samedi 23 novembre 2019

Où l'on me voit dans le rôle d'un traitamateur

Mon droit campagnard à la paresse a fait long feu pour mon retour en ville.
En effet, à peine arrivé, je me suis vu confier la mission de confectionner une partie des amuse-gueule destinés à garnir la table d’un pot comportant environ 80 participants.
J’ai eu beau répéter que je n’étais pas un traiteur, rien n’y a fait.
« De toute façon, ça ne pourra qu’être meilleur que ces tristes buffets sans âme des professionnels.
-Ah oui, même si la moitié de pièces est cramée ou pas assez cuite, même si je me trompe dans l’assaisonnement…
-Mais non, ça n’arrivera pas ! »
Je me suis laissé convaincre - d’ailleurs pouvais-je faire autrement ? Mais je n’en menais pas large avant que le verdict des invités ne tombe sur ma production.
Ma production… En voici le bon de livraison :

> 33 brioches gros diamètre grosse tête saupoudrée de pavot bleu
+   33 brioches gros diamètre petite tête saupoudrée de paprika :
garniture identique de mirabelle séchée sous un morceau de foie gras mariné au porto parfumé d’une pointe de fève tonka et relevé d’un tour de moulin de poivre rouge.
> 45 brioches petit diamètre, tête avec insert de noix du Richelais :
garniture de piquillos grossièrement hachés sous des lamelles de magret de canard fumé
> 45 brioches petit diamètre, tête saupoudrée de graines d’anis vert :
garniture de morilles poêlées avec de l’échalote et parfumées d’une pointe de cinq-épices.
> 110 cannelés bordelais


L’avant-veille du pot, je comprends qu’il me manque du matériel : si je possède déjà deux plaques en silicone de moules à mini-muffins, il serait bien utile d’en avoir une troisième afin de ne pas multiplier les fournées de brioches au foie gras et surtout les périodes de pousse



et d’y ajouter trois plaques de moules à petits fours pour les autres brioches.



Autre manque : je n’ai plus de morilles séchées dans mes réserves. Il est dix heures du matin. Je passe commandes sur Amazon de ces produits. Ils arriveront (ouf !) en début de soirée. Force m’est de reconnaître que parfois les GAFA ont du bon… D’autant plus que j’ai payé les moules moins cher que chez le soi-disant spécialiste local qui m'aurait répondu son antienne habituelle, il faut les commander. Et après ce dernier va gémir « C’est la crise, je n’ai plus de clients ». Bref… En attente de la livraison, il ne faut pas chômer pour autant.

Je commence par dénerver le foie gras de canard acheté chez le volailler et le partage en petits cubes que je mets à mariner dans un verre de porto parfumé du tiers d'une fève tonka râpé et de plusieurs tours de moulin de poivre rouge. Je réserve dans le réfrigérateur.

Il faut ensuite passer à la préparation de l’appareil des cannelés. Je porte à ébullition 3 litres de lait avec 400 g de beurre. Hors du feu, j’ajoute 1 litre de lait battu avec 16 jaunes d’œufs. Puis quand ce mélange est froid j’y incorpore 2000 g de sucre, 1200 g de farine, les graines de 4 gousses de vanille, 4 verres de rhum. Je réserve au frais jusqu’au lendemain.



Ce lendemain, qui est aussi la veille du jour fatidique, j’y suis désormais.
Ma première opération est de réaliser les pâtes à brioche dans la cuve du batteur mélangeur.

La première, destinée aux brioches au foie gras commence par le brassage à vitesse lente puis moyenne de :
1 kg de farine Gruaudor des Moulins de Versailles
120 g de sucre
4 cuillères à café de sel
40 g de levure sèche
12 œufs battus au fouet
Une fois la boule homogène obtenue j’incorpore
600 g de beurre en pommade.


La seconde, pour les brioches au magret de canard ou aux morilles reprend la même recette, avec néanmoins quelques petites variations :
1 kg de farine, mais de la T55 des mêmes moulins
11 œufs
660 g de beurre


J’espère que SUPERFROMENT viendra à ma rescousse !



Je laisse pousser les boules obtenues dans un endroit chaud sous un torchon.
Pendant ce temps, il va être possible de cuire les cannelés. C’est d’ailleurs l’étape la plus facile dans mon rôle de traitamateur, car je dispose du matériel adéquat. Le plus pénible est de transporter la dizaine de kilos du faitout empli à ras bord de la pâte.
Mes 32 moules - un peu disparates en raison d’acquisitions successives - occupent précisément la surface de la plaque perforée qui les supportera dans le four. Un coup de spray de démoulage, et c’est un jeu d’enfant de verser l’appareil jusqu’à quelques millimètres du bord à l’aide de l’entonnoir automatique.



Belle invention !

Et hop, une plaque est prête.



Zou, au four pour 50 minutes à 190 °C !
À la sortie, il faut faire fissa pour renverser les moules et faire tomber les cannelés sur les grilles qui les attendent. Tiens, un rétif ! Un petit coup de cure-dent saura te faire dégager.


cannelés bordelais


Et c’est reparti pour trois autres fournées, la dernière avec le reste de pâte ne permettant la cuisson que de 14 pièces.
Bon, il est midi, en ce qui concerne les cannelés, mission accomplie ! Mais il reste encore à sortir toutes les brioches…


Une petite pause pour se sustenter, et c’est reparti.
Pour les petites brioches, un avantage par rapport aux cannelés : la cuisson en est moins longue. Mais en revanche il faudra intégrer un temps de pousse dans les moules.

Je vais commencer par une fournée de brioches au foie gras.

La tâche préalable est de sortir les morceaux de foie gras et les égoutter de leur marinade, et de dénoyauter avant de les partager en deux une trentaine de mirabelles déshydratées néanmoins restées moelleuses. Je n’oublie pas non plus de réhydrater 50 g de morilles séchées dans de l’eau tiède. Je partage en deux les tranches de magret et les réserve en les relevant d’une pincée de piment d’Espelette.

Puis je dégaze les pâtes à brioche. Elles ont gonflé  à souhait et  ont au moins doublé de volume.
J’emplis de pâte les cavités pour mini-muffins jusqu’à moitié. J’y enfonce une demi-mirabelle, puis un cube de foie gras. Je rebouche avec une boule de pâte en appuyant fermement. Je place les trois plaques de silicone à côté d’un radiateur.

Afin de ne pas perdre de temps et enchaîner deux cuissons, je me lance aussitôt dans la confection des brioches au magret fumé.
Je dépose une petite boule de pâte au fond de chaque cavité pour petit four. Je l’aplatis en y incorporant quelques lambeaux de piquillos extraits d’un bocal. Je recouvre de deux moitiés de tranche de magret fumé. Je referme avec une autre petite boule de pâte que j’enfonce en y plantant la moitié d’un cerneau de noix. Ces trois autres plaques viennent rejoindre les premières à côté du radiateur.

Pendant que tout ce petit monde entreprend de se donner du volume, je sors les morilles de leur bain, les sèche avec un papier essuie-tout Je hache finement une échalote cuisse de poulet que je viens d’éplucher et tranche grossièrement les morilles. Je verse dans une petite poêle sur une noix de beurre demi-sel en train de fondre et laisse suer quelques minutes avec une pincée de cinq-épices et un tour de moulin de poivre noir. Je sors la poêle du feu et mets à refroidir son contenu.

Une heure a passé, mes brioches au foie gras ont bien monté, et la pâte commence à former un chapeau qui déborde sur la plaque de silicone.
Je badigeonne ces têtes au pinceau avec un jaune d’œuf dilué dans de l’eau. Je parsème ensuite d’une pincée de graines de pavot.
J’enfourne à 180 °C pour une quinzaine de minutes. Les brioches ressortent bien dorées.

brioches au foie gras


Elles ont pris la grosse tête, mais moi non. J’ai l’impression qu’elles sont bien cuites, mais sans aucune certitude. Planter une lame pour tester ne servirait à rien, car elle serait forcément maculée par l’insert, et je ne veux pas entamer mon capital brioches… Inch’Allah, comme on dit au pays des baklavas…

J’enchaîne aussitôt en enfournant les brioches au magret, elles aussi dorées à l’œuf. Comme elles sont plus petites, je les sors au bout de 13 minutes - je ne suis pas superstitieux.

Pendant ce temps je démoule ma première fournée. Les plaques sont disponibles pour une seconde fournée de brioches au foie gras après qu’elles ont refroidi le temps de démouler les brioches au magret.

brioches aux magrets fumés



Et c’est reparti.

Les brioches au foie gras seront presque identiques aux premières, la même garniture, avec toutefois moins de pâte. Eh oui, j’ai mal géré le partage ! Elles n’en seront pas pour autant moins bonnes, bien au contraire, et elles seront plus élégantes. Là encore, direction radiateur…



Je passe -ouf !- à la dernière confection : les brioches aux morilles. Boule de pâte, une cuillerée du mélange morille échalote, boule de pâte, aplatissage, direction radiateur.

Une heure plus tard, dorure à l’œuf, mais pour cette seconde version au foie gras, je remplace les graines de pavot par du paprika. J’enfourne pour 15 minutes.
Pendant ce temps je parsème les têtes des brioches aux morilles avec des pincées de graines d’anis vert.
Dehors, les brioches au foie gras ! Dedans, les brioches aux morilles !

Treize minutes plus tard le four peut prendre un repos bien mérité ! Quant à moi, il ne me reste plus qu’à caser cette production dans l’appartement jusqu’au lendemain matin.

Les envahisseurs


Autant dire que toutes les grilles et tous les plats furent réquisitionnés…


Ça y est, le jour fatidique du pot qui doit avoir lieu en fin d’après-midi est arrivé.
Mon activité de traiteur occasionnel n’est pas terminée. Il me faut assurer la livraison.
Je collecte toutes les boîtes en plastique alimentaire disponibles à la maison, allant jusqu’à vider temporairement certaines de leur contenu - paquets de sucre, sachets de farine ou autres produits que je souhaite préserver de l’humidité.
Mes productions viennent s’y nicher, les couches séparées par une découpe de papier siliconé. Il manque quand même encore un contenant pour les derniers cannelés. En désespoir de cause, je prendrai une boîte amputée de son couvercle suite à un accident, conservée au cas où.... Et ce cas, le voici. Je bricole une couverture de fortune
.
Et voilà, tous ces récipients sont encore enfermés dans de grands sacs pour le transport.

Quelques heures plus tard, mes brioches et cannelés se trouvent à côté des différentes boissons, d’une épaule de bellota prête à être tranchée, de diverses charcutailles, de plateaux fournis par un excellent maître-fromager, mais aussi de gougères et de cervelles de canut dont j’ai fort heureusement été dispensé de la confection confiée à un autre membre du cercle des traiteurs amateurs...
Il semble que l’amateurisme n’a pas démérité, personne n’a râlé sur la qualité, aucun cas d’intoxication alimentaire n’a été signalé dans l’immédiat ni même dans les heures qui suivaient.
Mission accomplie, donc…

Il est bien rare que je cuisine ainsi en série de telles quantités. Tant mieux car je ne ferais pas ça tous les jours !


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire