Quand je me vis bien râblé, l’oreille dressée à l’écoute du monde, je résolus de quitter le pays, une bouteille de muscadet sous le bras.
Ma première étape fut un jardin versaillais où je découvris des carottes et des échalotes qui me procurèrent un royal régal. Un verre de vin blanc pour me désaltérer, un brin de thym et une feuille de laurier en dessert, et je repris la route. Un passage par la Capitale - où je ne m’attardais guère, ayant failli plusieurs fois passer sous les roues d’une voiture, n’ayant pas la dextérité de mes frères du Bois de Boulogne ou des talus du périphérique - ne me permit pas d’y trouver les champignons de Paris que j’escomptais. Il me fallut rebrousser chemin et gagner la bonne ville de Saumur : je n’allais tout de même pas aller jusqu’en Pologne afin de garder mon cap vers l’Est.
Un instant j’eus la nostalgie de mon paisible village. Elle n’était pas loin, cette ferme où ma généreuse gouvernante m’apportait ma ration alimentation 100 % végétale, vitamines et minéraux, sans OGM, sans que j’eusse besoin de la réclamer, et que je n’avais rien d’autre à faire que de rêvasser en fronçant le nez et de crotter sans retenue dans un coin de mon appartement, certain que j’étais qu’il allait être promptement nettoyé par un valet dévoué.
Mais je me suis vite ressaisi pour repartir, nanti de mes agarics cavernicoles, vers mon hospitalier jardin versaillais.
Las, ayant confondu Vénus avec l’Étoile Polaire, j’étais en Normandie. C’est ce que me révéla une vache prénommée Marguerite, avec laquelle j’avais sympathisé après qu’elle fut venue regarder quel était ce vagabond poilu qui avait passé la nuit à l’abri de la haie bordant son pré, puis s’enquérir de mes projets. Je ne lui avais pas tenu rigueur du fait qu’en entendant mon vœu de sillonner ma planète, elle se soit métamorphosée en vache qui rit - « Ah, elle est bien bonne, toi qui perds si facilement le nord… » et j’avais suivi son conseil de ne pas quitter sa contrée sans me munir d’un pot de crème.
« Ça, je connais, en Vendée, on en a aussi, mais je n’en ai jamais eu. C’est bon pour un lapin ?
- Que oui ! Tu m’en diras des nouvelles, ça te changera de la ration alimentaire, d’autant plus qu’ici elle est super, la crème, on ne trouve pas meuh…
- Pas mieux !
- Excuse-moi, parfois ma nature bouseuse reprend le dessus.
- Mais non, ne t’en fais pas, tu parles un français au poil, tu m’entendrais quand je couine ou je glapis… »
Bref, nous nous quittâmes enchantés l’un de l’autre, et nous nous promîmes de se retrouver à la même table dans un avenir dont aucun de nous pouvait présumer s’il serait proche ou lointain.
Las, on ne se refait pas. L’orientation et moi… Heureusement que trotter ne me fait pas peur ! Car j’ai visé trop bas, j’ai raté Versailles, et j’ai atterri à Dijon. Aux portes de la ville, je découvris un panneau arborant l’inscription : « Dijon, capitale de la moutarde ».
Je m’enquis de la nature de ce produit auprès d’un hérisson qui faisait sa sieste dans le fossé non loin.
« Ah, la moutarde… Capitale, certes, mais désormais avec des graines de provenance lointaine.
- Des graines ? Mais ça m’intéresse, j’aimerais bien y goûter. Enfin si c’est bon pour un lapin…
- Si c’est bon ? Mais, malheureux, pauvre ignorant, le lapin et la moutarde ont toujours fait bon ménage…
- Bof, je ne savais pas, ce n’est pas un crime. Et toi tu aimes ?
- Le hérisson que je suis ne peut qu’être favorable à tout ce qui est piquant.
- Tu me fais peur…
- Je vois que tu as sous la patte un pot de crème, utilise-la pour adoucir, et tu te régaleras, crois-moi ! »
Je me suis donc procuré un pot de moutarde de Dijon. Comment ? Eh bien par le truchement d’un vieux rat receleur qui s’est contenté de prendre la mine chafouine d’un vieux philosophe et de gémir « La nuit, tous les rats sont gris ! » en levant les yeux au ciel.
En échange, j’ai dû lui donner la moitié de mon pot de crème. Peste soit de ce rat ! Et adieu Dijon. Direction mon jardin préféré.
Sacrebleu, je suis incorrigible ! Je me croyais presque arrivé - bien qu’un peu dérouté par le relief et l’abondance de sapins quand au lieu du panneau « Versailles » espéré je lus « Saverne ». La géographie et moi, ça fait deux, alors je suis retourné dans les bois et je me suis adressé à un chevreuil au port altier qui passait par là.
« Où suis-je ?
- Qui sommes-nous, où allons-nous ? »
C’était bien ma chance, je m’étais adressé à un chevreuil métaphysicien !
Je lui tournais le dos et obtins ma réponse par le biais d’un renard, un rouquin sournois qui lorgnait mes provisions d’un regard concupiscent mais eut néanmoins le mérite de m’informer que j’étais en Alsace. Il ajouta que j’étais bien tombé et qu’il n’y aurait rien de mieux que des spätzle pour m’accompagner.
« Je n’ai besoin de personne pour me tenir compagnie. Je voyage seul, et n’en suis pas mécontent » répliquai-je. Il ricana qu’elles étaient pourtant bonnes pâtes.
Je lui tournais le dos, néanmoins un peu intrigué. La nuit, je m’introduisis dans la ville tout endormie sous ses toits où les nids attendaient les cigognes parties en villégiature ensoleillée. Comme partout il y avait un vieux rat receleur, réplique de celui rencontré à Dijon. Il se faisait fort de me procurer des spätzle - tombées d’un camion affirma-t-il, ce qui n’était pas de bonne augure pour des compagnes de voyage - en l’échange de…
« Ah, non ! Pas du peu qu’il me reste de crème ! ». Il dut se contenter de la moitié de mon pot de moutarde.
Quand je vis les spätzle, je compris que le renard s'était moqué de moi. Il s’agissait de vraies pâtes, en farine et en œuf, et non de compagnes à pattes. Pas plus mal. Et comme le vieux rat n’était pas si rat que ça, il me fit cadeau d’une carte routière pas si rongée que ça en soupirant « Maintenant avec le GPS c’est invendable.. Vous prenez la première ruelle à droite, puis encore à droite après la Bierstub, et vous tombez sur la nationale 4. Après, c’est tout droit. »
Un peu plus tard, je constatai que j’allais pénétrer dans Strasbourg. Je fis demi-tour, repassai par Saverne, faillis donner un petit bonjour au vieux rat si attentionné, mais m’abstins finalement par peur du ridicule.
Le surlendemain, j’étais bien à Versailles grâce à cette précieuse carte
C’est ainsi que je me suis retrouvé avec ce lapin à la carte.
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Pour ne pas être en reste, une pincée de curcuma lui a donné de la couleur, et je lui ai offert un bouquet de persil. Je ne sais s’il a apprécié le poivre de Voatsoperifery et les grains de piment de la Jamaïque. En ce qui me concerne, ce fut le cas.
Je lui ai fait cuire ses spätzlze. Gratos. Et il ne m’a même pas remercié. Le lapin est trop souvent ingrat…
Spätzle pour un lapin |