le cavalier remonte sur le cheval juste après une chute, je dois rapidement reprendre le train de côtes en marche. Quoi de mieux qu’une belle côte de bœuf de l’Aubrac pour récupérer de l’assurance ?
Je sors la pièce d’environ un kilo et demi du sac sous vide au sein duquel elle a voyagé et la dépose sur une plaque à débarrasser. Je l’y laisse un couple d’heure, le temps qu’elle se réchauffe à la température ambiante et qu’elle se réoxygène.

côte de boeuf, Aubrac
L'Aubrac est encore là


Je la sale et expose toutes ses faces sur le gril à feu vif légèrement barbouillé d’huile d’arachide. Quand ma côte est bronzée par les réactions de Maillard, je la transfère dans un plat en fonte destiné à terminer sa cuisson au four à 150 °C. Il y rejoint ses accompagnatrices suédoises qui y séjournent déjà depuis une vingtaine de minutes. Je l’ai là aussi disposée à la verticale, ce qui devrait permettre une cuisson uniforme sur les deux faces, l’os étant tourné vers la soufflerie. Pour m’assurer qu’aucun basculement intempestif n’aura lieu, je l’ai transpercée par une brochette en bois qui repose sur les bords du plat, en choisissant un point où ne se trouvent que du gras et de l’aponévrose.

côte de boeuf, Aubrac
Côte à moustache


Je laisse s’écouler une quinzaine de minutes, et sors la côte. Je l’assaisonne de quelques tours de moulin de poivre rouge. Elle va reposer sept minutes, le temps que je termine à 190 °C  la cuisson des pommes de terre qui viendront la rejoindre sur la table.
Ce sont, on l’a deviné, ces fameuses pommes de terre à la suédoise qui justifient le titre de cette rubrique…
En effet, il faut, après les avoir bien lavés, trancher les tubercules de nombreux profonds sillons parallèles. Profonds, certes, mais en préservant la structure. Le risque est grand, dans un élan fatal, de laisser aller la lame jusqu’à la planche, provoquant la naissance d’une su et une édoise, à moins que ce soit une suédo et une ise - le pire étant une suédois et une e, situation qui offense l'orthographe ou/et la sexualité scandinave.
En réponse à ce risque réel de petits malins (ou de petites malignes…) se plaisent donc à diffuser ce conseil en guise de parade :
« Placez deux baguettes de chaque côté de la patate afin d’empêcher la lame de poursuivre son chemin ».
Conseil absurde, comme le démontre le schéma ci-dessous :



La pomme de terre n’est pas un cylindre : l’on voit que plus d’un tiers de la longueur du tubercule (que, par honnêteté intellectuelle, je n’ai pas choisi particulièrement bombé) n’est pas concerné par cette précaution.
Pire, par cette présence faussement rassurante de fausses béquilles, l'on est plus enclin à la distraction. Couple infernal, combien de patates amputées par ta faute, de Pompadours décapitées, de Mona Lisa gémissant qu’LHOOQ, de Chéries séparées...
Fort de cette démonstration qui en fournit une preuve indiscutable, je maintiens donc que ce préservatif en deux baguettes jumelles n’est qu’un grigri et que ces amulettes suédoises ont fait long feu, au moins en ce qui me concerne.

Je me suis donc contenté de trancher avec prudence et application. Le résultat n’est pas si mal que ça, doré par de nombreux arrosage avec l‘huile d’olive du fond du plat parfumée par des brins de thym, d’origan, de romarin et une feuille de laurier.

pommes de terres à la suédoise
Six Suédoises dans le vent


Un tour de moulin de poivre et un autre de noix de muscade, une pincée de fleur de sel, et zou, sur la table à côté de la viande que je viens de trancher.

côte de boeuf, Aubrac
Le gras, c'est la vie...


La viande est goûteuse à souhait, tendre. Beaucoup de gras, mais aux fragrances proches de celles de la moelle.

Pour arriver à ce plaisir, le tout est de choisir le bon train…

jeudi 9 juillet 2020

Bon chou Madame, bon chou Monsieur

Qui croira que je me suis attablé des centaines de fois chez ce paysan auvergnat plus vrai que nature ?



C’est pourtant le cas : cet Aveyronnais, retourné au pays au début des années 2000 pour y finir sa carrière de restaurateur dans un buron, avait trôné une quarantaine d’années à Paris derrière ses fières moustaches et derrière le comptoir d’un café-tabac restaurant. Son bistrot, situé au coin de la rue du Faubourg St-Martin et du boulevard de la Villette, fit partie de mes cantines favorites pendant près d’un quart de siècle.
La cuisine de son établissement, concoctée par sa conjointe, y était simple mais bonne. Elle devint un peu moins savoureuse quand celle-ci délaissa les fourneaux - comme beaucoup d’épouses de bougnats durant les années quatre-vingt, au mieux assistées, au pire remplacées par des cuistots à la compétence parfois douteuse. Sirènes du féminisme ou simple lassitude, je ne sais… En tout cas ce n’est pas moi qui vais contester leur droit à la paresse, d’autant plus que je m’apprête à le revendiquer tout particulièrement ce jour. En effet je vais me contenter de réchauffer des choux farcis confectionnés par l’excellente maison Conquet à Laguiole.
C’est d’ailleurs la vision de ces choux auvergnats qui m’a fait me replonger dans ces souvenirs, car si les choux farcis dont je me régalais jadis en les arrosant d’un Saint-Pourçain à la ficelle - ou parfois d’un beaujolais, la maison ayant reçu le prix du meilleur pot en 1978 - étaient préparés dans la petite cuisine coincée entre la salle du comptoir et la salle de restauration, en revanche les charcuteries que j’aimais aussi déguster en ces lieux provenaient de cette même maison Conquet. Elles venaient tout droit d’Aubrac avec la complicité de camionneurs-clients complaisants qui, par à la même occasion, approvisionnaient la maison en fromages locaux tout aussi délectables.
Si après le petit noir final, conclusion impérative du repas, je m’apercevais que dans les poches de ma veste ne se trouvait point le petit cigare espéré, je missionnais la serveuse, native de Sainte-Geneviève-sur-Argence, vers le rayon buraliste afin qu’elle m’en rapporte une de ces petites boîtes qui à l’époque ne se cachaient pas honteusement comme maintenant, souillées qu’elles sont d’illustrations qui ne font le bonheur que d’ex-collectionneurs sadomasochistes de Pokémons reconvertis. Je tirais quelques bouffées béatement avant de regagner mon bureau et passer devant ma secrétaire antitabac qui jetait un regard noir vers les volutes blanches qui m’accompagnaient. Elle était dans le bon camp…
Ce soir, ce sera une bouffarde qui succédera au repas. Je sortirai la blague du tabac dont je la bourrerai.
Et je lirai, stupéfait - d’habitude je ne jette pas un regard vers ces icônes de prêche bien-pensante, ce qui est facile pour les cigares que je transfère derechef dans la boîte dédiée - ce beau texte :

Fumer diminue la fertilité



Je n'ai pas encore cassé ma pipe


Il est bien évident que le macho fumeur de pipe qui se complaît à se doter d’héritiers à foison au grand dam de sa pauvre épouse ainsi qu’à engrosser toute paire de nichons à portée de tir réfléchira deux fois plutôt qu’une avant d’approcher une allumette de ce tabac maudit après la lecture de cette information sans concession - pour ne pas parler de l’illustration choc qui n’est pas sans rappeler les images de propagande de sinistre mémoire des militants anti-avortement.
Cependant, en ce qui me concerne, j’eusse préféré une formulation plus plaisante :

La pipe diminue la natalité

Une formulation qui parle à tous et à toutes, quasiment œcuménique, oserai-je dire…



Mais je n’en suis pas encore là.

Pour le moment il me faut préparer le plat.
Oui, je sais, pas difficile, il ne reste plus qu’à réchauffer le chou au micro-ondes…
Mais non, mais non ! En effet je tiens à reconstituer ce plat du Rallye (10ème arrondissement) en son intégralité : avec sa garniture de pommes sautées. Hum, je me souviens des pommes sautées de la patronne, fondantes à l’intérieur sous une coque croustillante. Pas certain que je réussisse aussi bien.. En tout cas, elles vaudront bien celles d’un cuisinier de passage mais resté peu de temps fort heureusement qui avait réussi à convaincre son employeur à se fournir en patates toutes prêtes à passer à la casserole livrées le matin. Infâme. Et dire qu’un habitué attablé non loin de moi avait osé m’affirmer avec un regard qui se voulait complice : « C’est quand même meilleur préparé par un pro… ». Un pro qui avait un CAP de cuisine de collectivité… Rien d’étonnant à ce qu’il nous servit des plats de cantine !
J’épluche mes pommes de terre de la variété Mona Lisa. Pour parvenir à des cubes réguliers, je décide de commencer par les passer dans un coupe-frites pour me débiter des bâtonnets de 12 mm de largeur. Pauvre de moi, ce coupe-frites est vraiment nul, la pomme de terre est trop longue pour s’insérer. Toutefois, comme mon intention est de sectionner ces bâtonnets, ce n’est pas trop grave, je partage le tubercule en deux moitiés.
Ça y est, j’ai obtenu mes cubes, plus quelques découpes moins standardisées qui ne seront pas mises à l’écart pour autant - si je visais la perfection, je les mettrais à part pour réaliser une purée, mais la perfection n’est pas de mon monde. Je lave, j’assèche dans un torchon.
Je verse dans une poêle au fond de laquelle une grosse noix de beurre a fondu dans deux cuillerées d’huile d’arachide. Je commence la cuisson sur feu moyen à couvert une douzaine de minutes. Puis j’enlève le couvercle, hausse la flamme, et fais colorer. Au bout de dix minutes, les facettes sont devenues croustillantes et dorées.
Je sors mes pommes de terre sautées l’aide d’une araignée et les dispose à côté des choux farcis.
Je parsème d’une pincée de fleur de sel.

choux farci, Conquet, pommes sautées
Faire un chou farci...


À table ! Je troque le tablier de cuisinière bougnate contre celui de serveuse lozéroise. J’suis pas mignon comme ça ?
Puis je me métamorphose en client de bistrot… « C’était bon, mais c’était meilleur il y a quelques années.
- Monsieur a vieilli sans doute… »

Un bon expresso, puis j’allume ma pipe.
Mon épouse n’ose pas jeter un regard noir vers les volutes blanches. Elle est dans la neutralité…

lundi 6 juillet 2020

Presskopf et les vaillants petits pourpiers

J’ai toujours éprouvé de la sympathie envers les vaillants petits pourpiers. Notre première rencontre a eu lieu dans la cour poitevine, où, au pied d’une treille de chasselas rose, ils résistaient bravement aux tentatives d’élimination de ma grand-mère qui voyait d’un mauvais œil leur présence jugée disgracieuse au milieu des dahlias et glaïeuls objets de toutes ses attentions. Elle n’oubliait pas néanmoins de les séparer des autres mauvaises herbes qu’elle venait d’arracher, afin d’en obtenir une délicieuse salade. Elle sortait alors son flacon d’huile de noix et le litron en verre blanc laissant transparaître le violacé vinaigre de vin devenu un peu trouble qui avait été tiré du tonneau de l’épicerie du village. D’une épicerie, devrais-je dire, car en ces temps bénis des dieux les commerces prospéraient encore dans la bourgade. Mais cette épicerie, c’était la favorite… Normal, c’était celle tenue par ma marraine, par ailleurs épouse d’un cousin de mon père ! Et il m’est arrivé - rarement, quand même - de tirer moi-même ce vinaigre, mais aussi de l’huile ou du pétrole lampant, pour emplir la bouteille d’une cliente quand ma marraine avait dû partir livrer d’urgence une bouteille de Butagaz chargée dans la petite remorque accrochée à sa bicyclette. « Bon, je ne serais pas longue ; et surtout, si c’est la mère Couillendos* qui réclame du vinaigre, tu dis qu’il n’y en a plus, je la connais bien, celle-là, toujours prête à voler quelque chose dès qu’on a le dos tourné ». En effet les tonneaux et bidons étaient reclus dans la fraîcheur d’une remise située au fond de la cour où ne manquaient que les Anchois des Tropiques.



« Ne t’embête pas à faire payer et rendre la monnaie, note simplement le nom et ce que l’on est venu chercher, je m’arrangerai avec le client »
Ma marraine me prenait-elle pour un schpountz ?


Et maintenant… Et maintenant que vais-je faire ?

Ben tout simplement je vais retrouver les arrière-arrière-petits-cousins de ces pourpiers de mon enfance. Ils sont tout aussi vaillants. Sauf que dans notre jardin francilien, leur combat est plus facile. Je les laisse prospérer. Je me contente d’en prélever de temps à autre pour les inviter à ma table.
C’est le cas aujourd’hui. Ils sont convoqués pour assurer la garde rapprochée d’un Presskopf.
« Ah non, nous ne voulons pas être au service d’un Boche ! Pas de ça pour un pourpier français…
-  Oh, mettez vos pendules à l’heure, nous ne sommes plus en 14. On a repris l’Alsace et la Lorraine, ce Presskopf est alsacien. Alors, mes joyeux petits pourpiers, mettez-vous en tenue ! C’est un ordre ! »
Il faut quand même faire preuve d’autorité avec les simples pourpiers. Après tout, même si je n’ai pas vraiment une brigade, c’est quand même moi le chef.
« Et appelez-moi chef ! »
Je croyais tenir la situation bien en main pendant que j’avais le dos tourné pour cuire quelques pommes de terre à l’eau bouillante avant de les peler et les trancher dans l’intention de les servir en salade, quand j’ai entendu un chant s’élever du cantonnement des pourpiers.

« Depuis que je pars en salade
Ce n’est pas rigolo, entre nous
Je suis toujours malade
Et je me fais un mauvais sang fou
J’ai beau vouloir me remonter
Je souffre de tous les côtés

J’ai la feuille qu’est en deuil,
J’ai la tige qui attige
La racine qui s’débine
J’ai la fleur qu’est en pleur
La chlorophylle qui s’défile
Le sépale qu’est tout pâle
J’ai l’rameau qu’est pas beau
L’étamine qui se mine
Voyez-vous, ce n’est pas tout
J’ai mon bout qu’est tout mou

Ah, bon Dieu que c’est embêtant d’être toujours patraque
Ah bon Dieu que c’est embêtant, je ne suis pas bien portant »

C’est bien ma chance, je suis tombé sur un comique-pourpier !

Cause toujours… Imperturbable, je confectionne une vinaigrette commune au pourpier et à la pomme de terre : une petite cuillerée de moutarde douce d’Alsace, une pincée de sel, une cuillerée de vinaigre de cidre, deux cuillerées de Melfor, quatre cuillerées d’huile vierge de colza, un tour de moulin de poivre rouge de Kampot.

Il y a deux assiettes à garnir. Les pourpiers se séparent donc en deux bataillons qui viennent se placer en ordre dispersé à côté des tranches de pommes de terre, quant à elles bien alignées. « J’veux n'voir qu’une tête ! ».
Sur l’une des deux tranches de Presskopf de chaque dressage je dispose une petite quenelle de raifort. Il ne me reste plus qu’à espérer que le Presskopf ne va faire sa tête de cochon et va bien s’entendre avec son entourage.

Presskopf, pourpier
Vaillants pourpiers arrivés à bon porc (de tête)


Ouf, c’est bien le cas. Les vaillants pourpiers ont reconquis de haute main l’Alsace et la Lorraine !

* Le nom était tout autre, je ne le livrerai pas, mais ce patronyme pittoresque existait vraiment dans la commune. 


samedi 4 juillet 2020

La fève Utile

Fève en effet bien utile pour accompagner un plateau de fromages centraliens - par là je n’entends pas suggérer qu’ils sortent d’une grande école, leurs préparations les orientant plutôt vers des concours plus ruraux, mais je souhaite simplement signaler qu’ils sont nés en Aveyron.
Bref, ma vieille planche en bois s’est vue métamorphosée en Plateau de L’Aubrac :
- chèvre avec deux Gros Cabécou
- vache avec un morceau de vieux Laguiole fermier, et une tranche de Fourmette de la Viadène
- brebis avec un Rocaillou des Cabasses.
Pour les surveiller, un Vieux Berger venu de Roquefort…

plateau de fromage, cabécou, fourmette de la Viadène, Rocaillou des Cabasses, vieux Laguiole, roaquefort
Plateau de l'Aubrac


J’ai eu la gentillesse de sortir ce cheptel des froideurs où il était confiné, et ne voilà-t-il pas qu’une heure après je suis obligé de constater un certain relâchement chez quelques individus. Mais comme je suis la crème des hommes, je leur pardonne même si je sais qu’il ne faut pas se montrer trop coulant si l’on veut être respecté.
C’est d’ailleurs avec respect que nous dégustons ces fromages qui sentent bon le terroir.

Pour leur succéder sur la table arrivent ces fameuses fèves qui fourniront la transition idéale pour progresser vers le dessert.
Elles ont été cueillies au jardin. Une fois dérobées (mais non, je ne les ai pas volées, je les ai simplement déshabillées (mais non, je ne les ai pas violées, inutile d’alerter #MeToo)) après un plongeon de trois minutes dans de l’eau bouillante, suivi d’un second dans l’eau glacée (mais non, n’allez pas pour autant militer dans les mouvements carnivoriens et encore moins taguer les vitrines des marchands de primeur à la peinture verte ou libérer les poireaux, choux et autres courgette des enclos où ils sont enfermés pour les relâcher au milieu d'une nature fantasmée que vous aurez bien du mal à trouver…), j’en ai confectionné une salade de fèves dont la note végétale rehaussée d’une pointe d’acidité devait permettre aux papilles d’outrepasser la grasse rondeur du fromage.
Ce qui fut le cas : c’est ainsi que La fève s’est montrée Utile. CQFD !


J’ai arrosé les graines conservées bien vertes d’une sauce comportant une petite cuillerée de fleur de sel de l’Île de Ré dissoute dans le jus d’un citron jaune, une cuillerée à soupe de balsamique blanc apportant un peu de sucrosité, quatre cuillerées à soupe d’huile de colza. Puis j’ai parsemé de deux feuilles ciselées de sauge cueillie le matin même.

salade de fèves
Dérobées



Le dessert ? Un retour en Aubrac grâce au produit d’un boulanger de Laguiole



C’était une fouace.

Fouace aveyronnaise

Fouace...
Je suis ramené vers la Touraine.
Et je lis sur la toile des compliments envers cet artisan à propos de ses… kouglofs !
Je suis ramené vers l’Alsace.

Pas la peine que j’essaye de voir ailleurs si je n’y suis pas ! J’y suis !

mercredi 1 juillet 2020

L'aventurier de la Merguez disparue

Je me suis lancé dans la quête de la Merguez disparue.

merguez
La Merguez disparue


Disparue comme la petite boucherie arabe à une centaine de mètres de chez moi… On sentait bien que le maître des lieux perdait de son ardeur ; puis au mois d’août, comme d’habitude, il est parti en vacances vers son Algérie natale. Mais il n’en est pas revenu… Le store de la boutique demeure toujours tristement baissé. Jamais plus de côtes ou petites épaules d’agneau de dépannage, ni de gros bouquets de coriandre, ni de sa bonne harissa relevée et parfumée. Mais surtout, adieu les savoureuses merguez, jamais exactement les mêmes en dosages et en longueur (« Combien je dois en acheter ? - Ben ça dépend si c’est un jour long ou un jour court… »), mais toujours pleines de fragrances - tous les parfums de l’Arabie, écrirais-je si je ne m’attachais point à expulser de ma prose tous les clichés ou poncifs aptes à me faire passer pour un journaliste stagiaire en mal d’inspiration…

Alors, désormais je cherche une merguez apte à me procurer le même plaisir que celles dont le souvenir reste gravé dans mes papilles.
Ce n’est pas chose facile. Je ne vais tout de même pas ingurgiter cette mixture de grande surface :
viande de bœuf 64 % (France), viande de mouton 16 % (UE ou Nouvelle Zélande ou Australie), eau, gras de bœuf, gras de mouton, sel, correcteur d’acidité : E326, dextrose, arômes, épices, acidifiant : E262, colorants : E160c, E120, antioxydants : E301, E300.

Je cherche, je recherche tous azimuts… Et l’autre jour, je me suis orienté vers l’Est.
La merguez d’Alsace sera-t-elle ma merguez de Proust, celle qui réveillera de si bons souvenirs épicés ?
J’entends déjà sourdre des réflexions ironiques. Ah, des merguez alsaciennes, quelle drôle d’idée, ah, ah, ah… À ces moqueurs je répliquerai que la cigogne qui me livre



fait de nombreux allers-retours vers le Maghreb, comme un vulgaire Jack Lang et comme le démontrent ces photos

Ciel bleu d'Alsace


Ciel gris du Maghreb



où l’on peut constater également que la cigogne se détourne de la foi.
Mais tout ce que je lui demande, c’est de m’apporter à tire d’ailes des merguez dignes de ce nom.
Donc je la clique sans états d’âme.
Düesch klicka un 's ìsch bstellt


La bestiole a fait diligence : les merguez sont là.
Je m’empresse de les tester en les mettant sur le gril. A priori, leur composition est engageante : viande de bœuf et d’agneau, sel, épices, colorant : rouge de betterave.

merguez, Alsace
Merguez alsacienne


Hélas, le résultat est très décevant. Épices, certes, mais en quantité très minime. Je retrouve en goût et en texture le steak haché de viande d’agneau acheté jadis à un boucher des halles de ma ville. Oui, il s’agit d’un steak que l’on aurait simplement embossé dans un boyau après l’avoir légèrement assaisonné…
Ma déception, j’dis pas !
Vilaine bête, il faudra que tu te rattrapes si tu ne veux pas que je te vole dans les plumes.

Le lendemain, ma cigogne cherche à me faire oublier sa bévue. Dans ses bagages il y avait aussi une tourte à la choucroute que j’enfourne pour 25 minutes à 190 °C (et non 30 minutes à 200 °C comme prescrit, je ne tiens pas à renouer avec la catastrophe évitée de justesse pour ma tourte aux 3 suprêmes). Banco ! La cuisson est parfaite.

tourte à la choucroute
Quand la choucroute se cache


Quand je découpe, je vois apparaître un mélange odoriférant de chou, de lard, saucisse et viande finement coupés.

tourte à la choucroute
La choucroute révélée


Un fumet de vin d’Alsace chatouille les narines. Seul reproche, la découpe n’est pas facile, la farce manque un peu de tenue. Mais c’est bon, et c’est là le principal. Tu es pardonnée, ô, cigogne, mais que je ne t’y reprenne plus…

Et tiens, je vais même boire un amer bière à ta santé !

amer bière
C'est l'amer à boire


Süffe nìt so vìel !, me dit l'emplumée. Sale bête!