lundi 6 juillet 2020

Presskopf et les vaillants petits pourpiers

J’ai toujours éprouvé de la sympathie envers les vaillants petits pourpiers. Notre première rencontre a eu lieu dans la cour poitevine, où, au pied d’une treille de chasselas rose, ils résistaient bravement aux tentatives d’élimination de ma grand-mère qui voyait d’un mauvais œil leur présence jugée disgracieuse au milieu des dahlias et glaïeuls objets de toutes ses attentions. Elle n’oubliait pas néanmoins de les séparer des autres mauvaises herbes qu’elle venait d’arracher, afin d’en obtenir une délicieuse salade. Elle sortait alors son flacon d’huile de noix et le litron en verre blanc laissant transparaître le violacé vinaigre de vin devenu un peu trouble qui avait été tiré du tonneau de l’épicerie du village. D’une épicerie, devrais-je dire, car en ces temps bénis des dieux les commerces prospéraient encore dans la bourgade. Mais cette épicerie, c’était la favorite… Normal, c’était celle tenue par ma marraine, par ailleurs épouse d’un cousin de mon père ! Et il m’est arrivé - rarement, quand même - de tirer moi-même ce vinaigre, mais aussi de l’huile ou du pétrole lampant, pour emplir la bouteille d’une cliente quand ma marraine avait dû partir livrer d’urgence une bouteille de Butagaz chargée dans la petite remorque accrochée à sa bicyclette. « Bon, je ne serais pas longue ; et surtout, si c’est la mère Couillendos* qui réclame du vinaigre, tu dis qu’il n’y en a plus, je la connais bien, celle-là, toujours prête à voler quelque chose dès qu’on a le dos tourné ». En effet les tonneaux et bidons étaient reclus dans la fraîcheur d’une remise située au fond de la cour où ne manquaient que les Anchois des Tropiques.



« Ne t’embête pas à faire payer et rendre la monnaie, note simplement le nom et ce que l’on est venu chercher, je m’arrangerai avec le client »
Ma marraine me prenait-elle pour un schpountz ?


Et maintenant… Et maintenant que vais-je faire ?

Ben tout simplement je vais retrouver les arrière-arrière-petits-cousins de ces pourpiers de mon enfance. Ils sont tout aussi vaillants. Sauf que dans notre jardin francilien, leur combat est plus facile. Je les laisse prospérer. Je me contente d’en prélever de temps à autre pour les inviter à ma table.
C’est le cas aujourd’hui. Ils sont convoqués pour assurer la garde rapprochée d’un Presskopf.
« Ah non, nous ne voulons pas être au service d’un Boche ! Pas de ça pour un pourpier français…
-  Oh, mettez vos pendules à l’heure, nous ne sommes plus en 14. On a repris l’Alsace et la Lorraine, ce Presskopf est alsacien. Alors, mes joyeux petits pourpiers, mettez-vous en tenue ! C’est un ordre ! »
Il faut quand même faire preuve d’autorité avec les simples pourpiers. Après tout, même si je n’ai pas vraiment une brigade, c’est quand même moi le chef.
« Et appelez-moi chef ! »
Je croyais tenir la situation bien en main pendant que j’avais le dos tourné pour cuire quelques pommes de terre à l’eau bouillante avant de les peler et les trancher dans l’intention de les servir en salade, quand j’ai entendu un chant s’élever du cantonnement des pourpiers.

« Depuis que je pars en salade
Ce n’est pas rigolo, entre nous
Je suis toujours malade
Et je me fais un mauvais sang fou
J’ai beau vouloir me remonter
Je souffre de tous les côtés

J’ai la feuille qu’est en deuil,
J’ai la tige qui attige
La racine qui s’débine
J’ai la fleur qu’est en pleur
La chlorophylle qui s’défile
Le sépale qu’est tout pâle
J’ai l’rameau qu’est pas beau
L’étamine qui se mine
Voyez-vous, ce n’est pas tout
J’ai mon bout qu’est tout mou

Ah, bon Dieu que c’est embêtant d’être toujours patraque
Ah bon Dieu que c’est embêtant, je ne suis pas bien portant »

C’est bien ma chance, je suis tombé sur un comique-pourpier !

Cause toujours… Imperturbable, je confectionne une vinaigrette commune au pourpier et à la pomme de terre : une petite cuillerée de moutarde douce d’Alsace, une pincée de sel, une cuillerée de vinaigre de cidre, deux cuillerées de Melfor, quatre cuillerées d’huile vierge de colza, un tour de moulin de poivre rouge de Kampot.

Il y a deux assiettes à garnir. Les pourpiers se séparent donc en deux bataillons qui viennent se placer en ordre dispersé à côté des tranches de pommes de terre, quant à elles bien alignées. « J’veux n'voir qu’une tête ! ».
Sur l’une des deux tranches de Presskopf de chaque dressage je dispose une petite quenelle de raifort. Il ne me reste plus qu’à espérer que le Presskopf ne va faire sa tête de cochon et va bien s’entendre avec son entourage.

Presskopf, pourpier
Vaillants pourpiers arrivés à bon porc (de tête)


Ouf, c’est bien le cas. Les vaillants pourpiers ont reconquis de haute main l’Alsace et la Lorraine !

* Le nom était tout autre, je ne le livrerai pas, mais ce patronyme pittoresque existait vraiment dans la commune. 


samedi 4 juillet 2020

La fève Utile

Fève en effet bien utile pour accompagner un plateau de fromages centraliens - par là je n’entends pas suggérer qu’ils sortent d’une grande école, leurs préparations les orientant plutôt vers des concours plus ruraux, mais je souhaite simplement signaler qu’ils sont nés en Aveyron.
Bref, ma vieille planche en bois s’est vue métamorphosée en Plateau de L’Aubrac :
- chèvre avec deux Gros Cabécou
- vache avec un morceau de vieux Laguiole fermier, et une tranche de Fourmette de la Viadène
- brebis avec un Rocaillou des Cabasses.
Pour les surveiller, un Vieux Berger venu de Roquefort…

plateau de fromage, cabécou, fourmette de la Viadène, Rocaillou des Cabasses, vieux Laguiole, roaquefort
Plateau de l'Aubrac


J’ai eu la gentillesse de sortir ce cheptel des froideurs où il était confiné, et ne voilà-t-il pas qu’une heure après je suis obligé de constater un certain relâchement chez quelques individus. Mais comme je suis la crème des hommes, je leur pardonne même si je sais qu’il ne faut pas se montrer trop coulant si l’on veut être respecté.
C’est d’ailleurs avec respect que nous dégustons ces fromages qui sentent bon le terroir.

Pour leur succéder sur la table arrivent ces fameuses fèves qui fourniront la transition idéale pour progresser vers le dessert.
Elles ont été cueillies au jardin. Une fois dérobées (mais non, je ne les ai pas volées, je les ai simplement déshabillées (mais non, je ne les ai pas violées, inutile d’alerter #MeToo)) après un plongeon de trois minutes dans de l’eau bouillante, suivi d’un second dans l’eau glacée (mais non, n’allez pas pour autant militer dans les mouvements carnivoriens et encore moins taguer les vitrines des marchands de primeur à la peinture verte ou libérer les poireaux, choux et autres courgette des enclos où ils sont enfermés pour les relâcher au milieu d'une nature fantasmée que vous aurez bien du mal à trouver…), j’en ai confectionné une salade de fèves dont la note végétale rehaussée d’une pointe d’acidité devait permettre aux papilles d’outrepasser la grasse rondeur du fromage.
Ce qui fut le cas : c’est ainsi que La fève s’est montrée Utile. CQFD !


J’ai arrosé les graines conservées bien vertes d’une sauce comportant une petite cuillerée de fleur de sel de l’Île de Ré dissoute dans le jus d’un citron jaune, une cuillerée à soupe de balsamique blanc apportant un peu de sucrosité, quatre cuillerées à soupe d’huile de colza. Puis j’ai parsemé de deux feuilles ciselées de sauge cueillie le matin même.

salade de fèves
Dérobées



Le dessert ? Un retour en Aubrac grâce au produit d’un boulanger de Laguiole



C’était une fouace.

Fouace aveyronnaise

Fouace...
Je suis ramené vers la Touraine.
Et je lis sur la toile des compliments envers cet artisan à propos de ses… kouglofs !
Je suis ramené vers l’Alsace.

Pas la peine que j’essaye de voir ailleurs si je n’y suis pas ! J’y suis !

mercredi 1 juillet 2020

L'aventurier de la Merguez disparue

Je me suis lancé dans la quête de la Merguez disparue.

merguez
La Merguez disparue


Disparue comme la petite boucherie arabe à une centaine de mètres de chez moi… On sentait bien que le maître des lieux perdait de son ardeur ; puis au mois d’août, comme d’habitude, il est parti en vacances vers son Algérie natale. Mais il n’en est pas revenu… Le store de la boutique demeure toujours tristement baissé. Jamais plus de côtes ou petites épaules d’agneau de dépannage, ni de gros bouquets de coriandre, ni de sa bonne harissa relevée et parfumée. Mais surtout, adieu les savoureuses merguez, jamais exactement les mêmes en dosages et en longueur (« Combien je dois en acheter ? - Ben ça dépend si c’est un jour long ou un jour court… »), mais toujours pleines de fragrances - tous les parfums de l’Arabie, écrirais-je si je ne m’attachais point à expulser de ma prose tous les clichés ou poncifs aptes à me faire passer pour un journaliste stagiaire en mal d’inspiration…

Alors, désormais je cherche une merguez apte à me procurer le même plaisir que celles dont le souvenir reste gravé dans mes papilles.
Ce n’est pas chose facile. Je ne vais tout de même pas ingurgiter cette mixture de grande surface :
viande de bœuf 64 % (France), viande de mouton 16 % (UE ou Nouvelle Zélande ou Australie), eau, gras de bœuf, gras de mouton, sel, correcteur d’acidité : E326, dextrose, arômes, épices, acidifiant : E262, colorants : E160c, E120, antioxydants : E301, E300.

Je cherche, je recherche tous azimuts… Et l’autre jour, je me suis orienté vers l’Est.
La merguez d’Alsace sera-t-elle ma merguez de Proust, celle qui réveillera de si bons souvenirs épicés ?
J’entends déjà sourdre des réflexions ironiques. Ah, des merguez alsaciennes, quelle drôle d’idée, ah, ah, ah… À ces moqueurs je répliquerai que la cigogne qui me livre



fait de nombreux allers-retours vers le Maghreb, comme un vulgaire Jack Lang et comme le démontrent ces photos

Ciel bleu d'Alsace


Ciel gris du Maghreb



où l’on peut constater également que la cigogne se détourne de la foi.
Mais tout ce que je lui demande, c’est de m’apporter à tire d’ailes des merguez dignes de ce nom.
Donc je la clique sans états d’âme.
Düesch klicka un 's ìsch bstellt


La bestiole a fait diligence : les merguez sont là.
Je m’empresse de les tester en les mettant sur le gril. A priori, leur composition est engageante : viande de bœuf et d’agneau, sel, épices, colorant : rouge de betterave.

merguez, Alsace
Merguez alsacienne


Hélas, le résultat est très décevant. Épices, certes, mais en quantité très minime. Je retrouve en goût et en texture le steak haché de viande d’agneau acheté jadis à un boucher des halles de ma ville. Oui, il s’agit d’un steak que l’on aurait simplement embossé dans un boyau après l’avoir légèrement assaisonné…
Ma déception, j’dis pas !
Vilaine bête, il faudra que tu te rattrapes si tu ne veux pas que je te vole dans les plumes.

Le lendemain, ma cigogne cherche à me faire oublier sa bévue. Dans ses bagages il y avait aussi une tourte à la choucroute que j’enfourne pour 25 minutes à 190 °C (et non 30 minutes à 200 °C comme prescrit, je ne tiens pas à renouer avec la catastrophe évitée de justesse pour ma tourte aux 3 suprêmes). Banco ! La cuisson est parfaite.

tourte à la choucroute
Quand la choucroute se cache


Quand je découpe, je vois apparaître un mélange odoriférant de chou, de lard, saucisse et viande finement coupés.

tourte à la choucroute
La choucroute révélée


Un fumet de vin d’Alsace chatouille les narines. Seul reproche, la découpe n’est pas facile, la farce manque un peu de tenue. Mais c’est bon, et c’est là le principal. Tu es pardonnée, ô, cigogne, mais que je ne t’y reprenne plus…

Et tiens, je vais même boire un amer bière à ta santé !

amer bière
C'est l'amer à boire


Süffe nìt so vìel !, me dit l'emplumée. Sale bête!

samedi 27 juin 2020

D’Échine au Chili en passant par les îles

Un projet était dans ma tête : cuisiner un porc aux épices afin de liquider les restes des pots de piment ouverts il y a un peu plus d’un mois auparavant pour relever et parfumer mes acras.
Le morceau que j’avais élu pour ce faire était l’échine, cette pièce à la fois moelleuse et goûteuse, de surcroît facile à découper en cubes.
Malheureusement, le jour de passer à l’acte, point d’échine disponible sur l’étal de mon éleveur porcin de Normandie. La vendeuse conseilla comme solution alternative de donner - ou plutôt vendre… - la moitié d’une palette pourfendue à la scie.
J’ai bien regretté d’avoir plié l’échine au lieu de plier bagage en attendant un jour meilleur. J’eusse pu alors me réjouir de brandir avec aisance une lame saine dans un porcin au lieu de débarrasser à l’arrache de son demi-os cette viande fibreuse tendance coriace, la partageant ensuite tant bien que mal en parts difformes.


C’est donc sans enthousiasme que je fais dorer ma viande sur toutes les faces dans une cuillerée d’huile d’olive au fond de ma cocotte au milieu de graines à roussir antillaises que je venais de torréfier légèrement. Puisque os il y a, autant l’utiliser pour apporter un supplément de goût. Entrera-t-il dans l’ustensile ? Ce n’est pas gagné d’avance… Youpi, il se révèle d’une longueur un peu inférieure au diamètre et en écartant ossu militari un entourage déjà à l’étroit, il parvient à faire son trou pour bronzer lui aussi. J’ai cependant du mal à lui intimer l’ordre de changer de côté. « Est-ce que j’ai une tête de tournedos ? ». Certes non, tu as la tronche d’une demi-portion d’omoplate, d’une victime de massacre à la tronçonneuse, et tu devrais plutôt me remercier de t’intégrer au casting de Les Bronzés sous les tropiques
C’est pas tout ça, je ne vais pas rester comme un benêt à tailler une bavette avec omo ou avec plate (je ne sais pas de quelle moitié j’ai hérité). Il vaut mieux que je ne tarde pas à déverser la brunoise de carotte et oignon paille que je viens de tailler. J’ajoute deux gousses d’ail et parsème de quelques pincées de sel fin.
Bon, ces légumes se sont bien fait suer, je les arrose (ainsi que la viande - et l’os - par la même occasion) avec générosité de vin blanc sec (un Tariquet en l’occurrence). Puis j’incorpore les déclencheurs : le piment cabri vert de la Réunion et le piment habanero des Antilles. Hum, il ne reste plus qu’un fond d’habanero… Déjà que j’avais trouvé que mes acras étaient déficitaires en capsaïcine. Je m’empare donc d’un nouveau petit bocal non entamé, le décapsule, et en vide la moitié dans la cocotte. Grave erreur, je le découvrirai plus tard…
Mais pour le moment je continue ma préparation en incorporant des herbes diverses cueillies la veille au jardin : une branche d’origan, une branche de thym, une autre de coriandre vietnamien, une pousse d’herbe à curry, un brin de livèche. J’ai fait plonger au milieu de tout ce petit monde un clou de girofle, un quarteron de baies de piment de la Jamaïque une feuille de laurier, mais aussi une feuille de quatre-épices séchée venant de l’île de la Réunion. Je laisse réduire à feu doux une heure environ, puis…


Puis j’ai réservé, au réfrigérateur pour la nuit. En effet la dégustation était prévue pour le lendemain.


Je viens de poser ma cocotte en fonte encore glacée prudemment sur une petite flamme.
Quand son contenu commence à frémir, je vide une canette de lait de coco. Je brasse pour mélanger avec la sauce élaborée la veille. Une petite cuillerée de curcuma intervient, surtout pour la couleur.
Je poursuis la réduction une quarantaine de minutes, jusqu’à obtenir une sauce onctueuse. Le riz blanc cuit à la créole est prêt et vient d’être versé dans un plat. C’est le moment de passer à table.
Je parsème le contenu de la cocotte de déchirures de feuilles de verveine citronnelle qui devraient conférer une note de fraîcheur au plat que j’apporte tel quel sur la table.

porc épicé
Un dimanche au bord de l'os


Nous emplirons chacun nos assiettes de morceaux de cochon déposés à côté d’un petit monticule de riz avant d’arroser de quelques cuillerées de la sauce odoriférante.

Et là, aïe aïe aïe, kek c’est fort. Nous nous voyons poussés à la vitesse V vers le haut de l’échelle de Scoville. Que s‘est-il passé, alors que les acras réalisés à partir des mêmes piments chatouillaient timidement les papilles ? Peut-être une explication : pour les acras j’avais égoutté le hachis d’habanero afin de ne pas introduire trop d’humidité, alors que pour mon plat de porc épicé j’ai déversé le vinaigre de conservation dans la sauce. Le vinaigre est-il un solvant de la capsaïcine ? Toujours est-il que j’ai été stupide de ne pas doser en goûtant. C’est pourtant élémentaire, mon cher Pomiane (il me fallait un docteur, que ce maître me pardonne mon irrespect…). J’en pleurerais. D’ailleurs j’en pleure vraiment - et pourtant en ce domaine je suis plutôt blindé.
Nous finissons les assiettées copieuses que nous nous sommes servies quand régnait encore un optimisme béat. Mais pas question de proposer du rab à nos papilles modérément calmées par l’absorption sans modération de riz. Je ne puis malgré tout me résoudre à faire passer le reste de viande - d’ailleurs redoutablement filandreux sans pour autant en être tendre - à la poubelle.


La solution salvatrice m’est apparue le lendemain.


J’ai dans mon placard un sachet de haricots secs noirs.
Je les mets à cuire durant trois quarts d’heure dans un autocuiseur.
Je débarrasse les morceaux de porc de la désormais énorme feuille de quatre-épices réhydratée, de la feuille de laurier, et des débris divers de tiges coriaces. Je les réchauffe à feu doux en ajoutant une louchée d’eau à la sauce. Je recouvre des haricots noirs et mélange.
Je verse dans un plat préchauffé et parsème - deux fois n’est pas coutume - de petites feuilles de verveine citronnelle.

chili con carne, haricots noirs
Ils ont joué l'apaisement


J’ai ainsi réalisé un Chili con carne revisité à moindres frais.
Je ne jurerai pas que je renouvellerai toute la procédure qui a abouti à cette création, mais je n’en suis pas moins satisfait du résultat.

Parti d’échine je suis avenu au chili en passant par les Antilles et la Réunion (avec un petit détour vietnamien..).

Qu’est-ce qu’on voyage, dans ma cuisine !

mercredi 24 juin 2020

Avoir la patate

Je parcourais d’un œil distrait les nouvelles du jour quand un titre éveilla ma gourmandise :

ELLE FAIT UNE DÉCOUVERTE EFFRAYANTE DANS SON APPARTEMENT

En effet, comme tant d'autres, je suis friand de ces faits divers bien gore qui pimentent notre quotidien et nos quotidiens, ajoutant de plaisantes aspérités à la lisse banalité de nos vies, du moins tant que les victimes restent allongées sur du papier glacé ou confinées dans les limbes numériques de nos écrans.
Las, après lecture, j’ai découvert qu’il ne s’agissait que de germes de pommes de terre dont l’invasion serpentine avait traumatisé une malheureuse jeunette. « C’est affreux, c’est affreux », s’est-elle exclamée en ouvrant la porte de sa turne estudiantine abandonnée quelques semaines. Pour ma part, j’ai bien envie de répliquer en écho « C’est à Freud, c’est à Freud ». Mais c’que j’en dis…
Je suis donc resté sur ma faim, l’anecdote étant quand même d’une banalité consternante.

Toutefois cet article fut pour moi un déclic. Mes petites cellules grises se sont connectées, non pas pour entreprendre une réflexion sur l’information, le journalisme et le lectorat, mais pour retrouver au tréfonds d’un petit bout de lobe cervical le souvenir enfoui d’excellentes pommes de terre de la variété Ditta qui avait fait mon bonheur à leur arrivée mi-avril en accompagnant un poulet rôti et dont la dernière ponction dans leur cagette m’avait montré qu’elles commençaient à germer. Elles sont fameuses, et il serait bien dommage de les laisser perdre, ce serait ça, la véritable horreur me suis-je dit in petto, ajoutant à voix haute m’adressant à ma compagne : « Que dirais-tu d’un gratin dauphinois pour accompagner notre belle entrecôte pleine de promesses ? ».
Projet adopté à l’unanimité…
J’ouvre donc la noire prison des tubercules. Horresco referens ! Les malheureux ont dû apercevoir un mince rai de lumière, ils ont tendu des bras implorants vers cette issue dérisoire. Et ils ont pris triste mine, aussi ridés qu’un pépère Fouras ou une mémère Denis.
Je passe à la palpation de ces grabataires. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ont perdu la fière raideur de leur jeunesse. Y a du mou dans l’air. Papy ne fait plus de résistance…
Néanmoins, il n’y a aucune raison qu’ils ne soient pas comestibles. Alors j’épluche (avec difficulté) je tranche.
Je tranche au couteau, car souvent pour la mandoline, quand il y a du flasque, il y a du sang… Je tiens à préserver mon intégrité digitale !
Je recouvre les tranches (non lavées, il va sans dire) transvasées dans une casserole de 20 cl de crème liquide et de lait jusqu’à affleurement. J’assaisonne de sel, poivre et noix de muscade. J’ajoute une feuille de laurier, une branche de thym et deux gousses d’ail. Je porte à ébullition et poursuis la cuisson une dizaine de minutes à feu doux.
Je transfère le tout dans un plat en terre beurré, et j’enfourne une quinzaine de minutes au four à 170 °C.
C’est le mont de passer à la cuisson de l’entrecôte assaisonnée à la dernière minute : quelques allers et retours sur une poêle barbouillée d’une larme d’huile et d’une noisette de beurre, à feu plutôt vif, mais sans excès. Je termine en nourrissant l’entrecôte à feu moyen d’une grosse noix de beurre. J’enlève du feu et laisse reposer.
Pendant ce temps je fais tomber quelques petites noisettes de beurre sur le grain, puis le place sous le gril rougissant du four le temps de dorer sa surface.

gratin dauphinois
C'est le gratin


Me croira-t-on, la déception est venue de l’entrecôte, de saveur médiocre et un tantinet coriace.
La particularité de ce gratin dauphinois, fort bon au demeurant, est la sucrosité notable apportée par l’évolution de la chair de ces pommes de terre séniles. Une douceur qui s’est exprimée avec un bonheur particulier le lendemain, avec le reste du gratin servi froid pour accompagner du jambon blanc.

Dittas, je suis fier de vous !

dimanche 21 juin 2020

Quand l'encornet voit rouge


Le plus souvent je prépare les petits encornets tout bêtement : sautés quelques instants dans l’huile d’olive et recouverts de persillade. Tout bêtement, certes, mais pour autant pas sans gourmandise… La simplicité peut avoir du bon !
Mais, ce jour, j’ai eu une soudaine envie de me renouveler en nettoyant les petits encornets empreints de fraîcheur achetés le matin chez le meilleur poissonnier des halles.


Je me suis contenté de plonger pendant à peine plus d’une minute mes bestioles débarrassées de leurs viscères, leur plume et leur bec dans de l’eau salée à petit bouillon, citronnée, parfumée par deux feuilles de laurier, une belle branche de thym et quelques gouttes de Tabasco rouge. Une fois ces encornets égouttés, je les ai arrosés d’une cuillerée d’huile d’olive et du jus d’un quart de citron. J’ai réservé.

Dans le placard un sachet de riz rouge de Camargue attendait sagement depuis quelques semaines.
J’en ai prélevé un petit verre et mis à bouillir le double en volume d’eau sous le regard méfiant du paysan matois qui surveillait mes gestes.



J’ai ajouté une bonne pincée de gros sel et jeté le riz dans les flots bouillonnants avant de coiffer la casserole d’un couvercle et la déplacer sur une toute petite flamme. J’ai programmé le minuteur sur trois quarts d’heure.

« Alors t’es content, le pion rural, je bosse comme il faut ? »
Pas même un sourire. Ce gus cultivateur en cellophane ne m’inspire aucune confiance. Dieu sait pour quelle raison son portrait a été choisi au cours d’une réunion créative de publicitaires et communicants… Peut-être que c’est une photo du boss exhibitionniste ? Une sorte d’Afflelou de la graine, de Tapie des rizières. Il faudra que j’entreprenne des recherches !
En tout cas le bonhomme commence à m’agacer. Cette surveillance est insupportable. Un coup d’agrafeuse pour clore le sachet et le débat, et retour au placard. Non mais !
Du coup, je deviens méfiant. Un tel individu n’est pas parole d’évangile. Je mets à chauffer une petite casserole d’eau à côté, au cas où, car le double d’eau en volume me semble une proportion bien faible.
Au bout de 35 minutes, je soulève timidement le couvercle. Et voilà, j’l’avais bien dit. Dommage que le coupable soit en préventive, il faudrait que je le ramène sur les lieux de sa scélératesse pour constat : il ne reste pratiquement plus de liquide, le fond commence à attacher et le riz n’est pas cuit.
Heureusement que j’avais prévu le (mauvais) coup ! Je peux verser une petite louchée d’eau frémissante. Il me faudra recommencer cette opération une fois avant la fin de la cuisson…

Bon, la cuisson du riz rouge était enfin menée à bon terme. Une fois égouttées, j’ai brassé les graines dans deux cuillerées d’huile d’olive et ajouté un trait de balsamique blanc. Ma salade de riz était prête. Je l’ai réservée.


Quelques minutes avant de passer à table, j’ai procédé au dressage des assiettes.

Le placard, décidément plein de ressources, contenait un bocal de New England Cocktail Sauce préparée pour relever les fruits de mer par l’excellente maison américaine Stonewall Kitcheen. Une composition qui m’avait alléché à sa lecture : tomates fraîches mûries sur vigne de Californie, purée de tomates, raifort, nectar d’agave, pâte de tomates, vinaigre blanc, sauce Worcestershire, anchois, ail, extrait de tamarin, sucre de canne pur, piment de Cayenne, épices.




Je place un haut cercle en inox au centre de l’assiette. Je répartis la salade de riz rouge autour, formant un anneau J’enfonce mes corps d’encornets à l’intérieur du cercle, termine par les tentacules. Je retire le cercle. Bien entendu une partie de cette tour supionienne s’écroule aux alentours, mais ce n’est pas grave : je n’ai aucun penchant pour les présentations au cordeau.
J’ouvre le bocal de sauce cocktail. Je goûte. Hum, c’est bien bon ! J’en verse une bonne cuillerée sur le sommet de mon entassement d’encornets. Le pot ira sur la table. En cas de manque…
Il me vient alors l’idée d’ajouter de la couleur noire et une note sucrée : je prélève une gousse d’ail noir de Corée que je partage en éclats que je dispose à la périphérie de l’assiette.
Au milieu de cette dominante rouge apportée par le riz et la sauce, quelques taches de vert seraient bienvenues. Des feuilles de persil feront l’affaire.

encornet, New England Cocktail Sauce, riz rouge de Camargue, ail noir
Encornets à la Stendhal


Les assiettes étaient prêtes. Je les ai apportées sur la table. Cuisinier et serveur en même temps ! Je mériterais double salaire…
Mais pour l’instant je me paye en nature. Et ce n’est déjà pas si mal, car je me suis régalé une fois de plus.

Encore en Corse

Nouveau festin de charcuteries corses, mais cette fois-ci avec du prisuttu AOP de porcs noir u nustrale nourris aux glands et aux châtaignes à la place du regretté figatellu disparu (dans mon estomac).

prisuttu
Un peu chiffoné


Vais-je être l’objet d’une vendetta si j’affirme que ce prisuttu est certes excellent, mais n’arrive pas la hauteur d’un bellota espagnol ?
Néanmoins, à sa décharge, le morceau dans lequel j’ai découpé ces tranches a passé une quinzaine de jours dans les limbes (mais ne serait-ce pas plutôt l’enfer ?) de Nullissimo. Durant quelques jours, sans nouvelles de lui, je l’ai même cru disparu en mer au large d’Ajaccio. L’on peut comprendre que le malheureux ne soit pas au mieux de sa forme. On a beau être sous vide, on n'en est pas moins jambon, avec ses sensibilités et ses phobies...
Je promets de me livrer à une dégustation avec un frère de ce prisuttu n’ayant pas subi les mêmes avanies avant de porter un jugement définitif. Cochon qui s’en dédit !