Comme je suis pour la paix ses ménages, et tout particulièrement du mien, il me fallait effectuer une synthèse de ces deux desiderata.
Ce me fut d’autant plus facile que j’ai toujours en mémoire les repas que j’aimais m’offrir jadis dans un remarquable restaurant de l’avenue de la Grande Armée à Paris. Dans ce temple de la cuisine juive tunisienne qui était devenu mon point de chute préféré quand j’avais à faire en ce quartier, je me régalais, après une kémia aussi abondante que savoureuse accompagnant l’anisette, de bricks aériens, de grillades - ah, la grillade blanche comportant des abats..-, de complets poissons resplendissants de fraîcheur et de parfums, de ragoûts et tajines éminemment sialogènes, etc. etc.. Et, à la fin, je me laissais tenter en général par une glace sabayon tunisienne au puissant parfum de jaune d’œuf cru rehaussé d’une touche de fleur d’oranger flanquée sur son assiette d’une part de gâteau de semoule aux amandes, délaissant le pourtant appétissant plateau de pâtisseries diverses foisonnant de bonne amande et de vrai miel…
Des conversations d'habitués parvenues à mes oreilles indiscrètes m’avaient laissé comprendre que cette qualité exceptionnelle était due au fait que le propriétaire était un gastronome averti qui en avait fait en même temps sa cantine personnelle. Légende ou pas, je ne saurai jamais, mais toujours est-il qu’un jour j’ai entendu dire que ce bienfaiteur des gourmets était décédé subitement ( apoplexie pour excès de table ? horresco referens ! ). Et, effectivement, j’ai vu la qualité décliner, les tunes nostalgiques de leur pays s'en éloigner, et j'ai fini par rayer ce lieu de mes adresses favorites. Ce restaurant existe toujours, mais est devenu une usine à couscous. Triste époque !
Si me reviennent aujourd'hui ces réminiscences d’une époque révolue, c’est qu’il y avait aussi dans ce restaurant de goûteuses merguez embossées par le chef - elles étaient d’ailleurs d’un diamètre supérieur à celui habituellement constaté. L’équilibre entre gras et viande maigre était parfait, le dosage des épices aurait pu être attribué à un nez de parfumeur. Bref, ces merguez pimentées sans excès, mais suffisamment pour titiller les papilles, frôlaient une perfection que je n’ai jamais retrouvée en d’autres lieux, même si celles que prépare le boucher arabe de la rue voisine de chez moi sont plus que correctes. Si ces merguez pouvaient être dégustées simplement grillées et posées sur une bonne chakchouka, elles figuraient aussi à la carte dans un plat roboratif : les spaghetti à la tunisienne.
J’ai donc essayé de reconstituer ce plat que j’avais commandé deux ou trois fois et que j’avais alors mangé avec plaisir.
Ce n’est pas évident, car les années ont passé… Et surtout le chef ne m’a pas communiqué sa recette !
Je commence par hacher un gros oignon jaune et trois gousses d’ail. Je les fais fondre doucement au fond d’une poêle dans deux cuillerées d’une huile d’olive de qualité. Je n’ai pas à ma disposition de tabel, je le remplace à grand regret par une cuillerée de ras-el-hanout que j’ajoute avec une cuillerée à café de cumin moulu. Je découpe les merguez en tronçons, en en réservant quatre que je laisse entières. Ces morceaux viennent dorer dans la poêle. Le contenu d’une petite boîte de tomate concentrée plonge aussi dans l’huile chaude. Quand la tomate commence à caraméliser, je complète de deux cuillerées de harissa, une poignée de queues de coriandre fraîche hachée et verse deux verres d’eau. Il n’y a plus qu’à réduire le liquide à feu doux.
Pendant ce temps, je plonge une poignée de spaghetti dans l’eau bouillante salée. Zut, j’ai été abusé par la forme du paquet : ce sont des linguine ! Trop tard, mais il me semble que ça ne devrait pas trop dénaturer la recette…
Je sors les pâtes une minute avant le temps prescrit, les glisse dans la poêle où la sauce est devenue crémeuse. Je laisse frémir sur une flamme minuscule.
Une autre poêle est posée sur un feu vif à côté. J’y étends les quatre merguez restantes. Une fois cuites, je les allonge sur la première poêle dont j’ai brassé le contenu avec quelques feuilles de coriandre ciselées et un tour de moulin de poivre noir.
J’apporte cette poêle-plat de service sur la table. Une pince à spaghetti, une grande cuillère, et nous nous servons.
C’est très bon, mais quand même pas comme là-bas - avenue de la Grande Armée et années quatre-vingt…
C’était aussi trop copieux, le lendemain nous mangeons le reste. Eh bien, c’est nettement meilleur ! Les arômes se sont mêlés, mais surtout il n’y a pas ces quatre merguez grillées - deux par personne - superfétatoires. C’est bien connu, trop de merguez tue la merguez ! J’aurais même dû couper ces saucisses en tronçons plus petits…
Néanmoins si je ne puis affirmer que mon plat soit le sosie de celui de mon souvenir, le plaisir de la dégustation commence à en approcher.
C’est déjà pas si mal !
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