mardi 2 février 2021

Un bon cou

Je m’étais habitué à sa présence. Chaque fois que j’ouvrais le placard armé de mon ouvre-boîte sacrificiel afin de pallier ma paresse culinaire du jour, je le voyais, engoncé dans sa livrée noire, sa tête chenue toisant les boîtes de flageolets et de sardines avec le mépris d’un majordome envers les bonniches et les palefreniers.

Je n’allais tout de même pas l’immoler sur mon autel gourmand sans autre forme de procès… D’autant plus qu’il avait des excuses pour son attitude hautaine : c’était un cou d’oie farci, donc rien d’étonnant à ce qu’il se montât le col.


Hélas tout a une fin. Il y a quelques jours, faisant une tournée d’inspection, je me suis aperçu qu’il était arrivé chez moi en 2016. Alors je me suis tourné vers lui :

« Mon pauvre, et crois bien que c’est aussi difficile pour moi que pour toi, mais il va falloir mettre fin à ton CDI, C’est pour ton bien, je dois me séparer de toi avant que tu sois périmé. Tu ne veux tout de même pas finir à la rue, dans une poubelle ? Ah, j’allais oublier, on fera un pot pour ton départ ! »


La main tremblante, je l’ai décoiffé. Il suait la graisse à grosses gouttes et sa peau se hérissait d’effroi. Il gémit « J’ai les foies… » quand je l’ai étendu sur la poêle. « Mais non, un seul, et encore pas entier… En revanche voici une douzaine des rattes qui vont te tenir compagnie. ». J’ai omis de lui parler des deux gousses d’ail. Tel que je le connaissais, je craignais fort qu’il n’aimât point les gousses…

Il se tut et se dora.

cou d'oie faci
Y en avoir beau cou !

Quelques minutes plus tard, sur la planche, il paraissait plus grand mort que vivant. Je l’ai découpé en tranches.

J’ai tenu ma promesse. J’ai ouvert une bouteille. Un cahors. En hommage à sa périgornitude.

Une page est tournée… Mais qu'il est dur parfois d'être gestionnaire des ressources placardières !

dimanche 31 janvier 2021

Salut, c'est pour un sondage !

Salut, c'est pour un sondage!


« Que pensez-vous de la nouvelle sonde de chez Mastrad, la Meat'it + ?



-  Eh bien, à vrai dire, ce n’est pas moi qui l’ai achetée… En fait, elle m’a été offerte par une bonne âme vraisemblablement lassée de m’entendre grommeler que ma sonde était excessivement longue, qu’une fois plantée dans un pâté ou une volaille, elle dépassait trop pour pouvoir entrer dans le four, bref que j’en avais ras le bol - Monsieur Matfer, vous ne pouvez pas les faire un peu plus courtes.


Alors c’est vrai, la Meat'it, elle trouve facilement sa place dans mon four, presque rien ne dépasse…

Pour sa première utilisation, je l’ai testée sur un rôti de rumsteck plutôt dodu. Las, il était gâché par la présence d’une barde de porc, ces bouchers sont incorrigibles. Mais ceci est une autre histoire…

Je me suis emparé d’une poêle en acier et j’ai fait dorer ma pièce de bœuf assaisonnée sur un trait d’huile d’arachide enrichie d’une noisette de beurre. Puis j’ai ajouté une garniture aromatique composée d’oignon et de carotte, ainsi qu’une échalote coupée en deux, sans oublier la feuille de laurier et le poivre long. 

Meat'it +
L'ai je bien pénétré ?

J’ai ajouté aussi un demi-verre d’eau afin d’éviter une carbonisation prématurée et que la viande baigne dans une atmosphère humide.

Bon, après... Ben voilà. Le moment fatidique est arrivé. J’enfonce mon arme ma sonde jusqu’à la garde. Première remarque : autant le fin fleuret de Matfer pénètre sans problème, autant le braquemart de Mastrad a du mal à faire son trou. Heureusement que la viande est tendre ! Je crains aussi une vilaine cicatrice…

J’enfourne à 150 °C, pour une cuisson plutôt lente. Les ondes vont-elles réussir à franchir les murs d’acier du four, car il n’y a même pas une paroi vitrée ? Je regarde mon IPhone. Oui ça marche !

Je ne suis pas très porté sur les applications qui nous rendent esclaves de ces smartphones . Et puis, bon à tout, bon à rien, mais force m’est de reconnaître que cette gestion de cuisson est plutôt ludique. Après avoir informé Monsieur Meat’it que la viande était dans un four, qu’il s’agissait de bœuf et plus précisément de rumsteck, que j’aimais une viande bleue, cet aimable assistant m’informe que le différentiel de températures entre le cœur et la surface de la pièce témoigne d’une cuisson lente mais néanmoins convenable et m’invite à prévoir une sortie du four dans, eh ben dans combien de minutes...?Je ne m’en souviens pas aujourd'hui… En tout cas c’était fort précis, et cette donnée ne fluctuait guère pendant toute la cuisson.

Je poursuis... Le téléphone sonne. C’est Monsieur Meat’it qui m’appelle : le rôti devra être sorti du four dans cinq minutes. Il est temps de revenir aux relations humaines. Je hèle ma compagne : « Le rôti va être prêt, magne-toi les fesses pour mettre la table ! ». Enfin c’était formulé en termes plus courtois - on n’est pas des sauvages ! - mais le sens général est bien là…

Je pose mon rôti sur la planche de découpe en bois. Il va reposer le temps que je prépare ma sauce.

Je déglace la poêle avec un fond de veau et du porto. J’ajoute un trait de Worcestershire Sauce, une petite cuillerée de mélasse de grenade. Je fais réduire.

rôti, sauce, Meat'it +
Sauce qui peut !

Une fois la consistance un peu sirupeuse obtenue, j’épice de plusieurs tours de moulin de poivre rouge de Kampot et vanne avec une noisette de beurre. Je verse à travers un chinois dans une saucière réchauffée dans le four encore tiède.

Quoi, m’sieur l’enquêteur, vous vous impatientez ?

Calmos, mon pote, je reviens au résultat obtenu avec la sonde Meat’it. Tout d’abord, j’ai encore plus de mal de mal à extraire la sonde qu’à l’enfoncer ! Il me faut jouer les Arthur pour délivrer cette Excalibur de son carcan viandeux… D’autant plus qu’elle est encore bien chaude et que le crochet d’extraction offre une efficacité douteuse.

Ouf, c’est chose faite ! Je me livre au tranchage. Le résultat n’est pas si mal que ça, la viande est restée plutôt saignante tout en étant chaude à cœur. Bon, pour ma part, je préfère un contraste marqué entre la superficie et le cœur, peut-être aurais-je dû pour ce faire opter pour une température de four plus forte…

sonde meat'it +
Pas de raison de me faire du mauvais sang pour cette sonde

Au moment de la dégustation je trouve que…

-  Ouais, ouais, j’m’impatiente. Est-ce que je vais enfin pouvoir poser ma question pour le sondage ?

-  OK, j'écoute.

-  J'vous la lis :

Vous êtes satisfait de votre sonde Meat’it + : pas du tout, un peu, très, entièrement, ne sait pas.

-  Ne sait pas. 

-  Oh, dur, dur !!!


samedi 30 janvier 2021

Pan sur la truffe et bonne raclette

Une truffe est sortie prendre l’air. Fâcheuse initiative… Je me suis emparé de mes fusilli et pan sur la truffe.

Voici le résultat :

fusilli aux truffes
Le mur des fusilli

Ma cible était atteinte, le parfum de la truffe fraîche s’alliait à merveille avec les senteurs céréalières des rustiques pâtes au blé tendre confectionnées par un agriculteur du village poitevin où je villégiature en belles saisons. Une onctueuse crème épaisse imprégnée de toutes ces aguichantes odeurs en plus de ses propres flaveurs lactiques apportait de la rondeur.

La dernière page de mon chapitre « truffe fraîche » annuel était tournée…


Le surlendemain, j’ai droit à une bonne raclette. Tout ça à cause d’un bison…

Ce bison, qui avait brouté l’herbe tendre des monts auvergnats, se trouva fort sec quad l’hiver fut venu. Il ne trouva pas mieux que venir squatter mon appartement. Je n’étais pas d’humeur à tolérer ce sans-gêne plus longtemps ! Il y a des dates limites à tout…

Il dut sortir de sa cache encadré de quatre gendarmes alsaciens qui se firent un plaisir de le houspiller.

raclette, bison séché, gendarme
Planche de contact

« Bauvre kredin ! Ton sort est pon…

-  Mais moi avoir rien fait

-  Il n’y a bas de fumée sans feu, nous sommes pien blacés pour le savoir.

-  Tout ça parc’que moi être auvergnat d’origine sioux…

-  Arrête tes jérémiades avant que la moutarde ne nous monte au nez ! »

J’interrompis ce dialogue débile. Quelle suite à donner ?

Un gendarme vint à mon secours :

« Ce bison mérite une bonne raclette ! »

Décidément, je faisais la tournée des montagnes. Après le Massif Central et les Vosges, c’étaient les Alpes qui étaient convoquées dans ma cuisine…


C’est ainsi que je me vois en train d’enficher sur mon appareil adéquat une belle part de raclette au lait cru achetée chez un maître affineur tenant un stand au marché à côté des halles locales.

Les résistances rougissent, le fromage fond.

raclette
Janvier rouge

Il ne reste plus qu’à le racler (étonnant, non ?) pour faire tomber l’écoulement dans la petite assiette qui sert de réceptacle provisoire avant de le transférer sur des rattes dépouillées de leur robe des champs tout à côté de la charcuterie d’appoint. Tout ça avec un enchevêtrement de fils à l’élasticité infinie propre à donner des cauchemars à un poseur de fibres optiques… Pour ma part, Alexandre de ma salle à manger, je tranche ce nœud neogordien de la large lame qui complète ainsi son office.

Nous alternons joyeusement pomme de terre, fromage, bison, gendarme et vin blanc, pressés par le réchauffement fromagique.

raclette
Où est passé le cornichon ?


Nos ventres sont repus, et nous ne pouvons que constater qu’en dépit de notre énergie carnivore le bison séché n’est pas encore une espèce en voie de disparition. Le gendarme non plus d’ailleurs…

Quant à la fonte, elle se voit interrompue par un débranchement sournois qui laisse l’appareil résistance bée.

Il y a du restockage dans l’air…


vendredi 29 janvier 2021

Où l'on voit le Brexit entraîner le Frigxit

Le matin du 25 janvier, j’ai reçu ce message.


Hélas, ce Burns Day que j’aurais bien aimé fêter avec un savoureux haggis sur ma table, j’en ai été privé.

Non pas tant à cause d’un virus qui ne dérange Robert Burns pas plus que ça…



Mais en raison du Brexit. En effet mon fournisseur en produit écossais - celui qui précisément m’a adressé ces vœux festifs bien intentionnés mais maladroits - ne peut plus livrer en France dans les conditions actuelles de passage en douane.

J’étais fort dépité jusqu’à ce qu’il me vienne une idée. Je me suis souvenu que lors de ma dernière livraison écossaise j’avais congelé un lot de tranches de cette saucisse carrée composée d’agneau, de bœuf et de biscotte écrasée, la lorne sausage.

Je répliquerai au Brexit par un Frigxit !

Sitôt pensé, sitôt fait : je sors mon substitut de haggis de la torpeur glaciale où il se trouve depuis un peu plus d’un trimestre et le mets à décongeler.

Le soir j’épluche quelques carottes et navets arrachés de leur terre natale l’après-midi même.

Je les cuis à l’anglaise en fredonnant :

Au vingt et cinq du mois d’Janvier

Nous vîmes venir pour la goûter

Une saucisse des Highlands.

..................

Buvons un coup, buvons en deux

À la santé des amoureux

À la santé du Roi de France,

Et merde pour Johnson d’Angleterre,

Qui nous a déclaré la guerre.

Je m’empare du potato masher et obtiens deux écrasés que je réserve au bain-marie.

Mes tranches de saucisse carrée viennent se dorer sur une noix de saindoux dans la poêle rectangulaire habituellement réservée à la cuisson des poissons mais dont la forme me semble particulièrement adaptée pour cette charcuterie anguleuse.

Dune dizaine de minutes plus tard, je puis apporter sur la table mes assiettes (rectangulaires, of curse....) de Burns Night de fortune.

Burns night, haggis,  lorne sausage
Mal haggis profite parfois...

Je ne suis pas vraiment happy, mon cher haggis me manque, mais c’est mieux que rien.

Encore un verre de la bouteille de whisky qui trône sur la table, et le bonheur sera sur la nappe…

Vive l'Ecosse libre !



dimanche 24 janvier 2021

Ejusdem farinae

Une heureuse coïncidence a fait que le même jour arrivèrent dans ma cuisine deux soles achetées à un poissonnier des halles locales et dans ma boîte aux lettres le n° 1 de la nouvelle revue Embruns publiée par les excellentes éditions Menu Fretin.



Un article joignant l’érudition et l’humour tombait à pic, si j’ose dire. Intitulé La sole meunière nous roule-t-elle dans la farine ? il se concluait par ce petit paragraphe :

À la meunière pourrait donc être une appellation qui fasse référence au moulin — qui donna son nom à un petit poisson frayant dans ses eaux — ou à la meunière célébrée pour ses petits poissons frits au persil, tout autant qu’au bref passage du poisson dans la farine…

Le poisson, c’est le meunier à la chair blanche qui se plait aux alentours des moulins à eau.

Eau forte - Albert Flamen - Petit Palais

La meunière, c’est une belle jeune femme qui à la fin du dix-neuvième siècle servait sur les bords de Seine « d’imposantes fritures de gougeons qui s’élevaient en coupole d’or ; sous leur couronne de persil… » comme en témoigne l’écrivain et chroniqueur gastronomique Jean-Camille Fulbert-Dumonteil cité par l’auteur de l’article, Laurent Seminel.


Mais après la lecture il faut passer à l’acte. Et là, ça tombe encore plus à pic : dans la revue se trouve aussi la recette de sole au plat façon meunière d’Olivier Nasti. Recette que je possédais déjà par le biais de l'ouvrage Comment faire la cuisine ? du même chef, mais que je n’aurais pas eu l’idée d’aller rechercher dans ma bibliothèque - même si ce livre, quant à lui, y a été retrouvé facilement contrairement à certains…

Je me mets donc à l’œuvre, respectant la recette à la lettre, à l’exception des temps de cuisson que je diminue car mes soles sont d’un poids inférieur à celle traitée par Olivier Nasti. Je change aussi la garniture, faisant revenir doucement mes pommes de terre à l’anglaise à couvert dans du beurre sur une petite flamme afin d’obtenir des pommes fondantes à la peau croustillante.

Je commence par habiller méticuleusement mes soles, ce qui me change de ma cuisson meunière habituelle où je me contente d’enlever la peau sombre. C’est plus gastro, mais je regrette de me priver des joues et déplore la perte de têtes dont je ne fais rien, n’ayant pas l’usage d’un fond que je pourrais en tirer… Je pose mes soles bien enfarinées - mais sans excès - sur une poêle bien chaude barbouillée d’un trait d‘huile d’arachide.

Après 4 minutes de cuisson, je retourne la sole et y dépose quelques noix de beurre. J’enfourne pour à peine 4 minutes au four à 180 °C, avec un intermède où j’extraie la poêle pour arroser les soles de beurre des deux côtés.

Je sors la poêle, je vérifie la cuisson avec la pointe d’un couteau. C’est parfait, je peux allonger les soles sur les assiettes. Je presse un demi citron et verse le jus dans la poêle. Je laisse réduire à gros bouillons quelques secondes, puis arrose les poissons de ce beurre acidulé. En même temps je découvre les pommes de terre et hausse la flamme pour une ultime saisie.

Je parsème du persil que je viens de hacher.

Je pose les pommes fondantes à côté du poisson, fais tomber une pincée de fleur de sel. Je me dépêche d’apporter les assiettes sur la table. Je ne me fais pas de souci : aller sur les pas d’Olivier Nasti ne peut mener qu’à la réussite.

sole meunière, Olivier Nasti, Menu Fretin
Meunière, tu dors...

Et c’est bien le cas !


mardi 19 janvier 2021

Débrouille pour les oeufs brouillés

 Je baissai la tête et passai à la cuisine, où je me mis à touiller des œufs brouillés au bain-marie, la boîte de truffes à portée de la main, opération d’une longueur désespérante dès qu’un amateur se pique de la conduire et de la réussir selon les règles. Mais on obtient du moins une crème merveilleuse, et non un ramassis de grumeaux qui sentent l’omelette ratée.

 Hubert Monteilhet- Le Procès Filippi


L’écrivain Hubert Monteilhet ne se contente pas de traiter la langue française avec une élégance rare, il manie tout aussi brillamment la fourchette que la plume, que ce soit à table ou devant un fourneau. On ne s’étonnera donc point que ce fin gourmet n’ait pas manqué une occasion de recadrer les goujats qui torchonnent les œufs brouillés dans une précipitation paresseuse.

L’extrait précédent de son roman Le Procès Filippi en fournit un témoignage, mais il me souvient aussi d’une leçon encore plus détaillée fournie au lecteur d’une autre de ses œuvres, La Part des anges. Malheureusement je n’ai pas pu retrouver ce livre dans le capharnaüm de ma bibliothèque. Que l’on ne me jette cependant pas la pierre devant cet échec qui prive mon sujet d’une prose infiniment plus pertinente que la mienne… Capharnaüm, le terme est excessif, il existe pourtant un semblant de classement, et même un fichier des ouvrages qui se cachent (d’ailleurs parfois avec succès, semble-t-il) sur mes étagères. Mais qui serait en mesure de m’indiquer le classement parfait ? Par auteur ? Par éditeur ? Par date d’arrivée ? Par thème, mais alors selon quels critères ? Par format - eh oui, il faut faire un compromis avec cette contrainte si l’on ne veut (ou ne peut) pas trop perdre de place ? Sans doute même pas un bibliothécaire de profession…

Pour revenir à mes œufs, il y a quelques jours, alors qu’ils n’étaient pas encore brouillés ni même sortis du cul de la poule, j’avais visionné sur le site de l’INA une émission d’Apostrophes du 30/03/1990 intitulée L’Estomac dans les talents où Bernard Pivot avait invité Hubert Monteilhet précisément à l’occasion de l'arrivée en librairie de ce roman aux effluves cognaçaises. Entre deux critiques acerbes dénonçant l'évolution malbouffière et la complaisance de certains critiques gastronomiques, notre auteur y avait déploré cette course à la vitesse qui implique que désormais les chefs sortent en deux coups de cuillère fourchette à pot des œufs brouillés grumeleux de leur casserole posée sur le feu. Et de prôner une fois de plus la cuisson au bain-marie, d’une lenteur exaspérante, mais gage de réussite…

Aussi, quand j’ai voulu incorporer quelques truffes (que l’on se rassure, deux petites seulement, soit environ 50 g) au sein d’œufs brouillés, je me suis senti obligé d’abandonner ma méthode habituelle qui consistait à imposer à mon ustensile des va-et-vient entre la flamme et le froid de la plaque éteinte avoisinante.


Je vous salue, bain-marie ! Pour ce, j’emplis d’eau - pas trop quand même, il me faut éviter le débordement - une casserole adaptée à la taille de la petite sauteuse envasée en inox où coaguleront les œufs. Je pose au fond de la sauteuse un gros morceau de beurre, le quart d’une plaquette de 250 g. Dans une bassine je casse les quatre œufs qui ont séjourné dans le même bocal que les truffes. J’ajoute deux autres œufs. Je sale, donne un tour de moulin de poivre. Je bats grossièrement au fouet, évitant toute mousse.

Si j’étais pointilleux, je tamiserais le mélange afin de le débarrasser des germes, comme le conseille Madame Saint-Ange - éminente référence dont Monteilhet fait aussi l’éloge. Mais je verse directement dans la sauteuse. Ben oui, j’avoue ce laxisme, nobody is perfect

Je pose le récipient sur la casserole où il baigne dans l’eau frémissante. Et je touille. Et je retouille, raclant bien les bords. Malheur ! L’eau déborde, j’ai laissé la chauffante s’emballer… Je baisse la flamme en urgence. Je touille. Je touille encore. Ça commence à épaissir. Je touille, je touille encore et encore…

Les œufs sont devenus crémeux à souhait. Je m’empresse de déposer la sauteuse hors de la chaleur.

oeufs brouillés
Une brouille durable



J’avais pelé les truffes, extrait à la mandoline quelques tranches et réduit en brunoise les pelures avec le restant de chair. Je verse le hachis dans les œufs brouillés. Je touille pour incorporer et replace la sauteuse une minute sur la chauffante afin de remettre en température.

Je m’empresse de dresser deux assiettes aussitôt.

oeufs brouillés à la truffe
Encore des truffes !



Ma conjointe et féroce critique culinaire à domicile m’affirme que cette assiette est encore meilleure que sa sœur de 2019 et loue sa texture - « encore plus crémeuse », se réjouit-elle.

Je ne mérite pas d’éloges. Ils doivent être adressés à Hubert Montheilet qui m’a ramené sur le droit chemin de la vertu culinaire.

Enfin, une vertu de deux sous seulement…



Et pour conclure sur le sujet des œufs brouillés, quoi de mieux que de visionner le triptyque de Jamie Oliver :








vendredi 15 janvier 2021

Qu'est-ce que je suis truffe !

 — Pour entremets, je voulais vous offrir des truffes à la Lucullus en surprise… mais vous avez déjà beaucoup de truffes.

— Ça ne fait rien, ça ne fait rien !… 

E. Labiche, la Poudre aux yeux,


Encore de la truffe !

Et cette fois-ci, de la truffe fraîche. Cette année le cours de ce diamant noir est exceptionnellement bas en raison de la fermeture des restaurants. Aussi pourquoi ne pas en profiter ?

Aujourd’hui j’inscrirai donc au menu :


QUEUE DE LOTTE TERRE MER SUR SON RISOTTO À LA TRUFFE


Je commence par finir de parer une queue de lotte d’environ 800 g dépouillée (enfin, presque…) par le poissonnier. J’en lève les filets que je partage en deux. Je réserve ces morceaux arrosés du jus d’un demi citron vert dans un bac.

Je verse les parures et l’arête centrale concassée dans une petite casserole, y ajoutant un petit oignon et une minicarotte hachés grossièrement ainsi qu’une queue de persil.

Je dispose d’un morceau de lard paysan alsacien de la maison Herrscher.

lard paysan, Alsace
Lard et la manière


J’en prélève un parallélépipède que je détaille en tranches fines. L’entame et la couenne rejoignent les parures de lotte dans la petite casserole. Je pose sur un feu vif et, une fois le contenu saisi, j’ajoute une noisette de beurre, recouvre de deux verres d’eau et d’une cuillerée de balsamique blanc de Modène. Je parfume d’une feuille de laurier et six baies de piment de la Jamaïque. Je laisse réduire à feu moyen. J’arrêterai quand j’aurai obtenu un jus sirupeux.

Je place la moitié d’une truffe sur une planche. 

truffe fraîche
Bois à truffe

Elle pèse environ 40 grammes. Je la pèle, puis en extrait six tranches fines. Je hache finement les pelures et un peu plus grossièrement le reste de la truffe. Je réserve.


Je passe à la réalisation du risotto.

À l’aide de sachets Ariaké je prépare 60 cl de bouillon de volaille.

Je râpe un cube de parmigiano reggiano d’environ 3 cm de côté et réserve dans une soucoupe.

Je cisèle grossièrement un oignon doux des Cévennes.

Dans une sauteuse évasée en cuivre doublé d’inox je fais fondre une grosse noix de beurre aux cristaux de sel de la marque Elle et Vire. J’y fais suer l’oignon et nacrer le riz.

Il s’agit d’un riz vialone nano provenant de la Principauté de Lucedio en Lombardie.


Quand il est bien nacré, je verse un verre de vin blanc sec - en l’occurrence un Pauliteiros portugais dont une bouteille entamée et mise sous vide traînait au réfrigérateur - qui est rapidement absorbé. C’est ensuite le tour de louchées de bouillon de volaille entrecoupées de brassages énergiques à l’aide de la cuillère adéquate. Après un quart d’heure de ce manège, je goûte. Le riz manque un peu de cuisson, c’est ce que je veux, car je réserve ce risotto inachevé pour en reprendre la cuisson au dernier moment, juste avant le dressage.

risotto, vialone nano
Risotto de réserve


La petite casserole a terminé sa réduction. 

Il est temps de retourner vers la lotte. 

Je l’assaisonne de sel fin et d’un tour de moulin de poivre blanc de Muntok. Je fais subir à ces morceaux un aller-retour sur une poêle dans un bain de beurre doux de Surgères virant au beurre noisette. Je retire la poêle du feu et l’enfourne à 70 °C. 

Elle y restera pendant que je termine la préparation du risotto.

Deux louchées de bouillon de plus, cinq minutes sont passées, je goûte : le riz est à point, légèrement al dente à cœur. J’écarte donc la sauteuse de la flamme. J’incorpore progressivement - mais avec vigueur - le quart d’une plaquette de beurre doux, toujours du Surgères. Je finis de monter ce risotto avec le parmesan râpé. Je termine en incorporant le hachis de truffe. Hum, pendant ce temps mon risotto a refroidi, je le dépose quelques instants sur la flamme tout en le remuant afin de le remettre à température sans le dessécher…

Allez, zou, dressage...

Je m’empare des assiettes et transfère le risotto au centre de chacune d’elles à l’aide d’un gros pochon. J’aplatis délicatement avec une cuillère. Je sors la poêle du four et dépose la lotte sur ce risotto. Au fond de l’ustensile reste le beurre mélangé avec l’eau exsudée par le poisson. Je place la poêle sur un feu vif et y allonge mes fines tranches de lard. Le jus réduit et le lard subit une légère cuisson. Deux minutes plus tard, une pince me permet de déposer les découpes de lard paysan alsacien autour du risotto lombardo-périgourdin supportant la lotte bretonne…

Le jus terre mer de la petite casserole est versé sur les morceaux de lotte, filtré dans une passette.

Quant à celui restant dans la poêle, il va former un cordon littoral baignant l’île risotto. J’y fais flotter quelques parcelles de persil tombées d’entre mon pouce et mon index.

Horreur ! J’allais oublier mes tranches de truffe ! Je m’empresse de les appuyer sur les virginales dépouilles de la bête…

Allez, vite, à table !!!!

risotto, truffe, lotte, lard, terre mer
QUEUE DE LOTTE TERRE MER SUR SON RISOTTO À LA TRUFFE



Eh bien, de la truffe, certes. Mais pas que de la truffe… L’oignon doux des Cévennes fonctionne particulièrement bien dans le risotto, apportant son délicat parfum et une note sucrée. Le lard paysan tire aussi son épingle du jeu en conférant un évanescent goût de fumée qui trouve bien sa place dans le plat. Les textures ne sont pas en reste, le risotto bien crémeux enrobe le léger croquant de la truffe et le lard fournit de la mâche.

Bref, je suis satisfait. Au prikélatruff fopaslouper, même stannée. fallait point s’vautrer!

Kikadi k’jétais une truffe ?