dimanche 19 juillet 2020

J'ai perdu le fil

Comment avoir le beurre et l‘argent du beurre ? Eh bien voilà....

Le beurre, il vient du jardin : une récolte de haricots beurre, de la variété Maxidor pour être précis.
Et d’argent pour acheter du beurre, je n’en ai pas besoin..
En effet c’est dans une cuillerée d’huile de noix venue du Poitou versée au fond d’une poêle que je réchauffe à feu moyen ces haricots que j’ai blanchis six minutes dans l’eau bouillante salée avant de les réserver.

Chasse-beurre


Dans un cul-de-poule j’ai battu au fouet un petit verre de vinaigre de vin, deux œufs, une pincée de sel et quelques tours de moulin de poivre noir. Je retire la poêle du feu et recouvre les haricots remis à température du mélange un peu mousseux. Je brasse aussitôt, mon légume se voit enduit d’un mélange crémeux. J’apporte sans tarder sur la table.

haricots beurre, haricots verts à la poitevine
Une carbonara de haricots, en quelque sorte...


C’est la recette poitevine de ma grand-mère que je viens d’exécuter.
Avec une différence : en ces temps lointains les haricots, et pas seulement ceux du jardin de mon aîeule, avaient bien souvent des fils…

jeudi 16 juillet 2020

Souvenirs d'un en pôtée

CRASH SUR UN PLATEAU AUVERGNAT

Les victimes ont été retrouvées gisant au milieu de pommes de terre et de pousses de livèche.

pôtée, chou, carotte, saucisse cousine, lard salé
Crash en Aveyron


Pour en savoir plus, il a fallu extraire les données enregistrées au sein de la boîte bleue.



Au départ, il n’y avait que des petits lardons bien gras même pas dessalés qui en fondant sur une petite flamme ont entrepris de faire suer un oignon découpé en pétales et quatre mignonnes petites échalotes partagées avant d’accueillir trois gousses d’ail.

pôtée, Aveyron
Ce sont mes échalotes...


Puis sont arrivées les grosses légumes : un chou qui s’était mis en quatre, que dis-je, en huit pour plaire, et deux carottes plutôt dispersées. Pour les honorer, lauriers bien sûr, mais aussi un bouquet d’herbes diverses, allant du thym à l’origan en passant par le romarin. Des poivres, rouge de Kampot, blanc de Penja, sauvage de Madagascar, mais aussi des baies de genièvre diffusaient leurs parfums.

pôté, chou, carotte
Embarquement des grosses légumes


Ce n’est qu’un peu plus tard qu’est entrée l’Aveyronnaise - enfin sa poitrine… Poitrine plate (parfois il arrive qu’elle soit bien roulée, mais ici ce n’est pas le cas) que je m’étais empressé de dessaler avant l’embarquement en la passant à la casserole (en tout bien tout honneur, dans deux litres d’eau frémissante (de plaisir ?)).
Elle aussi s’est mise en quatre.

pôtée, lard salé
Pour une poignée de beau lard


Tout comme la cousine qui est venue la rejoindre.

pôtée, lard salé, saucisse cousine
Je vous présente ma cousine


Je tiens à préciser, pour d’aucuns ou d’aucunes qui ne seraient pas familiers avec la charcuterie aveyronnaise, qu’il ne s’agit pas d’une parente de qui que ce fut, mais d’une saucisse sèche confectionnée avec en plus de la chair de porc du poumon et du cœur. Elle porte ce nom car elle était jadis offerte à titre de reconnaissance au cousin (à la mode de Bretagne ?) venu apporter son aide le jour où l’on tuait le cochon.

Je me prends à imaginer le pendant de cette démarche : une auberge rouge où l’on offrirait au porc qui avait couvert par ses couinements stridents les cris du voyageur trucidé une saucisse cochonne réalisée avec la chair et les abats du malheureux. 




Je suis certain que l’animal ne dédaignerait pas ce cadeau, s’empressant bien au contraire de s’en goinfrer gloutonnement en ponctuant ses empiffrements de grognements béats. Je connais depuis ma petite enfance les mœurs sournoises de ce végétarien de façade qui fait semblant de se satisfaire des platées de patates, maïs, glands ou châtaignes quand on lui met le couvert, mais se précipite sur la première bestiole vulnérable venue - du rat mulot jusqu’à la fermière pour les plus ambitieux - afin de satisfaire ses instincts carnassiers. 
En effet, surgis du temps de ma prime jeunesse, effleurent dans ma mémoire quelques souvenirs du pavillon de banlieue parisienne où vivait la nourrice chargée de me garder pendant que mes parents travaillaient. 
Le premier est celui d’une bagarre entre cette digne (?) femme et son jeune fils (la caillera n’est pas d’apparition récente), prise de becs suivie de gesticulations qui s’étaient terminées par la chute du tuyau d’évacuation de fumée sortant du fourneau. Dieu merci, le vacarme de la tôle roulant sur le carrelage de la cuisine a interrompu l’escalade, m’évitant le traumatisme d’une nounou ensanglantée gisant les bras en croix entre la poubelle et la huche à pain.
Hélas, traumatisme il devait néanmoins avoir, car quelques jours plus tard quand, me baladant dans la petite cour où s’étiolaient quelques salades flétries et un pied de thym rabougri, mon attention fut attirée par les agissements du cochon qui sommeillait, non pas dans mon cœur alors innocent, mais au fond de l’enclos grillagé où il était engraissé - je me demande bien avec quoi… - avant un sacrifice fort bienvenu en ce temps où existaient encore les tickets de rationnement. Ce cochon avait eu aussi l’attention attirée, mais, quant à lui, c’était par les agissements du lapin voisin de prison enfermé dans la cellule voisine. Ce lapin crétin n’avait pas trouvé mieux, à force de grattages frénétiques, que de creuser sous le grillage qui le séparait de son imposant voisin. Erreur tragique, car dans son remake de La Grande Illusion, son tunnel déboucha dans l’enclos fatal sous mes yeux consternés et sous le groin frémissant de Mister Pig. La grosse bête égorgea et éventra la petite et se livra à un festin sanglant. J’entends encore ses rots de satisfaction, mais ça, ce n’est sans doute que le fruit de mon imagination…
L’on comprend mieux que je puisse exorciser cette triste réminiscence en me livrant à des orgies de lard, côtelettes, boudins, saucisses en tous genres, bref toute charcutaille parvenue dans mon enclos. L’antique bête cuniculicide aux yeux cruels est là quand…

Mais il est temps de clore cette parenthèse intime - néanmoins de portée universelle en ce qui concerne les mœurs des porcins et de revenir à l’analyse de la boîte bleue.
La cousine a rejoint ses compagnons, et le voyage au fond de la nuit couverclée va continuer, sans se presser, durant une bonne heure.

Maintenant, ça y est, l’analyse de la boîte bleue est achevée.
Il ne reste plus qu’à en digérer le contenu.

pôtée, saucisse cousine, poitrine salée  plate
Cousine cernée par une trilogie de pommes de terre



PS : c’est bien bon !

dimanche 12 juillet 2020

Les amulettes suédoises

Il est certaines pratiques culinaires qui sont comme des amulettes. Elles sont censées nous assurer la réussite, mais bien entendu ce n’est que pure illusion.

Mais j’anticipe…


Après la déception causée par l’entrecôte achetée aux halles locales il y a une quinzaine de jours, carne que j’avais trop honorée en lui accordant la compagnie d’un gratin dauphinois au-dessus de sa condition, j’ai voulu effacer ce mauvais souvenir côté bovin.

Comme le cavalier remonte sur le cheval juste après une chute, je dois rapidement reprendre le train de côtes en marche. Quoi de mieux qu’une belle côte de bœuf de l’Aubrac pour récupérer de l’assurance ?
Je sors la pièce d’environ un kilo et demi du sac sous vide au sein duquel elle a voyagé et la dépose sur une plaque à débarrasser. Je l’y laisse un couple d’heure, le temps qu’elle se réchauffe à la température ambiante et qu’elle se réoxygène.

côte de boeuf, Aubrac
L'Aubrac est encore là


Je la sale et expose toutes ses faces sur le gril à feu vif légèrement barbouillé d’huile d’arachide. Quand ma côte est bronzée par les réactions de Maillard, je la transfère dans un plat en fonte destiné à terminer sa cuisson au four à 150 °C. Il y rejoint ses accompagnatrices suédoises qui y séjournent déjà depuis une vingtaine de minutes. Je l’ai là aussi disposée à la verticale, ce qui devrait permettre une cuisson uniforme sur les deux faces, l’os étant tourné vers la soufflerie. Pour m’assurer qu’aucun basculement intempestif n’aura lieu, je l’ai transpercée par une brochette en bois qui repose sur les bords du plat, en choisissant un point où ne se trouvent que du gras et de l’aponévrose.

côte de boeuf, Aubrac
Côte à moustache


Je laisse s’écouler une quinzaine de minutes, et sors la côte. Je l’assaisonne de quelques tours de moulin de poivre rouge. Elle va reposer sept minutes, le temps que je termine à 190 °C  la cuisson des pommes de terre qui viendront la rejoindre sur la table.
Ce sont, on l’a deviné, ces fameuses pommes de terre à la suédoise qui justifient le titre de cette rubrique…
En effet, il faut, après les avoir bien lavés, trancher les tubercules de nombreux profonds sillons parallèles. Profonds, certes, mais en préservant la structure. Le risque est grand, dans un élan fatal, de laisser aller la lame jusqu’à la planche, provoquant la naissance d’une su et une édoise, à moins que ce soit une suédo et une ise - le pire étant une suédois et une e, situation qui offense l'orthographe ou/et la sexualité scandinave.
En réponse à ce risque réel de petits malins (ou de petites malignes…) se plaisent donc à diffuser ce conseil en guise de parade :
« Placez deux baguettes de chaque côté de la patate afin d’empêcher la lame de poursuivre son chemin ».
Conseil absurde, comme le démontre le schéma ci-dessous :



La pomme de terre n’est pas un cylindre : l’on voit que plus d’un tiers de la longueur du tubercule (que, par honnêteté intellectuelle, je n’ai pas choisi particulièrement bombé) n’est pas concerné par cette précaution.
Pire, par cette présence faussement rassurante de fausses béquilles, l'on est plus enclin à la distraction. Couple infernal, combien de patates amputées par ta faute, de Pompadours décapitées, de Mona Lisa gémissant qu’LHOOQ, de Chéries séparées...
Fort de cette démonstration qui en fournit une preuve indiscutable, je maintiens donc que ce préservatif en deux baguettes jumelles n’est qu’un grigri et que ces amulettes suédoises ont fait long feu, au moins en ce qui me concerne.

Je me suis donc contenté de trancher avec prudence et application. Le résultat n’est pas si mal que ça, doré par de nombreux arrosage avec l‘huile d’olive du fond du plat parfumée par des brins de thym, d’origan, de romarin et une feuille de laurier.

pommes de terres à la suédoise
Six Suédoises dans le vent


Un tour de moulin de poivre et un autre de noix de muscade, une pincée de fleur de sel, et zou, sur la table à côté de la viande que je viens de trancher.

côte de boeuf, Aubrac
Le gras, c'est la vie...


La viande est goûteuse à souhait, tendre. Beaucoup de gras, mais aux fragrances proches de celles de la moelle.

Pour arriver à ce plaisir, le tout est de choisir le bon train…

jeudi 9 juillet 2020

Bon chou Madame, bon chou Monsieur

Qui croira que je me suis attablé des centaines de fois chez ce paysan auvergnat plus vrai que nature ?



C’est pourtant le cas : cet Aveyronnais, retourné au pays au début des années 2000 pour y finir sa carrière de restaurateur dans un buron, avait trôné une quarantaine d’années à Paris derrière ses fières moustaches et derrière le comptoir d’un café-tabac restaurant. Son bistrot, situé au coin de la rue du Faubourg St-Martin et du boulevard de la Villette, fit partie de mes cantines favorites pendant près d’un quart de siècle.
La cuisine de son établissement, concoctée par sa conjointe, y était simple mais bonne. Elle devint un peu moins savoureuse quand celle-ci délaissa les fourneaux - comme beaucoup d’épouses de bougnats durant les années quatre-vingt, au mieux assistées, au pire remplacées par des cuistots à la compétence parfois douteuse. Sirènes du féminisme ou simple lassitude, je ne sais… En tout cas ce n’est pas moi qui vais contester leur droit à la paresse, d’autant plus que je m’apprête à le revendiquer tout particulièrement ce jour. En effet je vais me contenter de réchauffer des choux farcis confectionnés par l’excellente maison Conquet à Laguiole.
C’est d’ailleurs la vision de ces choux auvergnats qui m’a fait me replonger dans ces souvenirs, car si les choux farcis dont je me régalais jadis en les arrosant d’un Saint-Pourçain à la ficelle - ou parfois d’un beaujolais, la maison ayant reçu le prix du meilleur pot en 1978 - étaient préparés dans la petite cuisine coincée entre la salle du comptoir et la salle de restauration, en revanche les charcuteries que j’aimais aussi déguster en ces lieux provenaient de cette même maison Conquet. Elles venaient tout droit d’Aubrac avec la complicité de camionneurs-clients complaisants qui, par à la même occasion, approvisionnaient la maison en fromages locaux tout aussi délectables.
Si après le petit noir final, conclusion impérative du repas, je m’apercevais que dans les poches de ma veste ne se trouvait point le petit cigare espéré, je missionnais la serveuse, native de Sainte-Geneviève-sur-Argence, vers le rayon buraliste afin qu’elle m’en rapporte une de ces petites boîtes qui à l’époque ne se cachaient pas honteusement comme maintenant, souillées qu’elles sont d’illustrations qui ne font le bonheur que d’ex-collectionneurs sadomasochistes de Pokémons reconvertis. Je tirais quelques bouffées béatement avant de regagner mon bureau et passer devant ma secrétaire antitabac qui jetait un regard noir vers les volutes blanches qui m’accompagnaient. Elle était dans le bon camp…
Ce soir, ce sera une bouffarde qui succédera au repas. Je sortirai la blague du tabac dont je la bourrerai.
Et je lirai, stupéfait - d’habitude je ne jette pas un regard vers ces icônes de prêche bien-pensante, ce qui est facile pour les cigares que je transfère derechef dans la boîte dédiée - ce beau texte :

Fumer diminue la fertilité



Je n'ai pas encore cassé ma pipe


Il est bien évident que le macho fumeur de pipe qui se complaît à se doter d’héritiers à foison au grand dam de sa pauvre épouse ainsi qu’à engrosser toute paire de nichons à portée de tir réfléchira deux fois plutôt qu’une avant d’approcher une allumette de ce tabac maudit après la lecture de cette information sans concession - pour ne pas parler de l’illustration choc qui n’est pas sans rappeler les images de propagande de sinistre mémoire des militants anti-avortement.
Cependant, en ce qui me concerne, j’eusse préféré une formulation plus plaisante :

La pipe diminue la natalité

Une formulation qui parle à tous et à toutes, quasiment œcuménique, oserai-je dire…



Mais je n’en suis pas encore là.

Pour le moment il me faut préparer le plat.
Oui, je sais, pas difficile, il ne reste plus qu’à réchauffer le chou au micro-ondes…
Mais non, mais non ! En effet je tiens à reconstituer ce plat du Rallye (10ème arrondissement) en son intégralité : avec sa garniture de pommes sautées. Hum, je me souviens des pommes sautées de la patronne, fondantes à l’intérieur sous une coque croustillante. Pas certain que je réussisse aussi bien.. En tout cas, elles vaudront bien celles d’un cuisinier de passage mais resté peu de temps fort heureusement qui avait réussi à convaincre son employeur à se fournir en patates toutes prêtes à passer à la casserole livrées le matin. Infâme. Et dire qu’un habitué attablé non loin de moi avait osé m’affirmer avec un regard qui se voulait complice : « C’est quand même meilleur préparé par un pro… ». Un pro qui avait un CAP de cuisine de collectivité… Rien d’étonnant à ce qu’il nous servit des plats de cantine !
J’épluche mes pommes de terre de la variété Mona Lisa. Pour parvenir à des cubes réguliers, je décide de commencer par les passer dans un coupe-frites pour me débiter des bâtonnets de 12 mm de largeur. Pauvre de moi, ce coupe-frites est vraiment nul, la pomme de terre est trop longue pour s’insérer. Toutefois, comme mon intention est de sectionner ces bâtonnets, ce n’est pas trop grave, je partage le tubercule en deux moitiés.
Ça y est, j’ai obtenu mes cubes, plus quelques découpes moins standardisées qui ne seront pas mises à l’écart pour autant - si je visais la perfection, je les mettrais à part pour réaliser une purée, mais la perfection n’est pas de mon monde. Je lave, j’assèche dans un torchon.
Je verse dans une poêle au fond de laquelle une grosse noix de beurre a fondu dans deux cuillerées d’huile d’arachide. Je commence la cuisson sur feu moyen à couvert une douzaine de minutes. Puis j’enlève le couvercle, hausse la flamme, et fais colorer. Au bout de dix minutes, les facettes sont devenues croustillantes et dorées.
Je sors mes pommes de terre sautées l’aide d’une araignée et les dispose à côté des choux farcis.
Je parsème d’une pincée de fleur de sel.

choux farci, Conquet, pommes sautées
Faire un chou farci...


À table ! Je troque le tablier de cuisinière bougnate contre celui de serveuse lozéroise. J’suis pas mignon comme ça ?
Puis je me métamorphose en client de bistrot… « C’était bon, mais c’était meilleur il y a quelques années.
- Monsieur a vieilli sans doute… »

Un bon expresso, puis j’allume ma pipe.
Mon épouse n’ose pas jeter un regard noir vers les volutes blanches. Elle est dans la neutralité…

lundi 6 juillet 2020

Presskopf et les vaillants petits pourpiers

J’ai toujours éprouvé de la sympathie envers les vaillants petits pourpiers. Notre première rencontre a eu lieu dans la cour poitevine, où, au pied d’une treille de chasselas rose, ils résistaient bravement aux tentatives d’élimination de ma grand-mère qui voyait d’un mauvais œil leur présence jugée disgracieuse au milieu des dahlias et glaïeuls objets de toutes ses attentions. Elle n’oubliait pas néanmoins de les séparer des autres mauvaises herbes qu’elle venait d’arracher, afin d’en obtenir une délicieuse salade. Elle sortait alors son flacon d’huile de noix et le litron en verre blanc laissant transparaître le violacé vinaigre de vin devenu un peu trouble qui avait été tiré du tonneau de l’épicerie du village. D’une épicerie, devrais-je dire, car en ces temps bénis des dieux les commerces prospéraient encore dans la bourgade. Mais cette épicerie, c’était la favorite… Normal, c’était celle tenue par ma marraine, par ailleurs épouse d’un cousin de mon père ! Et il m’est arrivé - rarement, quand même - de tirer moi-même ce vinaigre, mais aussi de l’huile ou du pétrole lampant, pour emplir la bouteille d’une cliente quand ma marraine avait dû partir livrer d’urgence une bouteille de Butagaz chargée dans la petite remorque accrochée à sa bicyclette. « Bon, je ne serais pas longue ; et surtout, si c’est la mère Couillendos* qui réclame du vinaigre, tu dis qu’il n’y en a plus, je la connais bien, celle-là, toujours prête à voler quelque chose dès qu’on a le dos tourné ». En effet les tonneaux et bidons étaient reclus dans la fraîcheur d’une remise située au fond de la cour où ne manquaient que les Anchois des Tropiques.



« Ne t’embête pas à faire payer et rendre la monnaie, note simplement le nom et ce que l’on est venu chercher, je m’arrangerai avec le client »
Ma marraine me prenait-elle pour un schpountz ?


Et maintenant… Et maintenant que vais-je faire ?

Ben tout simplement je vais retrouver les arrière-arrière-petits-cousins de ces pourpiers de mon enfance. Ils sont tout aussi vaillants. Sauf que dans notre jardin francilien, leur combat est plus facile. Je les laisse prospérer. Je me contente d’en prélever de temps à autre pour les inviter à ma table.
C’est le cas aujourd’hui. Ils sont convoqués pour assurer la garde rapprochée d’un Presskopf.
« Ah non, nous ne voulons pas être au service d’un Boche ! Pas de ça pour un pourpier français…
-  Oh, mettez vos pendules à l’heure, nous ne sommes plus en 14. On a repris l’Alsace et la Lorraine, ce Presskopf est alsacien. Alors, mes joyeux petits pourpiers, mettez-vous en tenue ! C’est un ordre ! »
Il faut quand même faire preuve d’autorité avec les simples pourpiers. Après tout, même si je n’ai pas vraiment une brigade, c’est quand même moi le chef.
« Et appelez-moi chef ! »
Je croyais tenir la situation bien en main pendant que j’avais le dos tourné pour cuire quelques pommes de terre à l’eau bouillante avant de les peler et les trancher dans l’intention de les servir en salade, quand j’ai entendu un chant s’élever du cantonnement des pourpiers.

« Depuis que je pars en salade
Ce n’est pas rigolo, entre nous
Je suis toujours malade
Et je me fais un mauvais sang fou
J’ai beau vouloir me remonter
Je souffre de tous les côtés

J’ai la feuille qu’est en deuil,
J’ai la tige qui attige
La racine qui s’débine
J’ai la fleur qu’est en pleur
La chlorophylle qui s’défile
Le sépale qu’est tout pâle
J’ai l’rameau qu’est pas beau
L’étamine qui se mine
Voyez-vous, ce n’est pas tout
J’ai mon bout qu’est tout mou

Ah, bon Dieu que c’est embêtant d’être toujours patraque
Ah bon Dieu que c’est embêtant, je ne suis pas bien portant »

C’est bien ma chance, je suis tombé sur un comique-pourpier !

Cause toujours… Imperturbable, je confectionne une vinaigrette commune au pourpier et à la pomme de terre : une petite cuillerée de moutarde douce d’Alsace, une pincée de sel, une cuillerée de vinaigre de cidre, deux cuillerées de Melfor, quatre cuillerées d’huile vierge de colza, un tour de moulin de poivre rouge de Kampot.

Il y a deux assiettes à garnir. Les pourpiers se séparent donc en deux bataillons qui viennent se placer en ordre dispersé à côté des tranches de pommes de terre, quant à elles bien alignées. « J’veux n'voir qu’une tête ! ».
Sur l’une des deux tranches de Presskopf de chaque dressage je dispose une petite quenelle de raifort. Il ne me reste plus qu’à espérer que le Presskopf ne va faire sa tête de cochon et va bien s’entendre avec son entourage.

Presskopf, pourpier
Vaillants pourpiers arrivés à bon porc (de tête)


Ouf, c’est bien le cas. Les vaillants pourpiers ont reconquis de haute main l’Alsace et la Lorraine !

* Le nom était tout autre, je ne le livrerai pas, mais ce patronyme pittoresque existait vraiment dans la commune. 


samedi 4 juillet 2020

La fève Utile

Fève en effet bien utile pour accompagner un plateau de fromages centraliens - par là je n’entends pas suggérer qu’ils sortent d’une grande école, leurs préparations les orientant plutôt vers des concours plus ruraux, mais je souhaite simplement signaler qu’ils sont nés en Aveyron.
Bref, ma vieille planche en bois s’est vue métamorphosée en Plateau de L’Aubrac :
- chèvre avec deux Gros Cabécou
- vache avec un morceau de vieux Laguiole fermier, et une tranche de Fourmette de la Viadène
- brebis avec un Rocaillou des Cabasses.
Pour les surveiller, un Vieux Berger venu de Roquefort…

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Plateau de l'Aubrac


J’ai eu la gentillesse de sortir ce cheptel des froideurs où il était confiné, et ne voilà-t-il pas qu’une heure après je suis obligé de constater un certain relâchement chez quelques individus. Mais comme je suis la crème des hommes, je leur pardonne même si je sais qu’il ne faut pas se montrer trop coulant si l’on veut être respecté.
C’est d’ailleurs avec respect que nous dégustons ces fromages qui sentent bon le terroir.

Pour leur succéder sur la table arrivent ces fameuses fèves qui fourniront la transition idéale pour progresser vers le dessert.
Elles ont été cueillies au jardin. Une fois dérobées (mais non, je ne les ai pas volées, je les ai simplement déshabillées (mais non, je ne les ai pas violées, inutile d’alerter #MeToo)) après un plongeon de trois minutes dans de l’eau bouillante, suivi d’un second dans l’eau glacée (mais non, n’allez pas pour autant militer dans les mouvements carnivoriens et encore moins taguer les vitrines des marchands de primeur à la peinture verte ou libérer les poireaux, choux et autres courgette des enclos où ils sont enfermés pour les relâcher au milieu d'une nature fantasmée que vous aurez bien du mal à trouver…), j’en ai confectionné une salade de fèves dont la note végétale rehaussée d’une pointe d’acidité devait permettre aux papilles d’outrepasser la grasse rondeur du fromage.
Ce qui fut le cas : c’est ainsi que La fève s’est montrée Utile. CQFD !


J’ai arrosé les graines conservées bien vertes d’une sauce comportant une petite cuillerée de fleur de sel de l’Île de Ré dissoute dans le jus d’un citron jaune, une cuillerée à soupe de balsamique blanc apportant un peu de sucrosité, quatre cuillerées à soupe d’huile de colza. Puis j’ai parsemé de deux feuilles ciselées de sauge cueillie le matin même.

salade de fèves
Dérobées



Le dessert ? Un retour en Aubrac grâce au produit d’un boulanger de Laguiole



C’était une fouace.

Fouace aveyronnaise

Fouace...
Je suis ramené vers la Touraine.
Et je lis sur la toile des compliments envers cet artisan à propos de ses… kouglofs !
Je suis ramené vers l’Alsace.

Pas la peine que j’essaye de voir ailleurs si je n’y suis pas ! J’y suis !

mercredi 1 juillet 2020

L'aventurier de la Merguez disparue

Je me suis lancé dans la quête de la Merguez disparue.

merguez
La Merguez disparue


Disparue comme la petite boucherie arabe à une centaine de mètres de chez moi… On sentait bien que le maître des lieux perdait de son ardeur ; puis au mois d’août, comme d’habitude, il est parti en vacances vers son Algérie natale. Mais il n’en est pas revenu… Le store de la boutique demeure toujours tristement baissé. Jamais plus de côtes ou petites épaules d’agneau de dépannage, ni de gros bouquets de coriandre, ni de sa bonne harissa relevée et parfumée. Mais surtout, adieu les savoureuses merguez, jamais exactement les mêmes en dosages et en longueur (« Combien je dois en acheter ? - Ben ça dépend si c’est un jour long ou un jour court… »), mais toujours pleines de fragrances - tous les parfums de l’Arabie, écrirais-je si je ne m’attachais point à expulser de ma prose tous les clichés ou poncifs aptes à me faire passer pour un journaliste stagiaire en mal d’inspiration…

Alors, désormais je cherche une merguez apte à me procurer le même plaisir que celles dont le souvenir reste gravé dans mes papilles.
Ce n’est pas chose facile. Je ne vais tout de même pas ingurgiter cette mixture de grande surface :
viande de bœuf 64 % (France), viande de mouton 16 % (UE ou Nouvelle Zélande ou Australie), eau, gras de bœuf, gras de mouton, sel, correcteur d’acidité : E326, dextrose, arômes, épices, acidifiant : E262, colorants : E160c, E120, antioxydants : E301, E300.

Je cherche, je recherche tous azimuts… Et l’autre jour, je me suis orienté vers l’Est.
La merguez d’Alsace sera-t-elle ma merguez de Proust, celle qui réveillera de si bons souvenirs épicés ?
J’entends déjà sourdre des réflexions ironiques. Ah, des merguez alsaciennes, quelle drôle d’idée, ah, ah, ah… À ces moqueurs je répliquerai que la cigogne qui me livre



fait de nombreux allers-retours vers le Maghreb, comme un vulgaire Jack Lang et comme le démontrent ces photos

Ciel bleu d'Alsace


Ciel gris du Maghreb



où l’on peut constater également que la cigogne se détourne de la foi.
Mais tout ce que je lui demande, c’est de m’apporter à tire d’ailes des merguez dignes de ce nom.
Donc je la clique sans états d’âme.
Düesch klicka un 's ìsch bstellt


La bestiole a fait diligence : les merguez sont là.
Je m’empresse de les tester en les mettant sur le gril. A priori, leur composition est engageante : viande de bœuf et d’agneau, sel, épices, colorant : rouge de betterave.

merguez, Alsace
Merguez alsacienne


Hélas, le résultat est très décevant. Épices, certes, mais en quantité très minime. Je retrouve en goût et en texture le steak haché de viande d’agneau acheté jadis à un boucher des halles de ma ville. Oui, il s’agit d’un steak que l’on aurait simplement embossé dans un boyau après l’avoir légèrement assaisonné…
Ma déception, j’dis pas !
Vilaine bête, il faudra que tu te rattrapes si tu ne veux pas que je te vole dans les plumes.

Le lendemain, ma cigogne cherche à me faire oublier sa bévue. Dans ses bagages il y avait aussi une tourte à la choucroute que j’enfourne pour 25 minutes à 190 °C (et non 30 minutes à 200 °C comme prescrit, je ne tiens pas à renouer avec la catastrophe évitée de justesse pour ma tourte aux 3 suprêmes). Banco ! La cuisson est parfaite.

tourte à la choucroute
Quand la choucroute se cache


Quand je découpe, je vois apparaître un mélange odoriférant de chou, de lard, saucisse et viande finement coupés.

tourte à la choucroute
La choucroute révélée


Un fumet de vin d’Alsace chatouille les narines. Seul reproche, la découpe n’est pas facile, la farce manque un peu de tenue. Mais c’est bon, et c’est là le principal. Tu es pardonnée, ô, cigogne, mais que je ne t’y reprenne plus…

Et tiens, je vais même boire un amer bière à ta santé !

amer bière
C'est l'amer à boire


Süffe nìt so vìel !, me dit l'emplumée. Sale bête!