samedi 4 décembre 2021

Grenadins façon Hirocht'imi

 

Retour du marché. Dans le cabas, deux grenadins de veau des Pyrénées et des endives de Je-ne-sais-où (une IGNP) mais bien serrées sur leur blancheur anémiée.

Je dois inventer une recette pour unir avec bonheur les sudistes et les nordistes. Ce qui est sûr, c’est que ces produits partagent une attirance vers la pâlitude… Et il ne faudra pas que cette fadeur esthétique se retrouve dans les saveurs.

Ma solution est de me tourner vers l’est, l’est lointain : l’orient, l’extrême orient - plus précisément le Japon.

Pour confectionner ma sauce, je verse 25 cl de crème fraîche épaisse dans une casserole. J’y fais tomber une pincée de sel et une cuillerée de curry japonais, le shichimi togarashi composé de piment de Cayenne, graines de pavot, poudre d’orange, graines de sésame, baie Sansho, gingembre et feuille de nori. Je porte à ébullition et laisse réduire du tiers. J’ajoute alors deux gousses d’ail noir d’Aomori que je viens de hacher sur ma planche. Je réserve, laissant l’alchimie opérer sous le couvercle dont je viens de coiffer ma petite œuvre.

En ce qui concerne les endives, je me contente de les parer et de les partager en deux avant de les poser côté coupe au fond d’un sautoir sur du beurre demi-sel mousseux et néanmoins breton (il fallait bien que l’ouest vienne mettre son grain de sel… ) dans lequel elles suent jusqu’à un début de coloration. Six petites échalotes blanches du jardin de la variété Hermine simplement pelées leur tiennent compagnie. Puis je retourne mes hémi-endives pour opérer de même sur l’autre face. Afin de les relier aux notes d’agrume dispensées par le curry japonais, je les recouvre du jus de deux clémentines (la mandarine aux fragrances plus marquées eut été préférable, mais voilà, d’la mandarine, j’n’en ai point ! ) et je laisse réduire jusqu’à ce que le liquide au fond du récipient, mélange d’eau de végétation et de mandarine pressée, devienne sirupeux.

Il est temps de passer au dressage.

Mes deux grenadins assaisonnés sont saisis sur les deux faces dans une noisette de beurre à feu moyen avant de passer au four à 150 °C pour cinq ou six minutes, le degré de cuisson étant vérifié au toucher. Bon, la viande me semble être rosée à point, je sors ma poêle et pose chaque grenadin sur son assiette chaude. J'allonge les endives braisées à ses côtés.

La sauce vient d’être remise à température pendant la cuisson des grenadins. J’en recouvre ces derniers, profitant du fait que l’ail est tombé au fond de la casserole pour le répartir à ma convenance. J'avais après l'évacuation du végétal poursuivi la réduction du jus clémentiné restant afin de le mener au bord de la caramélisation. J’en fais tomber une cuillerée sur les endives - et aussi dans un débordement assumé. J'ajoute les échalotes blanches. Elles semblent s'ennuyer. Tant pis, nous vous croquerons.

Manque la contrastante touche verte. Ce sera un banal brin de persil, heureusement à grandes feuilles ( une feuille de shiso eut été préférable, mais voilà, de ce shiso, j’n’en ai point ! ).

Il est temps de passer à la dégustation.

 

grenadin, endive, curry japonais, ail noir
Grenadin façon Hirocht'imi


Je n’aurais jamais cru que des chicons puissent se sentir si bien au Japon.

Franchement, c’est Hirocht’imi mon amour. De la bombe !

mardi 30 novembre 2021

Course à l'échalote

 

Avec l’humidité qui a régné au jardin, je crains fort que la durée de conservation de mes échalotes arrachées du bourbier ne soit brève, trop brève. Certaines commencent une triste pourriture qui n’a rien de noble Aussi je m’évertue à réaliser des recettes qui permettent aux bulbes encore vaillants de s’exprimer en nombre.

Pour ce jour, j’ai choisi de préparer une sauce aux échalotes pour accompagner des steaks taillés dans la bavette d’aloyau.

Je dénude une imposante cohorte d’échalotes rondes de la variété Méloine, petites en calibres mais développées en parfum. 

échalote Méloine
Comme sur ce catalogue La Bonne Graine

Je les concasse grossièrement avant de les déverser dans une casserole où fond une noix de beurre pour les laisser doucement suer parsemées d’une pincée de gros sel. Puis je les recouvre d’un verre de vin blanc - un vouvray sec - et un verre de fond de veau réalisé à partir d’un concentré.

Place beau veau

Il s’agit en réalité du fond de veau Ariake présenté dans un conditionnement de taille plus adaptée au débit d’une cuisine ménagère - hélas nettement plus onéreux au kilo, mais tel est le triste sort des cuisiniers amateurs…

Je laisse réduire presque jusqu’à évaporation complète, puis ajoute une cuillerée de balsamique blanc. Je laisse sur le feu et retire la casserole quand les oignons commencent à colorer dans un jus qui connaît un début de caramélisation. Je fais tomber dans cette compotée les feuilles ciselées grossièrement d’une branche de marjolaine et celles obtenues en frottant entre mes paumes une pousse d’origan. Je relève d’un trait de sauce Worcestershire et de quelques gouttes de Tabasco. Je monte hors du feu ma préparation avec quelques noix de beurre doux des Charentes Poitou. Je réserve le temps de passer rapidement mes bavettes sur la poêle et de finaliser l’accompagnement.

Cette garniture, ce sont des pommes allumettes précuites que je plonge dans le blanc de bœuf à 180 °C et abandonne pour cinq minutes de croustillonnage, temps que je consacre à saisir en parallèle les bavettes restées auparavant une heure à température ambiante. Je prends garde de les laisser bien saignantes à cœur.

Pendant que je dresse, disposant la viande et les frites sur les assiettes chaudes, je remets ma sauce aux échalotes à température. Je peux alors la déverser sur les bavettes. Je fais pleuvoir des feuilles de persil ciselées sur ces échalotes crémeuses et parsème les frites de fleur de sel.

bavette sauce échalotes
Tartinons la bavette


Je suis content. Mes échalotes n’ont pas vécu pour rien, elles ont fini victorieuses leur course, et tout ça pour nous régaler.

Inutile de dire qu’un rab de bonnes frites croustillantes traîne dans un plat à côté sur la table. Ben oui, on pique dedans avec les doigts, c’est ainsi que c’est bon. Il y a même aussi un petit bol de rab de sauce aux échalotes pour qu’éventuellement ces allumettes dorées y fassent trempette…

« Eh, moi dont le cœur saigne pour vous, on m’oublie ! »

Que non, que non ! Mais le thème, c’est l’échalote, il ne s’agit pas de bavasser sur la bavette. Alors tu étais tendre et goûteuse. C’est dit, tu es satisfaite ?

 

samedi 27 novembre 2021

Ma darne Sans Gin

  

Je suis tombé sur cette recette de Saumon au Gin :

Répartir le céleri branche et les quartiers de pomme de terre dans le moule, verser le bouillon et la crème dessus, ajouter les baies de genièvre, assaisonner, mélanger et recouvrir d’une feuille de papier alu.

Faire cuire env. 35 min. au milieu du four préchauffé à 220 °C. Retirer le papier alu.

Avec un couteau, faire 3 ou 4 incisions d’env. 5 mm de profondeur dans le saumon, assaisonner. Déposer le saumon sur les légumes, répartir le gin et le jus de citron par-dessus. Remettre au four pendant 10 minutes.

( site FOOBY )

Hélas - ou peut-être pas… - elle arrive trop tard. Ma darne si attendue que j’ai réussi à me procurer est déjà cuisinée, et même mangée. Ce fut donc Ma darne Sans Gin.

Une recette simple, pour ma darne sans gin : raidie par une pincée de fleur de sel avant un simple aller-retour sur une poêle bien chaude barbouillée d’huile d’olive. À la sortie, un tour de moulin de poivre rouge. Je dépose à ses côtés une salade de cresson à l’huile d’olive et jus de citron.

Et zou, Ma darne est servie !

darne de saumon, salade de cresson
Ma darne Cresson


Ma darne n’était pas arrivée seule. De grosses crevettes roses sauvages de l’Atlantique lui servaient de demoiselles de compagnie, de quoi réaliser un sympathique plateau de fruits de mer en y joignant palourdes et bigorneaux. J’ai fait cuire ces derniers en les jetant dans une eau bouillante salée à profusion que j’avais parfumée de feuilles de laurier, de grains de poivre à queue, d’une étoile de badiane et de quelques gouttes de Tabasco. Flamme baissée, ces coquillages sont restés sept minutes dans ce bouillon frémissant avant que je ne les sorte cuits à point. Une salade de haricots de mer arrosés d’une cuillerée d’huile de noix et du jus d’un quart de citron jaune est venue apporter une touche végétale. J’ai confectionné aussi une sauce cocktail pour y tremper les queues de crevettes : mayonnaise, chipotle ketchup, whisky. Je me suis cru malin en remplaçant le bourbon par un whisky fortement iodé, mais aussi fortement tourbé, et le résultat s’est révélé relativement déroutant, pas mauvais, non, mais éloigné de la rondeur habituelle de cette sauce, contaminée qu’elle était par la sauvagerie des Hébrides.

 

plateau de fruits de er
La fin des haricots (de mer)

Un seul regret : j’avais oublié de me procurer un bon pain de seigle. Nobody is perfect…

mercredi 24 novembre 2021

Retour de pompe

 

Retour de pompe en l'honneur d'un nouveau beaujolais nouveau…

En effet, suivant les années mes préférences allant soit vers le beaujolais Griottes des Domaines Chermette soit vers le beaujolais-villages Cuvée Bernard Pivot, je m’abstiens d’opérer un choix chez le caviste - « Les deux, mon marchand d’vin ! ». Je ne suis d’ailleurs pas certain que mon penchant périodique vers l’un ou l’autre corresponde à une réalité objective, car, outre l’humeur du moment, les mets avec lesquels ces vins sont servis doivent jouer un rôle essentiel, même si dans une tentative sans doute vaine de rigueur objective je procède à la dégustation préalable d’un premier verre apéritif, un verre solitaire et pour la science. Il me faudrait déposer puis ouvrir simultanément les deux bouteilles sur la table, mais je crains qu’ainsi après moult roulements de ces nectars sur mes papilles, ce ne soit moi qui roule sous la table, mes capacités bringuesques n’étant plus celles qu’elles furent jadis. Hein, quoi ? Recracher façon tasteur de vin en goguette ? Vous n’y pensez pas ! Quel gâchis… Et puis à quoi bon établir une hiérarchie, il suffit que ces deux vins nouveaux se montrent à la hauteur en endossant la robe prétexte à ces festivités annuelles. Et c’est le cas pour tous les deux.

Si hier ce furent des gougères et un saucisson lyonnais à cuire qui accompagnaient le beaujolais, aujourd’hui ce sont une pompe aux grattons et deux saint-marcellins de la mère Richard qui participent aux agapes.

Il y a un an à quelques jours près j’avais déjà réalisé une telle pompe. J’avais suivi selon mon habitude la recette figurant sur le site de Bobosse. Histoire de changer, je choisis de m’appuyer sur les recettes figurant sur le site de la Confrérie Bourbonnaise des Lechoux de la Pompe aux Gratons et celui de l’Allier-Bourbonnais.

Je mélange 500 g de farine, 10 g de sel, 100 g de saindoux et 100 g de beurre pommade. J’ajoute 3 œufs entiers et 5 g de levure de boulanger lyophilisée dissoute dans un peu d’eau. Je pétris. Comme le résultat est trop friable, j’ajoute de l’eau pour rectifier la consistance. Je boule le tout et mets pour une heure et demie dans la chambre de pousse à 28 °C.

La pâte a bien levé. J’y incorpore 100 g de grattons (en l’occurrence gratons de Lyon… ) et forme une couronne que je dépose au fond d’un moule à manqué barbouillé de saindoux. Je remets pendant deux heures dans la chambre de pousse, toujours à 28 °C.

J’enfourne à 160 °C pour quarante minutes. Je termine par cinq minutes à 180 °C pour obtenir de la coloration. Et voilà, la pompe aux grattons est prête.

pompe aux grattons
Pour un beaujolais en coup de pompe


Elle est encore tiède quand elle est servie avec quelques feuilles de salade du jardin - que l’on se rassure, c’est après une bouchée charcuto-pâtissière régénérant le palais dans ses capacités gustatives que nous portons les verres à nos lèvres…

pompe aux grattons
Pompe jouant les épouvantails

Puis arrivent les saint-marcellins. Bien que d’aucuns affirment que ces fromages ont connu une dérive vers l’industrialisation depuis le décès de la mère Richard, je dois reconnaître que ceux-ci étaient fort bons, crémeux, goûteux, bref affinés à souhait.

saint-marcellin, mère Richard
Un saint bien coulant

Pour autant le savoureux fromage ne vole pas la vedette au beaujolais nouveau. Ce n’est pas un Bernard Pivot qui se laissera mettre entre parenthèses.

Et même en fin de soirée, il restera debout, tel un point d’exclamation !

beaujolais, cuvée Bernard Pivot
Toujours jeune


vendredi 19 novembre 2021

Dans mon carnet d’rites

 

Après le rite de la bernache, un autre rite, lui aussi bachique : le beaujolais nouveau.

Cette année - ce qui n’est pas toujours le cas, car je ne suis tout de même pas un neobeaujolomaniaque obsessionnel - j’ai pensé à me procurer un saucisson à cuire lyonnais pour célébrer cette boisson qui n’a rien de divin mais où heureusement le parfum des souvenirs remplace les bouquets subtils qu’elle ne saurait exhaler.

Ce saucisson truffé et pistaché provient de la maison Sibilia. Il est arrivé avec d’autres spécialités lyonnaises dont je compte bien me régaler dans les jours qui suivent… Mais en ce jour, c’est ce beau dodu que je dépose au fond d’un sautoir où il entre tout juste et que je recouvre largement d’eau.

C’est parti pour une cuisson à frémissement d’une quarantaine de minutes.

saucisson à cuire, truffe, pistache
Lyonnais sous l'eau

Au bout de vingt minutes, ce sont des cornes de gatte du jardin - cette variété de pomme de terre que je peux baptiser ratte s’il s’agit de concocter une purée rebuchonienne, mais aussi quenelle de Lyon si, ce qui est le cas aujourd’hui, je donne dans la gastronomie de la capitale des Gaules - que je mets à cuire à l’anglaise.

Pendant ce temps, je sors le tire-bouchon du tiroir

sommelier
Sommelier méchant

et les gougères du four.

gougère
Gougères épanouies



Que la fête commence !

Au moins, cette année, il ne sent pas la banane ! Bon, ne soyons pas méchants… Ce beaujolais n’est pas désagréable, surtout avec ce coup de pied aux fesses que lui donnent les gougères. Mais hélas, ce n’est pas ce subtil vin de soif que jadis fut le beaujolais nouveau. Il faut prendre de la force pour aller jusqu’au Japon !

Fi de billevesées, il est grand temps que je sorte mes immergés de leurs eaux. Je pose le saucisson à cuire sur une planche et le partage. Un agréable mais discret fumet de truffe me monte au nez. Quant aux pommes de terre, je me contente de les égoutter. Et zou, je passe au dressage. Point de sauce superfétatoire. À la lyonnaise, avec simplement un peu de beurre doux et un tour de moulin de poivre.

saucisson lyonnais à cuire
Réunion lyonnaise autour d'une feuille

Le savoureux saucisson vole la vedette au beaujolais nouveau qui pleure des larmes de désespoir dans nos verres.

On retrouvera son cadavre vidé de son sang au petit matin. Il a été transporté à la morgue de mon appartement.

beaujolais nouveau
En  pleine jeunesse...



jeudi 18 novembre 2021

Homards... Si !

 

Félicie avait du poil aux pattes. Mes homards aussi.

homard
Une bonne paire de Manche

Félicie eut ses vapeurs. Mes homards aussi.

homard
12 minutes à toute vapeur...

Félicie devint toute rouge. Mes homards aussi.


homard
Un repli sur soi...

Elle partit pour s’allonger. Mes homards aussi.

homard
Homards ceinturés

Je lui ai cassé les pieds. À mes homards aussi.

Puis ce fut chaud bouillant.

fond de homard
Fond poil aux pattes (pédalant dans le calva)

Félicie avait une liaison. La sauce des homards aussi.

Elle me laissa une ardoise. À mes homards aussi.

homard
Homard poêlé au beurre demi-sel et sa sauce liée au corail*

* selon une recette de Patrick Cadour sur son blog Cuisine de la Mer



lundi 15 novembre 2021

Le sanglier qui voulait se faire aussi bon qu'un bœuf

 

J’avais acheté une livre de civet de sanglier sauvage taillé dans son cuissot avec l’intention de l’introduire dans la confection d’un pâté. Mais visiblement ce projet ne suscite pas l’enthousiasme.

«  En terrine ou en croûte ?

-  Bof…

-  En ajoutant quelques trompettes-de-la-mort ?

-  Bof…

-  Autant le dire, tu ne veux pas d’un pâté !

-  Ben oui, je préférerais un civet bien mijoté… »

Maintenant c’est moi qui suis réticent. Pourquoi ? Je ne le sais, mais je ne me sens absolument pas tenté en ce jour par un civet.

C’est qui le patron ?

«  Pas de civet aujourd’hui. D’ailleurs je n’ai pas le vin pour, et puis pas de cives non plus. Un civet sans cives, serait-ce un civet ? Mais d’accord, je renonce au pâté ! »

C’est bien beau, mais il va falloir maintenant que j’invente une recette…

C’est alors que le souvenir d’un mets dont je me régalais dans un petit restaurant non loin de mon travail où le cuisinier kabyle déclinait des plats simples mais bons aussi bien dans le registre bistrotier français que dans celui des spécialités de son pays, et ce pour le plus grand bonheur des employés des entreprises voisines : quand ce ragoût de bœuf aux patates sautées arrosé de jus de citron figurait parmi les plats du jour, je ne manquais pas de choisir de pousser la porte, délaissant les tables voisines comme celles de l’auvergnat moustachu chez qui le beaujolais coulait à flots, du roumain ombrageux dont la femme toujours souriante mitonnait de savoureux choux farcis, de la généreuse portugaise à deux pas de mon bureau chez qui l’on pouvait se croire en famille devant le bacalhau à Brás, du bistrot franchouillard où la serveuse ressemblait à Betty Boop et où le patron me collait une vaste serviette blanche autour du cou le jour des moules frites « Vous n’allez tout de même pas tacher votre cravate ! », du restaurant italien où opérait un authentique Napolitain, ruisselant de sueur à côté du four dans lequel, sous le regard blasé d’un chien trijambiste, il faisait virevolter de main de maestro les bûches rougeoyantes et les pizzas épanouies, ou de la gargote polonaise repaire de pochetrons, un peu plus éloignée de mon bureau - mais ses flaki bien épicées et son sombre bigos servis dans l’arrière-salle méritaient bien quelques pas supplémentaires - ou encore des brasseries proches de la gare de l’Est où je pouvais rêver que je débarquais d’Alsace, des divers établissements chinois envahissant le quartier - les copieux ou les raffinés, plus rares -, de la minuscule salle où le patron japonais (?), par je ne sais quel miracle, se rappelait mon nom qu’il ne manquait pas d’accoler à ses « arigato » en me déposant la modique addition, sans oublier les opportunités viandardes des portes de la Villette ou de Pantin… C’est dire si j’appréciais cette alliance parfaitement équilibrée de la rondeur et de l’acidité !

Mon sanglier se déguisera donc en bœuf pour la confection d’un plagiat - sans doute approximatif, car le souvenir en est lointain - de ce plat kabyle et plus qu’habile.

Je commence par faire revenir sur un trait d’huile d’olive les morceaux de sanglier assaisonnés, les faisant bien dorer sur chaque face.

sanglier
Sanglier pas sanglant

Je les retire de la cocotte pour les remplacer par une découpe en pétales de deux oignons de Roscoff que je fais tomber parsemés d’une pincée de sel en baissant la flamme.

oignons de Roscoff
Ce ne sont pas vos oignons

Puis la viande réintègre la cocotte, j’y ajoute laurier, thym, origan et sauge.

xanglier, oignons
La rencontre

J’arrose du jus d’un demi-citron et d’eau à hauteur. In memoriam : je parfume d’une pincée de ras-el-hanout, ayant une pensée pour ce cuisinier de l’ombre qui a su me régaler - et pas uniquement avec son bœuf citronné…

Je coiffe ma cocotte et laisse cuire à feu doux.

Au bout d’une vingtaine de minutes, je soulève le couvercle. Le liquide a bien réduit, mais pas encore suffisamment, et, piquant la viande, je constate qu’elle est encore trop ferme, ce qui était prévisible.

sanglier, oignons
Ce n'est qu'un début


L’idée me vient alors d’ajouter une cuillerée de miel. Je choisis un miel d’oranger de Valence, aux notes d’agrumes.

Je recoiffe et poursuis la cuisson.

Je profite de ce temps pour préparer mes pommes de terre sautées : des Victorias que j’ai taillées en paysanne et blanchies brièvement. Je termine leur cuisson à la poêle sur une cuillerée d’huile d’olive.

pommes de terre sautée
Et qu'ça saute !

Vingt nouvelles minutes se sont écoulées pour cette opération patate, je vérifie l’évolution du contenu de la cocotte. Eh bien, cette fois-ci, le résultat est là : le sanglier attendri à souhait baigne dans une sauce onctueuse bien réduite. 

sanglier
Une bonne réduction

Je goûte, hum, c’est bien bon, mais il ne s’agit pas de me livrer à des agapes prématurées, non, j’agis pour la bonne cause : je rectifie l’assaisonnement : une pincée de sel, et c’est parfait. Et, pendant que j’y suis, n’oublions pas de faire tomber une petite pluie de fleur de sel sur les pommes de terre avant de les déverser dans la cocotte. J’arrose le tout du jus d’un citron, plus celui du demi-citron qui restait.

J’ai ciselé un petit bouquet de persil, la découpe repose sur une coupelle. J’en déverse les deux tiers dans la cocotte. 

sanglier, pommes de terre, citron
Un avant-goût


Il reste encore une bonne demi-heure avant de passer à table. Ça tombe bien, car j’ai l’intention de laisser les parfums s’entremêler dans une bienveillante osmose. Je recoiffe donc, et attends…

À table ! Je rallume la flamme sous la cocotte bien connue. Quand le contenu recommence à bloublouter, je laisse encore cinq minutes, à couvert afin que les pommes de terre se réchauffent bien.

C’est prêt ! Je fais tomber le reste de persil qui apportera la touche verte en accord avec la fraîcheur du plat que sa teinte dominante ne permet pas de présager.

sanglier, pommes de terre, citron
La cocotte ultime


«  Mais c’est que c’est très bon :

-   N’est-ce pas ? Toutefois je ne cracherais pas non plus sur une part de pâté au sanglier… »


Ai-je retrouvé la saveur de mes souvenirs ? Bien sûr que non, ne serait-ce qu’en raison de la note nettement giboyeuse qu’apporte ce sauvage des Vosges. Qu’importe. Le plaisir est identique.

Mais non, je ne renouvellerai pas mon mauvais jeu de mots en affirmant que j’ai été plus qu’habile !