Pour la première fois le pape Merle I ressentit comme un doute sur son infaillibilité.
En effet, parcourant le blog
SOS Grisbiche sur l'écran de son téléphone Papamobile d'un œil à la fois bienveillant- c’est tout lui, les trois lettres
SOS l’avaient attiré comme un ver frétillant attire le gardon… - et gourmand - si tant est qu’un œil puisse être gourmand - le Souverain Pontife avait sursauté en lisant ce titre : «
Comment j’ai sauté ma poule de luxe après ses vapeurs ».
Ah, non, s’était-il écrié, je veux bien être bon, mais pas… Bref, Merle I, désenchanté, bascula vers la page appel de son Papamobile pour tancer vertement la Curie pour son incurie.
« M’enfin, qu’est-ce que vous faites tout de ces saintes journées, je vous avais dit de bloquer avec la fonction Index toutes les publications contraires à la morale. Alors c’est moi qui dois faire votre job ? Je vous signale…
bla bla bla… ».
L’abbé Chamel, blanc de peur devant cette réprimande, s’était empressé d’exécuter les ordres. Dix minutes suffirent pour que la
poule de luxe soit mise à l’Index.
Mais quelques heures plus tard le cardinal Thermidor, un prélat d’origine cubaine que les méchantes langues (la méchante langue ne manque pas au Vatican, où elle supplante sans peine la langue latine) surnommaient Fidèle Castré en raison de sa voix haut perchée, toutefois pas suffisamment vers les cieux pour être qualifiée de
vox Dei, avait entrepris de superviser le travail de son chargé d’Index… Ces inspections, outre la nécessité de recadrer les choix d’un jeunot alliant le manque d’expérience à une sottise notoire et dont la principale qualité était la servilité, lui procuraient souvent le bonheur de lectures affriolantes dont il n’avait même pas à confesser le plaisir pervers qu’il y prenait, car elles relevaient d’un cadre strictement professionnel - Thermidor était un peu jésuite sur les bords…
Aussi notre Cubain croyant accoster sur la baie du cochon avait entrepris de suivre les aventures de la
poule de luxe avec une lippe concupiscente. Il en avait été fort déçu, sa gourmandise ne portant point sur la chère, mais sur la chair. « La chère est triste, je n’en lirai pas tous les livres », s’était-il dit en se levant pour aller sermonner le pauvre abbé Chamel avec une vigueur à la mesure de sa déception.
« Mais c’est le pape Merle qui me l’a demandé en personne personnellement !
- Ah bon ? Eh bien il voulait vous tester. Et vous l’avez déçu, comme vous m’avez déçu. Pour cette fois, je vous absous, mais veillez à me dénicher de textes plus… Enfin plus… Bref vous me comprenez. D’ailleurs je ne suis pas le seul à observer ce fléchissement. Pas plus tard qu’hier Sœur Marie-Thérèse me confiait qu’
ah cet Index, il n’est plus aussi satisfaisant qu’autrefois. Il est vrai qu’elle sait ce dont elle parle, ce n’est plus une colombe de l’année. Mais je m’égare… »
L’abbé Chamel eut la lourde tâche de contacter le Souverain Pontife pour justifier la sortie de la
poule de luxe de l’Index. Comme il était sot mais loin de d’être bête, il pensa que la meilleure tactique était de lui mettre le texte sous les yeux.
« Seul le titre prête un tantinet à équivoque, mais il n’y a pas de quoi fouetter un chat… »
« Peut-être une béarnaise… » ajouta-t-il d’un air benêt.
Merle I lui sourit avec bonhomie.
« Au temps pour moi. J’aurais dû lire jusqu’au bout. Ne pas être comme ces lecteurs de blogs qui survolent sans rien voir vraiment. Mais surtout, mon fils, ne va pas répéter
urbi et orbi que le pape est faillible ! »
Le lecteur qui, contrairement à Merle I, est parvenu jusqu’à ces lignes pourra construire sa propre opinion, Index or not Index, en parcourant les lignes suivantes :
Comment j’ai sauté ma poule de luxe après ses vapeurs
Un beau poulet de plus de deux kilos est arrivé de sa Lozère natale. Voici ses frères :
Lui, désormais, n’a pas que le cou qui soit nu…
Pour changer, j’ai tenté une méthode de cuisson différente de celle de mon pal habituel. J’ai introduit dans son coffre assaisonné de gros sel et de poivre blanc de Penja tout un lot d’herbes fraîches du jardin : thym, serpolet, origan, marjolaine, estragon ainsi que deux feuilles de laurier, des lambeaux de zeste de citron, deux chatons de poivre Timiz pour ajouter ses notes de fumée et de résine et quelques grains de poivre de Cayenne pour relever le tout. Une branche de persil mise en boule bouchait le tout. Après avoir parsemé la peau de sel fin et de plusieurs tours de moulin de poivre rouge, j’ai mis la bête à cuire une heure et demie à la vapeur réglage 100 °C avec à ses côtés le cou et le gésier.
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À toute vapeur… |
Le poulet était alors parfaitement mangeable, mais il faut reconnaître que son aspect n’était pas spécialement attirant. Il a donc été doré en l’enfournant sur un plat pour sept huit minutes à 200 °C.
J’en ai profité pour ajouter le foie accompagné du cœur.
Pendant le temps où le poulet reposait sur sa planche en attente de la découpe
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Bronzage rapide |
j’ai placé le plat en fonte sur une flamme et y ai étendu des asperges vertes qui y ont poursuivi une cuisson jusqu’à l’
al dente dans le jus qui s’était écoulé.
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abats, asperges |
La découpe révéla une chair bien blanche, à la fois ferme et juteuse, légèrement parfumée par la farce d’herbes et d’épices. Le passage au four avait permis l’obtention d’une peau croustillante.
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Lozérien pourfendu |
En revanche le jus n’était pas du tout agréable en bouche, avec ce côté un peu écœurant que peut avoir la graisse de gallinacés, même quand l’animal de ferme est d’excellente qualité. Les asperges, déjà pas fameuses - elles arrivaient d’Espagne en ayant visiblement emprunté le chemin des écoliers - étaient achevées par ce bain.
Je me suis consolé au dessert avec une compote de pommes agrémentée de découpes de tiges de rhubarbe et d'angélique quant à elles fraichement cueillies au jardin.
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Les aventures d'Angélique |
On comprendra que dans l’avenir je m’en tiendrai à un rôtissage plus traditionnel…
Finalement, le meilleur dans ce repas, c'était cette touche inattendue d'angélique.
Et quand j’écris ça, je suis sérieux comme un pape.