lundi 6 août 2018

L'hachis mer en moussaka

Si pour une soirée de gala le poivron s’habille en noir, c’est en blanc que s’habille l’aubergine - se parant parfois d’une petite touche violette pour les plus fantaisistes…

aubergine blanche
L'aubergine en fête


Elles étaient arrivées à trois du jardin, je les ai hébergées pour la nuit, leur promettant une soirée moussaka pour le lendemain.
Toutefois, des tomates farcies étant au programme du surlendemain, j’ai craint une redondance de viande hachée. La solution ? Eh bien une farce marine… Ce qui en plus offrait l’avantage de rester dans les nuances virginales. Un dîner en blanc, quelle classe !
En premier lieu je découpe les aubergines à l’aide d’une mandoline en tranches que je mets à dégorger avec du gros sel.
Je profite de ce délai pour préparer la farce. Je déballe le calamar et les gambas achetées le matin aux halles.

calamar, gambas
Calamar du matin, espoir


Je nettoie le mollusque et le taille grossièrement au couteau. Je décortique les crustacés, réserve les têtes et les carapaces. Je prends mon minipréparateur et hache finement les deux tiers du calamar et trois gambas complétées par deux petites échalotes, quelques feuilles de persil et un trait de jus de citron. J’obtiens une sorte de purée. J’ajoute alors le reste de calamar et la dernière gambas, et ne presse que brièvement le bouton artistiquement orné d’un hachoir ad usum analphabetorum car je souhaite conserver de la texture.
Je transvase dans un bac, ajoute une échalote hachée à la main et une pincée de persil ciselé. J’assaisonne de fleur de sel, de poivre blanc de Penja et d’une petite cuillérée de cannelle. Je réserve au frais.

calamar, gambas, mixer
Cuisine presse-bouton


J’épluche une grosse pomme de terre de la variété Yona récoltée quelques jours auparavant au jardin. Je la découpe à la mandoline en tranches d’environ 4 millimètres que je fais cuire un quart d’heure dans de l’eau salée avec une pincée de filaments de safran. Je les égoutte et les réserve.

pomme de terre, yona, safran
Yona safranée


C’est le moment de m’occuper des tranches d’aubergine. Elles ont rendu pas mal d’eau. Je les rince afin de les débarrasser du sel qui les recouvre, les pose sur du papier absorbant et les éponges avec une autre feuille.

aubergine, dégorgement
Dessalées, les aubergines...


Je verse un bon trait d’huile d’olive dans une poêle et fais revenir les tranches à feu moyen. Une fois légèrement dorées, je réserve.

tranches d'aubergine, poêle
Tout en onction


Je rajoute de l’huile d’olive dans cette même poêle et y verse les têtes et carapaces de gambas que je fais sauter à feu vif. J’éteins et laisse infuser afin d’obtenir une huile parfumée.

Enfin je prépare une béchamel classique que je parfume par une feuille de laurier, un brin de thym, un autre de romarin et un tour de moulin de noix de muscade.

béchamel
Le péché de la béchamel



Il ne me reste plus qu’à passer au montage.
Dans mon plat en faïence, j’étends une première couche constituée de la moitié de mes tanches d’aubergine.
Je verse sur ce lit mon hachis marin. Je l’arrose de mon huile de gambas passée au chinois.

montage de la moussaka, calamar, gambas
Au deuxième étage


Je tapisse de mes tranches de pomme de terre que je recouvre du reste d’aubergine.
J’ajoute un jaune d’œuf dans ma béchamel encore tiède, je mélange vivement et je recouvre le contenu de mon plat de cette sauce.
Un tour de moulin de poivre rouge, et j’enfourne à 180 °C pour un quart d’heure. Encore cinq minutes à 200 °C pour obtenir une surface dorée, et je sors le plat.

moussaka de la mer
La moussaka sort du four


Quand je découpe les parts que je vais poser sur les assiettes, je suis un peu anxieux. En effet j’ignore quelle sera la tenue de mon hachis improvisé. Eh bien ça marche, le parallélépipède ne s’écroule pas lamentablement. C’est déjà ça ! Je complète les assiettes de petites tomates grappe diverses récoltées au jardin. J’ai oublié les gouttes de Tabasco prévues dans mon hachis marin, qu’à cela ne tienne, je parsème d’un peu de poudre de piment d’Espelette mon anxiété de l’assiette blanche. Un peu d’assaisonnement pour les tomates : huile d’olive herbacée, jus de citron et quelques cristaux de sel.

moussaka
Planète Moussaka et ses satellites


Reste le plus important : le goût. Passons à table !
Bon, ça va, la chair évoque bien les fruits de mer dans une mâche agréable. Le parfum du safran dans les pommes de terre est discret – trop discret peut-être… La béchamel est parfaite en consistance, parfumée à souhait, bref on n'est pas en présence de cette colle infâme qu'est trop souvent cette sauce.
Et les aubergines ? Eh bien tout simplement ces dames sont à la fête. Que demander de plus ?

Le lendemain, les tomates farcies. Mais ceci est une autre histoire.

Le surlendemain, la moussaka marine, le retour.
Elle était servie froide, cette fois-ci. Et elle était encore meilleure, à la façon de ces pâtés ou terrines dont les fragrances se sont entremêlées et consolidées après plusieurs heures, voire journées, de repos. C’était bon, c’est devenu excellent.
Et, olive sur la moussaka, j’ai pu effectuer une coupe verticale montant les diverses strates de mon édifice gréco-gaulois.

moussaka, mer, coupe
5 étages


Ben oui, il faut laisser du temps au temps !

vendredi 3 août 2018

Cevishimi au black

Il y a parfois des cucurbitacées qui ne manquent pas d’allure. Comme ce poivron arrivé tout droit du jardin vêtu de son habit noir satiné très classieux.

poivron noir
Un habit noir


Il n’était pas question de le cuire pour le voir en clodo dépenaillé dans des fringues fripées et graisseuses. Alors il finira cru dans une préparation froide bien appropriée à la chaleur ambiante.
La veille c’étaient deux morceaux d’un saumon Label Rouge d’Écosse qui avaient fait le chemin des halles jusqu’à ma cuisine dans un sac isotherme garni d’une plaque froide. Je m’étais empressé de les mettre sous vide avec une marinade constituée de jus de citron et d’huile d’olive que venaient parfumer des zestes de citron prélevés à la râpe Microplane.
J’ouvre la boîte où se trouve le saumon. Comme ma première intention était de les passer sur le gril, j’avais laissé la peau.

saumon mariné sous vide
Belle vêture


Mais l’arrivée du poivron a tout changé. Je sors mon couteau le plus tranchant et découpe les morceaux en tranches relativement fines.

découpe saumon
Un saumon bien tranché


Je veux réaliser un ceviche mâtiné de sashimi. Un cevishimi. L’Amérique du Sud et le Japon réunis dans mes assiettes, c’est-y pas beau ?
Mais n’oublions pas la star de noir vêtue à l’origine de ce caprice. Je sors ma mandoline et la partage en tranches fines. Dans la lancée, la mandoline s’occupe aussi d’une tomate choisie assez ferme. Je prélève aussi des filaments sur un citron avec un zesteur.
Je puis alors dresser. Je dispose d’abord les tranches de saumon que viennent recouvrir trois minces disques de tomate et les découpes de poivron. Je parsème de volutes de zeste de citron jaune. J’arrose de la marinade filtrée. Je complète d’un trait d’huile d’olive et termine par un tour de moulin de poivre blanc de Penja.

saumon, poivron, marinade
Cevishimi poivronné


Heureusement, ce saumon écossais fait partie de ceux qui sont convenables dans une dégustation crue. Mais surtout le poivron ne se contente pas d’être beau. Il est également bon. Légèrement sucré, il offre une saveur bien différente de celle de ces échappés de serres hollandaises qui m’ont longtemps fait fuir ce légume.
Alors, chapeau l’artiste (celui en tenue de soirée, pas moi…) !

mercredi 1 août 2018

Un cornichon

Ouais, le maître de ces lieux n’a pas hésité à me traiter d’enflure ! J’aurais eu la folie des grandeurs, je me serais cru zeppelin… Et d’illustrer par une photo destinée à me faire passer pour un gros cornichon en me plaçant à côté d’un prématuré arraché avant l’heure du sein maternel pour de sordides manœuvres d’agité du bocal.



D’ailleurs il suffit de supprimer cet avorton pour s’apercevoir que je suis resplendissant dans ma force de l’âge.

cornichon, pickles
J'suis beau, pas vrai ?


Il va sans dire que j’étais furieux.

Eh bien j’ai découvert que cette cape de cruelle ironie drapait un cœur empreint de tendresse bienveillante…
En effet j’entendis avec effroi une voix féminine s’exclamer : « Il y a assez longtemps qu’il traîne, je vais le balancer au compost. ». Quelle fin sordide ! N’ai-je tant vécu que pour cette infamie ? Mais, Dieu soit loué, celui que je prenais pour un monstre répliqua : « Ah non, ce serait dommage. Il est beau. J’arriverai bien à lui trouver un emploi… ».
Alors depuis je me sens son serviteur, prêt à me mettre en quatre, ou même en huit, pour le satisfaire.

Et c’est ainsi que je me trouve sur un gril à côté d’un oignon et d’une tomate - tiens, je te reconnais, tu n’étais pas loin de moi au jardin, c’était le bon temps…
Nous finissons sur un plat, on nous parsème d’une pincée de sel et d’un soupçon de paprika, on nous arrose d’un mélange bouillant de vinaigre de cidre et de balsamique. Hum, ça sent bon, avec en plus une note de fumée… Il ne reste plus qu’à nous laisser refroidir avant de nous mettre au frais.

gros cornichon, pickles
Le régal du patron


Tu vas te régaler, patron !!!


samedi 28 juillet 2018

Aimer le veau froid sauce au thon

J’aime bien les plats terre mer (et les plats mer terre aussi…).
J’aime bien le vitello tonnato, plat que j’ai découvert dans un restaurant parisien il y a bien longtemps grâce à une critique de R.J. Courtine lue dans le journal Le Monde. Il en donne d’ailleurs une version dans son Guide de la cuisine française et internationale (éditions Elsevier Séquoïa, 1972).

Vitello tonato alla milanese :
 

500 à 600 g de noix de veau, 300 g de thon (à l’huile), 100 g filet anchois, 2 citrons, 1 bouquet garni, sel et poivre, 1/2 1 vin blanc sec, 1 cube bouillon.


Pour la mayonnaise :
1 œuf, citron, huile, sel et poivre (il ne faut pas y mettre de moutarde).
Faire étuver les oignons à l’huile d’olive. Les retirer. Mettre à la place une belle noix de veau, le thon à l’huile, les filets d’anchois nettoyés et dessalés, les citrons pelés et coupées en dés, un bouquet garni, sel et poivre. Mouiller de vin blanc moitié avec du bouillon de veau et cuire lentement 1 h 1/2. Laisser refroidir dans la casserole de cuisson. Ôter le veau. Passer le reste au tamis. Faire une mayonnaise. Y mêler le fond passé au tamis et servir avec cornichons et câpres.


J’ai bien aimé mon vitello tonnato de juillet 2013.

vitello tonnato
Mod. 2013


J’ai bien aimé mon vitello tonnato d’août 2016.

vitello tonnato
Mod. 2016


J’ai bien aimé mon vitello tonnato d’avril 2017.


vitello tonnato, colatura
Mod. 2017


Alors, comme il me faut tenir compte de la chaleur ambiante pour le choix de mes menus, je me dis que j’aimerai mon vitello tonnato de juillet 2018… Une fraîcheur bien agréable pour se régaler et narguer le vilain Râ !
Quoique… Pour les convives, certainement. Mais pour le pauvre cuisinier, c’est une autre affaire.
Je me lance dans la cuisson du rôti de veau. Et là, flamme il y aura. D’abord moyenne sous la cocotte ointe d’huile d’olive où je fais suer un gros oignon partagé en huit (et moi par la même occasion) et colorer légèrement un rôti de veau ficelé par le boucher ainsi que l’os généreusement offert. La présence de cette satanée barde rituelle ne me satisfait guère, mais je ne prendrai pas le risque de déficeler prématurément… Je verse une demi-bouteille de vin blanc sec (de ce sauvignon que je réserve à la cuisine) et ajoute : 2 feuilles de laurier, un brin de thym, un brin d’origan, un brin de persil, cinq ou six grains de piment de la Jamaïque, une cuillerée de poivre blanc de Penja, une cuillerée de poivre de Voatsiperifery, deux clous de girofle, quelques lambeaux de zeste de citron.
Je baisse la flamme au minimum.

rôti de veau, vitello tonnato
Elle est chaude, la cocotte !


Je coiffe la cocotte de son couvercle dont j’emplis le creux d’une eau glacée que je renouvellerai régulièrement, en profitant pour retourner le rôti. Le veau va mijoter durant un peu plus d’une heure.
Fin de l’épisode calorifère ! Ouf !
Le veau restera dans son jus qui deviendra d’ailleurs gelée jusqu’au lendemain.

Passons à l’épisode fraîcheur…
Je commence par extraire le rôti de sa gangue, puis je le découpe le plus finement possible à l’aide de ma trancheuse.

vitello tonnato, découpe du rôti
Tourne-disque


Je réserve au froid dans un bac.

Il me faut confectionner la sauce. Elle sera très proche de celle décrite dans la bible culinaire italienne, La Cuillère d’Argent (éditions Phaidon, 2006).

Vitello tonato freddo

Pour la sauce : 200 g de thon à l’huile égoutté, 3 filets d’anchois à l’huile égouttés, 2 cuil. à soupe de câpres égouttées et rincées, 2 jaunes d’œufs durs, 3 cuil. à soupe d’huile d’olive, le jus d’1 citron, filtré

Pour la sauce, réduire le thon, les filets d’anchois, les câpres et les jaunes d’œuf en purée au mixeur. Incorporer au fouet l’huile d’olive, 2 ou 3 cuillerées du bouillon de cuisson et le jus de citron. Ôter la ficelle, couper la viande en tranches et la dresser sur un plat. Napper de sauce et laisser reposer quelques heures pour permettre aux arômes de se mêler.


Je décroche ma girafe. Je verse dans le haut récipient étroit destiné aux émulsions des filets de thon germon à l’huile extraits d’un bocal, trois filets d’anchois à l’huile sortis d’une boîte, deux jaunes d’œufs durs conservés au réfrigérateur (eh oui, il m’avait quand même fallu ouvrir le gaz dans la matinée…), une cuillerée de câpres seulement (je préfère les trouver entières), le jus d’un gros citron jaune. J’ajoute trois cuillerées de la gelée qui entourait le rôti, déverse quatre cuillerées d’une bonne huile d’olive italienne aux notes herbacées. Je sais que le choix est important, car certaines huiles peuvent conférer une amertume désagréable. Je mixe. Il me semble que la sauce est trop épaisse. Je goûte et en profite pour rectifier l’assaisonnement. Deux nouvelles cuillerées d’huile procurent la consistance souhaitée…
Passons au dressage. J’ai choisi un service à l’assiette… ou plutôt à l’ardoise. Il y a un invité, ce sera donc un trio de couverts !
J’ai mis à refroidir au préalable ces ardoises. J’y dispose les tranches de veau en prenant bien soin de repérer et évacuer tout bout de ficelle ou de barde ayant échappé à ma vigilance au cours de la découpe. Je nappe de sauce que j’égalise plus ou moins à la spatule. Je parsème de câpres, décore de quelques caprons qui seront bien agréables à croquet. J’allonge trois filets d’anchois sur chaque assiette.



vitello tonnato
Mod. 2006 rectifié 2018


J’ai bien aimé mon vitello tonnato de juillet 2018.


mercredi 25 juillet 2018

Le samedi, c'est bigoli

Ouais, enfin, pas tous les samedis, même si ma vie est un long fleuve presque tranquille…
Ce samedi, ce fut bigoli.



Il me restait la moitié d’un paquet de Bigoli de Bassan entamé, alors l’envie m’est venue de les préparer avec une sauce carbonara.



Je commence par découper en lardons six épaisses tranches de guanciale.

guanciale
Pauvre cochon…


Je les ferai revenir dans une poêle sur un trait d’huile d’olive.
Dans un saladier je verse deux œufs entiers et deux jaunes, les recouvre de force poivre de Kampot rouge sortant du moulin. Je râpe un bon morceau de parmesan (hélas je ne dispose pas de pecorino).

carbonara
Mise en place




Il me faut sortir une grande marmite, car ces pâtes font 52 cm de long. Je les balance dans l’eau bouillante salée, elles dépassent du liquide et même des bords du récipient, mais par un prompt effort et surtout grâce au ramollissement de la partie immergée ce hérisson fait moins le fier quelques secondes plus tard.
Et zou, c’est parti pour douze minutes de cuisson…
Pendant ce temps, je bats les œufs jusqu’à ce qu’ils deviennent mousseux, incorpore du parmesan râpé. Le guanciale est en train de dorer.

Le minuteur sonne. Les pâtes peuvent être transférées dans le grand saladier de service à l’aide de la cuillère à spaghetti bigoli. Je rajoute une louchée de l’eau de cuisson au mélange œufs parmesan et fouette. Je verse cette sauce sur les bigoli, complète avec les lardons et leur graisse fondue parfumée.
Un tour de moulin de poivre, un peu de parmesan râpé, et pour finir quelques pincées de persil finement ciselé.

bigoli alla carbonara
Very big bigoli du charbonnier


Les bigoli alla carbonara sont prêts…

dimanche 22 juillet 2018

Les cucurbitacées, assez, assez !

Oui, les cucurbitacées, assez, assez !
Parmi eux, des courgettes, même pas masquées comme savent le faire les dignes concombres, se multiplient à tout va dans le jardin. Ces envahisseurs parviennent même à occuper ma cuisine, où j’ai bien du mal à leur trouver des emplois. J’ai parfois envie de m’écrier : courgette, jette, jette !
Alors, qu’elles se soient camouflées dans des treillis vert clair, vert foncé, zébrés ou même qu’elles se soient habillées d’un smoking blanc, pas de pitié pour les courgettes. Je les pourfends et les parque dans un enclos aux murs métalliques. Je sais qu’elles vont s’y faire suer, mais tant pis pour elles.

courgettes
Cucurbis tassés


Elles n’en sortiront que pour avoir maille à partir avec un filet (de canard). Pour faire bonne dose, il y aura aussi l’aiguillette pour les titiller. Et pour contenir leur ruée dans l’assiette, des boucliers de peau croustillante.

courgettes, filet de canard
Courgettes al dente




Mais à quoi bon, dix têtes sont abattues, cent se relèvent.
Et ces courgettes sont appuyées par d’autres cucurbitacées, ces malfaisants sans vergogne.
Dans quelque temps des courges et surtout ces horribles potirons dont je ne m’étonne pas qu’ils soient les favoris des halloweeniens crétins…
Mais déjà les cornichons sont là, gnomes sournois des concombres. Ils s’amusent à se planquer pour réapparaître le lendemain gonflés de suffisance par le mauvais tour qu’ils ont joué au conserveur. Parfois ce dernier peut répliquer en infligeant le goulag à ces enflures : tu seras molossol, mon gros cornichon. Mais que répliquer devant la folie des grandeurs, tel ce cornichon qui se croyait zeppelin.

cornichon
Il est gonflé !

Quel cornichon!



Toujours est-il que je suis traumatisé par ces intrusions massives. Ne voilà-t-il pas que dans un moment d’hallucination fort heureusement passager, j’ai pris d’inoffensifs cervelas pour des cucurbitacées déguisés. Pris de panique, je les ai dépouillés et lacérés de la pointe de ma rapière.
Ben finalement, ainsi c’était (bonne) chose faite. Il ne me restait plus qu’à les poser sur des tranches de pommes à l’anglaise, les parsemer de bâtonnets d’emmental et les arroser d’une rémoulade enrichie de ciboulette. Tout en sacrifiant un gros cornichon sorti de son bocal sur l'autel de la cochonaille…

salade de cervelas
Ouf, ce ne sont pas des cucurbitacées!


Ah, il est bien dommage que le bon cervelas ne soit pas animé de la même ardeur procréatrice que la vilaine courgette. Le monde est mal fait.
😢

dimanche 15 juillet 2018

Un témoignage poignant

Un témoignage poignant…
Je vais le publier tel qu’il m’est parvenu, récit de la triste vie d’une anonyme que je baptiserai, faute de mieux, Madame Patate. Je joins quelques photos prises à l'aide d'une caméra infiltrée.


Je suis née dans une commune rurale du centre de la France. Ma première enfance fut heureuse, nourrie par une mère attentive qui m’abreuvait d’une sève généreuse. Blottie contre elle, je ne souffrais pas du froid quand une bise nocturne balayait notre domaine. Je commençais à grossir à vue d’œil, et j’attendais avec impatience le moment où je serai une pomme de terre dodue, prête à moi aussi devenir une génitrice généreuse rendant à ma progéniture tout l’amour que l’on m’avait donné.
Hélas, je ne connaîtrai jamais un tel bonheur.
Un matin, je fus réveillée par le grondement d’un tracteur. Je m’apprêtais à simplement maudire l’importun qui allait me priver de ma grasse matinée, ce moment béni où l’on sent la terre se réchauffer sous les premiers rayons du soleil, quand ce fut le séisme. Je fus soudain arraché à ma mère que je vis disparaître derrière une motte de terre, on m’extirpait, me secouait, me jetait dans un cageot au milieu de mes sœurs affolées. « Je n’y crois pas ! », pleurnichait l’une d’elles en se frottant désespérément les yeux.
Mais si, c’était vrai, nous étions déportées de notre terre natale.
J’abrégerai la narration de mes périples, navrante odyssée faite plutôt de pitoyables transvasements que de bruit et de fureur. Que l’on sache simplement que je finis sur un étal de marché, où je fus jaugé par des regards lubriques. Que mes compagnes d’infortune et moi-même avons pu entendre comme commentaires insultants et stupides…
« Elles ne sont pas bien calibrées »
« Pas même de l’île de Noirmoutier »
« C’est cher pour de la patate anonyme »
« Y en a des difformes ! »
Difforme toi-même, eh, la mocheté embagousée…
Je commençais à me demander combien de temps j’allais rester là, avec le soleil qui me tapait sur le crâne j’étais bonne pour l’insolation, quand je vis que l’on nous montrait du doigt. « Vous m’en mettrez une livre… »
Sachet de papier kraft, panier, coffre de voiture qui claque, cahots, pêne qui grince, vue d’un plafond et de poutres, tiens ici il fait frais, sortie du sac pour une petite cassette en bois.
Deux jours plus tard, une main s’empare de la moitié de mes sœurs. Des parfums de viande grillée me parviennent. Mais je doute que mes sœurs aient participé au festin. En tout cas pas en tant que dégustatrices…
Quelques jours passent, on ne s’occupe pas de nous. Des bagages se font. Allons-nous être oubliées dans notre coin ou balancées je ne sais où sans autre forme de procès ? Mais non, on parle de nous.
« Ouais, elles ne sont pas terribles, mais ce serait quand même dommage de les jeter..
– On les remet dans un sac en papier, et on les emmène avec les fruits… »
Le soir, après quelques heures de route, je découvre mon nouveau logis. Un appartement.
Nous sommes reléguées entre divers produits, dont des légumes que nous voyons arriver et partir peu après vers la cuisine. Mais nous, on n’a même pas pensé à nous sortir de notre sac. Des jours passent, des semaines même. Nous crevons de chaleur, je me flétris. Qui reconnaîtrait la pimpante gamine dans la gnomesse toute ridée que je suis devenue. Ma chair est molle, mes yeux sont tout enchifrenés.

vieille pomme de terre
Madame Patate


Certaines de mes compagnes me ressemblent, mais d’autres ont carrément sombré dans la folie : elles se croient revenues dans leur campagne et cherchent à procréer cette descendance que je sais que je n’aurai jamais. Leurs vaines excroissances blanchâtres me donnent envie de pleurer.
Enfin l’on est venu s’occuper de nous. Triste fin que celle de gisant dans une poubelle…
Ce fut pire.
Après un séjour dans de l’eau fraîche salée censée nous redonner vigueur (mon Dieu, on nous prend pour des bigorneaux), nous fûmes ébouillantées.

pomme de terre, ébullition
L'eau


Puis, comme un vulgaire assiégeant médiéval, nous fûmes arrosés d’huile fumante, alors que nous n’avions aucune intention hostile.

pomme de terre, poêle
L'huile


Ce n’est pas l’onguent de beurre frais qui nous fut prodigué qui aurait pu soulager nos brûlures. Et tout ça pour finir piquées par les dents d’une fourchette et incisées par la lame d’un couteau.
Alors, je le demande tout net : qu’avons-nous fait pour mériter tous ces supplices ?
Les hommes sont-ils si inhumains ?
Si mon témoignage peut améliorer le sort des légumes, je ne serai pas morte pour rien.

pomme de terre, vieille
Presque un fantôme...


J’avoue que j’ai failli tomber en larmes à la lecture de ces lignes. Qu’apporter de plus, sinon de rappeler que la pomme de terre comporte 40 % de gênes identiques à ceux de l’homme (et de la femme).
Aussi je fais le vœu de ne plus dévorer de végétaux. Je me contenterai désormais d’animaux.
Carnivoriens de tous pays, unissons-nous dans la lutte !