J'ouvre la barquette où des morceaux de biche enfilés sur une pique baignent dans une marinade à la truffe qui dégage d'appétissants parfums.
Biche des forêts vosgiennes |
Je me demande bien pourquoi ces brochettes se présentent par trois… À qui ce trio s’adresse-t-il ?
Pas à la marquise qui a accueilli les chasseurs, car ils sont quatre-vingt à s’attabler en son château riche en gibiers. Aux trois mousquetaires, certes non, car l’on sait bien qu’ils sont quatre. Encore moins aux trois grâces : elles s’imposent un régime draconien. Peut-être à monsieur, madame et son amant, à moins que ce ne soit à madame, monsieur et sa maîtresse, ou pire si affinités… Je n’ose croire à une telle perversité ! Je préfère imaginer que le couple bienveillant accueille Tatie Danielle, quitte à ce qu’elle recrache sa bouchée en même temps que son venin. Autre hypothèse : un ado du foyer est le destinataire supposé de la tierce portion, mais je crains que cette apparition cynégétique ne fasse courir le sauvageon vers le Mac Do le plus proche pour s’y réfugier. Ou bien le conditionneur suppose-t-il tout simplement qu’un mâle goinfre est acoquiné avec une femelle chipoteuse ? Quel abominable sexisme hors d’âge !
Mais qu’importe… Je ferai avec, et biche, ma biche, tu finiras sur le gril, maquillée de ta marinade à la truffe d’été. Mais avant je te réserve des Noirmoutrines de compagnie.
Je gratte ces pommes de terre nouvelles afin d’éviter des lambeaux de peau crameurs et les recouvre d’eau au fond d’un sautoir. Une bonne pincée de sel d’une île voisine, une grosse noix de beurre du continent proche, la flamme d’un gaz de je ne sais où, et après une petite demi-heure, l’eau s’étant évaporée, les tubercules commencent à blondir. Il est temps de déposer les brochettes de biche vosgiennes ointes par l’huile d’olive de leur marinade sur la fonte brûlante.
Sur le gril |
Deux ou trois minutes sur chaque face, et la viande me semble cuite selon mon souhait : saignante à cœur.
Je parsème les pommes de terre nouvelles de l’île de Noirmoutier d’une persillade mélangeant persil du jardin et ail fumé d’Arleux finement ciselés et donne un tour de moulin de poivre rouge.
Je dresse deux assiettes. Ben oui, il y en a une qui comporte deux brochettes…
Avant le partage |
…et l’autre une seule.
Mais que l’on se rassure, une fois à table, j’ai rétabli l’égalitarisme par un partage et un transfert bienvenus. Que je regrette d’ailleurs, car c’était fichtrement bon. La viande d’une remarquable tendreté offrait de délicates fragrances de gibier, et les légumes intercalés à la présence discrète étaient d’une qualité inespérée : tomates cerises de couleur orange ou rouge aussi goûteuses l'une que l'autre, découpes de poivrons bien mûrs, sans oublier l’opportune note de sucrosité apportée par les pruneaux.
Alors la dégustation d'un couple de brochette n’aurait rien eu de rédhibitoire pour moi… On admirera donc mon esprit de sacrifice !
M’sieur Nemrod, ne pourriez-vous pas compter jusqu’à quatre ?