jeudi 23 mai 2019

Se gaufrer

Bête et discipliné, je serai… Je n’ai pas envie de me gaufrer pour cette spécialité belge.



Je sors mon appareil. Belge, comme il se doit.



Quel fer choisir ? Bon, c’est le 7 x 4 que j’installe.

Et en route vers Liège.
Donc, discipliné et bête, je me lance dans la recette et la suis pas à pas. Eh oui, je ne pense pas, donc je suis….

Ingrédients : 500 gr farine, 1/6 l. de lait tiède, 25 gr levure fraîche, 2 œufs, 10 gr sel, 1 sachet de sucre vanilliné, 250 gr beurre ramolli, 300 gr sucre perlé.
Préparation : Préparez la pâte avec tous les ingrédients sauf le beurre et le sucre. Laissez reposer 30 min. Travaillez la pâte en ajoutant progressivement le beurre. Ajoutez le sucre perlé.
Formez des pâtons de 100 gr environ. Laissez reposer à l’air 15 minutes sur un drap fariné.
Préchauffez votre gaufrier sur thermostat 7. Commencez la cuisson en retournant le gaufrier régulièrement. Démoulez avec la fourchette lorsque la cuisson montre une caramélisation.


Première erreur : je pense pouvoir me dispenser d’utiliser le batteur mélangeur, et je me trouve empêtré dans une pâte collante que je ne peux pas vraiment fraiser au fond de la bassine où j’opère.



En revanche, rien n’est plus laid que les mains d’un homme dans la farine !

J’arrive quand même à façonner une douzaine de pâtons que je ne pèse pas car la masse totale étant d’environ 1200 grammes, il me suffit de partager la boule de pâte en quatre à l’aide d’une corne et chaque part obtenue en trois.

gaufre de Liège
J'ai les boules


Et là j’aboutis à une deuxième erreur, qui, toutefois, n’est pas de mon fait : les pâtons se révéleront un peu trop volumineux. Heureusement ce n’est pas trop grave, et je peux sortir mon premier couple de gaufres de Liège. Plutôt appétissant…

gaufre de Liège
Naissance d'une gaufre


Je n’ai pas encore conscience de ma troisième erreur que je ne découvrirai que plus tard, parcourant un site pertinent en faisant le bilan de cette expérience : il s’agit d’une pâte levée, et les gaufres auraient été plus légères si je n’avais pas pressé fortement les poignées pour rapprocher les plaques au maximum.
Je continue donc, serein et serin, de déposer des couples de pâte sur les fers bien chauds

gaufre de Liége
Aux suivantes !

.
J’entreprends d’entasser trois ou quatre minutes plus tard les gaufres dorées et caramélisées sur un plat.

gaufre de Liège
Séjour temporaire


Quatrième erreur : je m’aperçois qu’elles collent entre elles et qu’elles ramollissent.
Je me dépêche donc de les transférer sur une grille et poursuis en faisant tomber du pic à gaufre les productions suivantes sur une seconde grille.



gaufres, Liège
Ici, pas de coup de mou !


Finalement, pas mauvaises ces gaufres, bien qu’un peu trop sucrées à mon goût.
Mais je mériterais bien que l’on me surnomme le boulet de Liège…

mardi 21 mai 2019

Mettre le turbot

J’ai mis le turbot. Avec simplement un peu d’huile afin qu’il ne grippe pas quand il devra tourner.
Je tourne la manette, appuie sur le bouton d’allumage, et roule ma poule !
Je pense que nous devrions nous en tirer à merveille dans le désert torride parsemé de cristaux de sel - mon théâtre d’opérations.
Mais je me suis lancé bêtement, sans préparation. Enfin, bêtement, non, ce n’est pas le mot qui convient : j’avais même beaucoup réfléchi sur l’art et la manière de gérer ce turbot.
Vapeur ou pas vapeur ? Filets ou pièce entière ? On proclame urbi et orbi que la cuisson sur l’arête, tout comme la cuisson sur coffre en ce qui concerne la volaille, donne les meilleurs résultats en texture et en goût. La bête n’est pas énorme, mais l’on dit aussi que le petit turbot a une chair plus savoureuse que le gros.
Est-ce vrai ? Pas sûr ! Car les contrevérités florissent : la peinture à l’huile c’est bien difficile mais c’est bien plus beau que la peinture à l’eau ! Allez donc vous livrer au repentir en peignant une aquarelle !
Mais revenons à nos turbots… Finalement, quoi de mieux que la simplicité pour apprécier la mer ? Du coup, je renonce même au beurre blanc que j’avais prévu dans un premier temps. Dernière décision à prendre : est-ce que je dois pratiquer des incisions ? Bof, l’épaisseur n’est pas énorme, la chaleur devrait parvenir à cœur sans problème…

Je mets le turbot. Entier. Avec un peu d’huile. Tout bêtement...

turbot
Démarrage du turbot


Et quand je le retourne, je comprends mon erreur. Ah, je vais m’amuser pour lever de beaux filets au sein de leur guenille dépenaillée !

turbot
Même pas une aile froissée...


Je termine la cuisson pendant une douzaine de minutes au four.
C’est juste le temps qu'il me faut pour préparer l’accompagnement, un riz que j’ai voulu imbibé de parfums. Pour cela j’ai préparé un boulon de crustacés (3 petits verres) dans lequel j’ai fait infuser une pincée de pistils de safran. Je le porte à ébullition, ajoute une cuillerée d’huile d’olive et plonge du riz thaï (1 verre) dans la casserole. Je laisse sur feu moyen. J’éteins la flamme quand le riz a absorbé tout le liquide. Je transfère aussitôt dans un petit plat en verre. Un tour de moulin de poivre rouge, et c’est prêt. Je réserve au chaud le temps de lever péniblement des filets guère présentables.

riz, safran, bouillon de crustacés
Riz beau bon


C’est bien bon, mais on ne m’ôtera pas de la tête que le tronçon d’un gros turbot, c’est quand même autre chose ! Avec une sauce Dugléré ou un sabayon…

jeudi 16 mai 2019

La carte du tendre

La recette du jour : Onglet de veau au Jyfoutou-du-patron

On connaît bien parmi les épices mélangées le jyfoutou-du-patron, qu’en d’autres contrées on appelle ras-el-hanout.
C’est ce produit que j’ai choisi pour enduire deux belles pièces d’onglet de veau d’une marinade sèche minimaliste que je fais durer une demi-heure, le temps que la viande monte à température ambiante.
Je sale les onglets maquillées d'or et les dépose dans une poêle bien chaude où a fondu une noix de beurre dans un trait d’huile d’olive. Une fois les deux faces saisies, je baisse la flamme et fais tomber quelques pincées d’un piment d’Espelette exclu de la marinade, car les petites paillettes de ce qui n’est pas vraiment une poudre ont tendance à brûler si on les saisit à feu vif. Je verse une cuillerée de balsamique blanc qui déglacera la poêle en donnant une pointe d’acidité et un soupçon de sucrosité. Je laisse réduire jusqu’à obtenir un jus nappant et parsème de persil ciselé.

onglet de veau
Le Patient Onglet


Pour accompagner, je sers des pommes de terre nouvelles de l’île de Noirmoutier dorées dans du beurre demi-sel de baratte au cœur fondant sous la peau croustillante. Dans la poêle j’ai ajouté huit gousses d’ail fumé d’Arleux non épluchées dont on pourra extraire en pressant la peau extraire une crème onctueuse débordant de fragrances.

pommes de terre de Noirmoutier, ail fumé d'Arleux
Noirmoutier et Arleux, la rencontre


Avec cet onglet et ces pommes de terre, le menu, c'était la Carte du tendre...

dimanche 12 mai 2019

Barde à papa et asperge fantôme

Sonde ou pas sonde ? Là est la question pour tout rosbif.
La raison voudrait que le rôti soit piqué d’une banderille lui donnant l’allure d’un toro en la arena, et de surveiller la température à cœur avec l’aide d’un thermostat.
En revanche, outre le fait que l’on ne souhaite pas forcément transformer une cuisson en corrida, c’est aussi se priver du plaisir de mener la danse et de la satisfaction d’une réussite. À vaincre sans péril on triomphe sans gloire. Et puis donner les degrés Celsius au centre n'informe pas pour autant sur la graduation des cuissons depuis la surface...

Mais la réponse peut attendre. La viande, taillée dans du rumsteck, repose à température ambiante, et dans un premier temps je dois me lancer dans la préparation de sa garniture. Ce seront des légumes printaniers.
La première tâche consiste en la mise en place. J’écosse les petits pois et les réserve dans un bac.
J’épluche et je taille une gosse carotte ainsi qu’un navet. Je partage en quatre deux oignons blancs nouveaux. Je verse le tout dans un bac empli d’eau glacée salée.
J’effeuille et lave une salade du jardin. Je la débarrasse de ses grosses côtes et la réserve dans une bassine, toujours avec de l’eau glacée salée.
Je raccourcis et écussonne une botte de pousses d’asperges vertes qui va se revivifier elle aussi dans une bassine d’eau glacée salée.
Je gratte cinq petites pommes de terre nouvelles de Noirmoutier, les partage en deux et les réserves dans l’eau d’une bassine.Que d'eau, que d'eau !
Je ficelle un bouquet garni : enfermées dans du vert de poireau, une feuille de laurier, une branche de thym, des feuilles prélevées sur un bulbe de fenouil et des queues de persil.


Passons maintenant  aux cuissons.

C’est décidé, pas de sonde. Je m’empare du rôti, hélas abominablement bardé. D'où vient cette manie traditionnelle chez la plupart des bouchers ? Jadis, il y avait un artisan des halles qui à la demande acceptait de remplacer cette superfétatoire barde porcine par de la panoufle de bœuf. Las, une fois il m’a vendu une entrecôte quasi avariée qui a dû finir à la poubelle. Je fuis donc désormais ce commerçant… Bref, je pose mon rôti assaisonné côté barde, puisque barde il y a, sur mon plat en fonte où mousse une noix de beurre fondue au milieu d’une cuillerée d’huile d’olive. Je fais prendre couleur sur toutes les faces (enfin si l’on peut parler couleur pour cette barde honnie…), ajoutant une garniture aromatique de carotte, échalote, persil, laurier, thym.

rosbif
Sous le rosbif, la barde


Puis j’enfourne à 180 °C pour 10 minutes. Je baisse alors la température du four à 160 °C et sors le rosbif au bout de 8 minutes. Je laisse cette viande reposer sur une planche.

Pendant que le rosbif vit sa vie de four en planche, je m’attaque aux légumes.
Je fais suer carotte, oignon et navet parsemés d’une pincée de sel dans une noix de beurre au fond d’une casserole.

navet, carotte, oignon blanc
Petits légume de printemps


Je recouvre d’une couche de feuille de salade, puis verse les petits pois, ajoute le bouquet garni, des noix de beurre et une pincée de sel.

petits pois
Arrivée de petits pois


À côté, sur un autre feu, j’avais effectué une précuisson des pommes de terre à l’eau salée durant 10 minutes. Je répartis ces dernières à la surface des petits pois. J’arrose d’un petit verre d’eau et termine par une seconde couche de feuilles de salade que je parsème de fleur de sel.

petits pois
Cachés sous la salade


Je coiffe d’un couvercle et laisse cuire doucement sur une petite flamme jusqu’à évaporation presque complète de l’eau.

Je me saisis d’une poêle antiadhésive, y verse un verre d’eau, une pincée de sucre, une pincée de sel, quelques noisettes de beurre. J’y allonge les asperges et les coiffe d’un disque de papier siliconé. Je porte à une petite ébullition.

asperges vertes
Asperge fantôme


Au bout de 5 minutes je découvre. Il ne reste plus qu’une mince pellicule d’eau. Je retire la poêle du feu quand les asperges sont à sec.
Je transfère le contenu de la casserole dans un plat mis à chauffer dans le four qui venait d’être éteint. Je me saisis des asperges avec une pince pour les poser sur le lit de légumes.

J’ai posé le plat en fonte avec sa garniture aromatique sur une flamme. J’ajoute un verre d’eau - je ne dis pas que je déglace, car il serait dommage de jeter la graisse parfumée et non brûlée qui baigne son fond. Zut, je m’aperçois que je n’ai plus de sauce Worcestershire. Alors me vient une idée. Je vide deux cuillerées de mélasse de grenade dans le liquide, complète d’une cuillerée de vinaigre balsamique de Modène et relève d’un trait de sauce au piment doux thaï. Je laisse réduire après avoir gratté les dépôts avec le bout d’une spatule pendant que je découpe sur la planche la viande reposée après en avoir chassé ignominieusement ficelle et barde.
Les tranches sont sur un plat de service

rosbif
Enfin débardée


Elles vont sur la table, suivies par le plat de légumes de saison et par la saucière.


rosbif, petits pois, asperges
Printemps


La cuisson de la viande me semble réussie et je ne subis aucune réclamation de la part des convives. Pas de remords, donc, pour la relégation de la sonde !
Je reçois des compliments pour ma sauce, même de la part de mes petites filles qui n’arrêtent pas d’en arroser leurs morceaux de viande. De plus la saucière permet de satisfaire les hygiénistes ou les gourmands par un habile dosage entre le bec de surface et le bec de profondeur.
Quant aux légumes, ils feraient presque croire que c’est le printemps…

Je me dois aussi de mentionner la savoureuse tarte à la rhubarbe sur un lit de crème aux amandes réalisée par la maîtresse de céans.

tarte à la rhubarbe
Tarte pas tartignolle


Un beau baissé de rideau...

jeudi 9 mai 2019

Site de rencontres


💔💓💔💓

Des cœurs saignants ont rencontré des cœurs  d'artichaut.



coeur de veau,artichaut,


Qu'est-ce qu'il en advint?

Cela ne nous regarde pas !






Open bar

Pour être open, il est open, ce bar !

bar de ligne
Bar et reflet de Gazpar


Le poissonnier, pour le vider, l’a pourfendu de la barbe au cul… Ce n’est pas pour autant que je vais le déposer sur des bâtons au-dessus des braises façon Arawak.



Je ne vais même pas le cuire sur la plancha protégé par la croûte croustillante de la peau non écaillée comme il m’arrive souvent de le faire, mais avec plus ou moins de réussite quand il ne s'agit pas d'un poisson plat ou d'une petite pièce.
J’ai décidé d’expérimenter un nouveau process (ben oui, il est parfois plaisant de jargonner…).
Je commence par combler l’ouverture béante avec une cuillerée de gros sel, des grains de poivre blanc de Penja, une cuillerée à café de cinq-épices à la touche anisée bienvenue, un bulbe d’oignon blanc nouveau partagé en deux, un huitième de citron, un brin de thym, une feuille de laurier et mes espoirs de réussite.
J’assaisonne l’extérieur de sel fin et d’une pincée de cinq-épices, je l’asperge de quelques gouttes d’huile d’olive afin que la peau ne colle pas sur la plaque trouée du plat de cuisson.

bar de ligne, four
Le bar attend


J’enfourne 3 minutes à 230 °C, je sors le plat, c’est parfait, les écailles ont formé une belle croûte, je retourne le poisson et l’enfourne à nouveau à 230 °C pour 3 minutes. J’éteins alors le four, le laisse entrebâillé une minute afin qu’il baisse en température. Puis je referme et attends 12 minutes.
Le minuteur sonne, je sors le bar du four. Et le glisse sur un plat.

bar, four
Bar en croûte sans croûte


Le service sera rustique : le plat sera posé sur la table, entre les deux assiettes vides.
Je soulève la peau avec une cuillère. Elle se détache aisément. La chair du bar apparaît, cuite à point dans cette sorte d’auto-papillote qu’a constituée la peau avec ses écailles.

bar de ligne, cuisson au four
Quand on n'a pas de peau


Il ne reste plus qu’à lever les filets de cet excellent bar de ligne ( eh oui, de ligne, ce n’est pas un bobard, c’était marqué sur l’étiquette ), les transférer dans les assiettes puis simplement les arroser d’un filet d’huile d’olive et les parsemer d’un tour de moulin de poivre rouge, pas plus afin de préserver la saveur délicate de la chair légèrement parfumée par les herbes et les épices.

bar au four 
Plaisir de la chair


Pour ma part, je ne presserai même pas le citron qui se contentera de son rôle de décor.


PROCESS : abouti

lundi 6 mai 2019

Sous les yeux de Momo, ou le miracle des morilles vernales

Momo le poisson rouge tournait désespérément dans son bocal, à la recherche du coin d’aquarium où il aimait se cacher quand il était encore pensionnaire à l’animalerie du Centre commercial Fouilly 2.
Toutes les trente secondes il découvrait avec étonnement son nouveau paysage.
Vautré sur le canapé en skaï authentique le maître de céans était plongé dans la lecture d’un vieux bouquin un peu écorné qu’il venait d’emprunter au bibliobus qui klaxonnait tous les vendredis matin sur la place du village. Il s’agissait de L’esprit d’Éloi, un ouvrage consacré à l’art de la contrepèterie pratiquée par le ministre de Dagobert. C’était quand même plus intéressant que La Charmeuse de pâtres dont les descriptions des soupirs cisalpins de l’héroïne l’avaient fait bailler avant que ce livre ne lui tombât définitivement des mains.
Blottie dans le fauteuil assorti, son épouse somnolait vaguement avec sur ses genoux l’écharpe en laine de polyester écrue qu’elle avait entrepris de tricoter pour les bonnes œuvres de l’abbé Kass.
Le chat Médor avait prudemment écarté les aiguilles acérées d’un agile coup de patte pour se blottir sur ce tiède et douillet coussin.
Le chien Minou regardait d’un œil intéressé la télévision privée de son où s’agitait le présentateur de l’émission 30 millions d’Ennemis consacrée cette semaine au moustique tigre, dont précisément un exemplaire voletait dans le salon, hésitant entre le sang de Madame ou le sang de Monsieur. Pourquoi pas les deux. Mais une collision en vol avec une mouche bleue venant de s’échapper de la poubelle mal fermée avait mis fin à cette réflexion et les deux objets volants bien identifiés s’étaient écrasés sur le parquet.
Ce bruit avait réveillé une souris qui sortit son nez du trou derrière la commode pour voir ce qui se passait.
L’araignée dépressive qui avait abandonné tout espoir de voir un insecte s’empêtrer dans la toile qu’elle avait laborieusement tissée et avait commencé à filer la corde pour se pendre gémit : et dire que pour une fois j’aurais pu emplir mon garde-manger…
Une colonne de fourmis escaladait la face nord du placard où l’équipe de reconnaissance avait repéré un sachet de sucre en poudre entamé.
Dans la chambre tous les acariens, toutes les acariennes, s’unissaient pour une extension du domaine de leur lutte.

Bref, la vie menait son train habituel, quand soudain ce fut le noir presque complet dans le salon : le lapin nain avait enfin réussi à sectionner le fil alimentant le lampadaire, seul l’écran de la télévision dispensait ses lueurs fluctuantes.
Le lapin clapit dans un dernier soubresaut, le chien hurla à la mort, l’araignée se décrocha de son fil, la souris regagna précipitamment son logis, la tricoteuse sursauta et piqua malencontreusement de ses aiguilles n° 3  le chat qui fit un bond et renversa la sellette sur laquelle un vase majestueux en porcelaine de Longwy abritait un gros bouquet de lilas.
L’eau du récipient se répandit sur le tapis d’inspiration persane made in China où un motif coufique cernait un arbre de vie.

C’est à cet instant que le miracle se produisit : au pied des ramures stylisées jaillit illico du tapis trempé un septuor de magnifiques morilles.
Le maître de céans s’extasia de cette apparition. Il toucha du bout de ses doigts tremblant devant  l'inexplicable. Non, ce n'étais pas un rêve !
« Et dire que ce matin encore je songeais à mes récoltes de morilles du temps jadis au pied des buissons longeant la voie ferrée. Il suffisait de se baisser pour les ramasser. Puis les motrices diesel ont remplacé les machines à vapeur pour tracter des wagons de marchandises de plus en plus vides, les braves cantonniers appuyés sur leur pelle et prêts à dégainer la bouteille de rouge cachée dans leur musette furent mis au chômage par les désherbants, le dernier train circula avec trois coups de trompe d’adieu, les rails et les traverses furent enlevés, et la ligne de chemin de fer céda la place à une piste cyclable macadamisée, la Ligne Verte comme ils disent. Les morilles s’enfuirent, et on ne peut leur donner tort… Désormais les morilles fraîches sont récoltées au supermarché et elles viennent de Turquie ou de Pologne…
Mais revoici des champignons on ne peut plus locaux qui s'offrent à moi ! Alléluia !!! »
L’épouse qui avait les pieds sur terre le tira de sa nostalgie et son extase.
« Bon, tu les as ces morilles françaises dont tu rêvais. S’agit maintenant de pas les laisser perdre… Une omelette aux morilles, ça me dirait bien ! »
Le maître de céans ne pouvait qu’acquiescer.
Il passa à la cuisine, fendit les champignons en deux. Pas besoin de les nettoyer, ils étaient impeccables - vous me direz que si l’on pousse sur un tapis persan, même faux, ce n’a rien d’étonnant… Il les versa dans une poêle au milieu d’une cuillerée d’huile d’olive et d’une grosse noix de beurre commençant à mousser. Il cassa cinq œufs et les battit énergiquement dans un cul-de-poule, assaisonna et introduisit quelques feuilles d’estragon déchirées. Il versa dans la poêle sur les morilles, laissa cuire tranquillement en secouant l'ustensile après avoir décollé les bords coagulés.
Quelques minutes plus tard l’omelette était à point, encore un peu baveuse.

omelette aux morilles
Un disque d'or


Il se devait de la rouler comme un tapis…

omelette aux morilles
Les pieds dans le tapis


Ils se régalèrent.
« Et un bon repas de plus ! Au fait, qu’est-ce que l’on fait du lapin ? »

Momo continuait à tourner dans son bocal. Mais il avait renoncé à trouver le coin manquant. Il fallait bien s’faire à cette absence.