mardi 15 janvier 2019

Malevich de Saint-Jacques

Je n’ai jamais compris pourquoi l’on utilisait l’appellation carpaccio en cuisine pour toutes découpes fines étalées sur les assiettes. Je me faisais encore cette réflexion en disposant mes tranches de noix de coquilles Saint-Jacques sur ma porcelaine : bien loin  des nuances incarnates du maître italien ! Aussi, en ce qui concerne ce fruit de mer, je retiendrai le nom de Malevich *.

Malevich : Carré blanc sur fond blanc


Me voici donc avec mon malevich de Saint-Jacques… Ronds blancs sur fond blanc.
Toutefois il me reste le corail. J’ai du scrupule à le jeter. Il y aura donc des rectangles rouges.
Ce n’est pas incompatible.

Malevich : Suprématisme avec huit rectangles rouges


Je passe les coraux au tamis en les écrasant. J’obtiens un jus crémeux que je monte avec deux cuillerées d’huile d’olive comme une mayonnaise. Je pense détendre avec un trait de vinaigre balsamique. Mais c’est le contraire qui se produit : par une réaction dont j’ignore les arcanes, ma préparation se durcit et prend une consistance un peu élastique. Je goûte. Ce n’est pas transcendant, mais pas mauvais non plus. Il y a une petite touche marine avec une pointe d’acidité qui pourra amuser les papilles sans écraser le timide mollusque. J'allonge avec une cuillère et difficulté des rubans de ma mixture entre les rangées de tranches de noix de Saint-Jacques.
Noix que je veux assaisonner sans les noyer ni les défigurer.  Côté corail je verse un léger trait d’huile d’olive pas trop corsée en goût, côté extérieur je fais tomber quelques gouttes de vinaigre balsamique traditionnel de Modène. La pente du bord de l’assiette alliée à la tension superficielle provoque un cerne brun foncé sur le bord des tranches dont l’effet graphique me réjouit.
Je répartis des bâtonnets de pomme - malheureusement pas de la variété Granny Smith, pensais-je, et finalement la note sucrée qu'ils confèrent n'est pas à dédaigner, donc aucun regret...
Pour terminer, je dispose les petites billes prélevées au sein de citrons caviar sur les disques immaculés. Je constaterai qu’au point de vue parfum l’apport est limité - rien à voir avec les fragrances d’une main de bouddha - mais que la mâche et les éclairs d’acidité quand ces minuscules sphères éclatent dans la bouche valident leur présence.


carpaccio de Saint-Jacques, citron caviar
Malevich de Saint-Jacques au corail tourmenté et citron caviar




* Je préfère cette orthographe Malevich à celle de Malevitch, car en plus ça rime avec ceviche !

dimanche 13 janvier 2019

Avec quelques tunes

Monsieur avait des envies de merguez, Madame voulait déguster un plat de pâtes.
Comme je suis pour la paix ses ménages, et tout particulièrement du mien, il me fallait effectuer une synthèse de ces deux desiderata.
Ce me fut d’autant plus facile que j’ai toujours en mémoire les repas que j’aimais m’offrir jadis dans un remarquable restaurant de l’avenue de la Grande Armée à Paris. Dans ce temple de la cuisine juive tunisienne qui était devenu mon point de chute préféré quand j’avais à faire en ce quartier, je me régalais, après une kémia aussi abondante que savoureuse accompagnant l’anisette, de bricks aériens, de grillades - ah, la grillade blanche comportant des abats..-, de complets poissons resplendissants de fraîcheur et de parfums, de ragoûts et tajines éminemment sialogènes, etc. etc.. Et, à la fin, je me laissais tenter en général par une glace sabayon tunisienne au puissant parfum de jaune d’œuf cru rehaussé d’une touche de fleur d’oranger flanquée sur son assiette d’une part de gâteau de semoule aux amandes, délaissant le pourtant appétissant plateau de pâtisseries diverses foisonnant de bonne amande et de vrai miel…
Des conversations d'habitués parvenues à mes oreilles indiscrètes m’avaient laissé comprendre que cette qualité exceptionnelle était due au fait que le propriétaire était un gastronome averti qui en avait fait en même temps sa cantine personnelle. Légende ou pas, je ne saurai jamais, mais toujours est-il qu’un jour j’ai entendu dire que ce bienfaiteur des gourmets était décédé subitement ( apoplexie pour excès de table ? horresco referens ! ). Et, effectivement, j’ai vu la qualité décliner, les tunes nostalgiques de leur pays s'en éloigner, et j'ai fini par rayer ce lieu de mes adresses favorites. Ce restaurant existe toujours, mais est devenu une usine à couscous. Triste époque !

Si me reviennent aujourd'hui ces réminiscences d’une époque révolue, c’est qu’il y avait aussi dans ce restaurant de goûteuses merguez embossées par le chef - elles étaient d’ailleurs d’un diamètre supérieur à celui habituellement constaté. L’équilibre entre gras et viande maigre était parfait, le dosage des épices aurait pu être attribué à un nez de parfumeur. Bref, ces merguez pimentées sans excès, mais suffisamment pour titiller les papilles, frôlaient une perfection que je n’ai jamais retrouvée en d’autres lieux, même si celles que prépare le boucher arabe de la rue voisine de chez moi sont plus que correctes. Si ces merguez pouvaient être dégustées simplement grillées et posées sur une bonne chakchouka, elles figuraient aussi à la carte dans un plat roboratif : les spaghetti à la tunisienne.

J’ai donc essayé de reconstituer ce plat que j’avais commandé deux ou trois fois et que j’avais alors mangé avec plaisir.


Ce n’est pas évident, car les années ont passé… Et surtout le chef ne m’a pas communiqué sa recette !
Je commence par hacher un gros oignon jaune et trois gousses d’ail. Je les fais fondre doucement au fond d’une poêle dans deux cuillerées d’une huile d’olive de qualité. Je n’ai pas à ma disposition de tabel, je le remplace à grand regret par une cuillerée de ras-el-hanout que j’ajoute avec une cuillerée à café de cumin moulu. Je découpe les merguez en tronçons, en en réservant quatre que je laisse entières. Ces morceaux viennent dorer dans la poêle. Le contenu d’une petite boîte de tomate concentrée plonge aussi dans l’huile chaude. Quand la tomate commence à caraméliser, je complète de deux cuillerées de harissa, une poignée de queues de coriandre fraîche hachée et verse deux verres d’eau. Il n’y a plus qu’à réduire le liquide à feu doux.
Pendant ce temps, je plonge une poignée de spaghetti dans l’eau bouillante salée. Zut, j’ai été abusé par la forme du paquet : ce sont des linguine ! Trop tard, mais il me semble que ça ne devrait pas trop dénaturer la recette…
Je sors les pâtes une minute avant le temps prescrit, les glisse dans la poêle où la sauce est devenue crémeuse. Je laisse frémir sur une flamme minuscule.
Une autre poêle est posée sur un feu vif à côté. J’y étends les quatre merguez restantes. Une fois cuites, je les allonge sur la première poêle dont j’ai brassé le contenu avec quelques feuilles de coriandre ciselées et un tour de moulin de poivre noir.
J’apporte cette poêle-plat de service sur la table. Une pince à spaghetti, une grande cuillère, et nous nous servons.
C’est très bon, mais quand même pas comme là-bas - avenue de la Grande Armée et années quatre-vingt…

spaghetti à la tunisienne, merguez
Spaghetti Linguine à la tunisienne...


C’était aussi trop copieux, le lendemain nous mangeons le reste. Eh bien, c’est nettement meilleur ! Les arômes se sont mêlés, mais surtout il n’y a pas ces quatre merguez grillées - deux par personne - superfétatoires. C’est bien connu, trop de merguez tue la merguez ! J’aurais même dû couper ces saucisses en tronçons plus petits…
Néanmoins si je ne puis affirmer que mon plat soit le sosie de celui de mon souvenir, le plaisir de la dégustation commence à en approcher.
C’est déjà pas si mal !

jeudi 10 janvier 2019

Carrelet, beau cent pour cent

Simplicité gourmande en ce jour : filets de carrelets et poireaux glacés.

Sur l’étal du poissonnier de beaux carrelets bien roides semblaient émerger tout juste de l’océan.
Je me sens paresseux, c’est le vendeur qui m’a levé les filets.
Les poireaux sont arrivés tout exprès arrachés d’une plate-bande du jardin une heure avant leur cuisson.
Les poireaux, bruts de déterrage, exigent une vigoureuse toilette… Une fois propres comme un sou neuf, ils peuvent être fendus en deux sauf ceux du format crayon que je conserve entiers. Je les étends au fond d’une poêle dont le fond est barbouillé d’un trait d’huile d’olive. Je recouvre d’eau à effleurement, ajoute une noix de beurre, une petite cuillerée de curry, une pincée de sel et une pincée de sucre. Je laisse sur feu moyen avec un couvercle que je retire une fois six ou sept minutes écoulées. Je continue la cuisson jusqu’à évaporation complète de l’eau.

poireaux glacésF
Faire le poireau


En ce qui concerne les filets de carrelet, je les étends côté peau au fond d’une autre poêle dans un bain de beurre ½ sel croquant (ben oui, il est vendu sous ce nom…) en train de mousser. Je laisse sur le feu à peine plus d’une minute, j’éteins le gaz et coiffe la poêle d’un couvercle. Encore deux minutes, je découvre ; les filets sont parfaitement cuits.

filet de carrelet
Filets pas à l'anglaise


Je n’ai plus qu’à les faire glisser sur les assiettes, les arroser du beurre de cuisson et les parfumer d'un tour de moulin de poivre avant de déposer les poireaux glacés à leur côté.
Sauf qu’en mettant les filets dans la poêle, j’ai dû me faire une raison : il n’y avait vraiment pas la place pour le huitième, même si les carrelets se serraient comme des sardines… Pas grave ! La cuisson est rapide, cet exclu involontaire ira à la poêle tout seul comme un grand avant de rejoindre ses frères.

Et voilà deux assiettes carrelement bonnes !


carrelet, poireau
La mer dans mon jardin


C’est ainsi que mardi j’ai fait maigre avec bonheur.

mardi 8 janvier 2019

Feuilletons

Galette maison pour le jour de l’Épiphanie…



La pâte feuilletée était plutôt réussie.

J’avais retenu les proportions prescrites par Joël Robuchon :
140 g de beurre fondu (pour la détrempe) • 8 g de sel • 18 cl d’eau froide • 400 g de farine • 300 g de beurre froid
Enfin presque, car laminer en carré un paquet de beurre de 250 g me semble la solution la plus facile. Je présume que je ne serai pas pour autant en insuffisance butyrique…
J’utilise un tapis et un rouleau refroidis au congélateur.

galette des rois
Au bon beurre !


Bon, ma croix réalisée en écartant les pointes de la boule de détrempe fendue avec un coupe-pâte n’est pas très régulière, mais ce n’est pas grave, l’important c’est de bien pouvoir enfermer le beurre et de ne pas avoir de fuite. C’est le cas, et à la fin du quatrième tour la pâte est déjà bien belle, lisse et douce comme les fesses talquées d’un bébé…

galette des rois
Quelques feuilles


Après le sixième tour, j’enferme la pâte dans un film, et je la réserve au réfrigérateur. Elle y passera la nuit.


J’ai moins apprécié la farce. 

C'était une crème d’amandes réalisée elle aussi suivant une recette de Robuchon :
60 g d’amandes en poudre • 60 g de beurre en pommade • 1 œuf • 1 cuil. à soupe de crème double • 60 g de sucre glace • 1 cuil. à soupe de rhum
La crème apporte un goût que je n’apprécie pas et une humidité superflue (ben non, je ne supprimerai pas le rhum pour compenser !).

galette des rois, crème d'amande
Elle est à l'amande



Le montage était correct.


Avec la pointe d'un couteau et un cercle comme guide, je découpe la pâte sortie de son antre glaciale.

galette des rois
Le cercle de la pâte apparue



galette des rois
Et le second cercle


Sur un des disques découpés, je dispose la crème d’amande à l’aide d’un cercle puis je recouvre du second cercle et colle bien les bords.

galette des rois
La crème encerclée



galette des rois
Bien collés...


Je viens de lire sur le blog  La cuisine de Bernard  un sujet consacré à la méthode du retournement. J'ai envie d'essayer. Je glisse la feuille de papier siliconé coiffée de la galette sur un fond amovible de moule à tarte, pose par-dessus la plaque de cuisson et, par un geste aussi gracieux qu'empreint d’anxiété, je fais passer le tout cul par-dessus tête. 
Puis, par de maladroites incisions, je tente un semblant de décoration à la surface de la galette.

galette des rois
Ben oui...



La cuisson était lamentable.

J’enfourne à 210 °C avant de baisser la température à 180 °C.
Miséricorde ! Je me rends compte que j’ai oublié d’insérer la fève. J’en avais pourtant une sous la main, récupérée de la galette d’une pâtisserie versaillaise, et fort adaptée pour tirer le roi !

galette des rois, fève
Le Nôtre


Tant pis…
Au bout d’une trentaine de minutes, je sors la galette qui commence à bronzer pour la barbouiller d’eau sucrée. Elle réintègre le four.
Quand elle revoit le jour dix minutes après, elle a pris de la couleur, mais, misère, malheur, elle est de traviole : le côté vers la soufflerie a plus monté que celui vers la porte. Qu’à cela ne tienne, j’impose un demi-tour après avoir remis une couche de sirop de sucre.et je hausse la température à 200 °C. Cinq minutes plus tard, je jette un coup d’œil. Misère, malheur !
C’est désormais le côté bas qui a connu un imposant soulèvement. Et le sirop, à cet endroit a caramélisé, diront les indulgents, a cramé, diront les mauvaises langues. J’espère une redescente qui ne se produira point. Le sieur Bernard avait raison de placer une seconde plaque à 3 cm au dessus de la plaque de cuisson afin de réguler la pousse !


Et c’est ainsi qu’il me faudra présenter sur la table un béret sur lequel ne manque que l’insigne du régiment…

galette des rois
Galette penchée...



La dégustation laissait le convive partagé.

D’un côté, un feuilletage réussi, léger et goûteux. De l’autre cette pâte pas tout à fait suffisamment cuite pour le fond de la galette, en raison à la fois de l’humidité trop importante de la crème d’amande et d’une conduite imparfaite de la cuisson. Quant au goût, une poudre d’amande (peut-être pas de la meilleure provenance…) qui était mise KO par une crème laitière agressive. Pas le régal que j’espérais…

galette des rois
Mais où est la fève ?



Meilleure sera la chute.

Les chutes de pâte feuilletée superposées farcies d‘emmenthal râpé ou parsemées de zathar ont fourni des gâteaux d’apéritif fort plaisants.

chutes de pâte feuilletée
Pourquoi du zathar ?


vendredi 4 janvier 2019

Cendrillons

Il était une fois deux sœurs jumelles appelées Cendrillon qui étaient servantes dans la maison des deux petits cochons.



Leur sort n’était pas enviable, car les malheurs avaient aigri le caractère de leurs maîtres. Ayant perdu leur frère dans l’incendie de la maison en briques qui les hébergeait, ils passaient leurs nerfs sur les malheureuses. On ne peut pas dire que pour elles la vie c’était le pied.
Mais un soir où elles pleuraient au coin de l’âtre la fée Grisebiche qui passait par là les prit en pitié.
« Cette nuit, ce sera la teuf ! Voici une voiture pour aller en boîte. ».
La fée s’empara d’un butternut qui traînait sur la table en formica vintage de la cuisine et joua de la mandoline en chantant :
Cendrillon pour ses vingt ans
Est la plus jolie des enfants
Son bel amant, le prince charmant
La prend sur son cheval blanc

La courge se métamorphosa en une magnifique Goldini Baghera.



Les sœurs trépignèrent de joie. Je ne raconterai pas le déroulement de cette folle nuit. Il s’agit de leur vie privée et cela ne nous regarde pas. Sachez seulement qu’elles s’empiffrèrent de truffe et de foie gras.
Mais toute fête a une fin. Il leur fallut bien prendre le chemin du retour.
Las, dans un virage serré, elles perdirent le contrôle. Le spectacle était navrant. Nos deux fêtardes gisaient à côté d’un champ de salade, et leur belle voiture couvrait la route de mille morceaux, ici une roue, là un volant, ailleurs la carrosserie en lambeaux.
« Ah bah maintenant, elle va marcher beaucoup moins bien forcément ! », s’inquiéta l’une des sœurs.
« Qu’allons-nous devenir maintenant ?
- Des pieds... »

pieds de cochon Cendrillon
Constat



C’était d’autant plus sage que l’aube se levait et l’automobile avait réintégré sa courgitude première

jeudi 3 janvier 2019

Paire Noël

Repas de synthèse, du Noël concentré : comme plat, le reste du civet de cerf avec en accompagnement le reste de la purée de marrons ayant servi à la confection de la bûche, manié avec deux cuillerées du reste du pot de crème fraîche ouvert pour réaliser la farce de la dinde. Une petite cuillerée de vinaigre balsamique traditionnel de Modène et moult tours de moulin de poivre rouge, et c‘était parfait.

Repas de Noël, cerf, marron
Noël


Dans l’assiette, bien bons bistre et beige se répondaient à merveille…

En dessert ? Eh bien, un reste de glace à la main de bouddha, d’un beau jaune de Naples.


vendredi 28 décembre 2018

Noël à l'Hostellerie du Veau d'Or

Cette année, les repas de Noël furent traditionnels. Point de revisites, point de cuisine ethnique ou de cuisine fusion !
Les menus furent ceux de l’Hostellerie du Veau d’Or (il est toujours debout…), avec des plats empreints d’une bonhomie toute provinciale. Reposant, non ?
Sauf que cet établissement fantasmagorique a occupé mes locaux et m’a embauché comme cuisinier…
J’avais donc en charge deux menus :

Menu du réveillon de Noël

Chiffonnade de saumon fumé sauce raifort
Civet de gigue de cerf Vox Dei, embeurrée de spätzles maison
Bleu de Termignon
Bûche glacée main de bouddha dans les châtaignes


Menu du 25 décembre

Foie gras de canard mi-cuit à l’ancienne
Dinde de Bresse farcie et ses légumes de Noël
Plateau de fromage
Gâteau de Noël Mon Bon Sapin


Mon assistante se chargeait, quant à elle, due la préparation du petit-déjeuner, avec en particulier un langhopf qui participe à sa renommée pâtissière…


DIMANCHE 23 DÉCEMBRE


La bûche glacée :
En premier lieu, réalisation d’un gâteau joconde dont une découpe formera le socle de la glace.
Une main de bouddha se demande bien à quelle sauce elle va être mangée.

main de bouddha
Si tous les bouddhas du monde allaient main dans la main...


Son parfum tout aussi puissant qu’exquis sera parfait pur l’insert de la bûche.
Je découpe quelques sommités qui, partagées en deux dans le sens de la longueur, sont confites dans un sirop afin de participer au décor. Deux bonnes cuillerées à soupe de zeste râpé vont infuser dans du lait chaud. La main de bouddha dans la calotte du zouave que je suis… Une fois bien imprégné des voluptueuses fragrances agrumesques, ce lait passé dans un chinois qui n’aurait jamais pensé se trouver aussi proche de bouddha sert à confectionner une crème anglaise. Additionné de crème, on obtient l’appareil qui va être turbiné avant d’être moulé pour l’insert. Mais, ventrebouddha, de moule à insert, je n’en ai point ! Comme toujours, le magasin local m’a répliqué : « Il fallait le commander ! ». Je joue donc les MacGyver en utilisant deux petits ramequins rectangulaires en porcelaine.
Et hop, c’est fait, la glace parfum main de bouddha va au congélateur en mode superfrost.
Je passe à la confection de l’autre parfum, une glace au marron dont je pense qu’elle s’alliera bien avec sa compagne de bûche. Mais plutôt que d’utiliser de la crème de marrons j’ouvre une boîte de purée de marrons non sucrée.



Je me contenterai d’augmenter la dose de sucre dans la crème anglaise.
Cette glace est introduite au fond d’un moule plutôt kitsch en forme de simili bûche. J’y dépose les inserts démoulés non sans mal et dont j’ai verticalisé une des extrémités biseautée afin de pouvoir les accoupler. Miracle, bouddha soit loué, j’obtiens juste la longueur du moule.
Je recouvre ensuite de glace au marron, arase au niveau du bord du moule.
Et zou, au congélateur jusqu’à demain.

Le civet :
Ce fut la galère pour me procurer une gigue de cerf, mais enfin elle est là, découpée par le volailler. Je lui prépare une marinade.
Le vin utilisé, recommandé par le caviste, est un corbières Vox Dei.



Devant la désolation de ce marchand devant un si triste sort culinaire infligé à un si bon vin, nous ne pouvions qu’acheter une sœur à cette bouteille pour la déguster avec le plat. Nous n’avons d'ailleurs pas eu à regretter notre influençabilité…
Ce nectar a recouvert les morceaux de cerf mélangés avec une découpe de carottes, panais, céleri oignons. S’y ajoutent deux gousses d’ail, une branche de thym, une branche de romarin et des épices pilés au mortier : poivre long, macis, poivre blanc de Pandja, poivre à queue, poivre de Cayenne, graines de Paradis, clou de girofle. Pour terminer, un trait de vinaigre balsamique de Modène, et je mets sous vide. Tout ce petit monde se réfugie au réfrigérateur.

La dinde de Bresse :
Elle est arrivée la veille de sa région natale.

dinde de Bresse
Ah, la belle bête !


Ayant suffisamment de tâches culinaires prévues, j’ai demandé qu’elle ne soit pas simplement éviscérée, mais vidée : je n’ai donc plus qu’à sortir le foie, le gésier, le cœur et la boule de graisse qui sont déjà détachés dans le coffre de la bête.
Mais il me faut aussi préparer un bouillon pour la précuisson. J’ai obtenu du volailler deux carcasses de poulet.

carcasses de poulets
Hou, les bêtes pas belles !


Je les concasse à l’aide d’un couperet. J’épluche deux carottes, un navet, un panais. Je nettoie deux poireaux, je pique un gros oignon paille de trois clous de girofle.
Je prends un faitout, dore les carcasses et le gésier de la dinde sur un trait d’huile d’olive, fait suer les légumes. J’ajoute une feuille de laurier, un brin de thym, du poivre noir, du piment de la Jamaïque.

bouillon, volaille, dinde
On se décarcasse et on se fait suer


Je recouvre d’eau abondamment, je porte à ébullition et laisse frémir durant une heure.
Pendant ce temps je confectionne la farce en mixant 500 g de veau (des morceaux pour blanquette) avec le foie et le cœur de la dinde, sa boule de graisse, ainsi qu’une poignée de mie de pain rassis trempée dans du lait. Puis je transvase dans une bassine en inox, ajoute deux petits-suisses, des morilles séchées réhydratées grossièrement découpées, trois échalotes grises hachées, des feuilles d’estragon ciselées, des pelures de cerfeuil, deux œufs entiers et brasse afin de bien mélanger le tout. Je finis en assaisonnant : sel, poivre noir de Kampot et quatre-épices.

farce, dinde
La farce est une chose sérieuse !


Je fourre la dinde, dont j’ai salé l’intérieur du coffre avec du sel fin, de cette préparation. Il y a un excédent dont je forme une boule que j’enferme dans un torchon que je scelle par quelques tours de ficelle.
Je transvase du faitout le bouillon parfumé dans une marmite en le filtrant à l’aide d’un tamis. Je complète d’eau pour avoir suffisamment de liquide, et sale d’une poignée de gros sel. Je plonge dans ce bain chaud la dinde bridée et le reste de farce emmailloté et laisse cuire à frémissement environ une demi-heure.

dinde, bouillon
Le chiffon blanc flotte dans la marmite


Je sors et égoutte, laisse refroidir et réserve au frais.


LUNDI 24 DÉCEMBRE

Les spätzles :
Je prépare le mélange classique, 100 g de farine (ici de la T55 des Moulins de Versailles) pour 1 œuf entier et une pincée de sel. Il s’agit ici simplement d’ajuster la quantité d’eau afin d’obtenir la fluidité adaptée à l’écoulement lent dans l’ustensile adéquat posé au-dessus d’une casserole d’eau bouillante salée.

spâtzle
Sous la râpe, la vapeur


Les spätzles remontant à la surface sont retirées à l’aide d’une araignée, puis rincées à l’eau froide.

spâtzle
Douche écossaise


Je les égoutte bien et les stocke sur une plaque qui sera filmée et réservée au frais jusqu’au soir.

spätzles
Que de spätzles !


Le langhopf :

La pâte confectionnée par mon assistante a fini sa deuxième pousse dans le moule.

langhopf
Avant le four



Elle est enfournée pour une quarantaine de minutes avant que ce gâteau soit démoulé et arrosé de beurre fondu sur lequel viendra se coller la pluie du mélange de sucre semoule et de cannelle.

Le civet :
J’ouvre la boîte sous vide où marinent les morceaux de cerf.

cerf, civet, marinade
Le cerf n'a pas peur du vide


Je prélève au moyen d’une pince cette viande que je saisis à feu vif sur toutes les faces dans une cocotte en fonte ointe d’une larme d’huile d’olive, puis réserve provisoirement sur une plaque. Cette opération terminée, je baisse la flamme et je fais suer les légumes prélevés avec une araignée. Je remets le cerf et singe d’une cuillerée de farine. Je verse le liquide de la marinade, assaisonne d’une cuillerée rase de gros sel et laisse cuire à feu doux pendant une heure. Puis je sors une nouvelle fois les morceaux de cerf de la cocotte, passe le liquide au chinois et le remets dans la cocotte, débarrassé de la garniture aromatique et des épices qui prennent une retraite bien méritée. La cuisson sera prolongée au four à 130 °C pendant deux heures. À la sortie, la sauce a bien réduit et la viande se laisse traverser par la pointe d’un couteau. La cocotte n’a plus qu’à patienter jusqu'à l’heure du repas.

En attendant, je pèle quelques oignons grelots que je fais glacer dans le reste du beurre fondu qui avait servi à arroser le langhopf sorti du four juste avant qu’il soit remplacé par la cocotte. J’ajoute juste dans la casserole une petite cuillerée de sucre, une pincée de sel et un verre d’eau, et je couvre d’un disque de papier siliconé.

Les légumes de Noël :
Corvée d’épluchages ! Il y a sur le plan de travail un potimarron, une courge butternut et un céleri-rave dont je n’utiliserai qu’une partie, un gros panais, trois racines de persil tubéreux, deux navets et trois betteraves rouges : tous légumes récoltés au jardin. S’y ajoutent trois carottes, une patate douce et trois topinambours achetés au marché. Après la découpe finale, je blanchis cinq minutes les morceaux obtenus dans de l’eau bouillante salée - les betteraves en quarantaine dans une autre casserole pour risque de contamination rubescente…
J’égoutte et réserve au frais.

La bûche glacée :

Je la démoule sur le rectangle de gâteau joconde que je découpe suivant son gabarit. Je la décore de quelques stries sinueuses et pluies de poudre de cacao à travers une passoire fine. Je pose des ongles confits des doigts de la main de bouddha et trois marrons glacés, d’une qualité je l’avoue assez médiocre, car achetés dans l’urgence. Le superfrost et la vapeur culinaire ont fait que la bûche est envahie par le givre.

bûche glacée, main de bouddha, marrons
Bûche dans les frimas


Je baisse la température du congélateur afin que le dessert soit tranchable après une brève transition au réfrigérateur à la fin du réveillon.

Le saumon fumé :
Je tranche un demi-filet d’un saumon d’excellente qualité fumé par un artisan du Médoc afin d’obtenir une chiffonnade que je dispose sur un plat. Je décore de quelques feuilles d’aneth et d’une sauce au raifort qui sera servie à part. Je réserve au frais.


saumon fumé, Médoc
L'ai je bien chiffonné ?



Le repas :
Le plat de saumon est apporté sur la table avec à côté de la sauce raifort et les blinis du paresseux (pas maison, alibi : pas le temps…). De la vodka est proposée.
Quant à moi, après avoir dégusté cet écossais bien né au lance-pierre - dommage, il est savoureux… -, il me faut retourner en cuisine où j’ai remis la cocotte sur le feu, à côté d’une poêle dans laquelle les spätzle s’enduisent d’un bon beurre demi-sel mousseux.
Je sors les morceaux de cerf pour les placer dans le plat de service. Ils sont devenus suffisamment tendres pour que je puisse les débarrasser des os qui les encombrent. J’ajoute à la sauce une cuillerée de confiture de groseille diluée avec du vinaigre balsamique. Je sors du feu, ajoute plusieurs tours de moulin de poivre rouge et épaissit la sauce avec un petit bocal de sang que le volailler a bien voulu me donner. Elle devient crémeuse et presque noire. Je la verse sur le cerf. Pendant que je transvase les spätzles dans un autre plat de service assorti, je remets à température les oignons glacés que je dispose ensuite sur le civet. Mon assistante venue à ma rescousse fait tomber quelques peluches de cerfeuil, puis emporte les plats vers la tablée.


civet de cerf
Civet de cerf aux petits oignons


spâtzles
Embeurrée de spätzles



Pour ma part j’arrive avec la bouteille de Vox Populi débouchée une heure auparavant.
Tout le monde a l’air de se régaler, même les petites infantes - enfin jusqu’au moment où l’aînée réalise qu’il s’agit d’un grand cerf dans la forêt et que le chasseur l’a tué…

Puis on passe au fromage, le bleu de Termignon, qui malheureusement me semble trop jeune, même s’il est plutôt goûteux.

Enfin je sors la bûche, ce qui ne me demande pas trop de travail, d’autant plus que ce n’est pas moi qui vais la découper.

bûche
Bûche !


L’alliance marron et main de bouddha fonctionne bien, je regrette simplement qu’un sirop léger au Grand-Marnier n’ait pas imbibé le socle. Mais la présence de mineures…


bûche glacée
 Une bonne tranche


Les adultes se consolent avec du champagne offert par la maison - comme le reste du repas d’ailleurs…

Je rends mon tablier, provisoirement s’entend.


MARDI 25 DÉCEMBRE


Le petit-déjeuner :
Je vois que les hôtes n’ont pas dédaigné le langhopf.

langhopf
Langhopf un peu moins lang


Pour ma part, n’aimant guère le sucré le matin, je reporte ma dégustation, bien qu’il ait l’air réussi…
Et puis je dois me recoiffer de ma toque virtuelle…

La dinde de Bresse :
Je la fais évacuer son refuge réfrigéré.
Je la pose sur une grille munie de pieds posée au fond d’une plaque à rôtir. Je pose à ses côtés le reste de farce dévêtu de son maillot. Je verse trois verres d’eau sous la grille.
J’enfourne et  j’allume le four en le réglant à 150 °C. Je prévois de laisser la bête à peu près deux heures et finir par un quart d’heure à 200 °C.

Les légumes de Noël :
J’enferme les légumes que j’avais blanchis dans une vaste papillote constituée avec des feuilles de papier parchemin doublé d’aluminium après les avoir assaisonnés, ajouté une tête d'ail fumé d'Arleux tranchée en deux suivant l'équateur, un brin de thym, une feuille de laurier, deux grosses noix de beurre et arrosé d’un trait d’huile d’olive herbacée. Je glisse cette papillote dans le four à côté de la dinde.

Le repas de Noël :
Pour l’entrée, je n’ai pas beaucoup d’efforts à fournir, le foie gras de canard est tout prêt. Je n’ai eu qu’à le sortir du sac sous vide dans lequel il a cuit et lui laisser le temps de s’aérer et remonter à température ambiante.
Je le pose sur un lit de roquette.

foie gras
Foie prisonnier de la roquette


Si tout le monde semble satisfait, pour ma part je ne me régale pas vraiment. Il est vrai que je préfère nettement le subtile et onctueux foie d’oie à celui de canard (qui lui ne mérite pas sa palme !).
Et le gewurztraminer récolte tardive sait me consoler de ma déception.

La dinde est restée un peu plus longtemps au four que prévu. À la découpe, je constate qu’effectivement elle est un peu trop cuite à mon goût, mais rien de catastrophique. La farce extraite est partagée et disposée sur un plat rond. Le jus contenu dans la plaque de cuisson est réduit sur un feu et versé dans une saucière, relevé d’un trait de vinaigre balsamique et de force poivre.

dinde de Bresse
Quelle dinde !


Je vide ma poche de ses légumes sur un plat en inox qui a bien du mal à les contenir. Un tour de moulin de poivre noir de Kampot, et c’est prêt pour aller rejoindre la dinde - non pas sur la table mais sur une desserte faute de place.

légumes
Racines..


J’aurais souhaité une bouteille de Fixin (appellation fort honorable et chargée de souvenirs pour moi…) en accompagnement de ce plat, mais ce vin était impossible à trouver chez les cavistes locaux. Je me suis replié sur un Givry 1er cru qui ne m’a pas enchanté plus que ça…

Bon, chacun semble se régaler de la bête. On reprend des légumes, agréablement parfumés par l'ail d'Arleux. Même les infantes en réclament, ce qui ouvre un nouvel horizon à leur mère qui habituellement a bien du mal à faire accepter les végétaux au menu.

Arrive ensuite le plateau de fromages :

Brie fermier d’Île de France
Charolais fermier
Fort du Gévaudan
Comté Extra Vieux Cristallisé
Cheddar Blanc Toilé
Strachitunt
Boulette de Cambrai
Poiret de la Meuse


Heureuse découverte qu’est ce strachitunt. Ce persillé de Lombardie provient d’une production qui prévoit toujours l’utilisation de lait entier cru, c’est-à-dire, utilisé dès la traite à la température de l’animal et travaillé avec l’ancienne technique de pâte double qui consiste en l’union du caillé du soir, avec le caillé chaud du matin. 



En revanche le Poiret de la Meuse n’a pas convaincu tout le monde. Pour cause, je me suis risqué dans le bizarre et y a pas à dire : c’est un fromage d’hommes !

Mais les palais timides seront rassurés par le dessert. Ce n’est pas une confection maison.
Il s’appelle Mon Bon Sapin, et voici sa naissance :



Il a fière allure sur notre table.

Mon mien !


Et je dois reconnaître qu’il est excellent. Même moi, qui ne suis guère porté vers les sucreries, j’en reprends une part.
Un crémant d’Alsace fournit le contrepoint qui rafraîchit les papilles
.
Un bon espresso et l’addition s’il vous plaît…

Mais non, à l’Hostellerie du Veau d’Or tout est offert par la maison.
Vous espérez y être invité ? Vous croyez au père Noël !!!