Une constatation : la présence du veau dans
les deux recettes. Sans doute que si le vert dans les prés attire le veau, le
veau dans les assiettes attire le vert.
Premier vert, celui des épinards qui ont accompagné un foie
de veau. À
la florentine donc…
Je commence par faire tomber les feuilles d’épinard. Je les
brasse à l’aide d’une fourchette arborant une parfumante gousse d’ail de
Lautrec au sein de la mousse d’une grosse noix de beurre demi-sel fondant dans
la poêle. Eh oui, j’ai encore les moyens de mettre du beurre dans les épinards,
ce ne sera peut-être plus le cas en janvier… Je réserve dans un coin du
fourneau, le temps de m’occuper du foie.
Je fais subir un aller-retour de ce foie de veau, dont la
découpe est à mi-chemin entre la tranche et le pavé, dans une poêle légèrement
barbouillée d’huile d’olive placée sur un feu d’enfer - normal, Dante est
florentin… Puis je baisse le feu, ajoute une noix de ce même goûteux beurre demi-sel
prêt à se plier à tous mes caprices, et là il s’agit de nourrir la viande en la
réchauffant doucement tout en préservant sa texture rosée, et non plus de
violenter de malheureuses feuilles arrivées toutes fraîches de leur terre
natale.
Je dépose les tranches de foie sur les assiettes. De
Florence à Modène, il n’y a pas loin : je verse quelques cuillerées de
vinaigre balsamique dans la poêle de cuisson du foie. J’y ajoute un trait de
sauce Worcestershire (je sens que je m’éloigne de mon propos florentin… ) et
quelques gouttes de Louisania Gold Pepper Sauce (toujours plus loin…). Un retour de ma flamme dantesque me ramène vers
le sujet. Elle émulsionne et réduit la sauce bistrée vers une consistance
sirupeuse à un train d’enfer. À côté, je remets à température la
tombée d’épinard qui retombe fumante sur les assiettes. Une noisette (soyons
raisonnable… ) de beurre couronne chaque verte colline, je parsème d’une pincée
de piment d’Espelette.
Il ne me reste plus qu’à arroser le foie de la sauce, qui en
tranchant orne l’assiette d’une brune jaspure, et conclure par un tour de moulin de poivre noir.
Mon dieu, j’allais oublier le brin de persil contractuel ! Où avais-je la tête ? Voilà, c’est fait.
Alors, à table !
Il était un foie... |
Second vert, celui des pois cassés qui ont accompagné une
andouillette à la fraise de veau. Lyonnaise donc…
La cuisson de ces légumineuses se révèle toujours délicate dans
le dosage de l’eau nécessaire. Habituellement, je ne fais pas tremper les pois
cassés, mais comme le sachet le prescrit, bête et discipliné, j’obtempère. Un bref
trempage, à peine une demi-heure, il ne faut pas exagérer ! Une fois
rincés, blanchis brièvement et versés dans leur casserole de cuisson, je noie
les pois cassés - dont la vertitude s’était révélée sous l’action hydrique qui
leur avait fait perdre leur jaunasserie poussiéreuse - sous une abondante couche
d’eau. Abondante, mais plus précisément ? Après mûre réflexion, je verse à
peu près le triple du volume occupé par les grains égouttés. Je leur adjoins six
petites échalotes blanches du jardin, deux gousses d’ail, un brin de persil,
une branchouillette de thym, une feuille de laurier un tantinet fripée et un sextuor
de baies de la Jamaïque. Je laisse bloublouter à couvert sur une flamme moyenne
pour une quarantaine de minutes. Par mesure de précaution, j’ai à côté une
petite casserole d’eau chaude afin de remédier à une évaporation excessive.
Précaution inutile : bien au contraire un excès d’eau me force à
poursuivre une cuisson à découvert quelques minutes supplémentaires.
Quand il ne reste presque plus d’eau sous les pois cassés,
je plonge ma girafe dévouée et efficace dans la casserole après avoir exfiltré mes
échalotes pour les planquer dans une coupelle, puis évacué les condiments
parfumeurs divers vers la poubelle. Las, la purée que je souhaitais ressemble
plutôt à une crème… J’entreprends donc une opération assèchement, touillant en
continu afin d’éviter que ça n’attache, ce qui me procure un prolongé supplice
de l’ébouillantement par les geysers de vapeur jaillissant sous ma main Fini, le
bloubloutage, on est passé au stade du plifplifage, nettement plus agressif.
Mais j’en ai vu d’autres, et je sortirai de ce combat les mains rougies, mais victorieux.
Une grosse noix du beurre demi-sel qu’ont bien voulu me laisser les épinards,
un tour de moulin de poivre, une rectification d’assaisonnement, et je peux
conserver au bain-marie une purée de pois cassés honorable.
Passons à l’andouillette lyonnaise, concoctée par la maison
Sibilia. Je sais par expérience que la fraise de veau qu’elle contient doit être
relevée par une sauce. Je me lance dans sa confection. Dans une petite casserole,
je verse 20 cl de crème à 30 % de M.G. J’ajoute quatre cuillerées de
moutarde douce alsacienne pour les parfums, deux cuillerées de moutarde de Dijon
pour la force et trois cuillerées de moutarde à l’ancienne pour la texture. Je
mélange bien tout en faisant réduire à feu doux. J’ai obtenu la consistance nappante,
mais l’apparence est bien pâlichonne. Une petite cuillerée de curcuma va redorer
ma sauce et mon blason…
Il me faut maintenant griller les andouillettes. Je le fais sur
le gril en fonte légèrement huilé. Bien que Sibilia prescrive ce mode de
cuisson, il me semble qu’il ne soit pas optimal. Un passage au four arrosées de
vin blanc donne à mes yeux - et surtout à ma bouche… - un résultat plus onctueux
et plus chargé en saveurs. Ceci, je le constaterai plus tard... Pour le moment je
dresse les assiettes : la purée de pois cassés contenue à l’aide d’un cercle jouxte
les andouillettes sur lesquelles je verse la sauce blonde qui vient cascader
sur la faïence bleue, les échalotes finissent leur pénible parcours en se
prosternant au pied du pois retrouvé.
Et le sempiternel persil ? Eh bien une feuille en est tombée sur la tour de purée. Je la virerai à table d’un coup de fourchette. Sinon, une autre, ciselée quant à elle, prend des bains de sauce moutardée.
Plus rien à ajouter ? Non ?
Alors, à table !
Des pois et de la fraise |