jeudi 18 août 2022

Par ici la bonne saupe

Effectivement très bonne, cette saupe, avec sa chair aux saveurs iodées… Mais avec aussi un goût de trop peu.

En effet ce sont deux saupes de 500 g qui devaient arriver chez moi, mais suite à je ne sais quel imbroglio au moment de l’expédition, je n’ai découvert qu’une seule pièce en ouvrant le colis. Et de plus je suis tombé sur une saupe naine : 363 g.

saupe
L'heure de la saupe

Une seule petite pièce pour deux ! Pour ce repas, ma feuille de route sera-t-elle saupe à l’un – mais pas à l’autre ? Ben non, il faudra se contenter d’un repas frugal et se consoler en se disant qu’un quart d’heure de régime, c’est supportable.

Je pare donc la bête, enfin, la bestiole, en la débarrassant de ses nageoires. Je ne l’écaille pas, car posée sur la plancha la peau formera une croûte qui permettra à la chair de cuire sans s’assécher : l’autopapillote, en quelque sorte.

Je parsème extérieur et intérieur de fleur de sel, je fourre de thym, romarin, laurier, persil, quartier de citron vert et relève d’une pincée de piment d’Espelette.

Sur un feu termine de cuire une poêlée de courgettes du jardin. Sur l’autre je pose mon petit (format adapté !) gril en fonte huilé au pinceau d’un soupçon d’huile d’olive. J’étends ma saupe quand mon ustensile est bien chaud, je saisis les deux faces du poisson, puis baisse la flamme, tourne et retourne plusieurs fois ma pièce jusqu’à ce qu’au feeling - c’est-à-dire à l’aspect et au toucher – je puisse la retirer cuite à point. Ce qui prend environ une douzaine de minutes.

saupe
Saupe victime de ma sécheresse


Je soulève la peau. 

saupe
Sous les peaux, la chair

Mission accomplie, il ne me reste plus qu’à lever les filets et les déposer sur les assiettes à côté de mes courgettes sautées.

« C’est bon, n’est-ce pas… Dire que certains journaleux titrent La Saupe, un poisson hallucinogène pour se défoncer ! »

Ben pour moi, il n’y a que le prix qui soit hallucinant en regard d’aussi petites parts.

Mais que l’on se rassure : fort marri de sa bévue, le mareyeur m’a depuis remboursé. Un si délicieux produit gratuit, j’hallucine !

Saupe
Plateau d'Hallu-Ciné


En tout cas, il faudrait rendre la saupe populaire, telle est la morale que je tire de mon aventure.


Le lendemain, c’est encore dans les eaux de la Méditerranée – ou plus précisément de la Camargue – que je trouve notre pitance. Il s’agit de moules d’agriculture bio et de couteaux pêchés au sel. Afin de préserver la saveur spécifique de ces moules qui ne sont pas de la même espèce que celles de l’Atlantique, mais appartiennent à la variété méditerranéenne Mytilus Galloprovincialis, je me contente de les laisser s’ouvrir au fond d’un sautoir avec simplement une cuillerée d’eau destinée à les envelopper de vapeur. Je procède de même pour les couteaux dans une petite casserole. Pour eux, quelques secondes suffisent pour qu’ils s’épanouissent.

Je dresse dans deux assiettes en ajoutant une petite coupelle de kimchi coréen destinée à servir de condiment émoustille papille.

Je n’étais pas certain du résultat, mais cette association fonctionne très bien : la force et la délicatesse se donnent la réplique sur la table, partie de ping-pong entre yin et yang où le seul vainqueur est le juge de bouche qui les applaudit.

moules de Méditerranée, couteaux
Moules à couteaux tirés


Suit une salade de tomates du jardin, arrosées d’un petit filet de jus de citron et d’une bonne rasade d’huile aux notes herbacées des Baux-de-Provence, et parsemées de feuilles de basilic cueilli dans la matinée.

tomates du jardin
Théâtre des variétés

 

On dirait le Sud…

 

vendredi 12 août 2022

La farce des poivrons

Au moment de réaliser les morrones relienos destinés à faire bon usage de poivrons récoltés dans mon jardin me voici confronté au même dilemme que le capitaine Haddock.


En effet parmi les diverses variétés de poivrons farcis à la mode argentine j’ai choisi la version consistant à casser un œuf à l’intérieur d’un demi-poivron et y adjoindre du fromage, en l'occurence de la mozzarella. Ce qui me complique la vie, c'est que j’en ai découvert deux recettes : la première, où l’on recouvrait l’œuf par le fromage, et la seconde ou l’on enfonçait le fromage avant de casser l’œuf par-dessus. 

Alors fromage dessus ou fromage dessous ? À vrai dire, je pencherais plutôt vers la seconde solution. Car ainsi, dans la cuisson sur la plancha le fromage devrait fondre plus facilement, et la cuisson de l’œuf non caché devrait être facile à surveiller.

Mais voilà, il y a un problème : mes poivrons sont de la variété d’origine hongroise Pusztagold, aux fruits fort savoureux mais de taille relativement petite. Restera-t-il une place suffisante ? À vue d'œil j'en doute.

Aussi je m’oriente vers une tierce recette – des déchirures de mozzarella déposées au fond vers les deux extrémités et laissant un creux où pourra se nicher l’œuf, et quelques autres ajoutées après avoir versé l’œuf et laissant apparaître le jaune. Parfait pour le suivi, mais aussi le visuel…

 

Je me lance. C’est une grande poêle en acier qui me servira de plancha. Pour ne pas trop cramer prématurément mes poivrons à la surface avant que la chair et la farce ne soient cuites, je la place sur une flamme moyenne. Puis j’y dépose les demi-poivrons côté découpe vers le bas.

La chaleur de la poêle s’est propagée jusqu’au sommet des dômes légumiers. Je retourne chaque pièce. Les bords de découpe sont bien caramélisés, mais pas brûlés. Je commence mon montage fromage/œuf/fromage en y ajoutant quelques pincées de sel Je parsème de feuilles d’origan arrachées à leur tige par un sournois passage à rebrousse-poil.

Après une douzaine de minutes, j’estime que le moment est venu de retirer les morrones relienos et de les transférer par paire sur les assiettes. Je les orne de sommités fleuries d’origan et de basilic.

 

morrones relienos , poivrons farcis
Sur la route fleurie


Mon dilemme fut résolu promptement, sans insomnies. Cependant force est de reconnaître qu’il m’est plus aisé de déchirer ma mozzarella que pour le capitaine Haddock de lacérer sa barbe.

mardi 9 août 2022

Le thon qu'il fallait

 

N’ayant aucune envie de transformer la cuisine en succursale des Enfers en allumant le four ou en me lançant dans de longs mijotages, je me suis tourné vers la réalisation d’un rapide plat de pâtes.

En effet dans mon placard se morfondait un sachet de spaghetti déjà entamé. Mais surtout dans le réfrigérateur il y avait ce qu’il fallait pour qu'une telle banalité se transforme en régal : un morceau de poutargue de thon rouge.

 





Tout d’abord une rapide mise en place :

-  prélever les 2/3 du morceau de poutargue, soit environ 100 g, conserver le reste pour une utilisation ultérieure

-  en découper une moitié en fines tranches et émietter l’autre moitié

-  prélever le zeste d’un citron jaune avec un zesteur, puis partager l’agrume et en exprimer le jus

-  éplucher et hacher finement quatre gousses d’ail

 

Je mets à chauffer une grande casserole d’eau. En attendant l’ébullition, j’en profite pour verser deux cuillerées d’huile d’olive au fond d’une poêle que je place sur un feu moyen. J’y fais tomber l’ail, puis les zestes de citron et les miettes de poutargue. Je verse le jus de citron et laisse réduire de moitié. Je réserve.

Bon, ça y est, l’eau est en ébullition. J’y fais tomber une poignée de gros sel, puis les 150 g de spaghetti. Il Signore Rummo m’a prescrit 11 minutes de cuisson pour ces grossi spaghetti n° 5, mais je me contenterai de 9 minutes, la cuisson se poursuivra dans la poêle que j’ai remise sur la flamme en y versant une louche d’eau de cuisson des pâtes.

Bip, bip… Je sors les spaghetti que je dépose dans la poêle où bloubloute la sauce à la poutargue en pleine réduction, dont l’amidon apporté par les pâtes va parachever la liaison. Je brasse afin que ces dernières s’imprègnent de tous les parfums et se barbouillent gentiment. Deux minutes sont passées, les spaghetti sont al dente. Je n’oublie pas deux ou trois tours de moulin de poivre noir de Wayanad aux notes fruitées.

Je m’empare d’une pince pour transférer le contenu de la poêle au sein de deux assiettes creuses. Je répartis les tranches de poutargue. Je termine en arrosant d’un filet d’huile d’olive des Baux-de-Provence – celle aux arômes de fruits noirs maturés. Enfin, dans le même élan que l’alpiniste plantant son fanion au sommet qu’il vient de conquérir de haute lutte, je dresse une feuille triomphale : le parfum du basilic s’alliera à celui de la victoire.

poutargue de thon rouge
Nid de ponte d'un thon rouge

Et, c’est vrai, victoire que cette poutargue point trop salée qui se délite savoureusement dans la bouche en exhalant de plaisantes notes iodées, que ce citron dont la présence est discrète, mais assumée, tout comme pour l’ail qui se résout à rester en arrière-plan, que ces pâtes al dente mais imprégnées de toutes ces saveurs. Le thon qu’il fallait – et juste le temps qu’il fallait pour que le cuisinier ne soit pas cuit.

 

vendredi 5 août 2022

Very Nice ?

 

La vue du feuillage encore bien vert de blettes venant d’être arrachées au jardin – c’était avant cette canicule qui me tourna plus vers la sieste que vers l’écriture, fut-ce au sein de ce blog… - m’avait incité à me lancer dans la réalisation d’une tourte de blette. Et que l’on ne me reproche pas de faire du grand n’importe quoi en m’aventurant sur des terres qui me sont étrangères. Car si je n’ai pas la moindre goutte de sang niçois ni même provençal dans les veines, je tire ma recette du journal Nice-Matin qui l’a extraite des Carnets de cuisine du comté de Nice par Alex Benvenuto en collaboration avec le Comité Technique du label « Cuisine Nissarde ». Pas authentique, ma tourte ? Ben si, autant que l’aligot que j’ai vu jadis battu vigoureusement par un jeune chinois sous l’œil reconnaissant, mais vigilant, de la bougnate enfin déchargée de cette tâche ingrate. Comme quoi en gastronomie les origines régionales ou ethniques du cuisinier n’apportent aucune valeur ajoutée au résultat final – surtout si le gourmet dégustateur en reste dans l’ignorance… En témoigne d’ailleurs le label STG (spécialité traditionnelle garantie), pour lequel, dans leur grande sagesse, les législateurs n’ont pas intégré les hacheurs, les touilleurs, les pétrisseurs, les cuiseurs ou les démouleurs parmi les ingrédients : ainsi une Vieille Gueuze peut être brassée aussi bien par un gueux réfugié moldave que par un père noble flamand.

Je fais le faraud, mais je n’en mène pas large en préparant la pâte. En effet il s’agit d’une de ces pâtes sucrées délicates à étaler et surtout à transporter. Dans les 500 g de farine j’incorpore 2 œufs, 250 g de beurre pommade et 200 g de sucre semoule. Je n’oublie pas la pincée de sel. Je pétris délicatement, j’ajoute la cuillerée d’eau qui manquait pour le façonnage d’une boule homogène qu’une fois obtenue j’enferme dans un film transparent avant de la réserver au froid.

Je passe à la confection de la garniture. Je prélève les côtes que je blanchis rapidement avant de les transférer dans une boîte où elles attendront au réfrigérateur leur tour pour être cuisinées. Oublions-les pour aujourd’hui ! Ce sont les feuilles vertes qui m’intéressent. Je les découpe en fines lanières et les lave trois ou quatre fois jusqu’à ce que l’eau ne soit plus teintée. Je les passe à l’essoreuse à salade. Je pèse : j’ai obtenu approximativement un kilo de verdure.

Dans une grande bassine je mélange 75 g de cassonade avec 1 œuf, 25 g de parmesan râpé (je n’ai pu me procurer le sbrinz recommandé) ainsi que 30 g de raisins secs qui se gonflent d’importance sous l’ivresse du petit verre du rhum dans lequel je les ai plongés une heure auparavant. J’incorpore 80 g de pignons qui, sous l’influence des raisins, réclament leur part alcoolisée. Je noie leurs braillements sous un demi-verre d’eau-de-vie de prune. J’ose espérer que la cuillerée d’huile d’olive que je déverse évitera la gueule de bois à cette bande d’ivrognes. Surtout, mais ça, c’est pour le parfum d’anis, que j’ajoute une petite cuillerée d’arak…

Je déverse les lanières de blette bien égouttées, donne quelques tours de moulin de poivre noir et brasse le tout. Ma garniture est prête. 

tourte aux blettes
L'art et la lanière

Il me reste à découper des tranches fines dans une pomme Golden. Elles seront disposées à la surface de mon mélange.

tourte aux blettes
pomme pomme pomme

Mais le plus délicat reste à faire. Je partage ma pâte sortie du réfrigérateur en formant deux boules égales. Je les étale entre deux feuilles de papier siliconé légèrement fleurées. Avec moult précautions en m’aidant d’une spatule j’arrive à décoller la feuille supérieure. Transport vers la tourtière, brusque retournement, victoire, le disque de pâte est centré sur le moule. Nouvelle opération de séparation du papier restant, piquage et étalement de la garniture… Mes lamelles de pommes sont réparties à la surface.

Je me livre aux mêmes opérations de transfert pour le second disque de pâte que j’avais réservé au frais le temps de mener à bien la construction du soubassement et d’élever les étages. Mais là c’est pour recouvrir l’édifice. Puis, en bon artisan, je fignole les jointures. Il me faut piquer la pâte. À la fourchette ? Non, car je trouve ces alignements disgracieux. Je préfère utiliser un pique pomme de terre dont les trois pointes disposées en triangle offrent un graphisme plus harmonieux.

tourte aux blettes
Comme des pattes d'oiseau

Et zou, au four pour une quarantaine de minutes à 180 °C. Quand elle sort, cette tourte de blette a plutôt bonne allure. Je la saupoudre de sucre semoule.

tourte aux blettes
Non, pas de sucre glace !

Elle est désormais tiède et j’entreprends anxieusement de la démouler. Eh bien, mes craintes étaient injustifiées. Tout se déroule facilement, ma Nissarde vient s'allonger en douceur sur le plat aussi facilement qu’une Anglaise en promenade le ferait sur un transat.

Une enfant de la perfide Albion qui se poserait comme moi la question « Dessert or not dessert ? »

J’avoue que si nous n’avions pas eu une invitée au repas, cette tourte aux blettes aurait fait office de plat unique. Mais comme je veux mettre les petits plats dans les grands, j’ajoute au menu des grillades de porc accompagnées de haricots verts du jardin.

Les tranches de porc ont mariné dans une sauce au sirop d’érable et piment chipotle. 


Je les dépose sur le gril en fonte, chaud mais pas trop. J’effectue de nombreux retournements, donnant des coups de pinceau imbibé de la sauce à chaque fois. J’enlève la viande du gril quand sa surface est bien caramélisée, renfermant une chair encore juteuse.

Pour les légumes, j’ai plongé sept minutes les haricots violets qui en ont verdi de stupéfaction dans l’eau bouillante salée. Ils en sont sortis al dente. Ils étaient même un peu en sous cuisson, ce que je souhaitais pour qu’ils supportent le passage dans le beurre fondu.

Comme la récolte du jour de haricots était maigre, j’y ai adjoint quelques pommes de terre primeur de Noirmoutier dont la cuisson en robe des champs a pris, quant à elle une quinzaine de minutes. Elles vont rouler au fond d’une poêle dans une grosse noix de beurre demi-sel mousseux. Deux ou trois minutes pour les laisser se vautrer dans le stupre normand et sa dorure, et je leur adjoins les haricots vioverts qui semblent en éprouver une brillante satisfaction.

Il est temps que je vire tout ce petit monde de la poêle orgiaque pour les encadrer sur un sévère plat en inox par un trio dopé à la sauce américaine.

grillades de porc, haricots violets, pommes de terre de Noirmoutier
Le début des haricots

Nous nous en régalons


Enfin l'instant du dessert : je tranche la tourte de blette. 


tourte aux blettes
Aux Niçois qui mal y pensent

Les parts sont belles et de bonne tenue

Mais si mes compagnes de table m’affirment se régaler, pour ma part je prends un plaisir mitigé à cette dégustation. Serait-ce que je n’aime pas la VRAIE tourte nissarde ? Ou bien Nice-Matin aurait-il abusé de ma naïveté en ne dévoilant pas les secrets de préparation qui sont l’apanage des seuls résidants dans le countea de Nissa depuis plusieurs générations ? Dire que sur place je n’ai jamais eu l’idée de déguster ce produit afin de me créer une référence… Je m’en veux, je m’en veux, de m’être contenté de la pissaladière et du pan-bagnat ! Crétin de touriste que je fus…