Oh oui, je sais, l’éternelle antienne, l’équation immuable : lapin = crétin. Devrais-je pour autant ronger ma carotte et mon frein sans réagir ? Eh bien non, je vais taper du pied et ricaner en frisant ma moustache, car l’histoire suivante va mettre en scène un humain crétin.
Il se croyait malin pourtant quand, sortant d’un papier les deux cuisses d’un de mes malheureux frères, ce méchant bougre prit un air pontifiant pour affirmer qu’il allait revisiter la recette de sa grand-mère dont, je me suis laissé dire, il a souvent vanté les prouesses lapinocides. On allait voir ce qu’on allait voir. Et j’ai vu, ce qu’on…
Mais j’anticipe. Ce débile de première, qui a certainement abusé des cartoons, s’était imaginé qu’avec les petites carottes cueillies dans son jardin ce serait l’accord parfait : un Bugs Bunny sommeille en tout lapin, comme chacun sait…
Quelle créativité ! Bravo l’artiste
.
Alors il a entrepris de glacer le fruit de sa réflexion baignant à affleurement au sein d’une eau légèrement salée de fleur de sel de l’Île de Ré (quel snobinard de bas étage…) et sucrée d’une pincée de Daddy Cristal (je m’étonne que ce ne fût pas de ce Sucre Noir D’Amami qui doit pourtant bien trôner dans son placard, écrasant vergeoise et cassonade de son mépris) dans laquelle avait fondu une noisette de Beurre des Montagnes. Les petites boules et fuseaux rubiconds étaient coiffés d’un disque de papier siliconé découpé avec la maestria - du moins le croyait-il - d’un concurrent de Top Chef. Pourtant il aurait fallu voir quelques minutes auparavant ce pseudo-chef domestique, plus près du paillasson que des étoiles, en train de brosser avec une énergie de façade ces carottes qui n’en demandaient pas tant, puis tentant d’extraire d’une main mal assurée la terre accumulée à la périphérie du feuillage avec l’aide de la pointe d’un couteau acheté chez Dehillerin et non pas chez un vulgaire Leclerc…
Finalement, les carottes sont cuites. Ce Monsieur ne colle pas la casserole dans un coin - il réserve…
J’aurais dû m’en douter. Une confection de pickles va suivre, c’est si tendance. Dans une petite casserole un verre de vinaigre de cidre Maille, mais aussi une petite cuillerée de Balsamique de Modène IGP, du bon, là pas de Maille qui lui aille. Il a porté à ébullition et ajouté une petite cuillerée de sucre ainsi qu’une pincée de sel. Il a ôté le récipient de la flamme et y a plongé des cubes taillées dans un petit concombre venu lui aussi du jardin. « Il est bien ferme ! » s’est-il réjoui en parlant tout seul dans sa barbe pendant qu’il tranchait. Certes, plus que toi, vieux gâteux !
Dans la foulée, il avait aussi prélevé des cercles dans un oignon violet à l’aide d’une mandoline. Bravissimo, il ne s’est pas coupé les paluches, il en fut sans doute aussi étonné que je le suis. Dommage, son sang vermeil qu’il eût sans doute préféré bleu aurait fait merveille pour obtenir un plaisant camaïeu avec le cinabre de la carotte.
Quelques chutes de ce bulbe rejoignirent le concombre.
Monsieur dépose la casserole dans un angle du plan de travail - il réserve.
Mais que devient ce pauvre lapin ?
Eh bien notre Q.I.-sinier a bien cogité pour renier sans en avoir l’air la bonne cuisine de son aïeule. Il a commencé sa recette de façon identique : les cuisses assaisonnées sont dorées sur une noix de beurre au fond d’une poêle en compagnie de carotte, oignon, ail, laurier, thym, romarin.
Cuisse tôt |
Puis elles sont arrosées de deux verres de vin blanc sec. La cuisson s’est poursuivie à feu doux jusqu’à évaporation presque complète. Un précieux jus s'était formé.
C’est à ce moment que la créativité du petit-fils a conduit à rompre les amarres. La bonne ménagère poitevine du temps jadis aurait simplement parsemé les cuisses d’une persillade et laissé mijoter ce plat parfumé quelques instants sur le feu avant d’apporter la poêle sur la table.
Mais on n’arrête pas le progrès. Notre énergumène s’est cru malin d’étaler la persillade sur des feuilles de filo barbouillées au pinceau de beurre fondu. Il a ajouté des lambeaux d’estragon.
Persillade et estragonade |
Pour achever cette revisite, il a refermé les feuilles de filo autour des cuisses pour obtenir de petits paquets.
Continuant sur sa lancée, ce triste individu ne s’est pas contenté de saboter une bonne vieille recette du Haut Poitou. Il a fallu en outre qu’il s’attaque à un pilier de la gastronomie saumuroise en revisitant aussi de façon aussi barbare la galipette.
Au lieu du grand champignon traditionnel récolté tardivement dans les caves, c’est un petit champignon de Paris brun qui s’était épanoui après quelques jours passés dans un bac du réfrigérateur qui a servi de récipient non pas à des rillettes mais à du lard gras salé finement haché au couteau (il me faut reconnaître qu’il s’est donné du mal - et il ne s‘est même pas coupé, dommage, l’andrinople de son sang aurait fait merveille en contraste avec le lard albugineux) et mélangé avec le reste de persillade et force poivre rouge.
Les cuisses prisonnières furent étendues sur une grille au fond d’une plaque, et à côté furent déposées les mini-galipettes.
Inspiré par une blague à tabac ? |
Ce petit monde fut enfourné à 160 °C pour une dizaine de minutes avant de terminer par cinq minutes à 180 °C - en même temps que les carottes étaient remises à température en achevant leur glaçage. Le jus restant au fond de la poêle finissait paisiblement sa réduction.
L’humain crétin était tout content, il allait pouvoir passer au dressage de ses magnifiques assiettes relevant la tradition de touches de modernité.
Tout se passa comme prévu. Il marmonna « N’est-elle pas belle mon assiette ? ». Certes, plus que toi, débris malfaisant…
Croustillant de lapin, ses fraîches carottes du jardin et sa petite galipette, pickles de concombre |
Phase finale : l'arrivée sur la table.
Le tambouilleur de mes deux, la mine réjouie, planta la fourchette de sa senestre afin de retenir le paquet doré, croustillant et odoriférant. De sa dextre il entreprit de découper une tranche de l’un de ces lapins qu’il avait osé affubler du sobriquet de crétins.
Il fut stoppé dans son élan. Il était tombé sur un os. Il n’avait pas pensé à les enlever !
Quand je disais qu’il y a des humains crétins !
Puisqu'il est question de lapin, dans le Potjevleesch ( prononcer Pote-cheu-v'lèche) il y en a aussi. Pour mes soixante quatorze printemps, ce sera le menu de demain avec une tarte au Maroilles, le dit Potjevleesch et une tarte au sucre....ben oui, je suis Ch'ti de naissance...
RépondreSupprimerMenu bien tentant…
RépondreSupprimerPotjevleesch maison ? Os enlevés ou non 😉 ? Avec des frites ? Au gras de bœuf j’espère ! 😉
Pour ma part c’et un plat que j’apprécie beaucoup, mais je n’en ai jamais réalisé. Ouvrir un bocal, c’est si facile… Et il y a de bonnes conserves ! Mais il faudra que je me lance un jour.
Et quid des boissons ?
Bien sûr, Potjevleesch maison. Pour ce qui est des os, assez fastidieux à défaire, je mets le tout dans la marmite et zou, trois heures au four...Quand c'est moins froid, les ors, la peau des pattes de détachent aisément et il reste à faire l'assemblage final...pour l'instant, c'est au frigo jusqu'à demain midi, la gelée aura fait son œuvre...Pour les frites, hélas, j'ai tout prévu mais je me heurte à mon épouse et ma descendance qui m'ont brandi les régimes, le diabète, la tension...donc quantité restreinte et à l'huile...
RépondreSupprimer