jeudi 27 janvier 2022

Mort d'une truffe voyageuse

 

Toute guindée dans son austère habit noir, mon invitée du jour n’était pas d’humeur à plaisanter. À sa décharge, le coup de canif que l’on lui avait donné pour valider son titre de transport n’avait rien dû avoir d’agréable…


Aussi elle me déclara sans ambages que mes pitreries blogueuses ne l’incitaient guère à fraterniser avec moi – de la rigueur, Monsieur, de la rigueur, rien que de la rigueur ! 

Alors point d’allusion douteuse à l’air de mandoline que je m’apprêtais à lui jouer, point de parallèle abusif entre son aspect et celui de la truffe du chien qui l’avait débusquée, mais surtout point de récit approximatif du déroulement de ses obsèques.

« Vous voyez, Monsieur, j’arbore déjà le deuil de moi-même. Mourir, soit, mais avec dignité. Si vous voulez que je consente à vous mettre au parfum dans mes derniers instants, je mets une condition : je veux que vous narriez le récit de mon trépas sous la forme d’une recette empreinte de précision aussi bien dans les pesées que dans les températures et les durées, avec un déroulement que vous voudrez bien transmettre au lecteur éventuel sans les fioritures ou les digressions abusives dont vous êtes coutumier - et dont le plaisir qu’elles vous procurent en les écrivant n’est pas partagé par le malheureux qui s’égare dans la lecture vaine de votre prose, d’où seulement effleure parfois un parfum fugace s’élevant d’un plat qu’il sera bien incapable de reproduire tant l’anecdotique l’emporte sur l’opérationnel… Puis-je vous faire confiance, Monsieur, pour respecter mes dernières volontés ? »

J’ai juré mes grands dieux que je tiendrai parole. Alors voici ma recette de

 

CROZETS GUANCIALE, GRUYÈRE, TRUFFE NOIRE

 

Ingrédients :

Truffe noire du Périgord : 50 g

Guanciale : 1 tranche de 60 g (épaisseur 5 mm)

Gruyère : 1 morceau de 60 g

Crozets au sarrasin : 200 g

Beurre doux d’Échiré : 40 g

Poivre : 1 tour de moulin de poivre noir de Sarawak

Sel : 20 g de gros sel et une pincée de fleur de sel

 

Mise en place :

Découper le guanciale et le gruyère en petits morceaux en préservant six grands rectangles de 1 à 2 mm d’épaisseur pour le fromage.

Illustration 1


Prélever 8 belles tranches fines sur la truffe épluchée et concasser le reste.

Illustration 2


 

Cuisson :

Allumer le four réglé thermostat 160 °C.

Jeter les crozets dans une casserole de 2 d’eau bouillante salée avec le gros sel. Les retirer au bout de 15 minutes de cuisson et les égoutter.

Pendant la cuisson des crozets, faire fondre 30 g de beurre au fond d’une poêle antiadhésive et y faire nacrer le guanciale. Ajouter une louchée d’eau de cuisson des crozets et laisser réduire doucement à petit feu.

Transférer les crozets égouttés dans la poêle. Ajouter les morceaux de gruyère, donner un tour de moulin de poivre, mélanger et laisser trois minutes sur le feu.

Compléter avec les morceaux de truffe, retirer du feu et brasser rapidement.

Illustration 3


Verser le contenu de la poêle dans le plat de service en porcelaine Disposer à la surface les tranches de gruyère et de truffe.

Faire fondre le restant de beurre dans une petite casserole avec la pincée de fleur de sel.

Remettre le thermostat du four à zéro et introduire le plat. Le sortir au bout de deux minutes et arroser les tranches de truffe avec le beurre fondu.

Apporter aussitôt sur la table et partager entre les assiettes.

CROZETS GUANCIALE, GRUYÈRE, TRUFFE NOIRE
CROZETS GUANCIALE, GRUYÈRE, TRUFFE NOIRE


 

Bon, mission accomplie. Enfin, presque… Car ma truffe faisant 104 g, il m’en reste encore la moitié.

Devrais-je vraiment continuer à tenir parole ? Car j’ai l’impression que finalement c’est moi qui ai été pris pour une truffe…

mardi 25 janvier 2022

La part du Lyon

 

Oui, j’étais là quand il est tombé dans l’eau. Bon, c’est vrai, je l’y ai un peu aidé, et je reconnais que je l’ai laissé barboter pendant presque une demi-heure.

Mais j’ai fait attention que l’eau ne devienne pas trop chaude, et surtout quand je l’en ai sorti, je l’ai débarrassé de sa trop mince pelisse toute trempée qui ne réussissait même pas à dissimuler les diamants noirs qu’il trimballait – et auxquels je n’ai pas touché, je tiens à le souligner.

sucisson lyonnais à cuire, cervelas
Lyonnais sauvé des eaux


Bien mieux, je l’ai emmailloté d’une moelleuse couverture. Il a même pu se plonger dans une béate somnolence durant un couple d’heures au sein d’une chambre à 28 °C.

        

cervelas en brioche
Porte maillot

Ben oui, une couverture écologique bien sûr, que des produits naturels. Plus précisément ? Alors là, c’est le secret du chef !

Ne vous fâchez pas, je plaisantais. Le secret d’un chef, mais celui du chef Ducasse – qu’il partage sur les bonnes pages de l’Académie du Goût : et que j’te balance dans la cuve du batteur mélangeur 400 g de farine, 32 g de sucre, 20 g de levure boulangère 80 g de beurre, 215 g de lait et 8 g de sel, que j’te fais tourner le crochet à petite vitesse 4 minutes, puis 9 minutes à vitesse double, sitôt pétri, sitôt étalé.

Avouez que je l’ai gâté, le lyonnais… 

Et c’est tout pimpant qu’il est sorti du four après une vingtaine de minutes passées à se dorer.

cervelas en brioche
le maillot jaune


Et tout ça pour qui ?

 

Vôtre cervelas pistaché et truffé en brioche, Madame :


Et le vôtre, Monsieur :


Accompagné d’une sauce maison. Plus précisément ? Alors là, c’est le secret du chef !

Ne vous fâchez pas, je plaisantais, je ne suis pas de ces gargotiers qui dissimulent leurs ingrédients douteux et leurs médiocres tambouillages en se nimbant de fallacieux arcanes. J’ai tout simplement fait réduire la moitié d’une bouteille de bordeaux rouge, un verre de porto et un trait de Worcestershire parfumés d’une feuille de laurier, d’un clou de girofle et de deux baies de piment de la Jamaïque. J’ai ajouté une pincée de sucre et une pincée de sel. Quand le mélange est devenu sirupeux, je l’ai tamisé et vivifié de quelques gouttes de jus de citron. J’ai aussi ajouté un trio d’oignons grelots glacés. Enfin les quelques feuilles d’une salade de mâche discrètement assaisonnée viennent conférer une note de fraîcheur.

J’ose espérer que mes assiettes sauront vous plaire, et je vous souhaite, Madame, Monsieur, une bonne dégustation.

samedi 22 janvier 2022

Un fil rouge

 

C’est du gâteau ! C’est d’autant plus du gâteau pour moi qu’il ne m’a pas donné grand mal pour le préparer. Il s’agit d’un gâteau de foie lyonnais qu’il m’a suffi d’enfourner à 180 °C pendant une vingtaine de minutes dans son petit moule d’alu. Et hop, je retourne sur la porcelaine, une petite tape et ma préparation au foie de poulet (et même un peu de foie d’oie… ) assiettit en douceur.

Mon droit à la paresse n’était cependant que partiel. Il m’a fallu parer les choux de Bruxelles achetés au marché avant de les plonger une dizaine de minutes dans l’eau bouillante salée sans modération. Maintenant ils baignent au fond d’une poêle dans du beurre fondu dont ils vont s’imprégner à petit feu. Sur une autre flamme réduit le coulis de tomates du jardin sorti d’un bocal monté de la cave où il se prélassait depuis plusieurs mois. Je me contente de le parfumer d’un tour de moulin de poivre rouge de Kampot.

Tout est désormais prêt pour passer au dressage sur une assiette chaude. Je nappe le gâteau de foie en y déversant le rutilant coulis de tomate. Je dispose les choux de Bruxelles que je parfume d'une râpure de noix de muscade.

Et une assiette flashy, une !

gâteau de foie lyon  nais
Sous une nappe rouge

Flashy à l’œil, mais pas aux papilles. Elle exprime ses saveurs avec une réserve toute lyonnaise. Ce qui n’exclue pas pour autant l’efficacité…

 

Il s’agissait de napper, pas de noyer. Aussi me reste-t-il du coulis de tomates du jardin, les deux tiers du bocal. Le lendemain je vais utiliser ce bon produit maison pour confectionner la sauce du plat de fusilli aux joues de raies que j’ai inscrit au menu.

Pour ce faire, j’ai carrément perdu mon droit à la paresse, car parer les joues de raies achetées le matin même à un poissonnier des halles locales est un travail fastidieux. Saletés de raies ! Est-ce que moi j’ai les bajoues fourrées d’osselets ? Pas plus d’ailleurs que les veaux, les cochons, ou même les morues ou les lottes pour rester dans le registre marin…

Ouf, ça y est, les joues sont débarrassées de leur malencontreux fourrage et de leur peau disgracieuse * et je peux passer à l’action culinaire.

Je verse au fond d’une poêle une cuillère d’huile d’olive dans laquelle je vais sauter à feu vif les joues de raie assaisonnées d’une pincée de fleur de sel. Quelques secondes seulement, car je ne veux pas me retrouver avec une chair en bouillie, d’autant plus que la cuisson va se poursuivre dans le reste de bocal de coulis de tomates que je viens de verser et fais réduire à frémissement. J’ajoute une pincée de sel, une cuillerée de curry Shichimi Togarashi, une feuille de laurier et des feuilles arrachées à un bouquet de persil frisé offert par le poissonnier.
Sur un feu voisin une grande casserole d’eau salée suivant la formule traditionnelle 10 100 1000 (10 g de sel pour 100 g de pâtes dans 1 000 g d’eau) je verse une moitié de sachet de fusilli, c’est-à-dire 250 grammes. Je les laisse 7 minutes, une minute de moins que le temps prescrit car la cuisson se terminera dans la sauce de la poêle.

Le minuteur sonne. Je transfère les pâtes à l’aide d’une araignée dans le coulis réduit et parfumé que j’allonge d’une cuillerée de la mousse farineuse tapissant la surface de l’eau de cuisson. Je brasse bien, même si la raie, sans doute habituée à l’immersion cachée, a bien du mal à émerger**.Avant d’apporter la poêle sur la table, je parsème d’une nouvelle pincée de curry japonais et de quelques feuilles de persil au rôle plus décoratif que gustatif.

joues de raie, fusilli
Le mur des fusilli

Je regrette de ne pas avoir pris le temps de réaliser un petit jus avec les parures des joues de raie, néanmoins les saveurs marines sont bien présentes - peut-être aussi grâce à l’algue nori figurant dans la composition du curry*** – et je retrouve le goût incomparable de tomates de jardin. Une recette basique, mais un régal !

   

*Droit de réponse de la raie : Je t’en ficherai, de la peau disgracieuse, est-ce moi qui ai la bajoue tapissée d’une barbe hirsute plus fanée que fleurie ?

**Deuxième droit de réponse : Eh, le guignol, ne tente pas de masquer ta maladresse sous des assertions abracadabrantesques, tu es infoutu d’effectuer un tourne et retourne correctement, point barre !

***Troisième droit de réponse : Mais quand est-ce que cet abruti finira de me dénigrer, la mer, c’est moi, pas de la poudre de perlimpinpin nippone – ni mauvaise, je le concède, car moi j’ai l’esprit ouvert.

 

dimanche 16 janvier 2022

Bonne hure, arrête ton char !



Voiscience


         Exclusif !  Le Web Space Telescope nous livre sa première  photo !


Lever de son satellite Hure sur l'exoplanète Patacra

Cette image provenant des confins de l'univers a bravé les ténèbres pendant des siècles pour nous parvenir. Un monde à peine sorti du chaos originel... Glaçant !




Voilà ce que l’on pouvait lire dans une certaine presse. Or ce ne sont que mensonges. Des journalistes sans vergogne, méprisant la déontologie qui devrait être leur, se sont emparés de photos qui étaient miennes pour se livrer à un montage grossier.


Satellite de l’exoplanète: il s’agit d’un plat où j’avais disposé la semaine dernière une tête roulée pistachée arrivée non pas des confins de l’univers mais de Lyon, et qui n’avait connu que les frimas de la réfrigération, bien éloignés de ceux de l’espace intersidéral.

tête de porc roulée
Salut, les cornichons !

Surface de l’exoplanète : tout simplement une pâte destinée à préparer des acras réservée dans un cul-de-poule, dont la photo n’a pas mis des années-lumière pour nous parvenir, car elle date de mai 2020.



Glaçant, non ?

vendredi 14 janvier 2022

Ni wok ni woke

 

Qui pourrait croire à la domination des boudins blancs, fussent-ils hétérosexuels, à part pendant la période où les boudins noirs de nos campagnes et de nos îles lointaines sont victimes de la magie de Noël qui les oblige à se tapir dans les arrière-boutiques ?

Les quatre boudins blancs que je viens de déballer font les farauds avec leur truffe du Périgord, mais ils savent bien que le temps de la poule de luxe à se farcir est désormais révolu pour eux.

blanc de volaille, lait, œuf entier et 3 % de truffes fraîches françaises


Aussi vais-je m’efforcer de les traiter avec le respect inspiré par une compassion envers leur sort malheureux encore plus que par leur prétendue arrogante supériorité.


Je commence par leur préparer une couche douillette.

Je découpe la moitié d’un chou rouge de taille moyenne en lanières de 3 à 4 mm. Je partage en quatre un oignon long du jardin que je mets à suer parsemé d’une pincée de sel dans une cocotte en fonte où fond une cuillerée de bon saindoux hongrois.


Trois minutes plus tard j’ajoute le chou rouge que je brasse dans la graisse avant de verser le fond de bouteille de margaux S de Siran rescapé d’agapes précédentes – un verre environ préservé par le vide – et je complète d’un verre d’eau. Suivent une feuille de laurier, cinq baies de la Jamaïque, une pincée de quatre-épices. Pas plus. Je ne veux pas gâcher le parfum de truffe qui m’est agréablement sauté aux narines au moment du déballage des boudins par une présence trop marquée d’épices. Quant au sel, je rectifierai en fin de cuisson. Je laisse ma cocotte couverte mijoter à feu doux une quarantaine de minutes seulement : pour une fois je souhaite conserver un peu de croquant à mon chou rouge, pas question d'en rajouter dans la mollesse, les boudins suffisant bien dans ce domaine.

Plutôt que les pruneaux traditionnels, je vais incorporer à, ma préparation de chou rouge des champignons faisant écho à la truffe de la spécialité charcutière. Ce seront des chanterelles que je fais tomber au fond d’une poêle au sein d’une nouvelle cuillerée de saindoux. Je les réserve une fois cuites pour les mélanger au dernier moment avec mes lanières de chou.

Plus conventionnel, une pomme, mais qui ne cuira pas dans la cocotte. Il s’agit d’une variété vendue au marché comme pomme à compote, mais d'une meilleure saveur que beaucoup de pommes à couteau de plus aimable apparence. De petite taille, ses irrégularités et ses taches superficielles cachent une chair ferme et parfumée avec la légère acidité qui émoustille les papilles. Pour tout dire, je m’en régale en tant que dessert frugal. Aujourd'hui, une fois épluchée et débarrassée de son cœur pépineux, je la partage en deux hémisphères que je barbouille de jus de citron pour éviter l’oxydation jusqu’à ce que je la mettrai à cuire à côté des boudins.

L’heure est venue de passer précisément à cette cuisson. C’est au fond d’une poêle où s’est liquéfiée une noisette de saindoux que j’étends mes quatre boudins que je colore légèrement à feu doux. Ma pomme subit le même sort. Puis j’enfourne à 150 °C pour une douzaine de minutes.

J’incorpore les chanterelles à ma préparation de chou rouge, vivifie d’un léger trait de balsamique blanc. Je sors mes boudins et ma pomme du four. Tout est là pour dresser mes deux assiettes. Je termine par un tour de moulin de poivre noir de Sarawak.

boudins blancs truffés, chou rouge, chanterelles
La fête se finit


Et j’ai bien fait de ne pas traiter mes boudins façon WOKE…

Même ma cocotte approuve...

dimanche 2 janvier 2022

22, le v'là !

 

21     31 décembre

 

Je finis l’année paresseusement. Pour les entrées du repas de réveillon, j’ai fait appel à un traiteur de mon quartier, la maison Matignon

Sur la table, une bûche de saumon aux écrevisses et un gâteau d’effiloché de gambas et sa crème de mangue.

bûche de saumon aux écrevisses
J'ai pris une bûche


effiloché de gambas, mangue
C'est du gâteau


Cruel dilemme : choisir ou partager. Finalement, chaque pièce est coupée en deux, découvrant des entrailles appétissantes. Mais pas que - savoureuses à souhait, aussi bien l’une que l’autre. Le prédécesseur, qui faisait ronronner cet établissement dans la médiocrité depuis vingt-cinq ans, a bien fait de prendre sa retraite. Je vais enfin pouvoir remettre les pieds dans cette maison qui me régalait dans les années quatre-vingt avant que son patron ne retourne à Menetou-Salon, son pays d’origine, me privant de ses charcuteries, plats, voire pâtisseries, tous produis de qualité, sans oublier les vins monestrosaloniens qu’il avait su me faire aimer.

 

23 h 59 - 00 h 01

 

Il faut franchir le pas. Ce sera en compagnie de pieds de cochon Cendrillon concoctés par Girardeau à Saumur. Là, un peu plus de cuisine : j’ai râpé des pommes de terre pour préparer à la poêle des pommes paillasson et allumé le four pour y flasher les pieds à 220 °C et les laisse y terminer leur cuisson pendant une dizaine de minutes.

pied cendrillon

Allez, vite sur les assiettes chaudes, il ne faut pas laisser refroidir !

Je connais bien ce produit, donc point d’émerveillement, simplement un grand plaisir pour les papilles - un bonheur gastronomique qui traverse les années…

 

22    1er janvier

 

Je commence l’année paresseusement. Pour les plats, toujours le même traiteur…

Sur la table, arriveront un pavé de cerf en croûte sauce grand veneur et un tournedos rossini revisité au vin de Chinon.

Pour cette étape, aucun dilemme : Madame a choisi le cerf, et Monsieur le tournedos 

Ben si, dilemme quand même : selon la notice jointe, le gibier est censé être réchauffé à 170 °C durant une quinzaine de minutes et le bœuf à 180 ° pendant une dizaine de minutes. Seulement. Voilà où me mène mon goût de la diversité qui fait qu’au restaurant je fais la tronche si le vis-à-vis qui partage ma table dit au serveur « Pour moi, ce sera la même chose… » - à la maison je n’ai pas la brigade qui se pliera à mes caprices et doit me maudire quand la famille attablée fait inscrire six plats différents sur le bon de commande. Je me livre donc à une cote mal taillée, transigeant à 175 °C et prolongeant le séjour du tournedos, emballé dans l’alu comme prescrit, d’un couple de minutes. Quant aux sauces, jointes dans des barquettes, je les remets en température au micro-ondes.

Pendant ce temps je réchauffe au bain-marie la purée de céleri-rave du jardin préparée l’après-midi précédent : une demi-boule mixée avec deux cuillerées de crème fraîche et rehaussée d’un tour de moulin de noix de muscade.

Je place sur de grandes ardoises chaque plat, son supplément de sauce et un ramequin de purée de céleri maison.

 

cerf, sauce grand veneur
J'ai évité de jeter le pavé dans la mare

tournedos rossini
Où Rossini s'est fait rouler...

Certes, je ne pourrai prétendre « c’est moi qui l’ai fait ! », mais ces plats sont fort bons et ne donnent pas l’impression de banalité consensuelle que donnent trop souvent les tablées de traiteur. Je n’ai donc aucun remords pour ma paresse.

Paresse qui se poursuivra au moment du dessert. Mais on n’en est pas encore là, car contrairement au réveillon de Noël je me sens en capacité d’attaquer le fromage. Et pourtant ce plateau auvergnat est imposant, c’est plutôt un massif avec son demi-roquefort Coulet Castelvieil de 16 mois d’âge, son gros morceau de cantal au lait cru, son demi-Thérondels au lait du Carladez, sa tomme au lait cru de brebis Elutcha des Cabasses.

fromages d'Auvergne
Les tours d'Auvergne

Après l’assaut, un état des lieux pratiquement inchangé… Les pièces trônent toujours dans leur majesté. Mais on en viendra à bout, j’en fais le serment !

 

C’est le tour des desserts. Elles proviennent de la pâtisserie Fine où œuvre le chef pâtissier Sébastien Serveau. Là encore, les choix sont faits. Ce qui n’empêche pas qu’une cuillère inquisitive puisse venir par instant taster l’assiette voisine…

Il y a une bûche roulée amande et noisette et un joyau dont les textures variées au cacao enrobent un sabayon de chocolat au lait.

bûche amande noisette
In fine...

gâteau chocolat
Quand je peux m'offrir un joyau...


Pas trop sucrées, bien équilibrées dans les saveurs et les textures, ces deux pièces sont sans nul doute le résultat d’un travail de pro, et doué de surcroît… Une belle façon de conclure ce repas de transition.

Et que le champagne coule à flots* !

 

 *Un souci de vérité m’oblige à dire qu’il reste le quart de la bouteille, bien au frais sous le bouchon préservateur adéquat.

jeudi 30 décembre 2021

La vengeance du Père Noël

24 décembre  - La Poularde respectueuse

L’après-midi est déjà est déjà bien entamé, aussi est-il grand temps de commencer les préparatifs du réveillon.

Je me lance sans enthousiasme, me sentant un petit coup de mou qui ne disparaîtra probablement pas par magie de Noël…

Au repas est prévu un Rôti de Poularde Napoléon déjà farci par l’éleveur en pays de Bourgogne : une farce constituée de poularde, veau, réduction de jus de clémentine, Fine Napoléon et clémentine en quartiers.

Conforme à cette illustration

Je ne doute pas que ce produit sera de qualité, car nous nos sommes déjà régalés il y a deux ans d’un Rôti d’Oie à l’ardéchoise du même producteur.


À moi d’en tirer le meilleur parti. Déjà, la sauce

Je réalise une gastrique en décuisant une cuillerée de sucre amenée au caramel avec une cuillerée de vinaigre de cidre. Je râpe à la microplane la peau des mandarines et de l’une des bergamotes. Je prélève des filaments du zeste de la seconde bergamote à l’aide d’un zesteur et les réserve dans une coupelle. J’extrais le jus de l’ensemble de ces agrumes, le verse dans la gastrique et y ajoute les zestes râpés. Je complète d’un verre de porto basique Flavio de Sousa de 10 ans d’âge et d’un trait de gin Tanqueray. Je laisse réduire doucement ce mélange jusqu’à ce qu’il devienne nappant et sirupeux. Je réserve.


Je continue la mise en place en épluchant 5 grosses carottes des sables de Créances que je réserve dans une bassine d’eau légèrement salée et citronnée. Je continue avec un oignon et deux échalotes, les trois provenant de Roscoff. Je prélève deux tranches de l’oignon, hache le reste, partage chaque échalote en quatre.

Puisque le rôti de poularde doit cuire départ à froid, je peux déjà préparer le lit qui va l’accueillir au fond de la cocotte. Je fais fondre une noix de beurre demi-sel avant de verser l’oignon haché, les échalotes et trois petites carottes du jardin que je viens de trancher grossièrement.

Suivent les plantes aromatiques (laurier, thym, origan, romarin) et les épices (baies de la Jamaïque et de genièvre, clou de girofle) et un verre de sauvignon de cuisine. J’arrête le feu quand l’ébullition commence et écarte la cocotte dans un coin du fourneau.

Reste encore à m’attaquer aux autres plats… Je m’accorde cependant une petite pause.


Hein, c’est déjà l’heure de m’y mettre ? Encore un instant, Monsieur le Bourreau Père Noël !

Bon, ça va, c'est parti !

Je dépose le rôti assaisonné de sel fin et de tours de moulin de poivre rouge au fond de la cocotte. Je coiffe du couvercle et enfourne. Je règle le thermostat à 180 °C et le minuteur sur 1 heure et 30 minutes. Je retournerai la viande deux fois durant la cuisson.

Je mets à cuire les carottes dans de l’eau salée pour une trentaine de minutes. Une fois bien égouttées, je les place dans un cul-de-poule où je les écrase grossièrement à la fourchette avant de les transformer en une purée bien lisse à l’aide de mon mixer plongeant muni de son bras adéquat. J’ajoute un gros morceau de beurre : pour la purée, je préfère la manie de Joël à la magie de Noël. Je rectifie l’assaisonnement et réserve dans un bol en verre.

Je caramélise à sec les tranches d’oignon de Roscoff, et termine par un filet de balsamique blanc. Je pousse la petite poêle dans un coin.

Je cuis suivant les prescriptions du sachet un petit verre de riz basmati jeté dans le même volume d’une eau bouillante - dans laquelle j’ai laissé infuser une pincée de pistils de safran et colorée par une pointe de curcuma. Une douzaine de minutes à feu doux, et je transvase dans un bol en verre où cette garniture attendra d’être réchauffée.

Puis je lave une botte de cresson ainsi qu’un sachet de roquette que j’essore ensuite pour les réserver.

Passons à l’entrée : un foie gras d’oie entier mi-cuit provenant d’une ferme alsacienne.

Et un torchon en plus...

Je le souhaitais dans sa pureté originelle, mais cette version étant épuisée, le producteur m’a proposé la version truffée pour le même prix. Comment refuser… Mais pour une fois que je voulais me draper de la toge de la simplicité !

J’en découpe six tranches avec une lyre (qui jouera sa partition pour ces morceaux bien mieux qu’une mandoline) et les répartis sur deux assiettes. Je complète de cresson et d’une tranche d’un pain aux figues.

Je réserve au frais. Et range le rab pour plus tard.


Je passe aux assiettes de poissons fumés. Il s’agit de la production d’une petite fumerie artisanale du Cap Ferret dont j’ai là aussi déjà pu apprécier la qualité. Côtoyant le gros filet de truite du lac de Montbel, il y a aussi du bar, du thon et du mulet noir au piment d’Espelette.

Après y avoir déposé trois demi-tranches de pain au seigle tartinées d’un beurre de baratte bordelais à la fleur de sel de l’île d’Oléron, je décore chaque assiette d’une rondelle de citron, de feuilles de roquette, et introduis quelques points de sauce au raifort.

Là encore il y a du rab. Je m’empresse de le préserver sous vide.

poissons fumés
Après avoir chargé les assiettes



Le moment est arrivé de passer à table


Tout d’abord le foie gras. Je l’accompagne d’une bouteille de Tokaji Késői Arany - vendanges tardives 2018. Ce vin fonctionne bien avec ce foie d’oie, en revanche le pain aux figues est une catastrophe. Choisi pour une fonction décorative, falot et douceâtre, il perturbe la dégustation, et je m’empresse de l’éjecter pour le remplacer par un morceau arraché d’une brave baguette traditionnelle, effacé mais efficace comme doit l’être un valet de grande maison.

foie d'oie truffé
Trois ronds de foie



Après la terre, la mer...

Mais que se passe-t-il ? J’aborde l'assiette de poissons fumés sans appétit. Ils ont beau être délicieux, je les mange presque par obligation. Même le trou nordique que j’ai posé sur l’assiette, un petit verre de vodka Żubrówka glacée, ne parvient pas à réveiller le bison en moi…

poissons fumés, vodka
Comme une fleur marine...



Je me traîne vers la cuisine, et seul le sens du devoir me pousse à achever mon œuvre réveillonesque.


Je sors la cocotte du four et en extrais le rôti de Poularde Napoléon que je pose sur une planche et recouvre d’une feuille d’alu. Je déglace le fond de la cocotte avec un demi verre de vin blanc. Je laisse réduire cinq minutes et verse à travers un chinois dans une saucière à deux becs qui me permet d’évacuer par le bec supérieur l’excès de graisse et verser par le bec inférieur le jus parfumé dans la casserole de la sauce aux agrumes qui se réchauffe sur une petite flamme. Je mélange, ajoute une petite cuillerée de balsamique blanc et poursuit la réduction le temps de blanchir à l’eau bouillante les zestes de bergamote.

Ouf, j’arrive vers la fin de mon épreuve. Je découpe deux épaisses tranches dans le rôti de poularde. Bon, ça va, la chair est restée bien moelleuse. Je les place dans les assiettes Je me munis de cercles pour passer au dressage. Le grand sert à délimiter la purée réchauffée au micro-onde. Le petit me permet de poser proprement le riz safrané mis à température de la même façon. Je dispose des cercles vinaigrés d'oignon caramélisé. Je verse ma sauce aux reflets mordorés. Je parsème la purée de zestes de bergamote. Un brin de pimprenelle vient remplacer le persil qui ne fait pas assez fête.

poularde aux agrumes
Poularde aux trois agrumes

Fête… Tu parles ! 

Je sais que c’est bon, j’ai droit à des compliments pour ma sauce, mais je mange du bout des lèvres, me forçant à finir. Et je ne bois qu’un demi-verre du vin que je propose en accompagnement, un S de Siran 2010.



Je négocie une suppression du plateau de fromages pour ce menu de réveillon.


Je suppose que la bûche individuelle à la poire et à la châtaigne dans laquelle je chipote du bout de ma cuillère est d’une saveur subtile, car elle provient d’un boulanger-pâtissier d’origine japonaise fort réputé en ma ville. Je devrais l'apprécier...

bûche poire et châtaigne
...ne réveille même pas mon appétit

Mais le cœur n’y est pas. Plutôt le haut le cœur…


Je n’ai qu’une hâte, me coucher comme les poules. Il n’est même pas une heure du matin quand je me glisse frileusement sous mes draps, privé de café, pousse-café et cigare. 

C’est dire que j'vais mal !




25 décembre  - La Nausée


Eh bien voilà, je suis tout seul à la maison.


Pendant que le reste de ma famille festoie chez ma fille - mises en bouche diverses, gravlax maison, chapon façon Jamie Oliver, plateau de fromages MOF, bûche maison et bûche du pâtissier, le tout arrosé de crus divers et champagne, je dépose sur la table mon menu de Noël, que je n’entamerai d’ailleurs pas, faute d’envie. 

Ma boule de Noël

Pourquoi donc me forcer à ingurgiter ce qui sera aussitôt exgurgité…


Je profite d’un moment de répit dans mes débâcles plurielles pour skyper l’arrivée des cadeaux.

Quand soudain, derrière les coupeurs.euses de bolduc, les lacéreurs.euses de papier-cadeau et les éventreurs.euses de boîtes je vois apparaître une tête de vieillard barbu qui me regarde en ricanant.

Est-ce l’effet de la fièvre qui perturbe mes cellules plus grises que jamais ? Ou alors est-ce que la ruse ultime du Père Noël est la même que celle du Diable : faire croire qu’il n’existe pas ? Car il est bien là, à me fixer de ses yeux vicieux. Je détourne le regard. Lui aussi. Et j’entends : « Eh, crétin même pas des Alpes, ne vois-tu pas que c’est ton reflet sur l’écran que tu aperçois ? »

Mais alors donc.. .

«  Ah, j’ai compris, Père Noël, tu veux dire que je dois croire oui, tu veux dire que je dois croire en moi !

-  Oh la la, t’es pas un cadeau ! »

Je coupe Skype. Je t’ai assez vu, vieil abruti rancunier.