samedi 26 janvier 2019

Bouillon vert

À quelques encablures de notre jardin se trouve celui d’un Portugais qui, après une escapade dans son pays natal, avait rapporté - ah, saudade, saudade… - des plants de choux portugais.



Il nous en a donné quelques pieds qui, ma foi, ont prospéré dans un coin de notre lopin de terre.
Et c’est ainsi que sur mon plan de travail se trouvent quatre pièces de Couve Tronchuda. Je vais réaliser un caldo verde dont quelques assiettées seront bienvenues pour résister aux frimas ambiants.
Je commence par éplucher un sextuor de pommes de terre du jardin de la variété Samba et deux oignons paille. Je les plonge dans l’eau froide d’un faitout, ajoute une cuillerée rase de gros sel et place sur le feu. Je laisse cuire à petits bouillons durant environ une demi-heure.
Pendant ce temps je détache les feuilles des choux, les lave et les lacère en lanières.
Je me saisis d’un pilon à purée et écrase grossièrement pommes de terre et oignons. J’ajoute les lambeaux de chou, verse une bonne rasade d’huile - portugaise, bien sûr ! - et une douzaine de tranches d’un chouriço acheté au magasin de produits lusitaniens abrité sous les halles locales.

chouriço
Chouriço


Je laisse frémir à feu doux cinq minutes, je rectifie l'assaisonnement et donne un tour de moulin de poivre noir. La soupe est prête.

caldo verde
Rondelles barbotant


Il ne reste plus qu’à la verser dans les assiettes creuses sur des tranches de pain au maïs. Cette baguette que j’ai laissé un peu rassir provient d’un boulanger d’origine portugaise qui réalise quelques spécialités de son pays natal - mais aussi, il faut le dire, les meilleurs croissants de ma ville.

caldo verde
Assiette de bouillon vert


Cette variété de chou, aux notes délicates, est à la fois tendre et savoureuse. Bien que je n’aie pas pu enlever la peau du chouriço, sa présence n’est absolument pas gênante en bouche.
Un seul regret : j’aurais dû mettre un peu plus de pomme de terre pour lier le liquide, et découper le chou en bandes plus fines. Bof, ce sera un prétexte pour renouveler cette expérience culinaire avec les choux restés en terre…

jeudi 24 janvier 2019

La queue pour mon parmentier

Deux queues en ce jour : l’une le matin devant l’étal du boucher, l’autre l’après-midi dans la marmite.
La première sous les halles, la seconde sous un couvercle
Mais entre les deux j’avais commencé par préparer un bouillon avec les découpes des racines du jardin les moins présentables après récolte : céleri-rave, panais, navets, persil tubéreux… J’avais ajouté deux carottes bien conformées quant à elles, trois poireaux maigrichons, un oignon triplement clouté de girofle et un bouquet garni. Après trente minutes d’ébullition, j’avais assaisonné d’une petite poignée de gros sel, de trois baies de poivre long et d’une douzaine de grains de piment de la Jamaïque.

Et voilà, un morceau de paleron et la queue de bœuf baignent dans le liquide odoriférant.

bouillon, paleron, queue de boeuf
G QI 1 HI 


La cuisson va continuer trois heures à petit feu. Puis la marmite sera réservée au frais pour la nuit.


C’est le jour J. La réalisation du hachis parmentier qui est la destination finale de cette viande maintenant bonne à être effilochée va pouvoir commencer.
Je pose le paleron tout attendri sur la planche, je balance le couteau ( mais non, pas dans l’évier et encore moins sur ma compagne, ça veut dire que je l’utilise comme une berceuse – au fait pourquoi n’ai-je pas pensé tout simplement à sortir cet instrument approprié du repaire où il se cache ? ). Cette opération est rondement menée, la pièce est hachée et transférée dans une bassine. C’est un peu plus long pour la queue, il faut la déficeler et détacher la viande des vertèbres.


queue de boeuf
Nettoyage à sec


Bon, c’est fait. Je poursuis en hachant une poignée de petites échalotes du jardin et une gousse d’ail, puis en ciselant un bouquet de persil plat en conservant les queues. Tiens, ne serais-je pas seulement jugavore, mais aussi caudavore ?
Je mélange mes découpes avec la viande en ajoutant une cuillérée de poivre Voatsiperifery écrasé au mortier, une petite cuillerée de quatre-épices. J’effeuille une branche de thym et une branche d’origan, je donne quelques tours de moulin de poivre rouge de Kampot, et je termine par une cuillerée de fleur de sel.
Je me saisis d’une poêle, j’y fais fondre une grosse noix de beurre et y déverse le contenu de la bassine. Je recouvre de deux louches de bouillon prélevé dans la marmite, complète d’une feuille de laurier. Je laisse réduire jusqu’à évaporation presque complète.

hachis, paleron, queue de boeuf
Viande mêlée...


Je retire la feuille de laurier et réserve.

Je mets à cuire quelques pommes de terre de la variété Mona Lisa dans de l’eau salée où nagent deux gousses d’ail et une feuille de laurier. Une fois ces tubercules passés au presse-purée, je brasse avec 20 cl de crème liquide entière bouillante parfumée de noix de muscade râpée et incorpore la moitié d’une plaque de beurre d’Isigny.
Je rectifie l’assaisonnement, donne un tour de moulin de poivre blanc.
Il me faut maintenant procéder au montage. Je barbouille de beurre un plat rectangulaire en fonte. J’étale une couche de purée. Je la recouvre d’une couche plus épaisse de hachis, puis je finis par une nouvelle couche de purée.
Il y a du rab… J’en profite pour emplir un petit plat en alu, mais avec seulement deux étages : hachis puis purée.
J’enfourne à 180 °C pour une vingtaine de minutes. Je baisse alors la température du four à 80 °C.
Il ne reste plus qu’à attendre l’arrivée de celles qui avaient incité mon choix de plat : quoi de mieux qu’un hachis parmentier ne nécessitant qu’un dernier passage rapide au four pour couper court rapidement aux vociférations bruyantes de gamines à l’hypoglycémie agressive - j’ai faim !!! - alors que leur heure d’arrivée se trouve contenue dans une fourchette aux branches fort écartées.
Un coup de fil de leur mère : « Ça y est, j’ai enfin trouvé une place pour me garer à quelques centaines de mètres ! ». Je remets le thermostat à 180 °C. Quand j’entends des braillements d’une autre tonalité que ceux émis par la famille des enfants du rez-de-chaussée, je peux allumer le gril.

C'est chaud et doré..

hachis parmentier
Le grand et le petit


Quand j’apporte mon plat sur la table, je suis inquiet de l’accueil qui sera réservé à mon plat par les affamées phobiques. J’avais songé un moment à appliquer à mon parmentier la méthode Parmentier, non pas le faire garder par des gens d’armes ni même des CRS, certes, mais dire simplement que cette préparation était réservée aux adultes et que ces chères infantes n’en auraient point. Mais non, nul besoin de cet artifice, elles me disent qu’elles se régalent, que je suis le meilleur cuisinier du monde. La mère semble prendre ombrage de ce qu’elle considère comme une mise en question de ses compétences culinaires. Quant à moi, je me demande ce qu’elles espèrent obtenir prochainement de moi…
Mais peut-être que tout simplement la vérité sort de la bouche des enfants : moi aussi, je me régale.

hachis parmentier
Parmentier le Grand


Il en sera de même le surlendemain avec le modèle mini...

hachis parmentier
Parmentier le Petit


Après que les jeunes membresses du jury se sont distraites en faisant tourner non pas les serviettes mais la manivelle de la girolle porteuse de Tête de Moine, le titre de meilleure pâtissière du monde est décerné à Madame pour sa Tarte aux fruits secs inspirée d’une recette parue dans la revue Saveurs de février 2019 - eh oui, je sais que mon épouse a toujours été en avance sur son temps…

tarte aux fruits secs
Bien gourmand


mardi 22 janvier 2019

Au fil des joues

Je suis un jugavore impénitent.
Dans la même semaine, ce sont deux joues de bœuf et huit joues de lotte qui sont passées à la casserole, soit au mieux cinq et au pire dix animaux sacrifiés sur l’autel culinaire.
Antispécistes hystériques qui voudraient me vouer aux gémonies, passez votre chemin, sinon je vous envoie votre collègue Hannibal Lecter ! Encore que je ne sois pas certain qu’il puisse prendre plaisir à déguster une de vos joues flasques de mal nourris…

Me voici donc avec mes joues de lotte parées éclatantes de fraîcheur. Il y a aussi des épinards cueillis l’heure précédente au jardin, mais malheureusement cette fin de saison évacuée avant bêchage n’a fourni qu’une quantité limitée de feuilles. Pas assez…
Alors je décide d’incorporer cette verdure en compagnie du poisson au sein d’une omelette.
Je fais tomber mes feuilles d’épinard soigneusement lavées et équeutées au fond d’une poêle ointe d’un bon trait d’huile d’olive, remuant avec une fourchette plantée dans une gousse d’ail. Quand il ne reste presque plus d’eau de végétation, je baisse la flamme, rassemble les épinards en petits tas. Je parsème les joues de sel fin et les dépose entre les monticules verdoyants. Une minute de chaque côté sur feu moyen suffira.
J’avais battu cinq œufs dans un cul-de-poule, j’y ajoute une bonne pincée de fleur de sel, ainsi que des filaments de safran et une cuillerée de piments d’Espelette. Un dernier coup de fouet, et je verse dans la poêle. Les œufs se coagulent pendant que la lotte parachève sa cuisson.
C’est terminé, l’omelette est tout juste baveuse, je la retire du feu, l’arrose de quelques gouttes d’huile d’olive aux notes herbacées. Avec sa structure, il n’est pas question de la rouler. Elle ira telle quelle sur la table où les parts découpées seront glissées sur les assiettes.

Avant d’apporter, je dépose du bout des doigts de la poudre de piment d’Espelette sur les joues virginales, comme un ultime baiser.

joues de lotte, épinards, omelette
Lotte riche

vendredi 18 janvier 2019

Carbonade : marche à l'ambre

En versant la bouteille de bière ambrée dans la cocotte où va mijoter ma carbonade, je suis soudain pris de remords.
Car il ne s’agit pas d’une Chimay ou d’une Leffe, pas même d’une Jenlain ou d’une Pelforth, encore moins d’une Ambrée d’Esquelbecq ou d’une Saint Martin de Blaringhem. Non, je vide une bouteille de Briarde ambrée.



Trahison. Je sens peser sur moi le regard hostile des Flamingants, ce qui ne me gêne guère - Vos regards sont lointains, Votre humour est exsangue…



le regard navré des Flamands, ce qui me désole, et surtout le regard attristé des Wallons, ce qui me culpabilise. Une de mes grands-mères était wallonne, 25 % de mon sang est de là-bas. Troquer un quart de Wallonie contre un quart de Brie, quelle honte !

Mais ce qui est fait est fait… Je dois continuer ma recette.
Auparavant, j’avais fait revenir sur une cuillerée d’huile d’arachide au fond de la cocotte des morceaux que j’avais découpés dans deux joues de bœuf. J’avais réservé cette viande bien dorée, évacué l’huile que j’avais remplacée par une noix de beurre. J’avais fait suer à feu doux une garniture aromatique constituée d’une brunoise de carotte, céleri-rave et oignon, j’avais réintégré la joue de bœuf. J’avais versé un petit verre de gin, ben oui, je l’avoue, un gin californien, pas un brave gin ch’ti - fais bobo, Colin mon p’tit frère… J’avais approché mon chalumeau, et, zou, les flammes !
Après ce flambage, je suis arrivé avec mes 75 cl de Briarde ambrée.


Je vide ma bouteille et enterre mes remords. J’ajoute une gousse d’ail fumée, bien du Nord quant à elle, six ou sept baies de genièvre, et allonge des cives que je viens de nettoyer et couper.

carbonade
Carbonade tendance civet


Suivent un bouquet garni emballé dans une feuille de poireau et un os à moelle donné par le boucher.
C’est parti pour une heure et demie à frémir sur une petite flamme.
Mais ce n’est que la première étape. Je réserve la cocotte refroidie au réfrigérateur.


Le lendemain, je sors la cocotte. Je débarrasse la surface de la graisse superflue, d’ailleurs peu abondante. J’enfourne à 150 °C pour une bonne heure. Pendant ce temps je pulvérise avec le mini-robot un quarteron de spéculoos. J’obtiens une poudre fine dont je déverse deux cuillerées dans le jus où baigne la viande et mélange avant d'ajouter une cuillerée de vinaigre balsamique. Pour mieux surveiller, je repose la cocotte sur la flamme. Je fais bien, car la sauce réduit et épaissit rapidement. Heureusement, j’avais prévu ce risque : une petite casserole d’eau chaude est prête à intervenir.

Il est l’heure de servir. Avec des frites, of course.
La sauce, d’un bel ocre doré, est crémeuse à souhait. La viande est fondante.

carbonade
Carbonade à la briarde


Et force m’est de reconnaître que cette bière briarde était parfaite pour ce plat. On ne trouve pas cette mauvaise amertume goudronesque que confèrent certaines bières brunes. La touche de genièvre n’est pas masquée, et j’ai eu la chance de bien doser la quantité de spéculoos : ce n’est pas trop sucré, et les relents de cannelle savent se faire discrets.
En récompense de ma réussite, je m’octroie la moelle extraite de l’os, et je me régale comme un berger allemand, non, un malinois.

Le surlendemain je me mets à regarder les recettes de carbonade. Eh oui, je suis comme ça, c’est souvent après la confection de mon plat que j’aime explorer les diverses recettes proposées à droite ou à gauche, sur la toile ou dans les livres. Car ainsi je peux confronter ces textes au vécu de mon expérience.
C’est tout naturellement que j’ai sorti de ma bibliothèque la référence de la cuisine ménagère belge :
À la manière de tante Léa.



Je peux y lire :

CARBONNADES FLAMANDES
6 belles carbonnades, 50 g de beurre ou de margarine,
3 ou 4 oignons, 1 clou de girofle, 1 carotte, 1 brin de thym, 1/2 feuille de laurier, 1 cuillerée à soupe de vinaigre, 1 grand verre de vin rouge, sel, poivre.
Faites fondre le beurre dans une cocotte. Ajoutez les oignons émincés et les tranches de viande. Faites revenir le tout pour donner une belle couleur. Ajoutez tous les autres ingrédients. Couvrez la cocotte et laissez cuire à petit feu pendant deux bonnes heures. Si la sauce est trop liquide en fin de cuisson, liez-la avec un rien de fécule.


Si tata Léa met du pinard dans sa carbonade, je m’estime acquitté de mon crime de lèse-belgitude !
Sa carbonade, ou plutôt ses carbonnades (pourquoi tant de n ?)…
J’ai l’impression qu’ici le mot carbonnade concerne plus la désignation d’un morceau de viande que d’un plat.
Pour approfondir, je songe à une référence plus ancienne, Joseph Favre.
Dans son Dictionnaire universel de cuisine pratique, il écrit, ce qui confirme mon hypothèse :

CARBONNADE, s. f. De l’it. carbonata, carbonnade, dérivé de charbon ; do là charbonnée, puis carbonnade. — Anciennement, on appelait charbonnée, puis plus tard carbonnade, la viande grillée sur des charbons ardents. Manger une charbonnée. e Il envoya quérir à dîner le bonhomme de père pour lui donner des charbonnées et des boudins. (DESPER, Contes XXTTT xvi° siècle.)
Aujourd’hui, la grillade a remplacé la charbonnée, puis, par une diffusion commune en cuisine, le mot a été dévié de son sens primitif et on a appelé carbonnade, non pas la viande grillée, mais la partie de l’animal même, bœuf, veau, porc ou mouton, destinée à la préparation de la carbonnade. Nous lisons entre autres dans un auteur culinaire réputé : « La carbonnade est le bout d’un carré de mouton, à partir du point où les côtelettes finissent et où commence la selle. Voir la figure. » Un autre vous dira que c’est la poitrine de bœuf, celui-ci de la noix de veau, etc., etc. Ne voulant pas perpétuer ces hérésies culinaires, nous ne les suivrons pas sur ce terrain. Je me dispenserai donc d’en donner des formules, étant toutes soumises à des habitudes de pays et n’ayant plus d’originel que le nom.


Pour ma part, je me dispenserai donc d’aller à la quête du Graal de la vraie carbonade…

mardi 15 janvier 2019

Malevich de Saint-Jacques

Je n’ai jamais compris pourquoi l’on utilisait l’appellation carpaccio en cuisine pour toutes découpes fines étalées sur les assiettes. Je me faisais encore cette réflexion en disposant mes tranches de noix de coquilles Saint-Jacques sur ma porcelaine : bien loin  des nuances incarnates du maître italien ! Aussi, en ce qui concerne ce fruit de mer, je retiendrai le nom de Malevich *.

Malevich : Carré blanc sur fond blanc


Me voici donc avec mon malevich de Saint-Jacques… Ronds blancs sur fond blanc.
Toutefois il me reste le corail. J’ai du scrupule à le jeter. Il y aura donc des rectangles rouges.
Ce n’est pas incompatible.

Malevich : Suprématisme avec huit rectangles rouges


Je passe les coraux au tamis en les écrasant. J’obtiens un jus crémeux que je monte avec deux cuillerées d’huile d’olive comme une mayonnaise. Je pense détendre avec un trait de vinaigre balsamique. Mais c’est le contraire qui se produit : par une réaction dont j’ignore les arcanes, ma préparation se durcit et prend une consistance un peu élastique. Je goûte. Ce n’est pas transcendant, mais pas mauvais non plus. Il y a une petite touche marine avec une pointe d’acidité qui pourra amuser les papilles sans écraser le timide mollusque. J'allonge avec une cuillère et difficulté des rubans de ma mixture entre les rangées de tranches de noix de Saint-Jacques.
Noix que je veux assaisonner sans les noyer ni les défigurer.  Côté corail je verse un léger trait d’huile d’olive pas trop corsée en goût, côté extérieur je fais tomber quelques gouttes de vinaigre balsamique traditionnel de Modène. La pente du bord de l’assiette alliée à la tension superficielle provoque un cerne brun foncé sur le bord des tranches dont l’effet graphique me réjouit.
Je répartis des bâtonnets de pomme - malheureusement pas de la variété Granny Smith, pensais-je, et finalement la note sucrée qu'ils confèrent n'est pas à dédaigner, donc aucun regret...
Pour terminer, je dispose les petites billes prélevées au sein de citrons caviar sur les disques immaculés. Je constaterai qu’au point de vue parfum l’apport est limité - rien à voir avec les fragrances d’une main de bouddha - mais que la mâche et les éclairs d’acidité quand ces minuscules sphères éclatent dans la bouche valident leur présence.


carpaccio de Saint-Jacques, citron caviar
Malevich de Saint-Jacques au corail tourmenté et citron caviar




* Je préfère cette orthographe Malevich à celle de Malevitch, car en plus ça rime avec ceviche !

dimanche 13 janvier 2019

Avec quelques tunes

Monsieur avait des envies de merguez, Madame voulait déguster un plat de pâtes.
Comme je suis pour la paix ses ménages, et tout particulièrement du mien, il me fallait effectuer une synthèse de ces deux desiderata.
Ce me fut d’autant plus facile que j’ai toujours en mémoire les repas que j’aimais m’offrir jadis dans un remarquable restaurant de l’avenue de la Grande Armée à Paris. Dans ce temple de la cuisine juive tunisienne qui était devenu mon point de chute préféré quand j’avais à faire en ce quartier, je me régalais, après une kémia aussi abondante que savoureuse accompagnant l’anisette, de bricks aériens, de grillades - ah, la grillade blanche comportant des abats..-, de complets poissons resplendissants de fraîcheur et de parfums, de ragoûts et tajines éminemment sialogènes, etc. etc.. Et, à la fin, je me laissais tenter en général par une glace sabayon tunisienne au puissant parfum de jaune d’œuf cru rehaussé d’une touche de fleur d’oranger flanquée sur son assiette d’une part de gâteau de semoule aux amandes, délaissant le pourtant appétissant plateau de pâtisseries diverses foisonnant de bonne amande et de vrai miel…
Des conversations d'habitués parvenues à mes oreilles indiscrètes m’avaient laissé comprendre que cette qualité exceptionnelle était due au fait que le propriétaire était un gastronome averti qui en avait fait en même temps sa cantine personnelle. Légende ou pas, je ne saurai jamais, mais toujours est-il qu’un jour j’ai entendu dire que ce bienfaiteur des gourmets était décédé subitement ( apoplexie pour excès de table ? horresco referens ! ). Et, effectivement, j’ai vu la qualité décliner, les tunes nostalgiques de leur pays s'en éloigner, et j'ai fini par rayer ce lieu de mes adresses favorites. Ce restaurant existe toujours, mais est devenu une usine à couscous. Triste époque !

Si me reviennent aujourd'hui ces réminiscences d’une époque révolue, c’est qu’il y avait aussi dans ce restaurant de goûteuses merguez embossées par le chef - elles étaient d’ailleurs d’un diamètre supérieur à celui habituellement constaté. L’équilibre entre gras et viande maigre était parfait, le dosage des épices aurait pu être attribué à un nez de parfumeur. Bref, ces merguez pimentées sans excès, mais suffisamment pour titiller les papilles, frôlaient une perfection que je n’ai jamais retrouvée en d’autres lieux, même si celles que prépare le boucher arabe de la rue voisine de chez moi sont plus que correctes. Si ces merguez pouvaient être dégustées simplement grillées et posées sur une bonne chakchouka, elles figuraient aussi à la carte dans un plat roboratif : les spaghetti à la tunisienne.

J’ai donc essayé de reconstituer ce plat que j’avais commandé deux ou trois fois et que j’avais alors mangé avec plaisir.


Ce n’est pas évident, car les années ont passé… Et surtout le chef ne m’a pas communiqué sa recette !
Je commence par hacher un gros oignon jaune et trois gousses d’ail. Je les fais fondre doucement au fond d’une poêle dans deux cuillerées d’une huile d’olive de qualité. Je n’ai pas à ma disposition de tabel, je le remplace à grand regret par une cuillerée de ras-el-hanout que j’ajoute avec une cuillerée à café de cumin moulu. Je découpe les merguez en tronçons, en en réservant quatre que je laisse entières. Ces morceaux viennent dorer dans la poêle. Le contenu d’une petite boîte de tomate concentrée plonge aussi dans l’huile chaude. Quand la tomate commence à caraméliser, je complète de deux cuillerées de harissa, une poignée de queues de coriandre fraîche hachée et verse deux verres d’eau. Il n’y a plus qu’à réduire le liquide à feu doux.
Pendant ce temps, je plonge une poignée de spaghetti dans l’eau bouillante salée. Zut, j’ai été abusé par la forme du paquet : ce sont des linguine ! Trop tard, mais il me semble que ça ne devrait pas trop dénaturer la recette…
Je sors les pâtes une minute avant le temps prescrit, les glisse dans la poêle où la sauce est devenue crémeuse. Je laisse frémir sur une flamme minuscule.
Une autre poêle est posée sur un feu vif à côté. J’y étends les quatre merguez restantes. Une fois cuites, je les allonge sur la première poêle dont j’ai brassé le contenu avec quelques feuilles de coriandre ciselées et un tour de moulin de poivre noir.
J’apporte cette poêle-plat de service sur la table. Une pince à spaghetti, une grande cuillère, et nous nous servons.
C’est très bon, mais quand même pas comme là-bas - avenue de la Grande Armée et années quatre-vingt…

spaghetti à la tunisienne, merguez
Spaghetti Linguine à la tunisienne...


C’était aussi trop copieux, le lendemain nous mangeons le reste. Eh bien, c’est nettement meilleur ! Les arômes se sont mêlés, mais surtout il n’y a pas ces quatre merguez grillées - deux par personne - superfétatoires. C’est bien connu, trop de merguez tue la merguez ! J’aurais même dû couper ces saucisses en tronçons plus petits…
Néanmoins si je ne puis affirmer que mon plat soit le sosie de celui de mon souvenir, le plaisir de la dégustation commence à en approcher.
C’est déjà pas si mal !

jeudi 10 janvier 2019

Carrelet, beau cent pour cent

Simplicité gourmande en ce jour : filets de carrelets et poireaux glacés.

Sur l’étal du poissonnier de beaux carrelets bien roides semblaient émerger tout juste de l’océan.
Je me sens paresseux, c’est le vendeur qui m’a levé les filets.
Les poireaux sont arrivés tout exprès arrachés d’une plate-bande du jardin une heure avant leur cuisson.
Les poireaux, bruts de déterrage, exigent une vigoureuse toilette… Une fois propres comme un sou neuf, ils peuvent être fendus en deux sauf ceux du format crayon que je conserve entiers. Je les étends au fond d’une poêle dont le fond est barbouillé d’un trait d’huile d’olive. Je recouvre d’eau à effleurement, ajoute une noix de beurre, une petite cuillerée de curry, une pincée de sel et une pincée de sucre. Je laisse sur feu moyen avec un couvercle que je retire une fois six ou sept minutes écoulées. Je continue la cuisson jusqu’à évaporation complète de l’eau.

poireaux glacésF
Faire le poireau


En ce qui concerne les filets de carrelet, je les étends côté peau au fond d’une autre poêle dans un bain de beurre ½ sel croquant (ben oui, il est vendu sous ce nom…) en train de mousser. Je laisse sur le feu à peine plus d’une minute, j’éteins le gaz et coiffe la poêle d’un couvercle. Encore deux minutes, je découvre ; les filets sont parfaitement cuits.

filet de carrelet
Filets pas à l'anglaise


Je n’ai plus qu’à les faire glisser sur les assiettes, les arroser du beurre de cuisson et les parfumer d'un tour de moulin de poivre avant de déposer les poireaux glacés à leur côté.
Sauf qu’en mettant les filets dans la poêle, j’ai dû me faire une raison : il n’y avait vraiment pas la place pour le huitième, même si les carrelets se serraient comme des sardines… Pas grave ! La cuisson est rapide, cet exclu involontaire ira à la poêle tout seul comme un grand avant de rejoindre ses frères.

Et voilà deux assiettes carrelement bonnes !


carrelet, poireau
La mer dans mon jardin


C’est ainsi que mardi j’ai fait maigre avec bonheur.