24 décembre - La Poularde respectueuse
L’après-midi est déjà est déjà bien entamé, aussi est-il grand temps de commencer les préparatifs du réveillon.
Je me lance sans enthousiasme, me sentant un petit coup de mou qui ne disparaîtra probablement pas par magie de Noël…
Au repas est prévu un Rôti de Poularde Napoléon déjà farci par l’éleveur en pays de Bourgogne : une farce constituée de poularde, veau, réduction de jus de clémentine, Fine Napoléon et clémentine en quartiers.
Conforme à cette illustration |
Je ne doute pas que ce produit sera de qualité, car nous nos sommes déjà régalés il y a deux ans d’un Rôti d’Oie à l’ardéchoise du même producteur.
À moi d’en tirer le meilleur parti. Déjà, la sauce…
Je réalise une gastrique en décuisant une cuillerée de sucre amenée au caramel avec une cuillerée de vinaigre de cidre. Je râpe à la microplane la peau des mandarines et de l’une des bergamotes. Je prélève des filaments du zeste de la seconde bergamote à l’aide d’un zesteur et les réserve dans une coupelle. J’extrais le jus de l’ensemble de ces agrumes, le verse dans la gastrique et y ajoute les zestes râpés. Je complète d’un verre de porto basique Flavio de Sousa de 10 ans d’âge et d’un trait de gin Tanqueray. Je laisse réduire doucement ce mélange jusqu’à ce qu’il devienne nappant et sirupeux. Je réserve.
Je continue la mise en place en épluchant 5 grosses carottes des sables de Créances que je réserve dans une bassine d’eau légèrement salée et citronnée. Je continue avec un oignon et deux échalotes, les trois provenant de Roscoff. Je prélève deux tranches de l’oignon, hache le reste, partage chaque échalote en quatre.
Puisque le rôti de poularde doit cuire départ à froid, je peux déjà préparer le lit qui va l’accueillir au fond de la cocotte. Je fais fondre une noix de beurre demi-sel avant de verser l’oignon haché, les échalotes et trois petites carottes du jardin que je viens de trancher grossièrement.
Suivent les plantes aromatiques (laurier, thym, origan, romarin) et les épices (baies de la Jamaïque et de genièvre, clou de girofle) et un verre de sauvignon de cuisine. J’arrête le feu quand l’ébullition commence et écarte la cocotte dans un coin du fourneau.
Reste encore à m’attaquer aux autres plats… Je m’accorde cependant une petite pause.
Hein, c’est déjà l’heure de m’y mettre ? Encore un instant, Monsieur le Bourreau Père Noël !
Bon, ça va, c'est parti !
Je dépose le rôti assaisonné de sel fin et de tours de moulin de poivre rouge au fond de la cocotte. Je coiffe du couvercle et enfourne. Je règle le thermostat à 180 °C et le minuteur sur 1 heure et 30 minutes. Je retournerai la viande deux fois durant la cuisson.
Je mets à cuire les carottes dans de l’eau salée pour une trentaine de minutes. Une fois bien égouttées, je les place dans un cul-de-poule où je les écrase grossièrement à la fourchette avant de les transformer en une purée bien lisse à l’aide de mon mixer plongeant muni de son bras adéquat. J’ajoute un gros morceau de beurre : pour la purée, je préfère la manie de Joël à la magie de Noël. Je rectifie l’assaisonnement et réserve dans un bol en verre.
Je caramélise à sec les tranches d’oignon de Roscoff, et termine par un filet de balsamique blanc. Je pousse la petite poêle dans un coin.
Je cuis suivant les prescriptions du sachet un petit verre de riz basmati jeté dans le même volume d’une eau bouillante - dans laquelle j’ai laissé infuser une pincée de pistils de safran et colorée par une pointe de curcuma. Une douzaine de minutes à feu doux, et je transvase dans un bol en verre où cette garniture attendra d’être réchauffée.
Puis je lave une botte de cresson ainsi qu’un sachet de roquette que j’essore ensuite pour les réserver.
Passons à l’entrée : un foie gras d’oie entier mi-cuit provenant d’une ferme alsacienne.
Et un torchon en plus... |
Je le souhaitais dans sa pureté originelle, mais cette version étant épuisée, le producteur m’a proposé la version truffée pour le même prix. Comment refuser… Mais pour une fois que je voulais me draper de la toge de la simplicité !
J’en découpe six tranches avec une lyre (qui jouera sa partition pour ces morceaux bien mieux qu’une mandoline) et les répartis sur deux assiettes. Je complète de cresson et d’une tranche d’un pain aux figues.
Je réserve au frais. Et range le rab pour plus tard.
Je passe aux assiettes de poissons fumés. Il s’agit de la production d’une petite fumerie artisanale du Cap Ferret dont j’ai là aussi déjà pu apprécier la qualité. Côtoyant le gros filet de truite du lac de Montbel, il y a aussi du bar, du thon et du mulet noir au piment d’Espelette.
Après y avoir déposé trois demi-tranches de pain au seigle tartinées d’un beurre de baratte bordelais à la fleur de sel de l’île d’Oléron, je décore chaque assiette d’une rondelle de citron, de feuilles de roquette, et introduis quelques points de sauce au raifort.
Là encore il y a du rab. Je m’empresse de le préserver sous vide.
Après avoir chargé les assiettes |
Le moment est arrivé de passer à table
Tout d’abord le foie gras. Je l’accompagne d’une bouteille de Tokaji Késői Arany - vendanges tardives 2018. Ce vin fonctionne bien avec ce foie d’oie, en revanche le pain aux figues est une catastrophe. Choisi pour une fonction décorative, falot et douceâtre, il perturbe la dégustation, et je m’empresse de l’éjecter pour le remplacer par un morceau arraché d’une brave baguette traditionnelle, effacé mais efficace comme doit l’être un valet de grande maison.
Trois ronds de foie |
Après la terre, la mer...
Mais que se passe-t-il ? J’aborde l'assiette de poissons fumés sans appétit. Ils ont beau être délicieux, je les mange presque par obligation. Même le trou nordique que j’ai posé sur l’assiette, un petit verre de vodka Żubrówka glacée, ne parvient pas à réveiller le bison en moi…
Comme une fleur marine... |
Je me traîne vers la cuisine, et seul le sens du devoir me pousse à achever mon œuvre réveillonesque.
Je sors la cocotte du four et en extrais le rôti de Poularde Napoléon que je pose sur une planche et recouvre d’une feuille d’alu. Je déglace le fond de la cocotte avec un demi verre de vin blanc. Je laisse réduire cinq minutes et verse à travers un chinois dans une saucière à deux becs qui me permet d’évacuer par le bec supérieur l’excès de graisse et verser par le bec inférieur le jus parfumé dans la casserole de la sauce aux agrumes qui se réchauffe sur une petite flamme. Je mélange, ajoute une petite cuillerée de balsamique blanc et poursuit la réduction le temps de blanchir à l’eau bouillante les zestes de bergamote.
Ouf, j’arrive vers la fin de mon épreuve. Je découpe deux épaisses tranches dans le rôti de poularde. Bon, ça va, la chair est restée bien moelleuse. Je les place dans les assiettes Je me munis de cercles pour passer au dressage. Le grand sert à délimiter la purée réchauffée au micro-onde. Le petit me permet de poser proprement le riz safrané mis à température de la même façon. Je dispose des cercles vinaigrés d'oignon caramélisé. Je verse ma sauce aux reflets mordorés. Je parsème la purée de zestes de bergamote. Un brin de pimprenelle vient remplacer le persil qui ne fait pas assez fête.
Poularde aux trois agrumes |
Fête… Tu parles !
Je sais que c’est bon, j’ai droit à des compliments pour ma sauce, mais je mange du bout des lèvres, me forçant à finir. Et je ne bois qu’un demi-verre du vin que je propose en accompagnement, un S de Siran 2010.
Je négocie une suppression du plateau de fromages pour ce menu de réveillon.
Je suppose que la bûche individuelle à la poire et à la châtaigne dans laquelle je chipote du bout de ma cuillère est d’une saveur subtile, car elle provient d’un boulanger-pâtissier d’origine japonaise fort réputé en ma ville. Je devrais l'apprécier...
...ne réveille même pas mon appétit |
Mais le cœur n’y est pas. Plutôt le haut le cœur…
Je n’ai qu’une hâte, me coucher comme les poules. Il n’est même pas une heure du matin quand je me glisse frileusement sous mes draps, privé de café, pousse-café et cigare.
C’est dire que j'vais mal !
25 décembre - La Nausée
Eh bien voilà, je suis tout seul à la maison.
Pendant que le reste de ma famille festoie chez ma fille - mises en bouche diverses, gravlax maison, chapon façon Jamie Oliver, plateau de fromages MOF, bûche maison et bûche du pâtissier, le tout arrosé de crus divers et champagne, je dépose sur la table mon menu de Noël, que je n’entamerai d’ailleurs pas, faute d’envie.
Ma boule de Noël |
Pourquoi donc me forcer à ingurgiter ce qui sera aussitôt exgurgité…
Je profite d’un moment de répit dans mes débâcles plurielles pour skyper l’arrivée des cadeaux.
Quand soudain, derrière les coupeurs.euses de bolduc, les lacéreurs.euses de papier-cadeau et les éventreurs.euses de boîtes je vois apparaître une tête de vieillard barbu qui me regarde en ricanant.
Est-ce l’effet de la fièvre qui perturbe mes cellules plus grises que jamais ? Ou alors est-ce que la ruse ultime du Père Noël est la même que celle du Diable : faire croire qu’il n’existe pas ? Car il est bien là, à me fixer de ses yeux vicieux. Je détourne le regard. Lui aussi. Et j’entends : « Eh, crétin même pas des Alpes, ne vois-tu pas que c’est ton reflet sur l’écran que tu aperçois ? »
Mais alors donc.. .
« Ah, j’ai compris, Père Noël, tu veux dire que je dois croire oui, tu veux dire que je dois croire en moi !
- Oh la la, t’es pas un cadeau ! »
Je coupe Skype. Je t’ai assez vu, vieil abruti rancunier.
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