Il n’était pas question de me vautrer dans le grabat sordide du crépuscule des vieux sans avoir connu un jour le somptueux oreiller de la belle Aurore…
Il y a plusieurs années que j’ambitionnais de plonger mes canines
dans cet acmé de la création charcutière. Mais c’est un pâté quasi-impossible à
réaliser chez soi tant il exige de chairs différentes dans sa préparation –
sans oublier la taille du four pour sa cuisson et le nombre de convives gastronomes
à réunir pour partager sa dégustation. Mais ce sont des pièces qui ne sont confectionnées
que par de rares artisans, et encore de façon très épisodique. Mais il faut réserver
sa part, ce qui relève de l’exploit pour moi qui gère mes envies au jour le
jour, pour ne pas dire à l’heure l’heure… Aussi n’est-ce qu’en cette fin de
janvier 2022 que j’ai pu goûter – en tout bien tout honneur - les délices
de la literie de la mère de Brillat-Savarin, née Claudine Aurore Récamier.
C’est à la maison Vérot que je me suis adressé pour me
procurer ce plaisir trop longtemps différé.
Je n’étais plus à un jour près… Aussi, n’ayant pu résister
au chant des sirènes porcines du catalogue vérotien, je me suis mis en jambes
la veille du grand jour par la dégustation d’une autre spécialité : une
terrine baptisée Cochon de la tête aux pieds. Ce produit n’est d’ailleurs
pas sans rappeler par la multiplicité de ses composants ce fameux oreiller,
sauf que pour lui le « c’est le retour de la chasse » se voit remplacé
par un « on a tué le cochon » ! En effet on y trouve des strates
de fromage de tête, jambonneau, boudin noir, saucisson à l’ail, andouille de
Guéménée, pommes et confit d’échalotes.
Voyage en Cochonie |
Je craignais la déception, mais non, Vérot a su, ni basculer dans un magma genre jyfoutou et qu’on se débrouille où la papille y perdrait son latin, ni s’égarer dans une litanie charcutière discordante faisant regretter le buffet campagnard où au moins l’on peut choisir. Une Quintuple Alliance où chacun trouve son compte : un chef-d’œuvre de diplomatie !
Et voilà, c’est le grand jour. Je sors les tranches d'Oreiller de la belle Aurore de leurs
écrins et les étends sur le plat.
Les variations de tonalités et de texture semblent confirmer
que le contrat est rempli, la mosaïque est aussi impressionnante que la liste
des ingrédients : pigeon, chevreuil, perdreau, faisan, canard sauvage, canard
d’élevage, foie gras, ris de veau, cochon, poulet, sans oublier la farce de
cochon, la farce de gibiers et l’insert de lamelles de truffe des Alpes-de-Haute-Provence.
Je laisse reposer le temps que le produit s‘ébroue hors du vide
où il a été conservé et se réoxygène à plein poumons. Quand je reviens une heure
et demie plus tard, la durée nécessaire pour qu’il se remette à température
ambiante, de doux effluves sialogènes montent vers mes narines. Je m’éloigne
pour ne pas ressembler au chien Waldi de mon grand-père maternel, boxer au regard triste qui
inondait le carrelage de la cuisine de la bave poisseuse dégoulinant de ses babines froncées quand la moindre
molécule aromatique se frayait un passage par ses narines simiesques.
D’ailleurs j’ai autre chose à faire que de humer l’oreiller,
je dois préparer la salade qui l’accompagne - bien entendu un mesclun, la
variété étant à l’ordre du jour. Dans la vinaigrette de vinaigre de cidre et
huile d’arachide, j’incorpore une cuillerée d’huile de noix.
Une partie vient rejoindre le plat en tant que décor, le restant
demeure confiné dans le saladier où je viens de brasser les feuilles dans leur
sauce.
Jouer à KoiKès au bout de ma fourchette |
Mes sensations sur l’oreiller ne regardent que moi. Je dirai
cependant que c’est une belle expérience, et que la belle Aurore mérite sa
réputation.
È Vérot, è ben trovato…