mardi 19 janvier 2021

Débrouille pour les oeufs brouillés

 Je baissai la tête et passai à la cuisine, où je me mis à touiller des œufs brouillés au bain-marie, la boîte de truffes à portée de la main, opération d’une longueur désespérante dès qu’un amateur se pique de la conduire et de la réussir selon les règles. Mais on obtient du moins une crème merveilleuse, et non un ramassis de grumeaux qui sentent l’omelette ratée.

 Hubert Monteilhet- Le Procès Filippi


L’écrivain Hubert Monteilhet ne se contente pas de traiter la langue française avec une élégance rare, il manie tout aussi brillamment la fourchette que la plume, que ce soit à table ou devant un fourneau. On ne s’étonnera donc point que ce fin gourmet n’ait pas manqué une occasion de recadrer les goujats qui torchonnent les œufs brouillés dans une précipitation paresseuse.

L’extrait précédent de son roman Le Procès Filippi en fournit un témoignage, mais il me souvient aussi d’une leçon encore plus détaillée fournie au lecteur d’une autre de ses œuvres, La Part des anges. Malheureusement je n’ai pas pu retrouver ce livre dans le capharnaüm de ma bibliothèque. Que l’on ne me jette cependant pas la pierre devant cet échec qui prive mon sujet d’une prose infiniment plus pertinente que la mienne… Capharnaüm, le terme est excessif, il existe pourtant un semblant de classement, et même un fichier des ouvrages qui se cachent (d’ailleurs parfois avec succès, semble-t-il) sur mes étagères. Mais qui serait en mesure de m’indiquer le classement parfait ? Par auteur ? Par éditeur ? Par date d’arrivée ? Par thème, mais alors selon quels critères ? Par format - eh oui, il faut faire un compromis avec cette contrainte si l’on ne veut (ou ne peut) pas trop perdre de place ? Sans doute même pas un bibliothécaire de profession…

Pour revenir à mes œufs, il y a quelques jours, alors qu’ils n’étaient pas encore brouillés ni même sortis du cul de la poule, j’avais visionné sur le site de l’INA une émission d’Apostrophes du 30/03/1990 intitulée L’Estomac dans les talents où Bernard Pivot avait invité Hubert Monteilhet précisément à l’occasion de l'arrivée en librairie de ce roman aux effluves cognaçaises. Entre deux critiques acerbes dénonçant l'évolution malbouffière et la complaisance de certains critiques gastronomiques, notre auteur y avait déploré cette course à la vitesse qui implique que désormais les chefs sortent en deux coups de cuillère fourchette à pot des œufs brouillés grumeleux de leur casserole posée sur le feu. Et de prôner une fois de plus la cuisson au bain-marie, d’une lenteur exaspérante, mais gage de réussite…

Aussi, quand j’ai voulu incorporer quelques truffes (que l’on se rassure, deux petites seulement, soit environ 50 g) au sein d’œufs brouillés, je me suis senti obligé d’abandonner ma méthode habituelle qui consistait à imposer à mon ustensile des va-et-vient entre la flamme et le froid de la plaque éteinte avoisinante.


Je vous salue, bain-marie ! Pour ce, j’emplis d’eau - pas trop quand même, il me faut éviter le débordement - une casserole adaptée à la taille de la petite sauteuse envasée en inox où coaguleront les œufs. Je pose au fond de la sauteuse un gros morceau de beurre, le quart d’une plaquette de 250 g. Dans une bassine je casse les quatre œufs qui ont séjourné dans le même bocal que les truffes. J’ajoute deux autres œufs. Je sale, donne un tour de moulin de poivre. Je bats grossièrement au fouet, évitant toute mousse.

Si j’étais pointilleux, je tamiserais le mélange afin de le débarrasser des germes, comme le conseille Madame Saint-Ange - éminente référence dont Monteilhet fait aussi l’éloge. Mais je verse directement dans la sauteuse. Ben oui, j’avoue ce laxisme, nobody is perfect

Je pose le récipient sur la casserole où il baigne dans l’eau frémissante. Et je touille. Et je retouille, raclant bien les bords. Malheur ! L’eau déborde, j’ai laissé la chauffante s’emballer… Je baisse la flamme en urgence. Je touille. Je touille encore. Ça commence à épaissir. Je touille, je touille encore et encore…

Les œufs sont devenus crémeux à souhait. Je m’empresse de déposer la sauteuse hors de la chaleur.

oeufs brouillés
Une brouille durable



J’avais pelé les truffes, extrait à la mandoline quelques tranches et réduit en brunoise les pelures avec le restant de chair. Je verse le hachis dans les œufs brouillés. Je touille pour incorporer et replace la sauteuse une minute sur la chauffante afin de remettre en température.

Je m’empresse de dresser deux assiettes aussitôt.

oeufs brouillés à la truffe
Encore des truffes !



Ma conjointe et féroce critique culinaire à domicile m’affirme que cette assiette est encore meilleure que sa sœur de 2019 et loue sa texture - « encore plus crémeuse », se réjouit-elle.

Je ne mérite pas d’éloges. Ils doivent être adressés à Hubert Montheilet qui m’a ramené sur le droit chemin de la vertu culinaire.

Enfin, une vertu de deux sous seulement…



Et pour conclure sur le sujet des œufs brouillés, quoi de mieux que de visionner le triptyque de Jamie Oliver :








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