C’est pourtant le cas : cet Aveyronnais, retourné au pays au début des années 2000 pour y finir sa carrière de restaurateur dans un buron, avait trôné une quarantaine d’années à Paris derrière ses fières moustaches et derrière le comptoir d’un café-tabac restaurant. Son bistrot, situé au coin de la rue du Faubourg St-Martin et du boulevard de la Villette, fit partie de mes cantines favorites pendant près d’un quart de siècle.
La cuisine de son établissement, concoctée par sa conjointe, y était simple mais bonne. Elle devint un peu moins savoureuse quand celle-ci délaissa les fourneaux - comme beaucoup d’épouses de bougnats durant les années quatre-vingt, au mieux assistées, au pire remplacées par des cuistots à la compétence parfois douteuse. Sirènes du féminisme ou simple lassitude, je ne sais… En tout cas ce n’est pas moi qui vais contester leur droit à la paresse, d’autant plus que je m’apprête à le revendiquer tout particulièrement ce jour. En effet je vais me contenter de réchauffer des choux farcis confectionnés par l’excellente maison Conquet à Laguiole.
C’est d’ailleurs la vision de ces choux auvergnats qui m’a fait me replonger dans ces souvenirs, car si les choux farcis dont je me régalais jadis en les arrosant d’un Saint-Pourçain à la ficelle - ou parfois d’un beaujolais, la maison ayant reçu le prix du meilleur pot en 1978 - étaient préparés dans la petite cuisine coincée entre la salle du comptoir et la salle de restauration, en revanche les charcuteries que j’aimais aussi déguster en ces lieux provenaient de cette même maison Conquet. Elles venaient tout droit d’Aubrac avec la complicité de camionneurs-clients complaisants qui, par à la même occasion, approvisionnaient la maison en fromages locaux tout aussi délectables.
Si après le petit noir final, conclusion impérative du repas, je m’apercevais que dans les poches de ma veste ne se trouvait point le petit cigare espéré, je missionnais la serveuse, native de Sainte-Geneviève-sur-Argence, vers le rayon buraliste afin qu’elle m’en rapporte une de ces petites boîtes qui à l’époque ne se cachaient pas honteusement comme maintenant, souillées qu’elles sont d’illustrations qui ne font le bonheur que d’ex-collectionneurs sadomasochistes de Pokémons reconvertis. Je tirais quelques bouffées béatement avant de regagner mon bureau et passer devant ma secrétaire antitabac qui jetait un regard noir vers les volutes blanches qui m’accompagnaient. Elle était dans le bon camp…
Ce soir, ce sera une bouffarde qui succédera au repas. Je sortirai la blague du tabac dont je la bourrerai.
Et je lirai, stupéfait - d’habitude je ne jette pas un regard vers ces icônes de prêche bien-pensante, ce qui est facile pour les cigares que je transfère derechef dans la boîte dédiée - ce beau texte :
Fumer diminue la fertilité
Je n'ai pas encore cassé ma pipe |
Il est bien évident que le macho fumeur de pipe qui se complaît à se doter d’héritiers à foison au grand dam de sa pauvre épouse ainsi qu’à engrosser toute paire de nichons à portée de tir réfléchira deux fois plutôt qu’une avant d’approcher une allumette de ce tabac maudit après la lecture de cette information sans concession - pour ne pas parler de l’illustration choc qui n’est pas sans rappeler les images de propagande de sinistre mémoire des militants anti-avortement.
Cependant, en ce qui me concerne, j’eusse préféré une formulation plus plaisante :
La pipe diminue la natalité
Une formulation qui parle à tous et à toutes, quasiment œcuménique, oserai-je dire…
Mais je n’en suis pas encore là.
Pour le moment il me faut préparer le plat.
Oui, je sais, pas difficile, il ne reste plus qu’à réchauffer le chou au micro-ondes…
Mais non, mais non ! En effet je tiens à reconstituer ce plat du Rallye (10ème arrondissement) en son intégralité : avec sa garniture de pommes sautées. Hum, je me souviens des pommes sautées de la patronne, fondantes à l’intérieur sous une coque croustillante. Pas certain que je réussisse aussi bien.. En tout cas, elles vaudront bien celles d’un cuisinier de passage mais resté peu de temps fort heureusement qui avait réussi à convaincre son employeur à se fournir en patates toutes prêtes à passer à la casserole livrées le matin. Infâme. Et dire qu’un habitué attablé non loin de moi avait osé m’affirmer avec un regard qui se voulait complice : « C’est quand même meilleur préparé par un pro… ». Un pro qui avait un CAP de cuisine de collectivité… Rien d’étonnant à ce qu’il nous servit des plats de cantine !
J’épluche mes pommes de terre de la variété Mona Lisa. Pour parvenir à des cubes réguliers, je décide de commencer par les passer dans un coupe-frites pour me débiter des bâtonnets de 12 mm de largeur. Pauvre de moi, ce coupe-frites est vraiment nul, la pomme de terre est trop longue pour s’insérer. Toutefois, comme mon intention est de sectionner ces bâtonnets, ce n’est pas trop grave, je partage le tubercule en deux moitiés.
Ça y est, j’ai obtenu mes cubes, plus quelques découpes moins standardisées qui ne seront pas mises à l’écart pour autant - si je visais la perfection, je les mettrais à part pour réaliser une purée, mais la perfection n’est pas de mon monde. Je lave, j’assèche dans un torchon.
Je verse dans une poêle au fond de laquelle une grosse noix de beurre a fondu dans deux cuillerées d’huile d’arachide. Je commence la cuisson sur feu moyen à couvert une douzaine de minutes. Puis j’enlève le couvercle, hausse la flamme, et fais colorer. Au bout de dix minutes, les facettes sont devenues croustillantes et dorées.
Je sors mes pommes de terre sautées l’aide d’une araignée et les dispose à côté des choux farcis.
Je parsème d’une pincée de fleur de sel.
Faire un chou farci... |
À table ! Je troque le tablier de cuisinière bougnate contre celui de serveuse lozéroise. J’suis pas mignon comme ça ?
Puis je me métamorphose en client de bistrot… « C’était bon, mais c’était meilleur il y a quelques années.
- Monsieur a vieilli sans doute… »
Un bon expresso, puis j’allume ma pipe.
Mon épouse n’ose pas jeter un regard noir vers les volutes blanches. Elle est dans la neutralité…
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