lundi 6 juillet 2020

Presskopf et les vaillants petits pourpiers

J’ai toujours éprouvé de la sympathie envers les vaillants petits pourpiers. Notre première rencontre a eu lieu dans la cour poitevine, où, au pied d’une treille de chasselas rose, ils résistaient bravement aux tentatives d’élimination de ma grand-mère qui voyait d’un mauvais œil leur présence jugée disgracieuse au milieu des dahlias et glaïeuls objets de toutes ses attentions. Elle n’oubliait pas néanmoins de les séparer des autres mauvaises herbes qu’elle venait d’arracher, afin d’en obtenir une délicieuse salade. Elle sortait alors son flacon d’huile de noix et le litron en verre blanc laissant transparaître le violacé vinaigre de vin devenu un peu trouble qui avait été tiré du tonneau de l’épicerie du village. D’une épicerie, devrais-je dire, car en ces temps bénis des dieux les commerces prospéraient encore dans la bourgade. Mais cette épicerie, c’était la favorite… Normal, c’était celle tenue par ma marraine, par ailleurs épouse d’un cousin de mon père ! Et il m’est arrivé - rarement, quand même - de tirer moi-même ce vinaigre, mais aussi de l’huile ou du pétrole lampant, pour emplir la bouteille d’une cliente quand ma marraine avait dû partir livrer d’urgence une bouteille de Butagaz chargée dans la petite remorque accrochée à sa bicyclette. « Bon, je ne serais pas longue ; et surtout, si c’est la mère Couillendos* qui réclame du vinaigre, tu dis qu’il n’y en a plus, je la connais bien, celle-là, toujours prête à voler quelque chose dès qu’on a le dos tourné ». En effet les tonneaux et bidons étaient reclus dans la fraîcheur d’une remise située au fond de la cour où ne manquaient que les Anchois des Tropiques.



« Ne t’embête pas à faire payer et rendre la monnaie, note simplement le nom et ce que l’on est venu chercher, je m’arrangerai avec le client »
Ma marraine me prenait-elle pour un schpountz ?


Et maintenant… Et maintenant que vais-je faire ?

Ben tout simplement je vais retrouver les arrière-arrière-petits-cousins de ces pourpiers de mon enfance. Ils sont tout aussi vaillants. Sauf que dans notre jardin francilien, leur combat est plus facile. Je les laisse prospérer. Je me contente d’en prélever de temps à autre pour les inviter à ma table.
C’est le cas aujourd’hui. Ils sont convoqués pour assurer la garde rapprochée d’un Presskopf.
« Ah non, nous ne voulons pas être au service d’un Boche ! Pas de ça pour un pourpier français…
-  Oh, mettez vos pendules à l’heure, nous ne sommes plus en 14. On a repris l’Alsace et la Lorraine, ce Presskopf est alsacien. Alors, mes joyeux petits pourpiers, mettez-vous en tenue ! C’est un ordre ! »
Il faut quand même faire preuve d’autorité avec les simples pourpiers. Après tout, même si je n’ai pas vraiment une brigade, c’est quand même moi le chef.
« Et appelez-moi chef ! »
Je croyais tenir la situation bien en main pendant que j’avais le dos tourné pour cuire quelques pommes de terre à l’eau bouillante avant de les peler et les trancher dans l’intention de les servir en salade, quand j’ai entendu un chant s’élever du cantonnement des pourpiers.

« Depuis que je pars en salade
Ce n’est pas rigolo, entre nous
Je suis toujours malade
Et je me fais un mauvais sang fou
J’ai beau vouloir me remonter
Je souffre de tous les côtés

J’ai la feuille qu’est en deuil,
J’ai la tige qui attige
La racine qui s’débine
J’ai la fleur qu’est en pleur
La chlorophylle qui s’défile
Le sépale qu’est tout pâle
J’ai l’rameau qu’est pas beau
L’étamine qui se mine
Voyez-vous, ce n’est pas tout
J’ai mon bout qu’est tout mou

Ah, bon Dieu que c’est embêtant d’être toujours patraque
Ah bon Dieu que c’est embêtant, je ne suis pas bien portant »

C’est bien ma chance, je suis tombé sur un comique-pourpier !

Cause toujours… Imperturbable, je confectionne une vinaigrette commune au pourpier et à la pomme de terre : une petite cuillerée de moutarde douce d’Alsace, une pincée de sel, une cuillerée de vinaigre de cidre, deux cuillerées de Melfor, quatre cuillerées d’huile vierge de colza, un tour de moulin de poivre rouge de Kampot.

Il y a deux assiettes à garnir. Les pourpiers se séparent donc en deux bataillons qui viennent se placer en ordre dispersé à côté des tranches de pommes de terre, quant à elles bien alignées. « J’veux n'voir qu’une tête ! ».
Sur l’une des deux tranches de Presskopf de chaque dressage je dispose une petite quenelle de raifort. Il ne me reste plus qu’à espérer que le Presskopf ne va faire sa tête de cochon et va bien s’entendre avec son entourage.

Presskopf, pourpier
Vaillants pourpiers arrivés à bon porc (de tête)


Ouf, c’est bien le cas. Les vaillants pourpiers ont reconquis de haute main l’Alsace et la Lorraine !

* Le nom était tout autre, je ne le livrerai pas, mais ce patronyme pittoresque existait vraiment dans la commune. 


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