N’étaient-ce la lumière ambiante et un curieux sentiment d’avoir le cœur froid, elle aurait bien cru n’avoir fermé les yeux que quelques secondes. Dans l’ouverture circulaire cernée d’inox, elle apercevait le même visage qui l’épiait. Eh bien non, elle avait dû dormir plusieurs minutes… La chaleur l’envahissait peu à peu, et bientôt elle put se rendre compte qu’elle baignait dans un liquide parfumé. Une spatule blanche l’atteignit et un fragment se détacha de sa tempe. C’était une sensation nouvelle, elle qui n’avait été qu’un liquide comme celui dans lequel elle était plongée désormais. Elle s’aperçut tout à coup qu’elle-même retrouvait sa nature, qu’elle se fondait dans ce voisinage, et que peu à peu leurs deux corps s’accoupleraient pour ne faire qu’un. De ce mariage allait naître un nouvel être, comme elle-même résultait de l’union de ces moult tomates arrivées du jardin qui, dans ce même creuset où elle vivait une nouvelle étape, s’étaient mélangées ardemment bercées par les fragrances des herbes et des épices afin de générer ce qu’elle était : une sauce tomate.
Pas la peine qu’elle sache qu’elle a passé plusieurs mois dans le congélateur où je l’avais enfermée !
Elle accomplit sa mission comme une vaillante petite sauce tomate fraîche.
J’avais commencé par faire dorer sur toutes les faces des morceaux de poitrine de veau (avec os) assaisonnés dans un trait l’huile d’olive au fond d’un sautoir. Je les avais retirés et réservés pour les remplacer par un oignon haché finement, une petite échalote découpée en pétales. Ce mélange ayant sué à feu doux, j’y ai ajouté plusieurs petites - pour ne pas dire minuscules en raison de la sécheresse, mais très parfumées - gousses d’ail du jardin. J’ai versé la moitié d’une bouteille de gros-plant et une cuillerée de balsamique blanc qui ajoutera à la fois un peu d’acidité et de sucrosité.
J’ai déposé ma sauce tomate tout juste démoulée de son bac de plastique.
Je la vois fondre doucement et se répandre au fond du sautoir.
C’est fini, je brasse avec ma spatule blanche : une nouvelle sauce est née, enfin presque, parce qu’il me faut la mettre à réduire doucement après y avoir plongé mes morceaux de veau et un bouquet garni enfermant entre des feuilles de poireau des brins de thym et de marjolaine ainsi que des queues de persil et une feuille de laurier.
Je recouvre et laisse cuire à feu doux pendant un peu moins d’une heure en retournant les morceaux de veau de temps à autre.
Ah, la belle poitrine !
Un peu avant de servir, je prépare une gremolata en hachant persil, ail (cette fois-ci deux grosses gousses d’ail de Touraine débarrassées de leur germe) et zeste de citron. Je transvase le contenu du sautoir dans le plat de service après avoir donné un tour de moulin de poivre blanc de Penja, rectifié l’assaisonnement et ajouté le jus d’une moitié du citron ayant servi à fournir le zeste.
Je parsème de la gremolata.
La gremolata, la gremolata … (air connu)
L’accompagnement consistera en des penne rigate cuits al dente.
Beau veau et sa remise de penne
L’été était revenu dans nos assiettes. Finalement, ma sensible et naïve sauce tomate avait raison : seules quelques minutes nous séparaient de la récolte sous un soleil de plomb…
On peut être (en novembre) et avoir l'été
Comme les infantes participaient au repas, la pâtissière maison, sans doute inspirée par la vue de mes manipulations de moules à mini-muffins durant ma brève carrière de traitamateur, a ressorti ceux de taille normale afin de concocter des muffins aux cranberries afin de tenter de régaler la jeune génération.
Ce fut le cas, même la cadette au bec salé n’a pas dédaigné ce dessert… Ni moi d’ailleurs, car ces muffins n’étaient pas trop sucrés.
M'enfin, ce sont des muffins !
J’ai retrouvé l’impression de la recette, apposée à l'aide d'un aimant sur la face Est du frigo. Mais j’en ignore la source - alors toutes mes excuses auprès du contributeur anonyme pour ce piratage involontaire. Je résume ci-dessous :
On bat 100 g de beurre mou jusqu’à ce qu’il soit crémeux. On ajoute 175 g de sucre (quantité réduite volontairement à 120 g…), 2 œufs et une pincée de sel. À part on mélange 250 g de farine et 2 cuillères à café de levure. Puis on l’ajoute alternativement avec 125 ml de lait dans le mélange beurre œufs. On incorpore les cranberries. La cuisson dure une vingtaine de minutes à 175 °C. Laisser refroidir 5 minutes avant de démouler !
Alors, nous, les muffins, nous n’avons pas le droit à la parole pour faire part de nos états d’âmes ? Peut-être sommes-nous trop bonnes pâtes…
- Ah, vous êtes gonflés de me dire ça. Non, c’est tout simplement parce que je croyais que vous ne parliez qu’anglais.
Ayant réalisé un peu tard qu’allait arriver le beaujolais nouveau, je me trouvais fort démuni quand ce jour fut venu, n’ayant pas procédé à l’achat de sabaudet, saucisson à cuire ou toute autre spécialité lyonnaise apte à jouer le faire-valoir. Il m’a fallu improviser un plan B pour cette cérémonie que je réitère chaque année, sans doute sottement, mais, à ma décharge, plutôt pour ponctuer le temps qui passe dans une dégustation rituelle plus chargée de souvenirs que d’extases œnologiques. Je m’efforce cependant de me diriger vers un vin plaisant produit par un vrai viticulteur. En l’occurrence, en ce jour, ce fut le Gamay Nouveau Les Griottes produit par le vigneron Pierre-Marie Chermette.
Cherchant dans mes provisions de quoi accompagner ce breuvage je me suis dit qu’une de ces remarquables terrines confectionnées par la maison Teyssier suivant des recettes de Stéphane Reynaud s’imposait, tant par sa saveur que par son appellation : La Terrine de Sanglier à l’Ivrogne. Argument supplémentaire, elle se trouve sur le catalogue de Bobosse…
Il ne me restait plus qu’à compléter avec des fromages. J’ai sorti un excellent chabichou d’un éleveur du Mirebalais que j’avais acheté au marché de Neuville de Poitou, mais surtout un délicieux fromage de chèvre bien plus en situation car provenant d’une ferme dominant une vallée du Lyonnais.
L'ardoise est garnie. Bonne dégustation !
Je me demande si l’année prochaine je n’oublierai pas encore de cuisiner…
Me sentant brimé après la vision d’une fête du hareng à Dieppe où je n’étais pas présent, j’ai décidé d’organiser une version délocalisée de cet événement en mon appartement. Il est vrai que ce n’était pas l’orgie harenguesque dieppoise…
Dans les rues de Dieppe
Mais s’ils se trouvèrent 100000 en dégustant au port, nous n’étions que 2 à partager cette fête. Et même si la braise fut remplacée par un gril sans âme, c’était bien bon quand même.
Il y a un peu plus d’un an j’avais réalisé une goûteuse beuchelle pour laquelle mon seul regret avait été de ne pas l’avoir servie dans un flan de croustillant feuilletage comme le prescrivait Édouard Nignon.
Aussi, quand dans la vitrine du charcutier traiteur versaillais voisinant les halles ont paradé de dodues croustades arborant l’étendard BEUCHELLE TOURANGELLE (avec le sous-titre ris de veau et rognon à l’intention des ignorants franciliens), je n’ai pu m’empêcher de vouloir tester cette version. Rien d’étonnant d’ailleurs à ce que cet artisan propose ce produit, car avant d’exercer dans la ville royale il tenait boutique dans une commune voisine de Tours, où son successeur a obtenu plusieurs prix dans les concours de rillons et rillettes – rillettes primées que je n’ai pas eu, hélas, encore eu l’occasion de tester 😞 .
Je sors donc du four, où je lui ai fait passe un quart d’heure au four à 170 °C comme l’a prescrit la vendeuse, cette beuchelle cloîtrée sous son dôme doré.
Je vais casser la croûte...
J’entreprends de briser les murs de sa prison. « Libérée, délivrée… » chante la reine du réchauffement.
Quant à moi, je déchante. Enfin, pas trop, car l’intérieur est convenablement garni de ris de veau de bonne tenue et de rognon pas caoutchouteux. Mais les champignons n'ont pas été cueillis dans les bois, ce sont de vulgaires champignons de Paris - bon je retire le qualificatif de vulgaire car je sens que je fais de la peine à ces malheureux libérés délivrés d’antres souterrains et dont le sort ne fut pas plus enviable que celui d’un poulet de batterie -, ce sont de banals champignons de Paris rectifierai-je, et la sauce, bien que d’une saveur honorable, a tranché en dépit de mon respect des instructions.
N'attendons pas, il est brisé.
Je signale néanmoins à tout client potentiel qui voudrait me faire réenfiler mon tablier de traitamateur pour une hypothétique livraison de beuchelles individuelles que la supériorité gustative de ma production repose uniquement sur son volume restreint dans un cadre familial, ce qui permet d’éliminer pas mal de contraintes.
Mon droit campagnard à la paresse a fait long feu pour mon retour en ville.
En effet, à peine arrivé, je me suis vu confier la mission de confectionner une partie des amuse-gueule destinés à garnir la table d’un pot comportant environ 80 participants.
J’ai eu beau répéter que je n’étais pas un traiteur, rien n’y a fait.
« De toute façon, ça ne pourra qu’être meilleur que ces tristes buffets sans âme des professionnels.
-Ah oui, même si la moitié de pièces est cramée ou pas assez cuite, même si je me trompe dans l’assaisonnement…
-Mais non, ça n’arrivera pas ! »
Je me suis laissé convaincre - d’ailleurs pouvais-je faire autrement ? Mais je n’en menais pas large avant que le verdict des invités ne tombe sur ma production.
Ma production… En voici le bon de livraison :
>33 brioches gros diamètre grosse tête saupoudrée de pavot bleu + 33 brioches gros diamètre petite tête saupoudrée de paprika : garniture identique de mirabelle séchée sous un morceau de foie gras mariné au porto parfumé d’une pointe de fève tonka et relevé d’un tour de moulin de poivre rouge. >45 brioches petit diamètre, tête avec insert de noix du Richelais : garniture de piquillos grossièrement hachés sous des lamelles de magret de canard fumé > 45 brioches petit diamètre, tête saupoudrée de graines d’anis vert : garniture de morilles poêlées avec de l’échalote et parfumées d’une pointe de cinq-épices. > 110 cannelés bordelais
L’avant-veille du pot, je comprends qu’il me manque du matériel : si je possède déjà deux plaques en silicone de moules à mini-muffins, il serait bien utile d’en avoir une troisième afin de ne pas multiplier les fournées de brioches au foie gras et surtout les périodes de pousse
et d’y ajouter trois plaques de moules à petits fours pour les autres brioches.
Autre manque : je n’ai plus de morilles séchées dans mes réserves. Il est dix heures du matin. Je passe commandes sur Amazon de ces produits. Ils arriveront (ouf !) en début de soirée. Force m’est de reconnaître que parfois les GAFA ont du bon… D’autant plus que j’ai payé les moules moins cher que chez le soi-disant spécialiste local qui m'aurait répondu son antienne habituelle, il faut les commander. Et après ce dernier va gémir « C’est la crise, je n’ai plus de clients ». Bref… En attente de la livraison, il ne faut pas chômer pour autant.
Je commence par dénerver le foie gras de canard acheté chez le volailler et le partage en petits cubes que je mets à mariner dans un verre de porto parfumé du tiers d'une fève tonka râpé et de plusieurs tours de moulin de poivre rouge. Je réserve dans le réfrigérateur.
Il faut ensuite passer à la préparation de l’appareil des cannelés. Je porte à ébullition 3 litres de lait avec 400 g de beurre. Hors du feu, j’ajoute 1 litre de lait battu avec 16 jaunes d’œufs. Puis quand ce mélange est froid j’y incorpore 2000 g de sucre, 1200 g de farine, les graines de 4 gousses de vanille, 4 verres de rhum. Je réserve au frais jusqu’au lendemain.
Ce lendemain, qui est aussi la veille du jour fatidique, j’y suis désormais.
Ma première opération est de réaliser les pâtes à brioche dans la cuve du batteur mélangeur.
La première, destinée aux brioches au foie gras commence par le brassage à vitesse lente puis moyenne de : 1 kg de farine Gruaudor des Moulins de Versailles 120 g de sucre 4 cuillères à café de sel 40 g de levure sèche 12 œufs battus au fouet Une fois la boule homogène obtenue j’incorpore 600 g de beurre en pommade.
La seconde, pour les brioches au magret de canard ou aux morilles reprend la même recette, avec néanmoins quelques petites variations : 1 kg de farine, mais de la T55 des mêmes moulins 11 œufs 660 g de beurre
J’espère que SUPERFROMENT viendra à ma rescousse !
Je laisse pousser les boules obtenues dans un endroit chaud sous un torchon.
Pendant ce temps, il va être possible de cuire les cannelés. C’est d’ailleurs l’étape la plus facile dans mon rôle de traitamateur, car je dispose du matériel adéquat. Le plus pénible est de transporter la dizaine de kilos du faitout empli à ras bord de la pâte.
Mes 32 moules - un peu disparates en raison d’acquisitions successives - occupent précisément la surface de la plaque perforée qui les supportera dans le four. Un coup de spray de démoulage, et c’est un jeu d’enfant de verser l’appareil jusqu’à quelques millimètres du bord à l’aide de l’entonnoir automatique.
Belle invention !
Et hop, une plaque est prête.
Zou, au four pour 50 minutes à 190 °C !
À la sortie, il faut faire fissa pour renverser les moules et faire tomber les cannelés sur les grilles qui les attendent. Tiens, un rétif ! Un petit coup de cure-dent saura te faire dégager.
Et c’est reparti pour trois autres fournées, la dernière avec le reste de pâte ne permettant la cuisson que de 14 pièces.
Bon, il est midi, en ce qui concerne les cannelés, mission accomplie ! Mais il reste encore à sortir toutes les brioches…
Une petite pause pour se sustenter, et c’est reparti.
Pour les petites brioches, un avantage par rapport aux cannelés : la cuisson en est moins longue. Mais en revanche il faudra intégrer un temps de pousse dans les moules.
Je vais commencer par une fournée de brioches au foie gras.
La tâche préalable est de sortir les morceaux de foie gras et les égoutter de leur marinade, et de dénoyauter avant de les partager en deux une trentaine de mirabelles déshydratées néanmoins restées moelleuses. Je n’oublie pas non plus de réhydrater 50 g de morilles séchées dans de l’eau tiède. Je partage en deux les tranches de magret et les réserve en les relevant d’une pincée de piment d’Espelette.
Puis je dégaze les pâtes à brioche. Elles ont gonflé à souhait et ont au moins doublé de volume.
J’emplis de pâte les cavités pour mini-muffins jusqu’à moitié. J’y enfonce une demi-mirabelle, puis un cube de foie gras. Je rebouche avec une boule de pâte en appuyant fermement. Je place les trois plaques de silicone à côté d’un radiateur.
Afin de ne pas perdre de temps et enchaîner deux cuissons, je me lance aussitôt dans la confection des brioches au magret fumé.
Je dépose une petite boule de pâte au fond de chaque cavité pour petit four. Je l’aplatis en y incorporant quelques lambeaux de piquillos extraits d’un bocal. Je recouvre de deux moitiés de tranche de magret fumé. Je referme avec une autre petite boule de pâte que j’enfonce en y plantant la moitié d’un cerneau de noix. Ces trois autres plaques viennent rejoindre les premières à côté du radiateur.
Pendant que tout ce petit monde entreprend de se donner du volume, je sors les morilles de leur bain, les sèche avec un papier essuie-tout Je hache finement une échalote cuisse de poulet que je viens d’éplucher et tranche grossièrement les morilles. Je verse dans une petite poêle sur une noix de beurre demi-sel en train de fondre et laisse suer quelques minutes avec une pincée de cinq-épices et un tour de moulin de poivre noir. Je sors la poêle du feu et mets à refroidir son contenu.
Une heure a passé, mes brioches au foie gras ont bien monté, et la pâte commence à former un chapeau qui déborde sur la plaque de silicone.
Je badigeonne ces têtes au pinceau avec un jaune d’œuf dilué dans de l’eau. Je parsème ensuite d’une pincée de graines de pavot.
J’enfourne à 180 °C pour une quinzaine de minutes. Les brioches ressortent bien dorées.
Elles ont pris la grosse tête, mais moi non. J’ai l’impression qu’elles sont bien cuites, mais sans aucune certitude. Planter une lame pour tester ne servirait à rien, car elle serait forcément maculée par l’insert, et je ne veux pas entamer mon capital brioches… Inch’Allah, comme on dit au pays des baklavas…
J’enchaîne aussitôt en enfournant les brioches au magret, elles aussi dorées à l’œuf. Comme elles sont plus petites, je les sors au bout de 13 minutes - je ne suis pas superstitieux.
Pendant ce temps je démoule ma première fournée. Les plaques sont disponibles pour une seconde fournée de brioches au foie gras après qu’elles ont refroidi le temps de démouler les brioches au magret.
Et c’est reparti.
Les brioches au foie gras seront presque identiques aux premières, la même garniture, avec toutefois moins de pâte. Eh oui, j’ai mal géré le partage ! Elles n’en seront pas pour autant moins bonnes, bien au contraire, et elles seront plus élégantes. Là encore, direction radiateur…
Je passe -ouf !- à la dernière confection : les brioches aux morilles. Boule de pâte, une cuillerée du mélange morille échalote, boule de pâte, aplatissage, direction radiateur.
Une heure plus tard, dorure à l’œuf, mais pour cette seconde version au foie gras, je remplace les graines de pavot par du paprika. J’enfourne pour 15 minutes.
Pendant ce temps je parsème les têtes des brioches aux morilles avec des pincées de graines d’anis vert.
Dehors, les brioches au foie gras ! Dedans, les brioches aux morilles !
Treize minutes plus tard le four peut prendre un repos bien mérité ! Quant à moi, il ne me reste plus qu’à caser cette production dans l’appartement jusqu’au lendemain matin.
Les envahisseurs
Autant dire que toutes les grilles et tous les plats furent réquisitionnés…
Ça y est, le jour fatidique du pot qui doit avoir lieu en fin d’après-midi est arrivé.
Mon activité de traiteur occasionnel n’est pas terminée. Il me faut assurer la livraison.
Je collecte toutes les boîtes en plastique alimentaire disponibles à la maison, allant jusqu’à vider temporairement certaines de leur contenu - paquets de sucre, sachets de farine ou autres produits que je souhaite préserver de l’humidité.
Mes productions viennent s’y nicher, les couches séparées par une découpe de papier siliconé. Il manque quand même encore un contenant pour les derniers cannelés. En désespoir de cause, je prendrai une boîte amputée de son couvercle suite à un accident, conservée au cas où.... Et ce cas, le voici. Je bricole une couverture de fortune
.
Et voilà, tous ces récipients sont encore enfermés dans de grands sacs pour le transport.
Quelques heures plus tard, mes brioches et cannelés se trouvent à côté des différentes boissons, d’une épaule de bellota prête à être tranchée, de diverses charcutailles, de plateaux fournis par un excellent maître-fromager, mais aussi de gougères et de cervelles de canut dont j’ai fort heureusement été dispensé de la confection confiée à un autre membre du cercle des traiteurs amateurs...
Il semble que l’amateurisme n’a pas démérité, personne n’a râlé sur la qualité, aucun cas d’intoxication alimentaire n’a été signalé dans l’immédiat ni même dans les heures qui suivaient.
Mission accomplie, donc…
Il est bien rare que je cuisine ainsi en série de telles quantités. Tant mieux car je ne ferais pas ça tous les jours !
Accueillant dans ma gentilhommière (maison de campagne d’un homme gentil…) poitevine quelques hôtes weekendisants dont l’heure d’arrivée vespérale était plutôt imprévisible, j’avais cédé à la facilité. Le cœur de ce repas froid consistait en des ready-mades : des tranches de magret de canard farci de foie gras et de magret séché que j’avais disposées plus ou moins harmonieusement sur un plat. Un quatuor de tomates cerises déshydratées et un jeté de feuilles de persil frisé s’évertuaient par leurs touches de couleur à conférer un peu de vie à cet alignement de gisants.
Magrets de deux façons
Pour accompagner ce plat, j’avais fait cuire un sachet de lentilles vertes tout aussi locales que mes canarderies d’un petit producteur - mes invités ne s’étant pas payés 350 km d’autoroutes et de départementales pour voir arriver sur la table du Labeyrie ou de la Comtesse du Barry pas plus que des lentilles du Puy, si bonnes soient-elles. J’en avais confectionné une salade en les arrosant d’une vinaigrette constituée d’un mélange d’huile d’arachide et d’huile de chanvre, de vinaigre de Xérès, de traits de balsamique blanc, de jus de citron et relevée de quelques gouttes de Tabasco. Je l'avais agrémentée de lambeaux de l’oignon blanc ayant participé à la cuisson. S’y ajoutait le parfum de tours de moulin de poivre rouge et de Voatsiperifery. Je dois avouer que le résultat était délectable, et que pour une fois le légume a relégué la viande au second plan…
Lentilles vertes poitevines
Je revendique mon droit à la paresse, mais quant à elle ma moitié n’avait pas fait les choses à moitié. Elle avait réalisé un savoureux cheesecake revêtu d’un vivifiant topping au citron selon une recette du blog La cuisine de Bernard.
La présence dans chaque supermarché d’un rayon consacré aux produits anglais pour répondre à la demande des fils et filles de la perfide Albion qui ont envahi notre Aquitaine, qu’elle soit Nouvelle ou Ancienne, nous a permis de nous procurer aisément les biscuits Digestive. En revanche un balayage de toutes les ressources potentielles dans un rayon de 20 km s’est révélé infructueux pour l’acquisition d’un moule de 23 cm de diamètre. Il a donc fallu se résigner à utiliser le vieux moule de 24 cm, ce qui a conduit à un gâteau un peu moins épais que la norme…
Il me faut maintenant me lancer dans une confession douloureuse, mais nécessaire par souci de vérité.
La recette imprimée du cheesecake était posée sur la table devant laquelle j’étais installé, les yeux fixés sur l'écran de l'ordinateur, absorbé que j'étais par des recherches sur Internet...
Soudain j’entends, provenant de la cuisine où Madame s’affairait, jaillir cette question : « Les dix minutes à 200 °C sont passées, je ne me souviens pas du temps pour les 90 °C… ». Je balaye rapidement la feuille d’un regard distrait et lance, péremptoire :
« Ah oui, je viens de trouver, ce sont deux heures.
- Hum, ça me semble un peu long.
- Bof, il s’agit de cuisson à basse température… »
Et c’est parti pour 120 minutes de doux ronronnement du four. Puis le cheesecake est enfin sorti, mais n’est pas encore démoulé. La confection du topping, c’est pour le lendemain, le gâteau doit séjourner 24 heures au réfrigérateur avant de passer à cette étape. Mais Madame est d’un caractère anxieux, elle tient à s’assurer qu’elle n’a rien oublié pour cette première étape et que tous les produits sont disponibles à la maison pour la phase finale future. Deux minutes plus tard l’impression de la recette me revient, brandie sous mon nez par une pâtissière furibonde.
« Bravo, on peut te faire confiance ! Regarde, lis bien et relis encore. Voici le texte tel qu’il est écrit noir sur blanc par Bernard : "laisser cuire au four pendant 10 minutes à 200 °C puis baisser la température à 90 °C et cuire pendant 30 minutes. Le cheesecake est à ce stade figé sur les côtés, et un peu tremblotant au centre. C’est exactement ce que l’on recherche ! Laisser refroidir le gâteau à température ambiante dans le four. Cela prend environ deux heures !" Pendant trente minutes à 90 °C, trente minutes, oui Môssieur, et non pas deux heures. Tu as saboté mon dessert avec ces deux heures de trop ! Honte à toi ! »
Je me sens un peu penaud, mais tente néanmoins d’élaborer une timide défense.
« Ben, ben… Ben, c’est la faute de Bernard ! Y a pas idée de mettre des points d’exclamation partout dans l’écriture d’une recette ! À moi aussi, deux heures ça m’a paru un peu long, mais comme c’était suivi d’un point d’exclamation, j’en ai déduit que Bernard lui-même était impressionné par cette durée que lui avait imposée l’expérience. Et puis l’œil attiré par cette description pleine de vie d’une gelée tremblotante s’est nourri de cette image, et la rêverie induite m’a fait omettre inconsciemment la notification d’un chiffrage de process d’une froideur toute technicienne. J’ajouterai, sans vouloir pour autant accabler ce pauvre Bernard qui me semble plus compétent en cuisine qu’en littérature vulgarisatrice, que le terme température ambiante s’applique généralement en cuisine comme en œnologie à la température de la pièce où le cuisinier se fait suer, le beurre se fait ramollir et le vin se fait chambrer, et non à celle de l’intérieur d’un four dont de plus il omet de rappeler qu’il était déjà éteint - oubli fâcheux qui m’a empêché de m’apercevoir de mon dérapage lors de ma lecture rapide. Mais fi donc de ces considérations critiques, j’en reviens à ce qui m’importe le plus, te rassurer… Eh bien, à mon avis, tu peux rester sereine. D’abord je tiens à souligner que le réglage du thermostat à 90 °C n’implique pas que le four passera immédiatement à cette température interne. Je suis persuadé que les bilans thermiques ne diffèrent pas d’une façon catastrophique et que le résultat final ne sera pas notablement entaché par ma bévue, la précision temporelle n’étant pas d’une rigueur extrême pour les cuissons en dessous de 100 °C, d’autant plus qu’un récipient destiné à maintenir une atmosphère humide avait été placé dans le four.
Rien n’est perdu, fors mon honneur !
- Puisses-tu avoir raison… »
L’après-midi du lendemain le cheesecake était démoulé et débarrassé de ses sous-vêtements de papier sulfurisé avant d'être recouvert du topping. Il n’apparaissait nullement desséché et ne semblait même pas être victime d’une surcuisson. Mais le verdict final ne saurait être rendu qu’au moment de la découpe, en fin de repas…
Eh bien la tranche était bien moelleuse, chaque cuillerée fondait dans la bouche.
Dites "cheese" !
Sans rancœur… Merci Bernard !
Le jour suivant, guère plus d’investissement de ma part.
Pour régaler les convives sans y consacrer trop de temps, je me suis contenté de mettre à rôtir un gigot d’agneau de la Gâtine poitevine.
Dodu
Je l'ai servi tranché et posé sur un lit de cresson avec dans une saucière son jus de cuisson parfumé par les herbes du jardin - ou plutôt de la cour devant la cuisine.
Retour à l'herbage
Mais surtout pour l’accompagner je me suis contenté d’ouvrir un bocal de mogettes déjà cuisinées et de le réchauffer en ajoutant une noix de beurre.
Même pas honte, car chacun m‘a fait des compliments pour la cuisson de mes haricots avant que pris de remords je ne fasse aveu de ma conduite flemmarde. D’ailleurs, si je ne m’étais vu tournant discrètement le couvercle, je crois bien que je me serais laissé abuser moi-même par ces mogettes IGP Label Rouge aussi fondantes et goûteuses que si je m’étais consacré personnellement à leur préparation, me privant pendant ce temps de la compagnie de mes hôtes.
Et j’espère bien qu’ils ne sont pas venus que pour la bouffe !
Je déambulais dans le supermarché Leclerc de Chinon, où je m'étais rendu afin d’acheter les 2 piles CR2032 destinée à combler la voracité de ma balance de cuisine (complètement taré, c’modèle là !) que j’avais eu la bêtise de me procurer en grande surface, alors que pourtant je n’ignore pas que par ce biais j’ai dans ma panoplie un économe qui s’effondre à la vue de la première patate venue, une râpe qui tournicote vainement en effleurant le sujet, un tranchelard qui a du se reconvertir en tranchebeurre (et encore qui ne parvient à ses fins que si le Surgères est à température ambiante…).
Ce couple de piles me remettait en mémoire la mésaventure du regretté Pierre Desproges qu’il avait narrée avec tant de verve…
M’émerveillant en mon for intérieur de la miraculeuse adéquation entre mon besoin et le conditionnement, je tombais néanmoins en arrêt devant une corbeille d’osier tressé. Une inscription avait attiré mon attention (eh oui, mon cerveau se vante d’être multitâches, contrairement à Gerald Ford je pourrais marcher et mâcher du chewing-gum en même temps si toutefois un tel agissement, fort peu probable en ce qui me concerne, me venait à l’esprit) : une étiquette plantée en son sein affichait en grosses capitales tracées négligemment avec la rusticité adéquate : FOUÉES.
Quoi de mieux pour y étaler le reste de mon pot de rillettes de Tours et honorer ainsi Rabelais ?
Néanmoins les sachets contenaient une bonne douzaine de ces petits pains ronds. Beaucoup trop pour mon usage ! À la caisse je n’allai pourtant pas le jouer à la Desproges en requérant l’ouverture du pochon pour en prélever une paire… À ma requête ne serait aucunement enclinée l’hôtesse-fouacière, mais, que pis est, m’outragèrait grandement, m’appelant brèche-dents, plaisant rousseau, fainéant, rien-ne-vaut, rustre, malotru et autres telles épithètes diffamatoires, ajoutant que point à moi n’appartenait manger de ces belles fouaces, mais que je devais se contenter de gros pain ballé et de tourte.
Ne voulant pas déclencher une nouvelle guerre picrocholine, d’autant plus qu’un passage par Lerné m’avait permis de constater que, telle Le Havre après les bombardements, cette bourgade avait été depuis parfaitement reconstruite
j’ai préféré opter pour une solution alternative. Trop de fouées - ou pas assez de rillettes ?
Je suis donc parti à la recherche du pot qui me permettra de tartiner à souhait. Pot de rillettes - de Tours, of course. Of course, mais pas of courses chez un Leclerc, fut il chinonais. Car partout en évidence des pots de rillettes du Mans de marques diverses, de Connerré, primées, pas primées, à l’ancienne, d’oie, de canard et même - horresco referens - de poulet. Mais de rillettes de Tours, point. Je commençais à désespérer devant cette confirmation que nul n’est prophète en son pays quand tout à coup je tombai sur deux petites rangées presque cachées de pots arborant le label IGP. Deux producteurs différents, mais chacun insistant lourdement sur l’apport enoméga 3, ce qui d’ordinaire aurait tendance à me faire fuir, non pas tant en raison de cette présence somme toute plutôt bénéfique, mais à la lecture de ce discours mercantile qui veut remplacer un plaisir gustatif tout simple par une odieuse absorption de pharmacopée.
Cependant j’ai réprimé ce premier mouvement de répulsion, me disant qu’après tout qu’importe le flacon si l’on a l’ivresse. Quelle marque retenir ? Les deux mon général…
Et c’est ainsi qu’après une solennelle dégustation d’une fouée passée au four garnie du reste de l’excellente brune confiture de cochon artisanale
j’entreprends de tester mes deux produits labellisés.
Quelle déception. Voyez plutôt :
Ah, zut, j’ai oublié d’enlever le couvercle…
Voilà, c’est chose faîte :
Sous le couvercle, l'IGP
Pâlichon, n’est-ce pas, et trop haché. Quant au goût, il ne vaut guère mieux. Fadasse, presque écœurant. J’en viendrais à leur préférer des rillettes sarthoises bien nées…
Franchement, avec de telles troupes en première ligne, Tours aura bien du mal à gagner la bataille des rillettes. Rabelais doit se retourner dans sa tombe…
Tout comme l'habit ne fait pas le moine, l'IGP ne fait pas le produit. Je m'ensouviendrai.